Crémant de Limoux Brut Résilience 2008 (Alain Cavaillès 11300 Magrie)

Dès 1531, les moines de l’abbaye de Saint- Hilaire, à quelques kilomètres de Limoux, s’aperçurent que le vin blanc qu’ils avaient mis en bouteilles bouchées de liège, formaient des bulles : la Blanquette de Limoux venait de naître et est donc considérée comme un des plus anciens vins mousseux, puisque, n’en déplaise aux Champenois, il semble démontré qu’à la suite d’un pèlerinage dans cette abbaye bénédictine, fin XVIe siècle, Dom Pérignon expérimenta à Hautvillers sur les vins de Champagne la méthode limouxine.

Le vignoble de Limoux, sub-division du vignoble languedocien, à l’ouest des Corbières, présente une combinaison de terres argilocalcaires caillouteuses, influencées par la Méditerranée et les Pyrénées, procurant un ensoleillement important et une pluviométrie suffi sante. Ce climat est résolument favorable à la production de blancs réputés. Mais ce vignoble a la particularité unique dans le Languedoc de produire des vins effervescents qui conjuguent Blanquette et Crémant de Limoux.

La Blanquette doit sa typicité au cépage mauzac (Blanquet en occitan qui illustre les petites pointes blanches sur les feuilles de la vigne) et qui constitue jusqu’à 90 % du vin. Elle est, le plus souvent, élaborée selon la méthode traditionnelle champenoise, où l’ajout d’une liqueur de tirage provoque une deuxième fermentation dans le flacon (voir Le Cardiologue n° 327) ; mais les mêmes viticulteurs proposent, en parallèle, des Blanquettes de Limoux méthode ancestrale, où la fermentation est ralentie par refroidissement dans la cuve et repart de façon naturelle dans la bouteille ; ces vins titrent péniblement 7 ° d’alcool.

De la noblesse dans les cépages _ Le Crémant, lui, privilégie les cépages nobles : Chardonnay, Chenin qui ne peuvent dépasser 90 % de l’assemblage, pour la cuvée Résilience d’Alain Cavaillès : 50 % de chardonnay, 40 % de chenin, 10 % de pinot noir. Il est élaboré selon la méthode champenoise. Son vieillissement dure au mois 15 mois, alors que la Blanquette peut être commercialisée au bout de 9 mois. A noter que la cuvée Résilience est très faiblement dosée à 4 g de sucre : ce qui la classerait en Champagne dans les extra-bruts.

Alain Cavaillès est installé depuis 1996 dans la vallée de Magrie au coeur du terroir d’Autan considéré comme l’excellence de l’appellation. Les vignes, au départ épuisées, ont été revigorées par l’agriculture biologique, avec l’obsession de conserver le sol en vie par labourage et apport de matières organiques. Les vendanges sont manuelles en caissettes de 30 kg. La dénomination de sa cuvée vedette Résilience illustre parfaitement sa philosophie : « capacité d’un écosystème à retrouver un fonctionnement normal, après avoir subi des attaques et des dommages ». Mais le vigneron outrepasse largement la nouvelle réglementation européenne sur les vins bio : « Pas d’agriculture bio sans vinification bio, réduction des doses de sulfites, pas de collages agressifs, filtration uniquement si nécessaire, pas d’utilisation systématique du froid, vinification en plein air, pour que le vin suive le cycle naturel des saisons », clame-t-il.

D’une brillante robe jaune pâle, rehaussée de reflets dorés, ce Crémant Résilience dévoile des bulles abondantes très fines, teintées d’élégance. Il exprime des arômes de fleurs blanches, aubépine, chèvrefeuille, de fruits délicats, mandarine, pêche blanche, associés à de subtiles notes de toast grillé signant le cépage chardonnay. La bouche nerveuse et minérale est bien équilibrée. Peut-être pourrait- on regretter un certain manque d’ampleur et de longueur.

Sa vivacité et sa fraîcheur, sa faible sucrosité en font typiquement un vin d’apéritif, ouvrant celui-ci, sans empâter la bouche, ni charger la digestion. Il concurrencera, ainsi, nombre de champagnes de modeste qualité. Il se dégustera avec des petits toasts salés, des réductions à base de poissons fumés, et notamment du saumon cru ou mariné. Il peut aussi accompagner, de façon originale, des poissons grillés, mais, au contraire des champagnes de gastronomie, je ne conseillerai pas de le servir pendant tout un repas.

Un vin, conclut Alain Cavaillès, est plus qu’un liquide « sympa » à consommer, il a un potentiel évocateur, il est en simultané vecteur d’émotion et de mémoire. ■

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Cœur et bonne conduite

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Je vous parle du cœur

361 – « Ou même du fond du cœur », comme l’écrit dans sa préface le Professeur Chauvin, qui connaît bien le Docteur Corcilius pour l’avoir côtoyé dans son service de cardiologie à Strasbourg, rendant ainsi un hommage appuyé aux qualités humaines de l’auteur.
Michel Corcilius, cardiologue libéral, a d’abord exercé en Alsace, avant de se laisser tenter par le soleil de la Méditerranée et de se fixer dans le Var à la Seyne-sur-mer.
La rédaction du Cardiologue le connaît bien, pour lui avoir confié la rédaction de plusieurs articles, tâche dont il s’est toujours acquitté avec ponctualité et talent.

Michel Corcilius a donc choisi de « parler du cœur » au grand public, aux « non-initiés » rebutés par le langage abscons trop souvent rencontré dans les ouvrages destinés à des lecteurs non médicaux.

Comme le précise l’auteur dans son avant-propos, il s’agit d’un livre « à vocation pédagogique » qui se veut « facilement abordable et compréhensible pour tout le monde ».

Le premier chapitre précise l’importance de la cardiologie et la place centrale que tient le cœur dans le monde médical et celui du grand public.

