Comment Nicolas Sarkozy entend faire « bouger les lignes » en 2008

De Philippe Séguin à Bernard Kouchner, ils sont nombreux les ministres – et pas des moindres – à avoir déjà mis en oeuvre cette modalité de concertation « officielle » quand l’essentiel se détermine en coulisses. L’essentiel, aujourd’hui, est déjà connu ; il tient en trois décisions et deux hésitations.

Les trois piliers de la réforme

Les décisions déjà actées par le pouvoir en place sont les suivantes : – réforme de l’hôpital Nicolas Sarkozy l’a répété dans sa conférence de presse. Le navire est en « déshérence » et il s’agit d’abord de remettre un pilote à la barre. Un patron et un seul : en d’autres termes sortir de cette ambiguïté majeure faisant d’un élu local, souvent le maire, le copilote du directeur. Même si son pouvoir sur le management est infime, sa capacité de nuisance est, pour un administratif, un puissant levier… d’immobilisme. La collusion est d’ailleurs patente au plus haut niveau de la représentation des établissements publics avec une Fédération Hospitalière de France qu’on dirait héritée de la Troisième République, où la transition se fait subtile entre un président en exercice de gauche et son successeur… de droite.

Le mot d’ordre immuable et commun est, sous couvert de « service public », de toujours défendre l’emploi local. Après le plan d’investissement « Hôpital 2007 », le plan « Hôpital 2012 » peut être également lu comme un plan de soutien au secteur du bâtiment… Le maître d’oeuvre de cette réforme- là s’appelle donc Gérard Larcher, ancien ministre UMP du Travail et… prédécesseur de Claude Évin à la tête de la FHP ! Il est actuellement à l’ouvrage et n’a pas caché son intention de suggérer quelques amendements notables : une réforme profonde du mode de nomination et de rémunération des praticiens hospitaliers, mais également le secteur 2 ou la formation… Et quelques autres dispositions attentatoires à la fameuse « carte sanitaire »… Comprenez une extension aux cliniques des missions de service public qui constituent autant de contraintes à « l’attractivité » des hôpitaux. Sur cette mission, on attendra avec curiosité la mi-avril où l’auteur du rapport remettra ses conclusions avant d’hériter, sans doute, d’un nouveau mandat ;

réforme de la gouvernance : la gouvernance des questions de santé a toujours transité peu ou prou par l’Élysée. On savait, depuis la nomination de ce gouvernement, que privée de son volet « recettes » la « gouvernance des dépenses » par le ministère de la Santé allait manquer d’indépendance. Mais on était loin d’imaginer à quel point elle allait se retrouver concentrée à l’Élysée au sein d’une petite cellule constituée autour de M. Raymond Soubie, ancien conseiller « social » de Raymond Barre ou Jacques Chirac et familier de tout ce que Paris compte de « partenaires sociaux ». La cellule- santé compte donc trois énarques et un seul médecin…, généticien de son état ! Et, comme toutes les cellules de l’ombre, elle compte bien résister à tous les changements de gouvernements.

Son relais d’influence sur le territoire a un nom mais pas encore de visage : les Agences régionales de santé auront, à leur création fin 2008 ou début 2009, des « patrons » désignés en Conseil des ministres avec la haute main sur la contractualisation avec les établissements de santé et – sans doute à travers des « SROS ([SROS = Schémas Régionaux d’Organisation des Soins.)] – Médecine de ville », dont on commence justement à parler – sur les orientations ambulatoires « structurantes » (plateaux techniques, HAD, activité de jour, réseaux de santé…). C’est un ancien Préfet, M. Ritter, ex-directeur de l’ARH d’Ile de France, qui « planche » sur le projet. On est toujours, en revanche, dans l’ignorance de la façon dont ce dernier compte articuler les ARS avec l’administration désormais pyramidale de l’Assurance Maladie.

