A quoi vont servir les URPS

336 – Les Unions Régionales de Professionnels de Santé devraient être en ordre de marche au début de l’année prochaine. Avec des missions plus étendues que celles des défuntes URML, elles seront les partenaires privilégiées des ARS. Un privilège dont s’émeuvent les syndicats qui redoutent leur marginalisation et l’éparpillement de la profession. 

 Les élections aux Unions Régionales des Professionnels de Santé (URPS) ont eu lieu et les urnes ont donné une large majorité aux syndicats fortement opposés à la loi Bachelot en particulier, et plus généralement à la politique gouvernementale en matière de santé, CSMF et SML en tête. Pour l’instant, ces élections ont donc surtout pris une tournure politique, permettant à chaque syndicat de mesurer son audience, et faisant entrevoir à certains l’accession à la représentativité, autrement dit, à la table des négociations conventionnelles. Reste que courant novembre, les assemblées de chaque URPS vont élire leur bureau et leur président, et que la fin de l’année – ou le début de 2011 – devrait voir les unions en ordre de marche. Mais pour quoi faire ? Il n’est pas inutile de rappeler ce que la loi HPST, qui les a créées, leur a assigné comme missions.

La contribution des URPS

Les URPS, dont les membres sont élus pour cinq ans, « contribuent à l’organisation de l’offre de santé régionale » dit la loi. En clair, elles participent à la préparation et à la mise en œuvre du projet régional de santé, à l’analyse des besoins de santé et de l’offre de soins, en vue notamment de l’élaboration du SROS qui aura, HPST oblige un volet ambulatoire, à l’organisation de l’exercice professionnel (PDS, continuité des soins, nouveaux modes d’exercice). Leur participation est également requise pour des actions dans le domaine des soins, de la prévention, de la veille sanitaire, de la gestion des crises sanitaires, de la promotion de la santé et de l’éducation thérapeutique. Elles contribuent à la mise en œuvre des Contrats Pluriannuels d’Objectifs et de Moyens (CPOM) avec les réseaux de santé, les centres de santé, les maisons et les pôles de santé, ou à celle de contrats dont l’objectif est d’améliorer la qualité et la coordination des soins. Elles prennent aussi part au déploiement et à l’utilisation des systèmes de communication et d’information partagés, à la mise en œuvre du DPC. Et elles peuvent procéder à l’analyse des données agrégées nationales et régionales issues du SNIR en rapport avec leurs missions.

Pour tout cela, de quels moyens disposent-elles ? Comme les URML, d’une cotisation annuelle obligatoire de tous les libéraux, fixée par décret pour chaque profession après consultations des syndicats représentatifs. Le taux annuel de cette contribution – recouvrée et contrôlée par l’URSSAF – est fixé dans la limite du montant correspondant à 0,5 % du montant annuel du plafond des cotisations de la Sécurité Sociale. Des « subventions et concours financiers divers » ne sont pas exclus, à condition toutefois que, « par leur nature ou leur importance », ces contributions ne risquent pas de « mettre en cause l’indépendance nécessaire à l’accomplissement des missions de l’Union ».

Un manque de représentation interprofessionnelle dans les régions

À côté de ces missions, la grande nouveauté qui inquiète les syndicats nationaux est la possibilité qui est donnée aux URPS de « conclure des contrats avec l’ARS » et « d’assurer des missions particulières impliquant les professionnels de santé libéraux dans les domaines de compétence de l’agence ». Les états-majors parisiens y voient un risque de balkanisation de la profession, quand ce n’est pas une régionalisation rampante de la convention. Les ARS s’en défendent (voir notre entretien avec Norbert Nabet ci-dessous). Une perte de pouvoir pour les syndicats, c’est certain. Avec les risques de marginalisation qui en découlent, particulièrement pour les spécialités faiblement représentées en région, comme l’explique Jean-François Thébaut (voir entretien ci-dessous). Ce n’est pas pour rien que ces derniers mois, les centrales syndicales ont renforcé leurs structures régionales. C’est aussi la raison qui a poussé le Centre National des Professions de Santé (CNPS) à créer des Centres Régionaux des Professions de Santé (CRPS). Pour son président, Michel Chassang, il s’agit de pallier le manque de représentation interprofessionnelle dans les régions, puisque pour lui, les fédérations d’URPS ne seront pas autre chose que des « clubs de présidents d’URPS ». D’ailleurs, il prévient : « Nous allons nous opposer à toute formation de structure fédérative régionale. » Relais sur le terrain de la politique nationale du CNPS, les CRPS ont pour objet de défendre les intérêts communs des professionnels de santé auprès des structures de tutelle, de décider tant en demande qu’en défense toute action de justice si nécessaire, et d’informer le public sur la politique de santé. Les CRPS seront composés de membres issus de chacun des CDPS de la région, et de membres désignés par chaque organisation nationale adhérente au CNPS. « Le message est sans ambiguïté : les syndicats des libéraux de santé s’organisent face à la toute puissance de la tutelle », commentait Michel Chassang lors de la présentation des CRPS.