Puis vient la description précise et documentée des symptômes et facteurs de risque, qui utilise certes des termes adaptés, mais ne fait l’impasse sur aucune explication approfondie ; c’est ainsi, par exemple, que le lecteur attentif du chapitre sur les troubles du rythme et de la conduction en saura plus sur la question que bien des cliniciens, avec un regard désormais averti sur les différents types de tachycardies et les indications respectives du stimulateur cardiaque comme du défibrillateur.

Sont ensuite passées en revue les principales pathologies, coronaropathie évidemment, hypertension artérielle, valvulopathies, et leur aboutissement naturel encore trop souvent rencontré qu’est l’insuffisance cardiaque.

Ce chapitre sur l’insuffisance cardiaque est particulièrement pertinent, car, outre l’étude clinique et thérapeutique de la pathologie, il fourmille de détails pratiques, de « recettes » utiles à la vie quotidienne de l’insuffisant cardiaque qui vont du choix de l’eau minérale la plus appropriée à l’activité physique et éventuellement sportive, en passant par les voyages et l’activité sexuelle.

Mais le meilleur est presque pour la fin dans un chapitre intitulé « croyances et certitudes », dans lequel l’auteur tord le cou à un certain nombre d’idées reçues, de la pression artérielle qui augmenterait « normalement » avec l’âge aux bienfaits ou méfaits du sel, du café, du tabac, de la margarine ou même du cholestérol ; notons à ce sujet qu’il est réconfortant qu’un ouvrage à destination des patients n’emboîte pas le pas aux affabulations récentes hautement médiatisées et confirme la nécessité de combattre l’hypercholestérolémie du cardiaque par un traitement médicamenteux.

Bravo à Michel Corcilius pour cet ouvrage plaisant, facile à lire et particulièrement adapté à l’éducation thérapeutique qu’il nous est fortement recommandé de faire à nos patients.

 

Le Dr Michel Corcilius, diplômé de la faculté de médecine de Strasbourg, s’est installé comme cardiologue libéral ed’abord en Alsace puis, depuis 2005, à la Seyne-sur-Mer (Var). Ancien pigiste au journal d’information médicale Le Cardiologue, puis correspondant sur les ondes Bleu Alsace de 2002 à 2005, il est actuellement membre de la Société Française de Cardiologie et de l’association médico-chirurgicale « Les Rencontres de cœur », tout en poursuivant son activité libérale.

 

Je vous parle du cœur

Auteur : Michel Corcilius

Editeur : Quintessence – Ressources & Santé

Pagination : 256 pages

Prix public : 20,00 €




Actes multiples en établissement : des possibilités encore mal connues

361 – Les dispositions générales de la CCAM ont permis de réelles ouvertures, par rapport à celles de la NGAP, sur les possibilités de cumul d’actes au cours d’une hospitalisation, qu’il s’agisse d’actes pratiqués par un même médecin, ou de plusieurs de même spécialité. Ces règles, qui remontent pourtant à 2005, sont encore mal connues de certains cardiologues, mais aussi de certaines caisses, ce qui est parfois source de conflits, de sorte que ces rappels restent d’actualité.

Acte global

On se souvient des litiges engendrés par ce concept à l’époque de la NGAP. Quand un malade avait bénéficié d’un acte lourd (par exemple, une implantation de pace maker, ou une angioplastie coronaire), les caisses refusaient, dans la période pré- et postinterventionnelle, la facturation de tout autre acte, par exemple un ECG, même s’il s’agissait de la cotation d’un autre cardiologue.
Un cardiologue qui avait confié son patient à un collègue pour un acte interventionnel devait le suivre gratuitement.
Grâce aux procédures de contentieux gagnées par le Syndicat des Cardiologues, et la jurisprudence de la Cour de cassation ainsi obtenue, nous avions pu faire lever un certain nombre de restrictions, mais il persistait des sources de litiges.
Les DG de la CCAM, à la demande des syndicats médicaux, ont supprimé cette restriction.
L’article 1-6 précise que le concept d’acte global ne concerne que le médecin qui réalise l’acte interventionnel.

Situations rencontrées en pratique :

– ECG pratiqué par un autre cardiologue : Le concept d’acte global concerne uniquement le médecin qui a réalisé l’acte technique. La tarification de l’ECG est donc possible pour un cardiologue autre que l’interventionnel.
C’est un cas de figure fréquent quand un cardiologue non interventionnel fait hospitaliser un de ses patients pour une technique particulière qu’il ne pratique pas, mais qu’il en assure le suivi pendant l’hospitalisation.

– ECG pratiqué par le cardiologue interventionnel : L’ECG avant et après procédure doit-il être considéré comme un « acte habituel en lien direct avec l’intervention » ?
S’il est systématique, ce qui est le plus souvent nécessaire, c’est un acte habituel. Il est difficile d’affirmer qu’il ne soit pas en lien direct avec l’intervention.
La tarification d’un ECG pré et postinterventionnel réalisé par le cardiologue interventionnel lui-même peut donc être contestée.

Cas particulier : le malade, pendant la période pré- ou postinterventionnelle présente une situation clinique imprévue, par exemple une douleur thoracique, nécessitant un ECG. L’ECG n’est plus alors « en lien direct avec l’intervention » et peut, à notre sens, être tarifé par le cardiologue interventionnel. On ne peut pas néanmoins exclure des demandes d’explications  des caisses, et les circonstances doivent être bien notées dans le dossier pour le cas où il y aurait une contestation.

Cumul d’actes réalisés sur un même patient par plusieurs spécialistes de même spécialité

En NGAP (art. 11-B des DG), plusieurs actes accomplis dans la même séance sur un même malade ne pouvaient donner lieu à honoraires pour plusieurs praticiens que si ceux-ci étaient spécialistes de disciplines différentes.