refondation de la médecine de ville. Pour n’avoir pas totalement consacré les promesses qu’elle avait fait naître – et pour avoir, surtout, divisé le corps médical libéral – la réforme Douste-Blazy de 2004 a sans doute vécu. Le pouvoir en place attend un rendement beaucoup plus probant de la maîtrise, qu’on la qualifie de comptable ou de médicalisée. Il attend une régulation plus opérante sur les installations de ville : ce n’est pas parce qu’il a dû procéder à un repli tactique vis-à-vis des internes qu’il a complètement renoncé à moduler selon les territoires les avantages et contraintes conventionnelles. Si personne n’est en état de l’afficher clairement au Gouvernement, ce dernier le fait dire, avec malignité, par M. Larcher qui n’a pas de mots assez durs pour stigmatiser le secteur 2. On se demande bien dans ces conditions s’il restera du « grain à moudre » aux fameux États Généraux de l’Organisation de la Santé… D’autant que la méthode déployée pour préparer les rendez-vous de février – auditions privées par un Comité de pilotage et ateliers publics à l’occasion de deux rendez- vous médiatiques – a le don d’irriter les syndicats médicaux. Impuissante à faire inscrire à l’ordre du jour de ces EGOS le sort des disciplines cliniques, l’Umespe – branche « spécialistes » de la CSMF – a convoqué sa propre « Grand’messe » sur le rôle des spécialités dans la prévention… des hospitalisations abusives.

La HAS en embuscade

On observera qu’un sujet parfaitement éligible à l’ordre du jour des EGOS, la nécessaire « collaboration » entre les acteurs et son corollaire, le transfert de charges, font actuellement l’objet d’une concertation… dans l’enceinte de la Haute Autorité de Santé à qui la loi, en l’occurrence la LFSS- 2008, vient de conférer une légitimité nouvelle dans tout le champ de l’économie de la santé.

C’est peu de dire que la phase de concertation, dont on a bien compris le calendrier sinon la méthode, trouvera son terme au printemps, au lendemain des élections municipales et cantonales (deuxième tour le 16 mars). L’exercice consistera alors à écrire le texte de la loi sur l’organisation des soins appelée à être débattue à la session d’automne du Parlement, simultanément à la loi de financement 2009.

Reste les deux hésitations…

Dans quel état sortira la médecine de ville de ce double exercice législatif Difficile à pronostiquer ! Mais normalement le Gouvernement du moment – le successeur plutôt que celui d’aujourd’hui – devrait y trouver une opportunité de… compter ses alliés.

Formellement rien n’interdit ni un renversement d’alliance ni une reconduction. Entre les deux extrêmes la gamme est infinie… Elle commandera notamment l’issue de la remise à plat de la Convention par voie de renégociation globale ou d’amendements substantiels. Ã ce jour, les syndicats réputés « réfractaires » – FMF, MG-France et ex-coordinations – viennent de faire une entrée, discrète, à la table de négociation à la faveur d’un avenant sur la permanence des soins. Il semble bien, à l’analyse, que ce petit paraphe leur vaut visa d’entrée permanent à la table de discussion et dans les commissions départementales appelées à statuer sur le sort des médecins « déviants ». Tout donne l’impression que le pouvoir entend surtout… ménager tout le monde à la veille de décisions radicales.

L’autre motif d’interrogation n’est pas moindre, puisque relatif au financement de l’Assurance Maladie. Là encore, le calendrier politique commande une mise en musique à la rentrée, parce que la France doit faire bonne figure dans le concert européen dont elle assumera la présidence… semestrielle. Les voies sont multiples ; contrairement à ce qui se dit ici ou là, la TVA sociale n’est pas abandonnée bien qu’elle provoque l’ire des syndicats de salariés. Mais un troc avec eux n’est pas à exclure dans le cadre d’un agenda social hyper-chargé : réforme du régime général des retraites, des 35 heures, des clauses de la représentativité syndicale… Là encore, Nicolas Sarkozy donne le sentiment de ne rien s’interdire, persuadé qu’il est que son mandat est de « faire bouger les lignes »… Pour la première fois depuis bien longtemps, on a l’impression que le défi est raisonné, sinon raisonnable.