Les « clubs de président d’URPS », comme les nomme Michel Chassang, sont les fédérations régionales de professionnels de santé. La fédération régionale regroupe les délégués de chaque URPS (trois par union, un par collège pour les URPS de médecins). Elle a pour but de « concourir au développement de l’exercice interdisciplinaire des professionnels de santé libéraux », et exerce « toute mission qui lui est dévolue par les URPS ». Le budget de la fédération régionale est constitué par une contribution annuelle versée par chaque URPS et qui « ne peut être inférieur à 5 % de la contribution perçue par chaque union ». Pour beaucoup, cette définition de la mission des fédérations est proche de l’inexistant à force d’être vague, et leurs moyens bien faibles. C’est l’opinion de Philippe Boutin, président de l’ex-Conférence nationale des présidents d’URML (CNP), qui prêche pour une structure représentative des URPS à l’échelon national et par profession, sur le modèle de la CNP (voir entretien ci-dessous).

 

A quoi vont servir les URPS

Des responsables s’expriment

 

Philippe Boutin (CNP)

« Une coordination nationale des URPS s’impose »

Pour Philippe Boutin, président de la Conférence nationale des présidents d’URML (CNP), une représentation nationale des URPS par profession s’impose étant donné le rôle mineur et l’absence de moyens des futures fédérations régionales d’URPS.

En tant que président de la CNP, vous estimez que le passage des URML aux URPS n’a pas été  convenablement préparé, et vous avez saisi en Conseil d’Etat en référé. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de cette démarche ?

Philippe Boutin : Le décret du 2 juin 2010 sur les URPS rend caduques les URML, mais nous sommes dans une période de transition où les présidents et trésoriers d’URML sont quelque peu laissés à l’abandon en l’absence d’une date butoir à laquelle leur responsabilité ne sera plus engagée. Une convention de transfert automatique d’une structure à l’autre a bien été prévue, mais qui n’exclut pas les recours possibles. Si pour une raison ou une autre cette convention de transfert est refusée, que se passera-t-il. Il convenait de clarifier les choses, ce que le Conseil d’Etat a fait en corrigeant la loi et en gommant le flou qui existait. A présent, les présidents d’URML sont donc couverts juridiquement pour la période qui va de la publication du décret du 2 juin dernier jusqu’à la constitution des bureaux des URPS. Dans ma région, par exemple, l’URML est propriétaire de ces actuels locaux mais aussi des précédents qu’elle avait mis en vente ; mais nous étions dans un no man’s land juridique pour signer une promesse de vente. De mêmes, les emprunts contractés ne peuvent passer de l’actuelle structure à l’autre comme ça, et nous devons les rembourser par anticipation ce qui entraîne des frais. Les assurances qui couvraient les responsables d’URML pour d’éventuelles pertes financières se sont arrêtées le 4 juin dernier… Ce recours en Conseil d’Etat a donc été fait pour mettre à l’abri les ex-présidents d’URML et faire en sorte qu’ils ne soient pas responsables sur leurs fonds propres. C’est maintenant chose faite. 

 

Les actions en cours engagées par le URML ne risquent-elles pas d’être remises en cause par les URPS ?

Ph. B.: Le champ d’intervention des URPS est plus vaste que celui des URML, puisque leurs missions sont en miroir avec celles des ARS. Les actions menées par les URML doivent donc pouvoir être poursuivies par les URPS sans problème, d’autant que, sur le terrain, concernant les dossiers techniques, les divergences syndicales sont rares contrairement aux divergences dogmatiques nationales ! 

 

Quel est votre opinion à propos des fédérations régionales d’URPS ?

Ph. B.: je n’y crois pas beaucoup. Leurs missions sont nulles et elles n’ont pas de moyens. Je pense qu’il faudra au moins deux mandatures pour qu’elles prennent leur place. C’est pourquoi je milite en faveur de la création  d’une coordination nationale des URPS par profession, sur le modèle de la CNP. Il me semble indispensable qu’il y ait un interlocuteur unique au niveau national face aux institutions. n

 

Norbert Nabet (ARS PACA)

« Nous avons tout à gagner à coopérer avec les URPS »

Pour le directeur adjoint de l’agence régionale de santé de PACA, qui fût, au cabinet de Roselyne Bachelot, l’un des rédacteur de la loi HPST, les ARS attendent beaucoup du partenariat avec les URPS. Dans le respect de la ligne politique nationale et de la marge financière impartie.

Quelles sont les attentes des responsables d’ARS par rapport aux URPS ?