En CCAM (art 1-11 des DG), cette notion de séance a disparu, et l’on parle d’actes pratiqués « dans le même temps », mais en outre, il est mentionné que les règles d’association ne concernent que les actes pratiqués par le même médecin.

Certaines caisses ne l’ont malheureusement pas encore compris, et il y a des conflits concernant des ECG pratiqués par des cardiologues à la demande des anesthésistes sur des patients en soins continus postopératoires, ou à propos d’actes multiples (ECG, échocardiogrammes, holters) réalisés par plusieurs cardiologues sur un même malade hospitalisé.

Actes pratiqués dans la même journée par un même cardiologue

C’est souvent nécessaire en établissement.
Il est apparu dans les dispositions générales de la CCAM (article III-3-B-2-h) le code d’association 5 qui permet de coter à taux plein deux actes techniques pratiqués à des moments différents d’une même journée.

Deux conditions sont à remplir :

Ces actes doivent être réalisés dans la même journée pour des raisons médicales ou dans l’intérêt du patient, mais on ne voit pas en pratique courante comment il pourrait en être autrement. La justification doit apparaître dans le dossier du patient (ou, en pratique, dans la lettre du cardiologue).

Exemple pour un échocardiogramme et une épreuve d’effort pratiqués le même jour :

1ère ligne : Colonne codes des actes : DZQM006 Colonne activité : 1 Colonne éléments de tarification CCAM : 1  Honoraires : 96,49 euros

2e ligne : Colonne codes des actes : DKRP004 Colonne activité : 1 Colonne éléments de tarification CCAM : 5  Honoraires : 76,80 euros.

 

Ce qu’il faut savoir

(Article 1-6 des D.G. de la CCAM). Pour un acte chirurgical non répétitif réalisé en équipe sur un plateau technique lourd ou un acte interventionnel, dont la réalisation en établissement de santé est nécessaire à la sécurité des soins, le tarif recouvre, pour le médecin qui le réalise :
– pendant la période préinterventionnelle, les actes habituels en lien direct avec l’intervention en dehors de la consultation au cours de laquelle est posée l’indication ;
– la période perinterventionnelle ;
– la période postinterventionnelle et ce, pendant une période de quinze jours après la réalisation de l’acte, pour un suivi hors complications et en ce qui concerne les conséquences directes liées à cet acte, que le patient soit hospitalisé ou non.
Si durant les quinze jours mentionnés ci-dessus, une seconde intervention, rendue nécessaire par une modification de l’état du patient ou par une affection intercurrente s’impose, le second acte ouvre une nouvelle période de quinze jours, annulant le temps restant à courir.

(Article I-11 des dispositions générales de la CCAM). Dans le cadre de la tarification, l’association d’actes correspond à la réalisation de plusieurs actes, dans le même temps, pour le même patient, par le même médecin, dans la mesure où il n’existe pas d’incompatibilité entre ces actes.

(Article III-3-B-2-h des DG de la CCAM). « Si pour des raisons médicales ou dans l’intérêt du patient, un médecin réalise des actes à des moments différents et discontinus de la même journée, à l’exclusion de ceux effectués dans une unité de réanimation ou dans une unité de soins intensifs de cardiologie en application des articles D. 712-104 et D. 712-115 du code de la santé publique, sur un même patient et qu’il facture ces actes à taux plein, il doit le justifier dans le dossier médical du patient qui est tenu à la disposition du contrôle médical. »

 




Hôpital public : le rapport Couty, et après ?

361 – Conformément aux priorités du gouvernement socialiste, Marisol Touraine a ouvert le chantier du Pacte de confiance pour l’hôpital en affirmant qu’il s’agissait de tourner la page de la loi HPST. La mission dirigée par Edouard Couty a remis son rapport il y a quelques semaines. Les propositions qui y sont faites ont été accueillies plutôt favorablement par la communauté hospitalière. On n’en dira pas autant du rapport de Dominique Laurent sur l’activité privée à l’hôpital qui hérisse les médecins libéraux. La ministre de la Santé annonce de la concertation à tout va. Mais les hospitaliers estiment que cette concertation doit impliquer tous les acteurs, ne pas s’éterniser et déboucher rapidement sur des mesures concrètes de réforme.

Pour n’être pas très volumineux (72 pages), le rapport de la mission dirigée par Edouard Couty n’en est pas moins dense. En effet, 46 propositions visent à reconstruire le service public hospitalier, à rénover la gouvernance hospitalière et la tarification, à refondre le cadre du dialogue social à l’hôpital et à améliorer les relations entre les établissements et les tutelles, en particulier avec les agences régionales de santé (ARS). 

Reconstruire le service public hospitalier

Le Service Public Hospitalier (SPH) est confié à l’hôpital public et aux ESPIC mais « tout ou partie de ce SPH peut être attribué dans certaines conditions aux établissements rivés commerciaux ». Ce SPH doit s’inscrire dans un territoire et l’approche de l’organisation du système autour du parcours de soins ou parcours de vie. « L’objectif est de faire coopérer réellement et efficacement toutes les structures et tous les professionnels concernés, notamment les professionnels libéraux. Pour cela, il importe de définir le territoire et de clarifier le positionnement des différents acteurs en disposant d’outils adaptés tels que projet de territoire et contrat de territoire. » Edouard Couty préconise « des expérimentations notamment en vue de confier au médecin traitant la coordination du parcours du patient ». Bien sûr, un tel projet nécessite d’« investir prioritairement dans les systèmes d’information permettant aux établissements de communiquer entre eux et avec tous les professionnels de santé ».

