Prescriptions hors AMM : un arrêt de la Cour de Cassation qui doit faire réfléchir

357 – Le cadre légal et réglementaire (Cf. numéros 343 et 348 du Cardiologue) _ La prescription hors AMM n’est pas illégale, mais implique un certain nombre d’exigences :

En ce qui concerne le traitement – Absence d’autre molécule disposant d’une AMM et permettant une prise en charge aussi pertinente. – Prescription s’appuyant sur des données scientifiques validées (recommandations, études avec haut niveau de preuves, etc.), afin de justifier la validité de la prescription et l’absence de risque disproportionné pour le malade, ce raisonnement devant être noté dans le dossier. – Intérêt du patient avec rapport bénéfi ce/risque favorable.

Vis-à-vis du patient – Il doit être informé de l’absence d’AMM. Cette obligation d’information a été renforcée par la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades. En cas de conflit médico-légal, le médecin est tenu d’apporter la preuve qu’il a délivré cette information. – Un médicament prescrit hors AMM n’est pas remboursable et l’ordonnance doit le notifier. En cas de non-respect de cette disposition, le médecin peut s’exposer à des sanctions ordinales et être condamné à rembourser à la caisse le coût de sa prescription.

Le litige _ Un rhumatologue a pratiqué en 1988 une injection intradiscale d’Hexatrione en raison de lombalgies. Le traitement a échoué et il devait apparaître des calcifications que le patient a attribuées à ce traitement. Il a mis en cause la responsabilité de son rhumatologue en prétendant que, s’il avait été informé que ce traitement n’était pas conforme aux indications prévues par l’AMM, il l’aurait refusé et aurait choisi la chirurgie.

La Cour d’Appel de Rennes a débouté le patient en considérant « qu’il n’était pas démontré en l’espèce, que mieux informé, M. Y. aurait refusé la technique proposée et préféré la chirurgie, le traitement médical classique ayant échoué et cette technique étant alors sans risque connu et réputée apporter fréquemment un soulagement réel ». _ Cette décision a été cassée par la Cour de Cassation.

Arrêt du 12 juin 2012 de la Cour de Cassation _ « Vu les principes du respect de la dignité de la personne humaine et d’intégrité du corps humain, ensemble l’article 1382 du code civil ; _ Attendu que le non-respect par un médecin du devoir d’information dont il est tenu envers son patient, cause à celui auquel cette information était légalement due un préjudice qu’en vertu du texte susvisé le juge ne peut laisser sans réparation ; _ Attendu que pour rejeter les demandes en dommages intérêts de M. X. à l’encontre de M. Z., médecin rhumatologue, qui lui avait administré en 1988 une injection intra discale d’Hexatrione pour soulager des douleurs lombaires, à laquelle il imputait une calcification ayant rendu nécessaire une intervention chirurgicale, la Cour d’Appel a jugé qu’il n’était pas démontré en l’espèce que, mieux informé, M. X. aurait refusé la technique proposée et préféré la chirurgie, le traitement médical classique ayant échoué et cette technique étant alors sans risque connu et réputée apporter fréquemment un soulagement réel ; _ Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que M. Z. n’établissait pas avoir informé M. X. que le traitement prescrit, quoique pratiqué couramment et sans risque connu, n’était pas conforme aux indications prévues par l’autorisation de mise sur le marché, la Cour d’Appel n’a pas tiré de ses constatations, desquelles il résultait que M. X., ainsi privé de la faculté de donner un consentement éclairé, avait nécessairement subi un préjudice, les conséquences légales qui en découlaient. »

Toutes les spécialités, et notamment la cardiologie, sont désormais à la merci de cette jurisprudence. ■

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Deux exemples courants de prescription hors AMM en cardiologie

HBPM dans la fibrillation auriculaire – Cette indication, en relais des antivitaminiques K, est confirmée dans les recommandations ESC de 2006 et de 2010. – Elle est hors AMM. – Il en est de même de l’héparinate de calcium en sous-cutanée. – La seule héparine ayant l’AMM dans cette situation est la vieille héparine sodique qui est d’utilisation plus contraignante, et nécessite en fait une hospitalisation.

Utilisation hors AMM du clopidogrel – Indication hors AMM : la prévention des thromboses de stent hors SCA. Cette indication ne figure pas au libellé rappelé dans le Vidal. Elle est pourtant solidement documentée, et il est inutile de rappeler dans une revue destinée à des cardiologues que la mauvaise observation de cette indication hors AMM peut avoir des conséquences vitales – Posologie non conforme à l’AMM.Certains centres, s’appuyant sur la littérature, doublent la dose conseillée par l’AMM, soit pendant les premiers jours qui suivent l’implantation de stent, soit en fonction du poids du patient.

Dans ces deux exemples de pratique courante, nous sommes exactement dans la même situation que celle qui a été jugée par la Cour de Cassation : il s’agit de traitements dont l’indication a été validée, mais utilisés hors AMM. En outre, ils peuvent avoir des effets iatrogènes très sérieux, avec de possibles conséquences médico-légales.

Quels sont les cardiologues qui, dans ces circonstances, respectent l’obligation d’information prévue par la législation ? Probablement très peu, voire, plus vraisemblablement, aucun.

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Prescrire hors AMM, même à bon escient n’est pas sans risque si toutes les conditions légales ne sont pas remplies, y compris l’information du patient _ Le dernier numéro de « La Prévention Médicale », dans un article de Stéphanie Tamburini, juriste, conclut ainsi : « En cas d’incident, outre le risque de condamnation civile à des dommages et intérêts si le tribunal considère que la prescription hors AMM n’était pas justifiée ou que le devoir d’information n’a pas été respecté, il existe un risque de condamnation pénale, notamment pour homicide ou blessure involontaire, voire pour mise en danger de la vie d’autrui. _ Enfin, des sanctions disciplinaires peuvent le cas échéant être prononcées en cas de non-respect des obligations envers le patient et envers les caisses. »

Article L. 5121-12-1, II du Code de la santé publique – I – Une spécialité pharmaceutique peut faire l’objet d’une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché en l’absence d’alternative médicamenteuse appropriée disposant d’une autorisation de mise sur le marché ou d’une autorisation temporaire d’utilisation, sous réserve : _ 1° que l’indication ou les conditions d’utilisation considérées aient fait l’objet d’une recommandation temporaire d’utilisation établie par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, cette recommandation ne pouvant excéder trois ans ; _ 2° ou que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique du patient. – II – Les recommandations temporaires d’utilisation mentionnées au I sont mises à disposition des prescripteurs – III – Le prescripteur informe le patient que la prescription de la spécialité pharmaceutique n’est pas conforme à son autorisation de mise sur le marché, de l’absence d’alternative médicamenteuse appropriée, des risques encourus et des contraintes et des bénéfices susceptibles d’être apportés par le médicament et porte sur l’ordonnance la mention : “Prescription hors autorisation de mise sur le marché”. Il informe le patient sur les conditions de prise en charge, par l’Assurance Maladie, de la spécialité pharmaceutique prescrite. Il motive sa prescription dans le dossier médical du patient.).

L’application de la loi et la pratique médicale (commentaire)

La décision du juge est finalement assez simple : il doit déterminer si la loi, dans toute sa rigueur, mais aussi son abstraction compte tenu des situations rencontrées, a été respectée ou non.

Pour le médecin, c’est beaucoup plus complexe et il faut entrer dans les détails de notre pratique. _ A quel moment, pour respecter les termes et l’esprit de la loi, faudrait-il annoncer que le clopidogrel proposé après stent hors SCA, serait prescrit hors AMM et non remboursable ? Certainement pas lorsque la décision de stenter est prise, c’est-à-dire pendant la coronarographie. _ Le moment le plus opportun paraît être la consultation où le cardiologue informe son patient qu’il y a une indication de coronarographie et lui fait part, conformément aux dispositions légales, de l’intérêt de l’examen, de son déroulement et des complications éventuelles. _ A ce stade, les orientations thérapeutiques défi nitives ne sont pas encore prises, car les différentes options doivent s’appuyer sur la coronarographie, mais le malade doit en être informé, afi n qu’il puisse prendre sa décision en toute connaissance de cause. _ L’éventualité d’un traitement hors AMM, en cas de stent, est l’un des éléments d’information. _ Pourquoi cela peut-il être difficile pour le cardiologue d’en parler d’emblée ? _ Cette consultation de proposition de coronarographie est souvent en fait aussi une consultation d’annonce de diagnostic d’entrée dans la maladie coronarienne, le cardiologue expliquant en préambule le résultat du test non invasif d’ischémie qu’il vient de réaliser ou recevoir. C’est un moment particulièrement traumatisant pour le patient dont l’existence va être profondément modifiée. _ Le cardiologue aura un discours positif, insistant sur les possibilités thérapeutiques effi caces, mais il devra à cette occasion faire preuve de toutes ses capacités de dialogue et d’empathie. _ Est-il vraiment opportun de polluer cette prise de conscience par des considérations administratives alors que, à ce stade, les préoccupations du patient sont d’ordre existentiel ?