Norbert Nabet : Nous en attendons beaucoup ! Lors de l’élaboration de la loi, j’étais personnellement très attaché à ce que les ARS aient des partenaires, que cela soit inscrit dans la loi, et que ces partenaires soient issus d’une élection qui leur donne toute leur légitimité. Nous attendons des URPS qu’elles soient des interlocuteurs informés, avertis, des professionnels qui soient capables de nous indiquer ce qu’il convient ou pas de faire, et qui nous aident dans notre mission première : faire en sorte que les gens soient pris en charge le mieux possible lorsqu’ils sont malades, par des professionnels de santé de proximité travaillant en réseau, en coopération, en évitant le plus possible l’hospitalisation. 

 

Oui, mais dans quelle limite ces professionnels de proximité seront-ils entendus ?

N. N.: Il est clair que les ARS sont là pour appliquer la politique gouvernementale et non pas faire le contraire. Nous avons une feuille de route. Cela étant dit, tout réside dans la manière de mettre en œuvre cette politique. Ce que je peux dire, c’est que nous pensons que la proximité est ce qui permettra de faire évoluer la restructuration de notre système de santé. Certes, les ARS ont une mission de régulation. Nous ferons toute la pédagogie qui sera nécessaire, mais pour être clair, nous ne pourrons pas dire que l’efficience du système n’est pas un objectif.

 

Certaines centrales syndicales s’émeuvent de la possibilité donnée aux URPS de contracter avec les ARS, pour ne pas dire qu’elles y sont hostiles. Que leur répondez-vous ?

N. N.: Ce débat n’est pas le nôtre. Nous avons tout à gagner à coopérer avec les URPS, mais si cela n’est pas possible, nous agirons seuls. Un contrat, il faut être deux pour le signer. Encore une fois, nous souhaitons avoir des partenaires pour régler, avec les professionnels, les problèmes de santé d’une région donnée, et résoudre les difficultés locales dans le respect des grandes lignes nationales, dans la marge de manœuvre impartie. Pour cela, si l’outil contractuel s’avère utile, nous le proposerons. Si les URPS le refusent, nous agirons seuls, en recourant, notamment aux CPOM avec les maisons médicales. Les ARS ont une mission d’organisation et de régulation ; l’objectif n’est pas d’en rajouter dans l’offre de soins – du moins dans une région comme la région PACA où l’offre est abondante- mais de mieux l’organiser. Pour ce faire, nous n’avons pas d’outils conventionnels et nous n’en réclamons pas, pour répondre aux craintes de certains. 

 

Comment envisagez-vous vos relations avec les syndicats de spécialité ?

N. N.: Les avis recueillis seront ceux des URPS. Mais le dialogue bilatéral est ouvert. Sur un sujet intéressant strictement la cardiologie, par exemple, nous ne nous interdirons pas de prendre des avis auprès des organismes représentatifs de la profession. Mais s’il s’agit d’un sujet impliquant la régulation, un accord ne peut être signé qu’avec l’URPS.

 

 

Jean-françois Thébaut (SNSMCV)

« Gare à la marginalisation des syndicats de spécialité »

Pour le président du Syndicat national des spécialistes des maladies du cœur et des vaisseaux, en faisant des URPS les seuls interlocuteurs des ARS, la loi exclut les syndicats verticaux du dialogue avec l’institution régionale.
Le président du SNSMCV que vous êtes nourrit quelques inquiétudes quant aux futures relations des syndicats de spécialité avec les ARS. Pourquoi ?

Jean-françois Thébaut : Nous sommes inquiets, parce que toute la responsabilité du dialogue avec les ARS repose sur les seules URPS. Les commissions paritaires régionales et locales ont disparu et on ne sait ce que vont devenir les commissions locales. Donc il n’existe plus aujourd’hui aucun échelon régional (voire local) où les syndicats verticaux puissent faire entendre leur voix. Nous sommes donc soumis au bon vouloir des ARS pour dialoguer avec nous. Dans les régions où les élus de la spécialité aux URPS sont représentatifs des syndicats de la région, on peut penser que le dialogue sera maintenu, et de bonne qualité. Mais dans le cas contraire, en l’absence d’élus de la spécialité, ou si les élus ne sont pas représentatifs de leur syndicat régional, il n’y aura pas d’articulation entre le syndicat de spécialité, l’URPS et l’ARS. Cela risque de poser problème notamment lors de l’élaboration des SROS.

 

Comment peut-on remédier à cet état de fait ?

J-F. T. : Il est essentiel que les syndicats de spécialité prennent langue avec les bureaux des URPS, pour être informés, d’abord, et donner leur avis. Mais encore une fois, cela sera possible avec des syndicats représentatifs régionalisés et forts, mais pour les spécialités de faible effectif et moins représentées, cela va être difficile et elles risquent de se faire « mener » par les URPS.

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