Rénover la gouvernance

Pour « rétablir une gouvernance équilibrée », le rapport Couty propose que cette gouvernance repose sur trois piliers :

Le conseil d’établissement – remplaçant l’actuel conseil de surveillance – serait un conseil délibérant et chargé de surveiller l’exécutif. Son champ de compétence serait élargi à la politique d’amélioration continue de la qualité, de la sécurité des soins et de la gestion des risques, aux conditions d’accueil et de prise en charge des usagers, au règlement intérieur ainsi qu’à la stratégie financière de moyen et long terme. Son président serait élu dans les collèges représentant les élus, les personnalités qualifiées et les usagers. Il devrait être doté des moyens de s’assurer de la bonne mise en œuvre de ses décisions, disposer d’un audit interne et pouvoir faire appel à des audits externes.

Le conseil de direction remplacerait l’actuel directoire en en gardant les compétences. Le nombre de ses membres ne devrait pas être fixé de manière réglementaire, mais dépendre du contexte local et de la taille de l’établissement. Le conseil de direction serait composé du directeur de l’hôpital, du président de la CME, du doyen de la faculté de médecine dans les CHU et du directeur des soins. Libre à ce « noyau dur » de désigner les autres membres du conseil.

Instances consultatives issues des professionnels et des usagers. Edouard Couty préconise de revoir les domaines de compétence des instances consultatives. Concernant la CME, il propose d’élargir ses compétences à l’accueil des étudiants et des internes, à l’intégration des professionnels médicaux nouvellement recrutés, à la modernisation des ressources humaines, au développement du dialogue social et en matière d’information sur la stratégie financière et les investissements. Il est également propos de « faire évoluer la composition de la CME » pour y intégrer une représentation des étudiants en médecine, pharmacie et odontologie. Quel que soit le collège concerné, tous les membres de la CME devraient être élus par leurs pairs.

Ajuster le mode de financement

Un financement mixte. Dans ce chapitre, le rapport veut corriger les effets pervers de la T2A, qui est jugée inflationniste, qui incite à la concurrence plus qu’à la coopération, conduit à segmenter l’activité et ne permet pas de prendre correctement en charge les polypathologies et les maladies chroniques. Edouard Couty propose donc un financement mixte comportant trois volets : la T2A pour les activités MCO de court séjour, un mode de financement pour les maladies au long cours adapté au parcours de soins et une part en dotation pour les missions d’intérêt général et de service public (MIG). Concernant la part T2A, il est suggéré d’introduire « plus de transparence dans l’élaboration et la maintenance des tarifs, de bien déterminer le périmètre et la nature des charges fin ancées par ces tarifs et de prendre en compte l’activité de tous les professionnels, notamment les infirmiers ». Le rapport Couty recommande de passer de la NGAP à une CCAM « pour financer de manière juste le temps médical. Les expérimentations doivent être favorisées pour le financement par épisode de soins ou le financement du parcours de soins.

Améliorer les relations avec les tutelles 

Un « manque réciproque de confiance » : c’est le constat fait par la mission Couty. Pour y remédier, le rapport émet un certain nombre de propositions pour « recentrer l’Etat central sur son rôle de stratège ». Il s’agit de « prévenir et d’éviter les injonctions contradictoires » et de cadrer l’action des ARS à partir d’objectifs généraux et de méthodes d’action « afin de leur laisser marge de manœuvre et capacités d’initiatives ». Edouard Couty considère également qu’il faut « mieux définir au plan méthodologique l’élaboration des contrats entre les ARS et les établissements ».

13 engagements ministériels

Dès la remise de ce rapport, la ministre des Affaires sociales et de la Santé a pris 13 engagements à partir des propositions de la mission Couty. Marisol Touraine confirme la réintroduction de la notion de service public hospitalier dans la loi qui précisera « ses acteurs, des missions, des droits et obligations ». Le service public territorial permettra de « reconnaître une responsabilité collective de service public à l’ensemble des acteurs de santé d’un territoire ». La ministre a également confirmé le renforcement des prérogatives des CME – qui devrait se concrétiser par un décret avant l’été prochain – et avancé l’idée d’un « contrat de gouvernance » entre le directeur d’établissement et le président de la CME. Au chapitre du financement de l’hôpital, elle s’engage à poser les premiers jalons d’une tarification de parcours. Le comité de réforme de la tarification devra lui remettre avant le 30 juin prochain un rapport d’orientation assorti de mesures immédiates qui seraient introduites dans le prochain PLFSS.

Cependant, la concrétisation dans les textes du Pacte de confiance pour l’hôpital, qu’il faut bien appeler une nouvelle réforme hospitalière, n’est pas pour demain. Marisol Touraine a en effet annoncé l’ouverture d’une vaste concertation, dont les conclusions sont attendues pour cette année, voire 2014 pour les changements les plus complexes. Ce calendrier ne va pas sans inquiéter la communauté hospitalière : plutôt favorable aux propositions de la mission Couty, elle qui estime qu’il ne faudrait pas s’attarder trop longtemps dans les discussions et qu’il est grand temps de passer aux actes.

 

Les différents statuts d’établissements

810 centres hospitaliers (CH) y compris les ex-hôpitaux locaux. Cette catégorie intermédiaire d’établissements assure la majeure partie des prises en charge de court séjour en Médecine, Chirurgie et Obstétrique (MCO) ainsi que la prise en charge et les soins pour les personnes âgées. 

33 Centres Hospitaliers Régionaux (CHR) assurent les soins les plus spécialisés à la population de la région ainsi que les soins courants à la population la plus proche.

Les Centres Hospitaliers Universitaires (CHU). Ce sont des CHR ayant passé une convention avec une unité de formation et de recherche médicale au sein d’une ou de plusieurs universités.

90 Centres Hospitaliers Spécialisés (CHS) en psychiatrie.

Les Établissements de Santé Privés d’Intérêt Collectif (ESPIC) regroupent les 19 centres de lutte contre le cancer ainsi que 688 autres établissements privés à but non lucratif. Les ESPIC représentent 14 % des lits et places du secteur hospitalier.