Le guide HAS « Annoncer une mauvaise nouvelle » (Février 2008) nous apporte une réponse : « l’émotion est tellement forte lors de la première annonce que, la plupart du temps, le patient n’entend qu’une petite partie de ce qui est dit. Lors de la consultation où est réalisée la première annonce, tout n’est pas abordé, le patient a besoin de temps. » Il ne faudrait donc pas tout aborder, mais, sur le plan pratique, une fois la décision de coronarographie prise, le processus est engagé et il n’y aura pas d’autre occasion d’évoquer la nécessité éventuelle d’un traitement hors AMM. Ce même guide ajoute : « être attentif aux mots choisis ». Les mots « hors autorisation » qualifiant le traitement que l’on va proposer ont forcément pour un public non informé une connotation négative et, quand on ajoutera que ce traitement ne sera pas remboursable, le patient risque fortement de penser qu’on lui propose une thérapeutique hasardeuse, ceci alors que le cardiologue cherche à le convaincre que l’on va pouvoir le soigner efficacement.

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Conflit d’intérêts pour le cardiologue _ S’il veut prescrire hors AMM un traitement validé en toute sécurité juridique, il suffi t pour le cardiologue de respecter strictement l’information prévue par la loi. En pratique, s’il veut remplir avec humanité son rôle de médecin, c’est beaucoup plus complexe.

Le but de cet article n’est pas de donner des consignes, mais de favoriser la réflexion. Il est certain néanmoins que nous ne pouvons pas nous mettre en situation de risque juridique par compassion pour nos patients en raison de mécanismes administratifs mal adaptés à cause du retard de la réglementation par rapport aux données scientifiques.

C’est là en effet le fond du problème. Les malades doivent être protégés vis-à-vis ce certains traitements insuffisamment étudiés, mais il n’est pas normal que l’on mette sur le même plan des thérapeutiques validées comme celles que nous utilisons en cardiologie.

¬¬C’est un problème sur lequel devrait se pencher les différentes autorités concernées par la santé. ■(gallery)




L’encadrement de l’activité libérale reporté à l’année prochaine

357 – C’est le sentiment d’un grand cafouillage que suscite la comédie en trois actes qui vient de se jouer autour de l’encadrement de l’activité libérale à l’hôpital durant le débat du PLFSS 2013.

Acte 1 _ Les députés adoptent un article (42 bis) présenté par Christian Paul (PS, Nièvre) qui supprime le paiement direct au praticien et prévoit une majoration de la redevance versée à l’établissement en cas de dépassement du seuil fixé par décret.

En outre, le directeur de l’hôpital aurait la possibilité de saisir l’ARS en cas de non-respect des obligations du praticien, et le directeur de l’ARS pourrait retirer l’autorisation d’exercer au dit praticien. Christian Paul voit dans cette article 42 bis la « réponse satisfaisante » au problème des abus de « quelques centaines » de médecins hospitaliers qui ont « un effet très fort sur le moral des PH ». Le gouvernement soutient l’initiative de Christian Paul et la ministre de la Santé, Marisol Touraine, juge « utile de prendre ces premières mesures ».

Acte 2 _ Le texte arrive au Sénat où les sénateurs ne l’entendent pas de la même oreille. Sa commission des affaires sociales adopte un amendement supprimant l’article 42 bis voté par les députés. Non que le Sénat majoritairement socialiste ne soit pas en phase avec ses collègues députés, au contraire, explique en substance le rapporteur général Yves Daubigny (PS, Aisne).

Simplement le Sénat trouve assez inopportun de trancher sur le sujet alors qu’on a confi é il y a peu une mission sur le sujet à Dominique Laurent. Inutile aussi alors que les médecins libéraux sont dans la rue d’y faire descendre les hospitaliers, car tous les syndicats de praticiens hospitaliers ont fait savoir qu’ils étaient farouchement opposés à l’amendement voté à l’Assemblé nationale.

Acte 3 _ En ouverture de la discussion du PLFSS au Sénat, Marisol Touraine demande la suppression de l’encadrement renforcé de l’activité libérale à l’hôpital, expliquant que le vote de l’article 42 bis à l’Assemblée a « donné le sentiment que le Parlement voulait se prononcer avant que la commission (Ndlr : dirigée par Dominique Laurent) ne termine ses travaux ». Dans la foulée, les députés de la commission des affaires ont accepté de renoncer à l’article 42 bis. Christian Paul a expliqué la nécessité d’élaborer un « texte législatif de portée plus complète » pour limiter les dépassements d’honoraires des praticiens hospitaliers ayant une activité libérale à l’hôpital. Ainsi, une proposition de loi devrait être déposée « au plus tard avant la fi n du premier semestre 2013 », qui tiendra compte des conclusions de la mission Laurent. Ce timing semble effectivement plus logique… ■

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• La progression réelle du budget hospitalier 2013 selon la FHF _ Alors que l’ONDAM hospitalier a été fi xé à 2,6 % pour 2013, la Fédération Hospitalière de France estime que le taux nécessaire pour reconduire les moyens des hôpitaux l’année prochaine devrait s’établir à 3,07 %, hors mesures nouvelles. La FHF fonde ce taux sur les estimations de l’évolution de chaque groupe de dépenses hospitalières : les dépenses de personnel, qui représentent en moyenne 65 % du budget d’un établissement, celles de médicaments et DM 16 %, celles d’énergie, logistique et assurance 9,7 % et les dépenses du titre IV (taux d’intérêt) 9,3 %. Selon la FHF, chacun de ces postes de dépenses devrait augmenter en 2013 respectivement de 1,79 %, 0,16 %, 0,52 % et 0,61 %. Le taux global de progression pourrait même être un eu plus élevé (3,17 %) en ajoutant 0,1 % sur le titre IV pour les dotations aux provisions pour les Comptes Epargne Temps (CET) pour 2013.

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• Déficit structurel des hôpitaux en 2011 : + 138 millions _ Selon le rapport du ministère de la Santé au Parlement sur le fi nancement des établissements de santé publique, le résultat principal des établissements publics passerait d’un défi cit de 405 millions d’euros en 2010 à un défi cit de 430 millions d’euros en 2011. Tandis qu’on observe une détérioration essentiellement pour les centres hospitaliers de moyenne et grande taille, on note une amélioration pour les CHU, les CHS et les petits CH. Ce résultat comptable intègre les aides allouées au titre du retour à l’équilibre et des restructurations, ce qui vient amoindrir les défi cits, souligne le ministère. Ces aides contractuelles aux hôpitaux publics auraient progressé entre 2010 et 2011 de 359 millions à 463 millions d’euros. « Corrigé de ces aides, indique le rapport du ministère de la Santé, le défi cit structurel se creuserait de 764 millions à 902 millions d’euros », soit une aggravation de 138 millions d’euros.

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• Tarifs hospitaliers gelés en 2013 _ C’est lors de son audition par la commission des affaires sociales du Sénat sur le PLFSS 2013 que Marisol Touraine a expliqué que la mise en réserve des dépenses entrant dans le champ de l’ONDAM passerait notamment par un gel des tarifs hospitaliers l’année prochaine. La ministre de la Santé n’a pas indiqué si ce gel concernerait tous les tarifs ou une partie seulement, ni s’il s’exercerait pendant toute l’année 2013. En revanche elle a précisé qu’il n’y aurait pas de gel des crédits des MIGAC pour les hôpitaux. La mise en réserve s’élèvera à 545 millions d’euros, soit le même montant qu’en 2012, qui avait été supporté par les établissements pour 415 millions d’euros, par le secteur médicosocial pour 100 Millions et par le FIQCS pour 30 millions d’euros.




Avenant 8 : les « pigeons » feront-ils le printemps ?

357 – Sans surprise, les troupes de MG France, de la CSMF et du SML ont entériné la signature par leur président respectif de l’avenant 8. Encore que le oui du SML ressemble beaucoup un « oui, mais ».

« Ce texte existe, on ne va pas le renégocier, mais peut-être faut-il s’atteler à un avenant 9 », a déclaré son nouveau président, Roger Rua. La renégociation n’est d’ailleurs pas de saison : l’avenant 8 est paru au Journal Officiel du 7 décembre et est donc ipso facto entré en application.

Ce qui n’entame en rien la détermination des opposants à l’avenant 8.

Du côté du front du refus, Le Bloc et la FMF. Le premier n’a jamais adhéré en quoi que ce soit à l’avenant. Du côté de la FMF, comme toujours, les choses ont été un peu plus hésitantes : après avoir signé le relevé de conclusion en octobre dernier, elle est revenu sur sa décision 24 heures après et a définitivement et massivement (79,3 %) dit « niet » à l’avenant 8 lors de son assemblée générale à Lyon le 1er décembre dernier. « Il y a trop de choses inacceptables dans ce texte, commente son président, Jean-Paul Hamon, à commencer par une juste revalorisation des tarifs opposables correspondant au coût de la pratique ». Ces deux syndicats représentatifs, qui ont participé aux négociations, ont trouvé un renfort de taille via Facebook. Tout comme les coordinations « sauvages » de médecins lors de la grande grève des gardes de 2000-2001, les « médecins pigeons » sont venus, en une nuée grossissante de jour en jour sur le web malmener quelque peu les syndicats médicaux signataires et affi rmer leur opposition farouche à l’avenant 8. Devant le nombre grandissant de « pigeons », ils ont décidé de s’organiser et se sont regroupés au sein de l’Union Française des Médecins Libéraux (UFML), présidée par un généraliste de Haute-Garonne, le Dr Jérôme Marty, ancien cadre de la CSMF dont il a claqué la porte après la signature de la dernière convention instaurant le paiement à la performance, « la plus grande erreur faite par les syndicats médicaux », selon lui.