1  047 établissements de santé privés à but lucratif. Ces établissements, dénommés le plus souvent « cliniques », représentent environ un quart des lits et places du secteur hospitalier.

 

Patrick Jourdain « Il faut passer de l’idée à l’action »

Cardiologue responsable du département de cardiologie ambulatoire au Centre hospitalier de Pontoise (95), le Dr Patrick Jourdain estime que le rapport de la mission conduite par Edouard Couty est porteur de grands espoirs. Mais tout dépendra de ce qui sortira de la concertation qui va s’engager maintenant.

 

Comment réagissez-vous au rapport de la mission Couty ? 

Patrick Jourdain : D’une manière générale, je trouve le rapport Couty très constructif. Il va dans le sens d’un rééquilibrage en faveur de la prise en charge des patients et il affirme la prévention comme une mission du service public. La gouvernance est elle aussi rééquilibrée, donnant plus de place aux usagers, redonnant un rôle plus important à la CME. Marisol Touraine a repris treize mesures, parmi lesquelles le service public territorial de santé, qui me semble un gros progrès : on en peut en effet faire tout partout. Le parcours de soins est essentiel, car le grand défi que nous avons à relever est celui de la maladie chronique. La politique d’investissement à l’échelle régionale – un peu comparable à ce qui se fait en Allemagne – est pertinente. Mais avant d’enclencher la réforme, on va passer par la phase de concertation, ce qui peut être problématique. D’une part, il faut éviter de rester dans la discussion sans passer à l’action, car dans la crise actuelle, on voit bien que les malades ont de plus en plus de mal à se soigner. D’autre part,  ce qui sortira de cette concertation dépendra beaucoup de qui sera autour de la table. La démarche proposée par le rapport Couty est bonne, mais pour l’instant, on n’est encore que dans l’idée. Le rééquilibrage sera effectif si l’on dépasse l’effet d’annonce. Les Schémas Régionaux d’Investissement en Santé (SRIS) seront pertinents si la représentativité des acteurs est bonne et reflète la réalité de l’offre de soins : les CHU, les CH, les CHG ont des recrutements et des activités différents. Dans la phase de concertation qui va s’ouvrir, il faut que tous les effecteurs de soins soient représentés à l’échelle de ce qu’ils représentent.

Le rapport Couty propose une diversification de la tarification avec, en particulier, un mode de financement des maladies chroniques adapté au parcours de soins du patient. Qu’en pensez-vous ?

P. J. : Ce type de financement est essentiel. Dans mon activité, par exemple, les patients chroniques ont besoin d’éducation thérapeutique. Mais cet acte n’est pas rémunéré par la T2A et chaque fois que j’en prescris, je fais perdre de l’argent à ma direction ! Je sais que beaucoup de mes confrères doivent se battre pour maintenir ce type d’activité. La prévention, l’ETP coûtent de l’argent. Mais dans l’objectif d’efficience, il faudrait sortir de la vision purement comptable et se poser les bonnes questions : combien de patients, guéris, combien de patients allant mieux. C’est la reconnaissance de cette efficience-là qui importe.

Ne trouvez-vous pas que le rapport Couty reste relativement discret sur le décloisonnement ville/hôpital, dont Marisol Touraine fait pourtant une priorité ?

P. J. : Ce décloisonnement, on en parle depuis des décennies, mais il était difficile dans un tel rapport d’aller plus loin que les généralités à ce sujet. Je crois qu’en la matière, tout vient d’une réelle volonté des acteurs de terrain de travailler ensemble, de connaître et de comprendre ce que font les autres.
Si l’on a une vraie gestion territoriale, avec une réelle représentation des acteurs locaux, on parviendra à des solutions. Je pense qu’il faut partir d’une pathologie donnée et travailler à l’échelon d’un territoire de santé, cela ne peut fonctionner que comme ça.

Tout va donc dépendre de la concertation future ?

P. J. : Le rapport Couty et les mesures retenues par Marisol Touraine apportent un grand espoir. Il y a là un beau diamant à ne pas ébrécher !
Les gens attendront de voir ce qui va sortir de la concertation : la discussion ne doit pas d’éterniser, elle doit impliquer toutes les parties, qui devront se reconnaître dans les choix qui seront arrêtés. Si chacun ne se sent pas dans le bateau, cela ne marchera pas.

 

Activité privée à l’hôpital

Le rapport qui scandalise les libéraux

Les adaptations de l’avenant 8 suggérées par le rapport de Dominique Laurent sur l’activité privée à l’hôpital provoquent la colère des médecins libéraux. Ils n’acceptent pas le traitement de faveur fait aux hospitaliers justifié par des expertises et compétences jugées supérieures.

En décembre dernier, un amendement parlementaire encadrant assez strictement l’activité libérale à l’hôpital public avait été retiré à la demande de Marisol Touraine, la ministre s’étant avisée qu’il n’était pas opportun de légiférer avant que ne lui fut remis le rapport qu’elle avait commandé à la conseillère d’Etat Dominique Laurent sur le sujet (voir Le Cardiologue n° 357). L’amendement rejeté proposait l’encaissement par l’hôpital des revenus de l’activité libérale avec reversement ultérieur au praticien, l’obligation pour les médecins de fournir leur planning d’activité libérale et une majoration de la redevance due au titre de l’activité privée quand elle dépasserait un certain seuil. Les neuf recommandations du rapport de la mission Laurent sont assez en-deçà de l’amendement parlementaire et ne risquent pas de modifier significativement les pratiques en cours à l’hôpital public. 

Pour l’essentiel, le rapport Laurent préconise d’ « appliquer l’avenant n° 8 de manière adéquate à l’activité libérale dans les établissements publics de santé en contrôlant les dépassements excessifs d’honoraires, tout en tenant compte de ses spécificités ». Et pour l’essentiel, ces spécificités se résument dans le rapport à des « expertises et compétences » propres aux hospitaliers. Le texte mérite d’être cité in extenso : « La mission a estimé que le fait d’exercer comme PU-PH ou praticien hospitalier dans un EPS à temps plein conférait à cette activité les caractéristiques d’une activité de recours et que les critères d’expertise et de compétence devaient dans ces cas être présumés. Le contenu intellectuel spécifique des actes des praticiens hospitaliers doit être ainsi mieux pris en compte car les pathologies plus graves qu’ils traitent, les actes techniques plus longs et plus difficiles qu’ils pratiquent, les patients plus lourds auxquels ils délivrent des soins, pour lesquels ils mobilisent un savoir et une expérience intellectuelle spécifiques, justifient une rémunération spécifique, et différente de celle afférente à un acte technique banal, à une consultation pour pathologie courante et pour un patient traité sans difficulté. La notion “d’expertise et de technicité” retenue par l’avenant correspond à ces cas de figure et doit permettre que les dépassements fondés sur une forte plus-value intellectuelle soient considérés comme non abusifs ». Le rapport Laurent voit pour preuve de cette plus-value supérieure le fait que les PUPH puissent coter C3 (69 euros).

Les médecins de ville apprécieront la « médecine à deux vitesses » selon Dominique Laurent… A vrai dire,  ils n’apprécient pas, mais alors pas du tout. La CSMF se dit « stupéfaite d’une telle préconisation qui fait injure aux praticiens libéraux en niant leur plus-value intellectuelle et leur technicité ». Concernant la cotation 3C, elle « constitue en soi une injustice flagrante » pour la Confédération, qui rappelle qu’elle en réclame l’extension depuis de nombreuses années pour tous les praticiens libéraux « afin de valoriser les consultations complexes à forte valeur ajoutée médicale dans le cadre de la CCAM clinique ». La CSMF « exige que les critères définis dans l’avenant n° 8 s’appliquent à tous comme cela était prévu dès le départ ». Pour Jean-François Rey, « on ne peut pas comprendre qu’il y ait deux poids, deux mesures et que l’opacité perdure sur l’exercice privé d’une partie de nos confrères ». « Les dépassements abusifs qui font la Une des médias concernent 400 médecins, dont 200 hospitaliers. Qui pourrait concevoir qu’on sanctionne les 200 praticiens de ville hors des clous et pas les 200 hospitaliers ? Etre un “grand nom” de l’hôpital ne dispense pas de respecter les règles. Les honoraires des hospitaliers et leurs dépassements doivent être transparents et les règles doivent être les mêmes pour tous. Ces praticiens qui pratiquent des dépassements exorbitants n’ont rien à faire dans le secteur conventionnel et n’ont qu’à passer en secteur 3, hospitaliers comme libéraux. »

« Ouh, on a peur ! »

Le rapport Laurent propose par ailleurs de « mieux identifier l’activité publique du praticien » pour mieux évaluer, par comparaison, le volume de son activité privée, de mettre en place dans les hôpitaux « une charte déontologique de l’activité libérale » portant notamment sur l’information du patient quant aux honoraires pratiqués. Enfin, le rapport préconise le renforcement des Commissions d’Activité Libérale (CAL) en les chargeant de contrôler le plafond de 20 % d’activité libérale autorisé par « des contrôles par sondages à partir des tableaux de service et des contrôles des cahiers de blocs opératoires ». « Ouh, on a peur ! ironise le CISS. Tout le monde sait que ces commissions ne remplissent pas leur mission et n’en ont d’ailleurs pas les moyens. » Le Collectif interassociatif sur la santé estime que le rapport Laurent « propose de ne rien changer » et « invite les parlementaires à se saisir à nouveau de cette question à l’occasion du PLFSS 2014 ».

Le ministère de la Santé a annoncé une « large concertation » sur les suites réglementaires et législatives à donner aux propositions de Dominique Laurent. Là encore, tout dépendra de qui concerte, et de qui obtiendra gain de cause auprès de la ministre : des hospitaliers, qui avaient manifesté leur hostilité à l’amendement parlementaire, ou des praticiens de ville outragés par la discrimination introduite par le rapport Laurent entre les compétences et expertises hospitalières et les leurs.




Le spécialiste de proximité, le grand oublié

361 – Christian Ziccarelli – Il n’y a pas une semaine où l’on ne voit poindre un rapport, la naissance d’un comité ou d’une mission. Connaissant parfaitement leur sujet, les experts fournissent une information de qualité. Même si les propositions conclusives dépendent souvent de l’appartenance politique de leurs auteurs, il est rare qu’elles ne soient pas intellectuellement pertinentes. Restons pragmatiques, ces rapports sont-ils tous d’un grand intérêt ? La réponse est évidente, car nombre d’entre eux sont classés « sans suite », ou traitent un thème identique ou très proche (efficience et financement des hôpitaux : Igas, Sénat…), etc. Même en les sélectionnant, leur densité est telle qu’il est le plus souvent impossible de tous les lire entièrement. Depuis le début de l’année, la primeur revient aux dossiers sur les établissements. La mission Laurent sur l’encadrement de l’activité libérale à l’hôpital préconise une régulation limitée. En effet, les dépassements des médecins libéraux sont forcément abusifs, car ils ne sont pas fondés sur une forte plus-value intellectuelle ! Nous apprenons de l’Igas la place et le rôle, enfin reconnus, des cliniques privées dans l’offre de soins. Le rapport Couty sur « le pacte de confiance à l’hôpital » réaffirme sa mission de service public, la nécessité de corriger les effets délétères de la T2A et de renforcer la place des usagers, avec une place pour le moins congrue pour les établissements privés. Marisol Touraine l’a confirmé, il faut tourner la page de la loi HPST. Cela signifie-t-il que l’on doit séparer le bon grain de l’ivraie ?