Malgré les milliers de professionnels de santé libéraux mobilisés le 12 novembre contre l’avenant 8, la messe est dite aujourd’hui. Quant à la proposition de loi Le Roux relative aux réseaux de soins mutualistes, les amendements apportés par le Gouvernement n’ont pas rassuré les professionnels de santé libéraux. A l’appel de la FMF, du Bloc et de l’UFML, ils étaient encore quelques milliers dans les rues de Paris le 2 décembre dernier pour crier leur colère. « Nous ne désarmerons pas, affirme Jean-Paul Hamon, et Marisol Touraine va être confrontée à une opposition constante. Il ne faut pas lui f…tre la paix ! Elle a pensé qu’elle pourrait laisser pourrir la situation en ne discutant qu’avec les internes à propos des déserts médicaux. Avec les médecins, la concertation c’est zéro ! Les amendements au texte sur les réseaux mutualistes ne trompent personne : on sait que la prochaine étape de ces réseaux concernera les médecins. »

« La mobilisation continue et l’urgence concerne trois points : retrait de l’avenant 8, pas de réseaux de soins mutualistes et revalorisation du secteur 1 », confirme Jérôme Marty, sur la même longueur d’onde que le patron de la FMF. A propos, jusqu’à quel point pourrait aller cette similitude de longueur d’onde ? L’UFML pourrait-elle, comme le prétendent certaines rumeurs, rallier la maison fédérale ? « Ca m’arrangerait bien ! s’amuse Jean-Paul Hamon. Mais pour l’instant, nous n’en sommes pas là, même si plusieurs dizaines de membres de l’UFML, dont Jérôme Marty, ont rejoints les rangs de la FMF. » « Ce n’est pas à l’ordre du jour dans l’immédiat, commente Jérôme Marty. Mais il est certain que la position intelligente consisterait à réunir l’UFML, la FMF et Le Bloc pour constituer un grand syndicat. » Pour l’heure, l’UFML se contente de son rôle de « groupe de pression » et se réjouit d’enregistrer un nombre croissant d’adhésions – plus de 1 200 en date du 6 décembre dernier. « Et ça va continuer », affirme son président. ■




Rationalité et décision thérapeutique

357 – Depuis Descartes puis les Lumières, la raison règne en maître incontesté sur nos processus cognitifs. Et il est certain que la force normative de la rationalité a un rôle fondamental par la maîtrise de nos sentiments et de nos tendances irrationnelles. Cependant, il est maintenant acquis que de nombreux facteurs subjectifs sont susceptibles d’influencer notre raisonnement, en particulier en situation d’incertitude ou de risque… ce qui est le propre de notre profession.

Le processus décisionnel repose sur trois opérations : la collecte adaptée d’informations, la formation de croyances rationnelles et le choix de l’action. S’il n’y a, en théorie, qu’une seule façon de faire un choix rationnel, il y a de nombreuses façons de prendre une décision irrationnelle. Jon Elster différencie l’irrationalité «chaude» induite par les émotions, de l’irrationalité «froide» qui regroupe de nombreux mécanismes, qu’il s’agisse de dissonance cognitive (gestion irrationnelle de données contradictoires), de croyances motivées (prendre ses désirs pour des réalités) ainsi que de nombreux biais cognitifs dont le biais de représentativité (effet Diagoras) et le biais de confirmation qui sont parmi les plus prégnants.

La complexité du réel _ En médecine, c’est à la complexité du réel que nous sommes confrontés. Les situations d’incertitude et d’ignorance sont une source importante d’irrationalité car nous supportons mal d’avouer notre ignorance, alors que nous avons besoin de nous former une opinion instantanée et ferme sur n’importe quel sujet. La peur du doute, l’horreur du vide, exposent au risque de rationalisation par excès pour justifier une décision précise, parfois discutable. Ce risque est d’autant plus important dans notre profession qu’il faut pouvoir justifier nos choix devant le patient (devenu usager !?) et… les juges !

Une déformation du traitement des connaissances _ De plus, nous avons tendance devant toute suite d’événements à leur rechercher une cause a posteriori, à leur donner un sens. Cette rationalisation a posteriori et les modélisations approximatives aboutissent à une déformation du traitement de l’information et des connaissances. Il faut bien voir que la médecine basée sur les preuves n’est, en fait, basée que sur les données publiées. Mais ces dernières ne sont pas un reflet de la réalité, comme cela a été montré (surestimation de l’efficacité réelle). Par ailleurs, nous raisonnons le plus souvent à partir de moyennes mais dans la réalité, on est confronté à des situations hétérogènes, dans lesquelles la probabilité d’apparition de valeurs extrêmes est plus élevée, et ces événements extrêmes sont susceptibles d’avoir un effet plus important que la moyenne des autres événements.

De plus en plus de plus de gens pensent à notre place (les « experts », les instances, ) donnant lieu à des soi-disant « consensus » et des « bonnes pratiques » en tout genre, sans parler des « séminaires » et « workshops » Ce « savoir instrumental » ne permet qu’un raisonnement basé sur des données incomplètes, sélectionnées par d’autres, et aboutit à une perte d’autonomie de la réflexion individuelle.

De plus, nous sommes noyés sous les informations de sources multiples et il a été montré qu’un excès d’informations nuit aux décisions. La formation actuelle repose sur l’accumulation de « compétences » et l’exercice de la médecine fi nit par se résumer à l’application formatée de recettes dédiées à une pathologie spécifi que dans des conditions prédéfinies… devenue « production de soins ». En attendant les logiciels d’aide à la décision ! C’est sans dire qu’on a « perdu » le patient, l’être humain qu’on doit soigner… Bien qu’on veuille nous imposer la vision d’une science exacte, la médecine en tant qu’elle s’adresse à des individus est aussi (et surtout) une science humaine exposée aux symptômes du patient et qui ne doit pas s’abandonner à une réduction nominaliste du malade à sa seule maladie. L’empathie et la rigueur sont nos seules armes face à la faute à laquelle on veut nous réduire (faute de plus en plus jugée sur nos capacités à nous soumettre à des normes que sur nos compétences réelles).

En conclusion _ Il est bien sûr indispensable d’avoir des connaissances pratiques… mais un véritable savoir, passé par les filtres de la réflexion et de la remise en cause permanente, est préférable. Plutôt que de chercher à se convaincre soi-même et à convaincre les autres, il est préférable d’affronter ses doutes. Comme l’a montré Karl Popper, il n’y a d’attitude rationnelle que critique.

Il faut se rappeler que le discours peut tout démontrer et qu’il est risqué d’extrapoler car nous évoluons en situation d’indétermination. Il faut laisser de la place à la réflexion, ne pas se soumettre à la dernière publication (nouveauté n’est pas synonyme de progrès), ni céder à la pression du marché ou des (im)patients… et savoir pratiquer une « procrastination raisonnée » quand cela est nécessaire. Ne cherchons pas à être rationnels à tout prix, mais efforçons nous d’être raisonnables. Et, quand il est difficile voire impossible de décider de ce qui est le plus raisonnable, il nous reste encore la possibilité d’éviter ce qui ne l’est pas !

Oubliez la « performance » et la « compétitivité » qu’une gestion managériale de la santé veut nous inculquer sinon, bientôt, nous ne serons plus que des agents effecteurs de « contrats thérapeutiques » qui ne vaudront pas plus que ce que nous coûtons ! ■




Vers un DMP de deuxième génération

357 – Dix ans après son lancement à la légère par Philippe Douste- Blazy, où en est le DMP ? Pas très loin, il faut bien le dire. Surtout si l’on considère les sommes mobilisées pour ce projet. Entre 2005 et 2011, on estime que quelque 200 millions d’euros ont été investis pour un total de 210 000 dossiers numériques créés dans 160 hôpitaux et 4 000 médecins traitants à l’heure actuelle. Encore ces dossiers sont-ils « en réalité, largement théoriques », selon les propos de Marisol Touraine. On est très loin de pronostics annoncés : tandis qu’en janvier 2011 Jean-Yves Robin, le directeur de l’ASIP Santé, situait entre un et deux millions le nombre de DMP ouverts à la fi n de cette même année, en mars dernier, l’agence en rabattait fi xant l’objectif à 300 000 DMP créés à la fi n 2012. Plusieurs rapports très critiques ont tiré le signal d’alarme. Le dernier en date, celui de la Cour des comptes concluait qu’était « urgent et indispensable un ferme redressement dans le pilotage stratégique et la maîtrise des coûts du DMP comme de l’ensemble des dossiers médicaux informatisés qui ont vocation à converger vers lui » (Le Cardiologue n° 355). La ministre de la Santé et des Affaires sociales a donc décidé de reconsidérer le dossier. Pas question de renoncer au projet ni de continuer à y injecter de l’argent sans rien changer. Pas question non plus de mettre en selle la solution du DMP sur clé USB soutenue par certains parlementaires mais radicalement rejetée par les experts et la CNIL. Marisol Touraine a donc opter pour un « DMP de deuxième génération ».

Le constat de l’échec _ Partant du constat que l’échec du projet tient très largement du fait que « les professionnels de santé ne se sont pas appropriés ce dossier médical », le DMP V2 devra donc associer lesdits professionnels pour déterminer l’objectif à atteindre. Sans doute aussi les objectifs devront-ils être plus ciblés. « On peut penser, par exemple, à l’utilité que constituerait ce dossier dans le cadre du parcours de santé pour les personnes âgées ou souffrant d’affections de longue durée », a indiqué la ministre. Mais au préalable au lancement de ce DMP deuxième génération, les députés ont adopté – avec le soutien du gouvernement- un amendement au PLFSS prévoyant que ledit Gouvernement devra remettre au Parlement un rapport produisant « les résultats d’un audit portant sur le caractère opérationnel du DMP et sa gestion par l’ASIP Santé ». Cet audit sera réalisé d’ici au 31 mars 2013. Le rapport devra formuler « des propositions » quant à l’opportunité de la poursuite du projet. ■




DM intra-GHS : l’évaluation par la HAS commencerait en 2013

357 – La loi de renforcement de la sécurité sanitaire de 2011 a élargi la mission d’évaluation des dispositifs médicaux de la haute autorité de santé. Auparavant, la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDIMTS), que préside le Pr Jean-Michel Dubernard, n’évaluait que les dispositifs inscrits sur la liste des prescriptions remboursables dite « liste en sus ». Il lui revient dorénavant d’évaluer également les dispositifs médicaux relevant d’un financement dans les Groupes Homogènes de Séjour (GHS), dont la liste doit être établie par les ministres chargés de la santé et de la Sécurité Sociales. Prête à remplir cette nouvelle mission, la HAS attend aujourd’hui les arrêtés qui préciseront les catégories de dispositifs concernés. Pour l’instant, aucun calendrier n’a été fixé par le ministère et, apparemment, leur rédaction est encore aujourd’hui au stade de la réflexion, mais le Pr Dubernard espère leur publication avant la fi n de l’année pour pouvoir démarrer les travaux dès le début de l’année prochaine. Il y a quelques mois (Le Cardiologue n° 349), Catherine Denis, chef du Service d’Evaluation des Dispositifs (SED), ne cachait pas une certaine inquiétude quant à la faisabilité de cette nouvelle mission confi ée à la CNEDIMTS. « C’est un énorme travail qui ne pourra se faire à moyens constants », disait-elle. Pour faire face à cette charge de travail supplémentaire, la HAS a obtenu deux équivalents temps plein en plus des seize dont elle disposait jusqu’à présent. Une surcharge de travail difficile à quantifier car le nombre de dispositifs concernés reste imprécis, certains parlant de 600 000 DM mais l’AP-HP l’estimant à 94 000. Mais même si l’on retient le chiffre le plus bas, le chantier est vaste et, selon le Pr Dubernard, il faudra sans doute que la CNEDIMTS fixe des priorités. Par ailleurs, les industriels auront un délai de quatre ans pour soumettre leurs dossiers d’évaluation à la HAS avant que les hôpitaux ne soient plus autorisés à utiliser des produits non évalués. Cela devrait permettre à la HAS d’étaler ses travaux et, peut-être, d’obtenir encore quelques moyens supplémentaires pour remplir sa mission. ■




Sport sur ordonnance et remboursé

357 – Après l’annonce par le Gouvernement de la mise en oeuvre prochaine d’une politique publique « Sport-Santé-Bien-être », c’est l’Académie nationale de Médecine qui a pris position sur le sujet. Dans un rapport intitulé « Les activités physiques et sportives – La santé – La société » rédigé notamment par deux de ses membres, les Drs Jacques Bazex et Pierre Pène, la vénérable institution fait le point sur les connaissances médicales acquises quant aux bienfaits du sport sur la santé et, a contrario, sur les effets délétères de l’absence de toutes activité physique. Outre-Atlantique, la sédentarité est d’ailleurs qualifiée de « Sedentary Death Syndrome ».

Indispensables dès l’enfance où elles « jouent un rôle essentiel, indispensable et souvent insuffisamment reconnu », les Activités Physiques et Sportives (APS) le sont tout autant à l’âge adulte et pour les personnes âgées. « Des publications de plus en plus nombreuses viennent confirmer que pratiquer des activités physiques et sportives tout au long de la vie augmente l’espérance de vie en bonne santé, retarde la dépendance, et constitue un complément thérapeutique efficace en luttant contre la sédentarité pour de nombreuses affections comme l’obésité et bien d’autres encore, sans oublier la prise en charge des sujets en situation d’handicap », indiquent les auteurs du rapport.

Des bénéfices de prévention et d’économies _ Des études ont confirmé que les APS jouent un rôle positif dans la prévention de l’obésité, du diabète et des maladies cardiovasculaires, mais aussi dans le suivi de certains cancers. D’autres ont mis en valeur les bénéfices économiques qui pourraient en découler. Ainsi, l’IMPAS, société affiliée au mouvement mutualiste, a calculé que l’Assurance Maladie économiserait 56 millions d’euros par an en finançant à hauteur de 150 euros une activité physique ou sportive adaptée à 10 % de patients en ALD. Quant au Centre d’Analyse Stratégique (CAS), il souligne les avantages que les entreprises pourraient tirer en favorisant la pratique sportive sur les lieux de travail : « diminution de l’absentéisme, augmentation de la capacité de travail, bien-être ».

Se fondant sur ces constats, l’Académie de Médecine en conclut tout naturellement que les APS doivent faire l’objet d’une prescription médicale « rédigée selon les règles de toute prescription médicamenteuse » et « expliquée au patient avec une même rigueur ». Nature des APS, intensité, durée et fréquence des séances, mesures associées, suivi et contrôles médicaux à observer sont les items qui devront figurer sur la prescription. Enfin, poussant la logique jusqu’au bout, et puisque les vertus thérapeutique des APS sont manifestes, l’Académie de Médecine recommande l’adoption de « nouvelles dispositions réglementaires afi n d’organiser la prise en charge de ce nouveau domaine d’activités par l’Assurance Maladie dans le cadre de sa politique de prévention, en association avec les mutuelles et les assurances privées ». Que les pouvoirs publics initient et soutiennent une politique active d’encouragement à la pratique d’activités physique est une chose. Mais par les temps de crise et de déficit de la sécu qui courent, il est peu probable qu’ils décrètent demain le remboursement du sport sur ordonnance ! ■




Best of des grandes études 2012 – 1ère partie

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Mesure du FFR : un pas vers la reconnaissance

357 – C’est désormais acquis, la Haute Autorité de Santé évaluera l’année prochaine l’acte de mesure du Flux Coronaire Résiduel (FFR). En effet, la HAS a placé ce dossier sur le haut de la pile des quelque 54 dossiers qui lui avaient été soumis – tous domaines médicaux confondus. Pour mémoire, cette technique consiste à mesurer une différence de pression entre l’amont et l’aval d’une lésion coronaire afin de savoir si celle-ci est susceptible de provoquer une ischémie. Face à une lésion observée à la coronarographie mais dont l’impact clinique n’est pas certain, la mesure du FFR permet de décider de la nécessité ou non de revasculariser. Un FFR mesuré inférieur à 0,80 témoigne du retentissement fonctionnel d’une sténose.

Peu pratiquée en France _ Pratiquée et remboursée dans nombre de pays – notamment en Allemagne, en Angleterre, en Belgique – la mesure du FFR est très peu pratiquée en France où elle n’est pas prise en charge. Pourtant, une étude qui fait référence en a montré les bénéfices. L’étude FAME incluait 1 005 patients ayant une atteinte d’au moins deux ou trois vaisseaux (les troncs communs de la coronaire gauche étaient exclus) et randomisés en deux groupes : les patients du premier groupe étaient dilatés et stentés sur toutes les sténoses de plus de 50 % (pratique actuelle dans les centres de cardiologie interventionnelle), les patients du second groupe n’étaient dilatés que sur les sténoses fonctionnellement significatives (FFR inférieur à 0,80 %). L’utilisation de la mesure du FFR a permis de réduire de façon très significative le nombre de stents actifs implantés – avec en conséquence un bénéfice économique. Cela a également permis de réduire le nombre d’événements à un an (décès, infarctus du myocarde nécessitant un nouveau geste de revascularisation).

Objectif validation _ Mais l’étude FAME n’a pas validé l’apport de la FFR sur le choix du geste de revascularisation (tous les patients étaient dilatés), ni validé l’apport de la mesure du FFR pour guider la chirurgie coronaire (aucun patient n’était ponté). L’étape suivante est donc de valider l’utilisation de la mesure du FFR plus en amont, non pas au moment de l’angioplastie coronaire pour guider cet acte, mais au moment de la coronarographie diagnostique pour guider le choix de la méthode de revascularisation à proposer, angioplastie ou pontage, et le geste à réaliser (nombre de pontages, nombre d’artères à dilater). C’est l’objectif du programme hospitalier de recherche clinique proposé par le CHU de Lyon (étude FUTURE) auquel participent 35 centres de cardiologie interventionnelle (un maximum de 40 centres participants est prévu).

Plus de 80 % des centres ne participent pas à ce PHRC et n’ont aucun financement pour accéder à la mesure du FFR. D’où l’importance de l’évaluation de cet acte par la Haute Autorité de Santé. ■

Voir aussi l’entretien « Trois questions à Martine Gilard »




3 questions à Martine Gilard

357 – Les économies réalisées grâce à la mesure du FFR seraient de quel ordre ? _ La mesure du FFR permettrait de faire diminuer la pose de stents d’environ 25 %. L’économie de ces stents, des anti-agrégants qui les accompagnent et des remboursements, est évaluée entre 400 000 et un million d’euros.