L’Igas, en 2012, avait alerté les pouvoirs publics sur le chevauchement des travaux des agences. Par exemple l’ANAP, la HAS et l’ANESM interviennent toutes les trois dans la production de recommandations communes, la HAS et l’ANSN réunissent des commissions sur des sujets identiques ou très voisins. Si la réorganisation totale de l’Afssaps était des plus nécessaires depuis la révélation de son manque de vigilance, on voit depuis un an se multiplier les commissions et autres comités (comités de suivi, de sécurité, conseil de surveillance…). Comment ne pas s’interroger sur leur bien fondé ! A l’heure où tout doit être évalué, il ne serait peut-être pas inutile d’apprécier leurs efficiences.

Les spécialistes libéraux de proximité, qui jouent pourtant un rôle majeur dans l’offre de soins, sont aujourd’hui l’objet d’un déni de ce Gouvernement. Avez-vous entendu une seule fois la Ministre s’inquiéter de la désertification de nos spécialités ? La progression exponentielle des charges, le blocage des actes au même tarif depuis plus de 20 ans mettent en péril nombre de nos cabinets médicaux à l’origine de licenciements.

Un conseil, Madame la Ministre, lisez la dernière publication de la Mutualité Française sur le guide des « bonnes pratiques » des centres de santé. Une véritable révolution : pour rentabiliser ces centres, la rémunération des médecins devra être fonction du pourcentage des actes et de la performance de la structure. Un cardiologue, par exemple, devra faire un minimum de 4 consultations par heure (on est loin de notre pratique actuelle : 30 minutes en moyenne par consultation). Efficience, efficience…




Marcillac, Domaine du Cros Vieilles Vignes 2009 (Philippe Teulier 12390 Goutrens)

Des années de misères ont façonné les hommes et l’histoire des vignes de Marcillac. Développé par l’abbaye de Conques au Xe siècle, pratiquement détruit par le phylloxera, replanté dans l’entre-deux-guerres, pour atteindre 3 000 ha, puis bouleversé par le grand gel de 1956 et la crise liée à la fermeture des mines de Decazeville, le vignoble avait quasi disparu, réduit à une cinquantaine d’hectares, mais il a pu renaître grâce au travail et à l’opiniâtreté d’une coopérative dynamique et d’une poignée de vignerons indépendants. Cette résurrection fut permise par le réaménagement du vignoble en privilégiant un cépage original, le fer servadou (« qui se conserve » en occitan), dénommé mansois dans l’aveyronnais ou braucol dans le gaillacois, qui donne toute sa typicité à l’appellation. De plus, les hommes ont façonné des terrasses, les faïsses, sur les coteaux très pentus, pour faciliter le rude travail à la vigne, si bien que le Marcillac a été reconnu AOC en 1990 au rebours des autres appellations aveyronnaises : vins de Conques, d’Entraygues, du Fel et d’Estaing (sans Giscard).

Le vignoble de Marcillac, couvrant actuellement moins de 200 ha à une vingtaine de kilomètres de Rodez, bénéficie d’un climat contrasté : hivers très rigoureux dans cette zone de semi-montagne, étés très chauds et ensoleillés grâce à l’influence méditerranéenne. Il se développe sur des coteaux abrupts formant un cirque naturel orienté plein sud autour de la vallée de l’Ady, réalisant ainsi un microclimat très propice au développement de la vigne.

Une culture raisonnée _ En 1982, Philippe Teulier a pris en main le domaine familial du Cros, pour le faire passer progressivement de 3 à 26 ha par location ou achat de vignes âgées sur les meilleurs terroirs, complantées sur des éboulis calcaires et des rougiers (argiles violacées) permiens en sous-sol.

Maintenant secondé par son fils Julien, il pratique une culture raisonnée, traitant très peu, car le fer servadou est bien résistant aux maladies cryptogamiques. Les talus et entre-rangs sont enherbés, entretenus et tondus régulièrement. Ebourgeonnage, taillage, écimage, vendanges au vert limitent les rendements aux alentours de 45 hl/ha. Les raisins, cueillis à bonne maturité manuellement en caissettes, égrappés, sont pressurés par gravité, pour une macération lente de cinq semaines en cuves inox thermorégulées avec une extraction douce par pigeages du chapeau, remontages et délestages.

L’élevage en vieux foudres de plus de 30 ans s’étend sur 18 mois. La mise en bouteille, précédée de très légers collage et filtration, s’effectue au bout de 2 ans.

Habillé d’une robe sombre, pourpre foncé, ce Marcillac Domaine du Cros Vieilles Vignes 2009, 100 % fer servadou, produit par des vignes soixantenaires, est un vin de charme et de plaisir. Succèdent à d’agréables senteurs de fruits rouges, framboise, groseille et de cassis, d’importants arômes d’épices : clou de girofle, noix muscade, surtout poivre qui rappellent fortement la Syrah. La bouche est charnue avec une dominante de fruits noirs ; on apprécie une trame affinée, des tanins fondus et souples, loin de l’image caricaturale collant aux vins de Marcillac, rustiques aux tanins accrocheurs. La finale est concentrée, fraîche, sapide, mentholée. Ce vin très aromatique équilibre parfaitement bouquets et tanins.

Un équilibre qui épouse la cuisine régionale _ Les accords gustatifs avec ce Marcillac sont riches : viandes rouges, grillades de porc, en vieillissant gibiers à poils, telle une épaule de chevreuil aux airelles. Mais il ne faut surtout pas résister au plaisir de lui faire épouser la belle cuisine régionale : petits gris sauce persillade, aligot saucisses, salades de gésiers confits ou de lentilles aux lardons, et surtout tripous, où il résiste bien à la forte saveur de la tripe, ses tanins s’adoucissant et son grain se fondant. J’ai expérimenté un remarquable accord avec un boudin aux deux pommes : la minéralité du vin affronte le gras du boudin, et son fruité dompte l’acidité de la pomme fruit. Ce Marcillac ne se déplaira pas en fin de repas avec les fromages locaux : fourmes, cantal, laguiole, salers.