Mais si la mesure du FFR est prise en charge demain, elle aura elle aussi un coût ? _ Certes, mais ce coût sera largement compensé par les économies engendrées grâce à cette mesure. Par ailleurs, cet acte n’est pas systématique mais n’est pratiqué que dans les cas douteux uniquement, donc moins couramment que la coronarographie. En outre, cet acte permettrait d’éviter de revasculariser des patients qui n’en ont pas besoin et, inversement, d’en revasculariser d’autres pour qui cela serait profitable, et c’est surtout cet aspect de santé publique qui importe.

Pensez-vous obtenir satisfaction pour la reconnaissance et la valorisation de cet acte ? Il est rare qu’un acte ait une reconnaissance aussi forte des sociétés savantes. La Haute Autorité de Santé va l’évaluer, c’est une étape importante. Je me suis personnellement beaucoup battue pour la reconnaissance de cet acte et je suis optimiste. Ne pas le reconnaître et le prendre en charge serait aller contre un acte qui permet de faire baisser la mortalité et d’engendrer des économies.




Hospitalisations pour IC : des grandes disparités régionales

357 – L’insuffisance cardiaque est une pathologie assez fréquente qui affecte particulièrement les personnes âgées. La Société Européenne de Cardiologie estime que 2 à 3 % des Européens en seraient affectés. Elle donne fréquemment lieu à des hospitalisations pour décompensations aiguës, dont la létalité est élevée : en 2009, France, cette létalité était de 8,8 % en intrahospitalier. En outre, le risque de décès reste élevé après hospitalisation. En 2008, l’IC représentait 4,1 % des décès en France ([Source : Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDCInserm).)].

Un des objectifs annexés à la loi de santé publique de 2004 vise la diminution de la mortalité et des décompensations aiguës des personnes souffrant d’IC. Plusieurs études ont montré que les patients ne bénéficient pas toujours d’une prise en charge optimale et qu’une partie des hospitalisations pour décompensation pourrait être évitée. Pour cela, une meilleure connaissance des données de surveillance populationnelle de cette pathologie est nécessaire.

 

Une étude de l’InVS publiée dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH n° 41, novembre 2012) y contribue, qui tente d’estimer le taux annuel de patients hospitalisés pour IC en France et les disparités régionales, la létalité hospitalière et les évolutions survenues entre 2002 et 2008. L’étude est fondée sur les données du PMSI-MCO qui incluent les hospitalisations avec l’IC comme diagnostic principal et les séjours avec diagnostic associé d’IC et diagnostic principal de cardio(néphro)pathie avec IC, d’OAP ou de foie cardiaque.

Une hausse des femmes hospitalisées _ En 2008, 148 292 patients ont été hospitalisés pour insuffisance cardiaque. Entre 2002 et 2008, le nombre de patients hospitalisés a augmenté de 14,4 %. Cependant, une analyse standardisée sur l’âge montre une légère diminution (- 2,5 %). La diminution la plus signification des taux concerne la tranche d’âges de 5 à 24 ans, les hommes de 65 à 84 ans et les femmes de 55 à 74 ans. En revanche, on observe une hausse des hospitalisations pour les femmes entre 45 et 54 ans, qui pourrait être, selon les auteurs de l’étude, la conséquence de l’augmentation annuelle de 3 % des infarctus du myocarde dans cette classe d’âge entre 2002 et 2008. Quant à la létalité intrahospitalière à la première hospitalisation, elle a diminué, passant de 8,9 % à 7,5 %, et concerne toutes les classes d’âges.

L’étude met en évidence des disparités importantes du taux standardisé d’hospitalisations pour IC entre les différentes régions françaises, et singulièrement entre les régions du nord et celles du sud en métropole (voir carte ci-dessous). Ainsi, tandis que ce taux est supérieur à la moyenne française de 30,9 % en Picardie, de 24,8 % en Basse-Normandie et de 24 % dans le Nord-Pas-de-Calais, il est inférieur à cette moyenne de 17,3 % en PACA, de 15,9 % en Languedoc-Roussillon et de 11 % en Rhône-Alpes. Sans avancer d’explication à ces différences, les auteurs de l’étude soulignent que les régions où les taux d’hospitalisation pour IC sont les plus élevés sont celles où les taux de mortalité sont aussi les plus élevés. ■

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Le nouveau dessin du paysage informatique

357 – Depuis la sortie des premières tablettes, la technique a considérablement évoluée : processeurs plus rapides, mémoires plus importantes, définition des écrans nettement meilleures (notamment pour la dernière génération de l’iPad). Il ne fallait que l’engouement des développeurs qui n’a pas d’égal pour lancer un produit qui n’existait pas il y a seulement… trois ans. Le premier iPad a été annoncé début 2010 par Steve Jobs ([Conférence de presse le 17 janvier 2010 au Yerba Buena Center for the Arts de San Francisco)], trois ans après le premier iPhone. Nous avions déjà annoncé il y a à peine un an que la tablette allait entrer à tous les étages de notre vie. Passe-partout informatique par excellence, la tablette se faufile aussi bien dans les milieux professionnels qu’à la maison, et c’est là toute la force de cette machine. Elle fait tout, tout de suite, et aussi bien, sinon mieux qu’un portable.

Il fait tout… _ L’un des domaines de prédilection de la tablette est sans conteste la lecture. Lire des articles de presse ou consulter ses mails, réserver ses vacances, « skyper » ou partager ses photos, chacun se crée une fonction pour cet objet, confortablement installé au fond de son canapé.

Car c’est là sa seconde force, il nous suit partout cet ustensile. Ou plutôt non, c’est plutôt nous qui le suivons ou le cherchons partout. Car le bougre, il sait y faire : télécommande de télévision, de chauffage ou d’alarme. Il vous permet également d’écouter de la musique, de regarder des films… Vous viviez comment avant 2010 ?

…et pour tout le monde _ La force d’Apple a été de créer un outil capable de plaire à tout le monde, et de servir à tout le monde. Petits et grands y trouverons leur compte, leurs applications, leurs envies. Alors tout naturellement, l’ordinateur portable perd du terrain (tableau ci-dessus), tout comme celui-ci à supplanté le desktop qui prônait fièrement à côté de votre bureau ou sous votre écran, c’était selon. Au lancement de l’iPad, les fabricants de PC ont d’abord considéré qu’il s’agissait de l’émergence d’un nouveau marché en cantonnant la tablette à la consultation de contenu, réservant la partie plus « noble » de l’informatique, la création de contenu, aux PC. Il n’aura fallu que quelques mois pour bousculer ces certitudes. En 2012, ce sont 208 millions d’ordinateurs portables qui seront vendus contre 121 millions de tablettes, en majorité des iPads ([NPD DisplaySearch Quarterly Mobile PC Shipment and Forecast Report.)]. Mais dans cinq ans, le marché des tablettes générera un chiffre d’affaires de 416 millions d’euros contre « seulement » 393 millions d’euros pour celui des PC portables. Le tour est ainsi bouclé, car les différences techniques entre les tablettes et les ordinateurs portables s’effaceront au fil des ans. ■

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Les mutuelles progressent dans la gestion du risque

357 – Les organismes complémentaires d’assurance santé manifestent depuis plusieurs années leur volonté de jouer un rôle plus actif dans la gestion du risque à travers la création de réseaux de soins, qui concernent pour l’essentiel l’optique, le dentaire, l’audioprothèse, domaines où la prise en charge par l’Assurance Maladie est quasiment nulle. Et jusqu’à présent, sans que personne ne s’en émeuve vraiment.
Mais quand il s’agit d’autoriser la Mutualité française, qui assure six Français sur dix, à créer des réseaux de soins et à moduler les remboursements de ses adhérents s’ils s’adressent à ces réseaux, c’est la panique chez les professionnels de santé libéraux, qui y voient une menace pour la liberté de choix des patients et l’indépendance de leur exercice.
A tort ou à raison ? Pour pouvoir répondre à la question, les usagers, par la voix du CISS, estiment qu’une étude d’impact serait de bon aloi avant de légiférer. Une chose est sûre : après l’engagement des complémentaires à hauteur de 150 millions d’euros pour revaloriser le secteur 1 dans le cadre du contrat d’accès aux soins, la création de réseaux mutualistes serait une étape majeure vers la cogestion du risque par les régimes obligatoires et complémentaires, selon certains, vers la privatisation du système de santé, selon d’autres.

Ces dernières années, tandis que la prise en charge des dépenses de santé par l’Assurance Maladie diminue, celle des organismes complémentaires augmente. Cette tendance persiste, comme en atteste la dernière livraison des Comptes nationaux de la Santé 2011. Cette année-là, le montant des dépenses courantes de santé s’élève à 240 milliards d’euros, soit 12 % du PIB. La Consommation de Soins et de Biens Médicaux (CSBM), qui en représente les trois quarts, atteints 180 milliards d’euros, progressant en valeur (+ 2,7 %) un peu plus rapidement qu’en 2010 (+ 2,5 %). Atteignant 135,8 milliards d’euros en 2011, la part de la Sécurité Sociale dans le financement de la CSBM est de 75,5 % contre 75,7 % en 2010. « La prise en charge par les organismes complémentaires est tendanciellement orientée à la hausse. Elle atteint 24,6 milliards d’euros en 2011, soit 13,7 % de la CSBM contre 13,5 % en 2010 », peut-on lire dans le n° 809 de la collection « Etudes et résultats » de la Drees. Entre 2000 et 2010, la part des organismes complémentaires dans le financement de dépenses de santé a augmenté de plus d’un point, passant de 12,4 % à 13,7 % en 2011. « Cette progression est le résultat de deux évolutions contraires : une part accrue des organismes complémentaires dans les soins hospitaliers, les soins de ville et les biens médicaux, et une réduction de leur prise en charge des médicaments », commente la Drees. Et ces tendances se confirment en 2011.

Pour certains, le désengagement progressif de l’Assurance Maladie n’est pas dû seulement aux tentatives réitérées de ralentir la croissance de son déficit, mais s’inscrit dans un mouvement d’institutionnalisation des organismes complémentaires qui vise à mettre sur le même pied l’Assurance Maladie solidaire et les assurances privées.

Revendiquer un autre rôle que simple payeur

Les organismes complémentaires estiment avoir acquis le droit de revendiquer un autre rôle que celui de simple payeur auprès des quelque 93 % de Français qu’elles assurent. Ces dernières années, on les a vu développer une politique de « gestion du risque » (voir Le Cardiologue n° 341). Pour pouvoir aller plus avant, les complémentaires souhaiteraient accéder aux données qui restent le monopole de l’Assurance Maladie. Mais jusqu’à ce jour, leur demande est rester vaine. Cependant, leurs ambitions de cogestion du système de santé ont récemment gagné du terrain avec la négociation de l’avenant 8. A cette occasion, les complémentaires se sont en effet engagées à hauteur de 150 millions d’euros pour la revalorisation des tarifs opposables des médecins libéraux, dans le cadre du contrat d’accès aux soins. « L’Assurance Maladie n’a plus les moyens, seule, de revaloriser les tarifs remboursables, déclarait le président de la Mutualité, Etienne Caniard, dans un entretien au Figaro. Nous pouvons y contribuer mais la participation plus importante des complémentaires dans le financement doit d’accompagner d’un rôle croissant dans la gestion du risque. Pourquoi ne pas financer en partie les nouveaux modes de rémunération des médecins, comme de nouveaux forfaits et réfléchir ensemble aux contreparties ? » .

Et pour cela, pourquoi ne pas permettre aux mutuelles de créer des réseaux de soins en contractualisant avec les professionnels de santé et de moduler les remboursements à leurs adhérents s’ils passent par ces réseaux, comme les assurances privées le font déjà ? C’est cette possibilité que tente d’introduire la proposition de loi Le Roux, avec les réactions que l’on sait de la part des professionnels de santé libéraux. Comme elle l’avait fait au moment de la loi Fourcade, la CSMF « repart au combat, et réaffirme son opposition totale à tous conventionnement individuel des médecins libéraux par les mutuelles à des fins tarifaires et dont l’effet serait de priver les patients de leur liberté de choix ». La centrale présidée par Michel Chassang « exige que les réseaux de soins soient ouverts à tous les médecins qui le souhaitent pour éviter toute distorsion de concurrence et préserver la liberté de choix du patient ». Elle exige aussi « que le contrat proposé par les mutuelles soit négocié nationalement avec les syndicats médicaux représentatifs et proposé à l’adhésion individuelle sans obligation supplémentaire ». Le SML, lui, n’a qu’une exigence : la suppression de ce projet. Pour lui, « la mise en place de réseaux de soins mutualistes et le chantage qui sera exercé localement sur les médecins libéraux représentent un danger pour l’organisation de l’exercice libéral conventionné et sur le paritarisme de notre système de protection sociale ».

Une bronca généralisée

La FMF, Le Bloc, la Fédération de l’Hospitalisation Privée (FHP) et l’Union Française des Médecins Libéraux (UFML) qui regroupent les « médecins pigeons » ont aussi dit tout le mal qu’ils pensaient du projet, tout comme les internes de l’ISHIH, les chefs de clinique de l’ISNCCA et les étudiant en médecine de l’ANEMF. Face à cette bronca généralisée, le Gouvernement a amendé le texte de la proposition de loi. Ainsi, son article 2 précise que « les conventions ne peuvent comprendre aucune stipulation portant atteinte au droit fondamental de chaque patient au libre choix du professionnel, de l’établissement ou du service de santé ». Il dit aussi que « l’adhésion aux conventions des professionnels, établissements et services de santé s’effectue sur la base de critères objectifs, transparents et non discriminatoires. L’adhésion à la convention ne peut comporter de clause d’exclusivité ». Il précise également que les conventions souscrites « ne peuvent comporter de stipulations tarifaires relatives aux actes et prestations médicaux ». Enfin, la proposition de loi adoptée pour l’instant par les seuls députés exclut les honoraires médicaux de son champ d’application. Mais ces amendements n’ont pas réussi à calmer les mécontents, qui restent très mobilisés contre la proposition de loi. Avec un certain succès.

L’Association Soins coordonnés créée par l’ancien président de MG France, Marital Olivier-Koehret, a lancé une pétition contre les réseaux de soins mutualiste qui a rassemblé à ce jour plus de 21 000 signatures. Elle se félicitait dans un récent communiqué de ce que la proposition de loi n’était pas inscrite à l’Agenda du Sénat, « ce qui laisse le temps à la mobilisation initiée par Soins coordonnés de leur expliquer les risques que fait courir cette proposition de loi à l’accès de tous aux soins de proximité et à l’indépendance professionnelle ».

Pour autant, l’affaire n’en restera pas là, et passée la trêve des confiseurs, elle reviendra bien dans les débat parlementaire. A moins que le Gouvernement « laisse du temps au temps » et ne suive le conseil assez judicieux des usagers de la santé du Collectif interassociatif sur la santé. Pour le CISS, il s’agit ni de sombrer dans « la parano antimutualiste », ni de sous-estimer les dangers de tels réseaux dans un contexte de concentration qui ne laissera place demain qu’à quelques grands groupes entre lesquels la concurrence ne se fera pas seulement sur les prix mais aussi sur les services. « Dans un système de santé désorganisé, ne serions-nous pas alors contraints de payer plus cher nos complémentaires pour acheter l’accès aux soins avec des coupes-files ou des téléconsultations ? », s’interroge le CISS, qui souligne aussi que les mutuelles ayant, contrairement aux complémentaires privés, des centres de santé et des établissements de soins, tout risque de filière fermée contraignante n’est pas à exclure. « Les enjeux sont trop importants pour qu’une proposition de loi statue sans étude d’impact. Faisons donc cette étude d’impact, la durée de la procédure législative le permet, conclut le CISS. Soit les craintes sont infondées et il convient de les écarter. Soit elles le sont et il convient de les prévenir. Dans les deux cas, mieux vaut le savoir. » Et si le Gouvernement écoutait les usagers ?

 

Etienne Caniard « La liberté tarifaire n’est pas
le meilleur moyen de rémunérer correctement les médecins »

Pour le président de la Mutualité française les réseaux de soins mutualistes s’inscrivent dans une logique de régulation coordonnée entre l’Assurance Maladie et les complémentaires pour réduire le reste à charge des usagers et garantir des revenus favorables aux professionnels de santé.

 

Comment interprétez-vous le tollé suscité par la proposition de loi Le Roux autorisant la création de réseaux de soins mutualistes ? Que répondez-vous à l’argument selon lequel les réseaux mutualistes menaceraient la liberté des patients comme des professionnels de santé ?

Etienne Caniard : Cette proposition de loi pâtit de beaucoup d’incompréhension et d’interférences avec d’autres dossiers, dont celui des dépassements d’honoraires. Chacun doit prendre conscience que, dans un contexte où les régimes obligatoires remboursent de moins en moins bien les soins courants, de l’ordre de 50 % seulement, les organismes complémentaires sont appelés à jouer un rôle plus important pour permettre l’accès aux soins. Pour autant ce texte n’est en fait qu’un retour à une situation en vigueur jusqu’en 2010, quand les mutuelles avaient la possibilité de mieux rembourser les usagers qui avaient recours à un professionnel ayant signé une convention avec elles. Cela concernait 30 millions de Français et ne gênait personne. Aucun texte n’encadrait cette pratique. Nous n’avons jamais eu de plainte pour entrave à la liberté de choix du patient, laquelle me semble davantage menacée par les dépassements d’honoraires. Par ailleurs, il faut préciser que l’arrêt de la Cour de Cassation de 2010 a interdit aux mutuelles le remboursement différencié, pas le conventionnement, et que cette pratique est encore permise aux assurances et aux institutions de prévoyance.

Il convient d’aborder la question avec de bon sens. On ne peut pas raisonner de la même façon avec les professions régies par un numerus clausus ou non, ou celles soumises à des règles d’installation comme les pharmaciens. Concernant les opticiens, par exemple, l’absence de réglementation a multiplié le nombre de magasins par deux ces dix dernières années, sans que cette concurrence n’entraîne une baisse des tarifs, au contraire ! Avec des médecins, nous ne sommes pas du tout dans le même cas de figure. Dans la situation démographique qui est la leur, nous sommes plutôt face à un problème d’offre, sauf dans quelques situations particulières, où on observe d’ailleurs paradoxalement les plus forts dépassements d’honoraires.