Messieurs les restaurateurs aveyronnais qui Pilotez de nombreuses et remarquables brasseries parisiennes, qu’attendez-vous pour promouvoir cet excellent vin, dont les prix sont angéliquement doux ?

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Coteaux du Languedoc Blanc Lune Blanche 2010 (Daniel Le Conte des Floris – 34120 Pézenas)

Mais force était de reconnaître que les blancs ne suivaient pas la même progression, certains vignerons affirmant « ex abrupto » qu’il y fait trop chaud et sec, pour produire de bons vins blancs. Cet a priori est battu en brèche par quelques producteurs qui, innovant dans les terroirs et les cépages, peaufinent de magnifiques cuvées, l’une des stars étant actuellement, selon moi, Daniel Le Conte des Floris.

Personnalité attachante, étonnante, fils d’un patron de médecine interne de Besançon, dont l’épouse est également fille d’un chef de service de cardiologie (l’immense Le Dantec pour ceux qui l’ont connu), Daniel Le Conte des Floris a traversé plusieurs vies, avant de trouver son épanouissement dans la viticulture. Diplômé des Mines de Paris, tour à tour, producteur à France Culture, responsable du Centre National du Cinéma, embauché ensuite par la Revue du Vin de France, dont il devint en six ans rédacteur en chef, il décida, ne pouvant plus supporter la vie parisienne, d’assumer pleinement sa passion pour le vin et, après une formation en oenologie à Beaune, parvint à acquérir, en 2000, un certain nombre de parcelles morcelées autour de Pézenas sur un total de 7 hectares.

Daniel, d’emblée, affirme ses fortes convictions : agriculture biologique, maintenant certifiée Ecocert, spécificité des terroirs adaptés à chaque cépage, afin que chaque vin exprime son identité marquée du sceau de la terre, interventionnisme réduit au minimum aussi bien à la vigne qu’à la cave.

Ainsi, il propose des vins racés, frais, d’une grande finesse, non dénués de minéralité et de profondeur. Si ses rouges sont excellents, ses blancs sont réellement magnifiques : Lune Rousse relancée grâce à la complantation de nouveaux pieds de roussanne, Arès et ma préférée, Lune Blanche.

Sur des sols schisteux et argilo-gréseux, cette petite exploitation, plantée peu serrée à 5 000 pieds/ha en taille Gobelet pour Lune Blanche, limite les rendements à 20 hl/ha. La culture, selon les règles biologiques, évite tout produit chimique en dehors d’un peu de soufre, pour lutter contre l’oïdium. Le vigneron ébourgeonne peu, laboure et débroussaille entre les rangs. La vendange, dont la date est décidée sur des analyses physicochimiques, et surtout sur la dégustation des baies, est manuelle en petites cagettes, avec un tri expert lors du ramassage.

Un cépage méconnu _ Pressurage manuel vertical, macération directe en fût avec décantage et débourbage sur 36 h, pas de levurage, sauf exception, élevage en fût pendant un an, puis six mois en cuve inox pour les blancs qui, en 2010, ont été collés et filtrés.

Les vins blancs sont élaborés autour d’un cépage méconnu, bien que magnifiquement adapté au climat : le carignan blanc, dont l’acidité naturelle permet de pousser la maturité. La cuvée Lune Blanche 2010 est composée exclusivement de carignan blanc issu de vignes soixantenaires.

Un magnifique vin charpenté et aromatique _ Annoncée par une robe brillante, jaune or pâle, cette Lune Blanche, aux jambages gras, délivre des arômes complexes, épicés, fruités, où le nez est d’emblée envahi par des senteurs de melon, abricot, pamplemousse, puis des fragrances oxydatives de pomme et de noix, ce qui n’est pas l’effet du hasard, le vigneron reconnaissant jouer, durant l’élevage, avec l’oxydation, en limitant le soufre, pour accroître la dimension minérale et compenser le manque d’acidité de son vin. La bouche est ample, opulente, ronde, marquée d’entrée par des saveurs bourguignonnes d’amande et de brioche, puis affluent des notes exotiques de coing et de fruit de la passion.

D’une longueur grisante, ce magnifique vin charpenté, gras, aromatique, mais demeurant frais et digeste, au grand potentiel de garde, se positionne, malgré sa jeunesse, pour la grande gastronomie.

Des accords riches et variés _ C’est pourquoi les accords avec ce flacon seront riches et variés : en premier, les poissons nobles en sauce, mais aussi noix de Saint- Jacques au poivre blanc, tartare de truite ou de thon à l’huile d’olive, ris de veau poché aux chanterelles. J’ai été émerveillé par sa rencontre avec une barbue au jus de carottes et moutarde à l’ancienne selon Piège, mitonnée par mon épouse. Alain Senderens propose un mariage surprenant avec un filet de canette, figues fraîches et raisin blond, car la marinade imprime au filet une subtilité aromatique que bercent la richesse et les parfums de la Lune Blanche. Pourquoi ne pas réserver les dernières gouttes à un gorgonzola ?

Daniel Le Conte des Floris aime à souligner qu’« il nous a fallu apprendre à désapprendre, car la réalité du Languedoc n’est pas celle des autres vignobles français », mais cet homme intelligent a su très vite s’adapter et il a toute chance avec ses vins blancs de marquer l’histoire du vignoble languedocien. Quelle magnifique reconversion pour l’ancien journaliste ! ■