La proposition de loi a été amendée et les honoraires des médecins sont exclus. Comment réagissez-vous ?

E. C. : C’est très regrettable pour l’accès aux soins des plus fragiles. Les arguments des détracteurs du texte qui ont obtenu cette conclusion sont d’ailleurs contradictoires. Ils réclament une prise en charge importante de leurs honoraires par les mutuelles, mais refusent qu’elles s’engagent davantage dans la régulation des dépenses de santé. Notre système de soins souffre pourtant d’un manque d’organisation, ce que confirment tous les experts et répète inlassablement le HCAAM. Un système efficient passe par un parcours de soins régulé en ce qui concerne les prix, pour assurer une bonne rémunération des professionnels et l’accès de tous aux soins, mais aussi l’organisation de la prise en charge. Nous avons donc besoin d’une contractualisation globale pour organiser un parcours de soins. Nous ne sommes pas dans une logique de HMO à l’américaine mais au contraire dans une régulation coordonnée entre les régimes obligatoires et régimes complémentaires, à la fois pour réduire le reste à charge des usagers et garantir des revenus favorables aux professionnels de santé. La liberté tarifaire n’est pas le meilleur moyen de rémunérer correctement les professionnels. Elle crée une situation inégalitaire entre les patients mais aussi entre les médecins, entre généralistes et spécialistes, et entre les différents lieux d’exercice.

Vous avez déclaré qu’une bonne mutuelle, selon vous, n’était pas une mutuelle qui remboursait sans limite, mais une mutuelle accessible à tous et régulant les dépenses. N’est-ce pas se substituer au rôle de l’Assurance Maladie obligatoire ?

E. C. : Dans une vision à court terme, on peut souhaiter une mutuelle qui rembourse toujours plus. Mais à long terme, cela n’est pas viable. Il y a vingt cinq ans, certains contrats proposaient le remboursement de prothèses dentaires au prix réel sans limite de niveau de remboursement, les prix des prothèses dentaires se sont alors envolés. A long terme, il est indispensable d’avoir des complémentaires qui évitent les effets inflationnistes sur les coûts, sauf à rendre le coût des soins inacceptable ! C’est pour cela qu’il est important d’avoir des accords globaux avec les professionnels de santé. Ce qui me gêne dans la liberté tarifaire, ce sont les inégalités énormes qui en découlent, tant pour le patient que pour les professionnels de santé. Ne pas donner un prix de l’acte médical n’est pas la meilleure façon de le valoriser !

La ministre de la Santé a repoussé à 2014 l’obligation faite aux mutuelles de rendre publics leurs frais de gestion. Comment faut-il interpréter ce report ?

E. C. : Nous ne refusons nullement la transparence, mais nous contestons la méthode retenue et la comparaison prévue avec les frais de gestion de l’Assurance Maladie. Cela n’a pas de sens ! Par exemple, contrairement aux mutuelles, l’Assurance Maladie n’a pas de frais de recouvrement de cotisations, puisque c’est l’ACOSS qui les recouvre pour elle. L’Assurance Maladie, parce qu’elle est obligatoire, ne répond pas au même modèle économique, c’est évident. Et quand elle rembourse la dépense hospitalière sans facturation individuelle, ses coûts de gestion n’ont rien à voir avec ceux des mutuelles, qui ont autant de factures à traiter que de séjours de leurs adhérents. Il fallait donc revoir les conditions de cette transparence. Ce travail est en cours.

 

Roland Cash

« La liberté de contractualiser, c’est le libéralisme »

Médecin, économiste et membre de la Commission évaluation économique et santé publique de la HAS, Roland Cash considère que les réseaux de soins sont un moyen efficace pour réguler le système de santé.

Comment interprétez-vous le tollé suscité par la proposition de loi Le Roux autorisant les réseaux de soins mutualistes ?

Roland Cash : Des réseaux de soins promus par des assureurs privés existent depuis longtemps. Certes, les syndicats dentaires ou d’opticiens s’y sont opposés, mais ils existent. La réaction provoquée par la proposition de loi pour revenir sur l’annulation d’un précédent texte de loi s’explique par l’extension de ces réseaux aux médecins, qui intervient dans un contexte peu favorable.

La Mutualité met en avant son souhait de participer à la régulation du système de soins avec ces réseaux de soins. Sont-ils efficaces pour cette régulation ?

R. C. : Dans le dentaire comme dans l’optique, ils ont très largement démontré leur efficacité. C’est, certes, moins confortable pour les professionnels de santé, mais c’est efficace.
Il y a quelque chose d’assez paradoxal dans l’opposition actuelle des professionnels de santé libéraux français aux réseaux de soins : la liberté de contractualiser, c’est le libéralisme. Après tout, l’Amérique, symbole du libéralisme absolu, est le pays des HMO.
D’ailleurs, aux Etats-Unis, des médecins se sont organisés entre eux pour pouvoir négocier avec les assureurs privés. Et en termes de contraintes pour les professionnels, les mutuelles françaises à côté, c’est de la rigolade ! En France, les résistances aux réseaux de soins sont très fortes, mais ce mode d’organisation semble inévitable pour réguler le système de santé. D’ailleurs, tous les pays se sont engagés dans cette voie d’une façon ou d’une autre.




Point d’actualité…

357 – Cette fin d’année n’augure rien de bon pour la cardiologie libérale en 2013. Sans revenir sur la signature de l’avenant n°8, dont nous avons montré tous les effets néfastes, je souhaite vous faire aujourd’hui un point sur l’actualité.

■ Le PLFSS 2013 vient d’être voté au Parlement. L’un des buts est ramener le déficit du régime général à 13,9 milliards d’euros, un objectif louable. Toutefois, c’est encore sur les soins de ville que les mesures d’économie seront les plus importantes ! L’encadrement de l’activité libérale à l’hôpital est reporté et sera rediscuté en fonction du rapport de la mission Laurent. La suppression de la convergence des tarifs hospitaliers entre public et privé va accentuer encore le déséquilibre entre ces deux secteurs d’activité. Quant à l’expérimentation du programme Prado sur l’accompagnement des insuffisants cardiaques en sortie d’hospitalisation, elle devrait prochainement se concrétiser. Nous avons insisté auprès de l’Assurance Maladie sur la place fondamentale du cardiologue libéral pour cette prise en charge. Qui mieux que lui pourra assurer le titrage des médicaments !

■ La proposition de loi dite « Le Roux », visant à officialiser la possibilité pour les mutuelles de créer leurs propres réseaux de soins, a été adoptée à l’Assemblée Nationale. Même, si les mutuelles ne peuvent négocier les honoraires des praticiens, et même si les patients gardent la liberté du choix du médecin, comment être certain qu’en fonction de leur niveau de prestations, les patients ne soient pas obligés de s’inscrire dans des filières de soins depuis le cabinet de ville jusqu’à la clinique.

■ Le déploiement de la rémunération sur objectifs de santé publique ne se fait pas sans difficultés. Nous sommes attentifs à vos remarques et nous ne manqueront pas de les transmettre à nos interlocuteurs. En particulier certains profils paraissent parfois très fantaisistes.

■ Le DPC verra-t-il le jour ? Les membres de l’Organisme de gestion du DPC viennent d’être nommés par décret. Le décret sur la Commission scientifique indépendante, désormais divisées en deux sous-commissions, une de médecins généralistes, une de médecins spécialistes, est en voie de finalisation. Elle assure, notamment, la validation des organismes de DPC. Le démarrage effectif ? Probablement pas avant 2014 ! En attendant, lors de cette nouvelle phase transitoire, l’UFCV continuera à vous proposer des programmes de DPC.

■ Les ARS continuent leurs attaques contre la cardiologie interventionnelle libérale. En Lorraine Jean-François Benevise, le Directeur Général, vient encore de frapper. Après la chirurgie cardiaque, il veut transférer, maintenant, le TAVI de la clinique Claude Bernard de Metz à l’hôpital, alors que toutes les conditions de sécurité sont remplies pour la réalisation de cet acte. Il est vrai que l’hôpital vient d’investir 21millions d’euros, il va bien falloir les rembourser ! Le directeur général de l’ARS du Limousin, Philippe Calmette, a retiré l’autorisation de rythmologie interventionnelle de la clinique du Colombier à Limoges. Des décisions révoltantes.

Il me reste à vous souhaiter un excellent Noël et de très bonnes fêtes de fin d’année.




Les enfants incas sacrifiés du volcan Llullaillaco

357 – Christian Ziccarelli – Un volcan inactif

Le mont Llullaillaco est un volcan de 6 739 m localisé dans les Andes, à l’ouest de la province de Salta, le plus haut sommet servant de frontière entre le Chili et l’Argentine. Dès 1952, une expédition chilienne signale l’existence de ruines archéologiques. Une première fouille est réalisée par l’Autrichien Mathias Rebitsh en 1958, suivie en 1971 par celle du Dr Orlando Barvo. Le lieu du sacrifice est localisé en 1974, mais il faudra attendre 1999 pour qu’une expédition, sous la direction de l’anthropologue américain le Dr Johann Reinhard, situe puis exhume les corps et les biens des enfants de Llullaillaco.

Comprendre le rapport des Incas avec la nature

Pour les cultures américaines précolombiennes la nature était considérée comme sacrée, notamment pour les Incas, les montagnes étaient des divinités. Ils construisirent sur les sommets des structures, les sanctuaires des hauteurs, leur permettant d’accomplir leur rite.

Le volcan Llullaillaco a ainsi plusieurs sites reliés par un chemin allant jusqu’au sommet. A 6 730 mètres furent découvertes deux enceintes connues sous le nom de « huttes doubles », un mur semi-circulaire ou « paravent » et enfin un chemin conduisant à une plate-forme cérémoniale circulaire. A l’époque de l’arrivée des conquistadors, les Incas occupaient un large territoire s’étendant jusqu’au Nord de l’Argentine actuelle.

Les enfants de Llullaillaco

Pour leurs rituels et sacrifices, les Incas offraient ce qu’ils possédaient de mieux. La vie des enfants et leurs biens mortuaires constituaient la plus grande offrande. Ont été retrouvés une Petite Fille de six ans, la Demoiselle de quinze ans et un Petit Garçon d’environ 7 ans. Ils sont présentés en alternance dans des vitrines spéciales reproduisant les conditions climatiques de haute altitude.

Devant ces enfants sacrifiés, on reste sans voix, avec un sentiment d’effroi et d’incompréhension.

Le Petit Garçon de 7 ans a été trouvé assis sur une tunique de couleur grise, la tête orientée vers le soleil naissant, les yeux mi-clos. Un manteau brun et rouge couvre sa tête et la moitié de son corps. Il avait les cheveux courts, un bracelet en argent et une parure de plumes blanches soutenue par une corde en laine entourée autour de la tête. Les offrandes, liées au monde masculin, étaient des statuettes anthropomorphes masculines en or, en argent, vêtues de textiles, en miniature, des camélidés (jouant un rôle fondamental dans l’économie inca), un spondyle et des lance-pierres. Plusieurs éléments, dont la déformation de son crâne, les ornements céphaliques avec des plumes et des fleurs, sont le témoin de sa haute lignée.

La Petite Fille foudroyée de 6 ans a été trouvée assise, les jambes fléchies et la tête levée regardant en direction du sud-ouest. Elle était accompagnée d’objets à usage personnel liés au monde féminin, notamment des poteries (jarre, assiettes, plats ornithomorphes décorés de motifs géométriques…), d’un petit sac (Chuspa) tissé en laine de camélidés et de statuettes féminines en or ou en argent, vêtues de textiles miniatures, coiffées de plumes.

Un petit Kero (verre) en bois avec des motifs géométriques entaillés, produit dans tout l’empire inca, servait pour la libation de la chicha (alcool de maïs).

La Demoiselle avait environ une quinzaine d’années. Sur son visage, on trouve des traces de pigments rouges et elle avait des petits fragments de feuille de coca dans la bouche. Elle était probablement « une vierge du soleil » ou Aella, éduquée dans la maison des Elues, un lieu de privilège pour certaines femmes au temps des Incas. Elle était assise, les jambes repliées et croisées, les bras reposant sur son ventre, la tête penchée vers l’épaule droite, la face orientée au nord-est. Elle portait un manteau de couleur sable et sur son épaule droite un unku, un des vêtements les plus caractéristiques et prestigieux de l’empire inca. Comme pour les autres enfants des offrandes miniatures, liées au monde féminin étaient disposées autour d’elle.

La Capac hucha

La Capac hucha ou « obligation royale », qui a lieu lors du mois dédié à la récolte ou en l’honneur de la mort d’un empereur, est un des rituels les plus importants du calendrier inca. Les enfants de tous les villages de l’empire, voire ceux des dirigeants, choisis pour leur beauté et leur perfection physique, étaient envoyés à Cusco.

Les Incas se réunissaient sur la place principale face aux images du Dieu de la création (Viracocha) et d’autres divinités. Après le sacrifice d’animaux, les prêtres et l’empereur inca célébraient des mariages symboliques entre les enfants des deux sexes. Retournant dans leur village où ils étaient reçus et acclamés avec joie, ces enfant se dirigeaient en cortège en chantant vers le lieu des offrandes.

On donnait à boire de la chicha à l’enfant élu, habillé de ses plus beaux vêtements. Une fois endormi, il était enterré avec les offrandes. Ils rejoignaient les ancêtres qui observaient les villages du haut des montagnes. Leur vie offerte servait à assurer à l’empire santé et prospérité, mais aussi à renforcer l’énergie vitale du souverain.

Partant de Cusco, les enfants de Llullaillaco auraient accompli à pied les 1 600 kilomètres qui les séparaient du lieu programmé de leur mort. ■




Château de France 2006 – Pessac-Léognan – B. Thomassin 33850 Léognan

Les vignobles des Graves, les plus anciens du Bordelais, complantés depuis plus de 2 000 ans, furent particulièrement réputés, lorsque le mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri Plantagenet en 1154 livra cette province à la couronne britannique pendant trois siècles, ses vins étant exportés massivement et accueillis avec enthousiasme par les Anglais qui y restent toujours très attachés. L’Américain Thomas Jefferson classait, fin XVIIIe, les vins de Graves comme les meilleurs vins de Bordeaux. Mais cette appellation perdit progressivement cette renommée au profit du Médoc. Il faut reconnaître que l’étendue, la diversité et l’hétérogénéité du vignoble, produisant beaucoup de vins légers, sans grande complexité, nuisaient à sa réputation, si bien qu’en 1987, une aire de production Pessac- Léognan, regroupant les terroirs les plus prestigieux, a été délimitée, imposant, dans une optique qualitative, des règles plus strictes : rendements de 45 hl/ha par exemple.

Le nom de Graves caractérise les petits galets polis, charriés depuis le quaternaire par les glaciers et la Garonne depuis les Pyrénées.

Le Château de France est l’un des domaines les plus sudistes de la bande de Pessac-Léognan s’étendant depuis les faubourgs de Bordeaux sur la rive gauche de la Garonne. Il bénéficie d’une bonne exposition sur un des plus beaux coteaux de la terrasse de Léognan, d’un climat doux , protégé des intempéries de l’Atlantique par la forêt des Landes à l’ouest, mais recevant une hygrométrie régulière grâce à l’océan. Le terrain très graveleux repose sur un sous-sol d’argile, d’alios, de calcaires et de faluns.

Le nom prestigieux de Château de France vient, en fait modestement, de l’ancien lieu-dit : le tènement de France, sur lequel fut édifiée une maison de maître à la fin du XVIIe siècle. Cette propriété familiale de 40 hectares, acquise en 1971 par Bernard Thomassin qui, dès le début, entreprit une importante replantation, est, depuis 1996, gérée par son fils, Arnaud, qui poursuit énergiquement les travaux de rénovation des installations et la réorganisation des vignobles. Malheureusement, un incendie, il y a un an, a complètement détruit le chai de vinification, mais sa reconstruction va permettre de moderniser et d’optimiser celui-ci.

La viticulture, raisonnée sur une plantation de 5 à 7 000 pieds/hectare en taille guyot double et simple, d’âge moyen de 45 ans, n’omet pas effeuillage, éclaircissage et vendanges au vert, notamment pour le millésime 2006, dont les mois de juin et juillet furent particulièrement chauds, ce qui permet de limiter les rendements et de fortifier les grappes restantes.

La vendange est manuelle, le tri pendant la cueillette et sur table au chai rigoureux.

La fermentation alcoolique de 7 à 10 jours, suivie de 3 à 4 semaines de macération, s’effectue en cuve thermorégulée à 30-32°, où a également lieu la malo-lactique.

L’élevage en barriques, comportant 40 % de bois neuf, s’étend sur 12 à 14 mois. L’assemblage réunit 60 % de cabernet-sauvignon et 40 % de merlot. Pour finir : collage au blanc d’oeuf, filtration légère avant mise en bouteille.

Annoncé par une robe grenat foncée aux belles irisations violettes, ce Château de France 2006 exprime, à l’ouverture du flacon, une certaine réduction qui disparaît après aération, puis, très vite, le nez est envahi par des arômes typiques des grands Graves : terre calcinée, tabac, bois de cèdre avant qu’apparaissent des notes confiturées de cassis et fumées de réglisse. La bouche harmonieuse, friande, épicée : clou de girofle, muscade, garde fraîcheur et minéralité, les tanins bien présents, mais souples et soyeux, le boisé très prégnant pendant les premières années, mais maintenant bien intégré, aboutissent à un vin de plaisir, souriant, loin de l’austérité des seigneurs médocains ou libournais. Peut-on seulement regretter une finale un peu courte ?

Ce Pessac-Léognan a l’élégance et la suavité aptes à s’accommoder à bien des poissons : lamproie à la bordelaise poireaux confits, sandre au beurre rouge. Mais, comme nombre de Bordeaux, il épousera joyeusement le navarin et le carré d’agneau, l’entrecôte bordelaise aux sarments de vigne, le rôti de veau aux girolles, voire un oeuf cocotte à la truffe noire. Il accompagnera certains desserts : soupe de fruits rouges, miroir au cassis, mais il se hérissera devant le chocolat.

Ainsi, ce Château de France, à l’instar des Graves Pyrénéens doucement polis et arrondis par les siècles, glisse sur la langue et le palais comme une délicate et onctueuse caresse. ■(gallery)