Borobudur : un gigantesque mandala de pierre

326 – Christian Ziccarelli – Recouvrant une colline, modifiée artificiellement et entourée de volcans, ce gigantesque amoncèlement de pierres noires, appareillé sans mortier, déçoit au premier abord celui qui pense retrouver Angkor Vat. Mais à mesure de sa découverte, c’est l’émerveillement.

Sur une base carrée de cent vingt mètres de côté (mais certaines parties débordant à intervalles réguliers, la base devient une figure à trente six côtés) formant le soubassement, s’élèvent quatre galeries pourtournantes à ciel ouvert et disposées en gradins décroissants. A la galerie supérieure succède un plateau qui sert à nouveau de base à trois terrasses circulaires ascendantes, ornées de 32, 24 et 16 stûpas en forme de cloche et aux parois ajourées. Le point le plus élevé, et en même temps le centre symbolique, est formé d’un grand stûpa avec une étroite cavité murée, sans accès possible. Pour y parvenir, est aménagé sur chaque face un escalier, surmonté d’un portail représentant une kalamakara (Kalamakara : démon, représentation mythologique de poisson-éléphant).

Outre la base cachée, les parois intérieures des galeries de circulation sont recouvertes de bas-reliefs taillés en pierre, de plus de cinq kilomètres. Ce véritable « livre de pierre », chef d’oeuvre historié, illustre des thèmes bouddhiques inspirés de la tradition indienne. Des niches ménagées au-dessus des bas-reliefs, à des intervalles réguliers, contiennent des bouddhas.

Les différentes étapes pour atteindre la délivrance

Image du monde, selon le bouddhisme du Mahayanna ([Mahayana : Nouvelle Ecole de sagesse ou Grand Véhicule de progression. Secte bouddhique mettant l’accent sur la foi et la dévotion et laissant plus de place au sentiment et à la spéculation.)], le Borobudur est à la fois un temple montagne et un diagramme de méditation, appelé mandala (cercle), combinaison fort réussie d’une pyramide à degrés (symbole de vénération ancestrale par tout indigène) et d’un stupa.

Le bouddhisme met l’accent sur les différentes étapes spirituelles qui doivent être atteintes successivement sur le long chemin des réincarnations pour aboutir à la délivrance, au nirvana… « C’est ce long chemin que le pèlerin est invité à suivre à Borobudur. Le soubassement équivaut au kamadhatu (le monde des passions où l’homme est encore enchaîné par ses désirs), les quatre terrasses carrées avec leurs déambulatoires au rupadhatu (le monde des formes et des apparences où l’homme est libéré de ses passions mais encore attaché aux formes et apparences) et les terrasses circulaires à l’a-rupadhatu (le monde de la nonforme et de la non-apparence où l’homme atteint le néant absolu) ([Stûpa : Monument essentiel du bouddhisme, composé d’un tumulus reliquaire élevé sur un soubassement et couronné d’une partie cubique et de parasols, dont l’architecture a subi de profondes modifications dans les différents pays d’Asie.)].

Les bas-reliefs cachés du soubassement décrivent le monde des désirs, le monde soumis à la loi du karman (acte) séjour des hommes, des animaux comprenant trois niveaux (en bas les enfers au milieu la terre, au-dessus les cieux). Arrivant à la première galerie, les reliefs disposés sur deux registres superposés sont consacrés à la vie du Buddha Câkyamuni et aux légendes de ses vies antérieures (Jataka). Les murs de la deuxième, troisième et quatrième galeries racontent l’histoire de Sudhana, le fils d’un riche marchand qui a quitté le monde terrestre et aspirant à la bouddhéité. Sont également illustrés des textes (sutra) évoquant l’éveil.

L’élévation spirituelle des lieux

Enfin le pèlerin atteint les terrasses circulaires, le monde de l’infinitude de l’espace, de la connaissance et de la pensée, celui du néant ou` il n’y a ni notion, ni absence de notion, celui de la vacuité dernière. C’est ce que veulent exprimer les 72 stupas aux parois ajourées contenant chacune un bouddha dissimulé et invisible.

On ne peut rester insensible à la puissance spirituelle du lieu, surtout lorsque le soleil illumine les niches où reposent les Buddha, imperturbables, inébranlables, seigneurs de la pensée et rayonnant de sérénité. Leur silhouette est harmonieuse, le dos rectiligne, le visage idéalisé, au nez long, un peu pointu.

Il faut arriver en fin de journée, avant le coucher du soleil, moment privilégié où les flots de touristes ont regagné leurs hôtels et prendre le temps d’en faire silencieusement le tour. Chaque bas-relief, véritable chef-d’oeuvre, mérite votre attention. Comment ne pas penser à ce pèlerin recueilli de l’an mille, parcourant ces galeries ! Comment ne pouvait-il pas être impressionné par une telle monumentalité ?

Difficile de ne pas ajouter Borobudur à la liste des merveilleuses réalisations de l’être humain.

Bibliographie _ (1) Borobudur : catalogue de l’exposition au Petit Palais en 1978. _ (2) Le sauvetage de Borobudur : Claude Sevoise, Archéologia n°118 ; 8-17. _ (3) Borobudur, prestigieux temple montage : Jeannine Auboyer, archéologie n°118 ; 18-30I. _ (4) Indonésie : Frits A. Wagner, l’art dans le monde, Albin Michel 1978. |Borobudur émerge pour la première fois de son obscur et glorieux passé en 1814. Un naturaliste britannique, le lieutenant gouverneur de Java, Sir Thomas Stamford RAFFLES, confie à un ingénieur hollandais Cornéelius le dégagement du monument enfoui sous la végétation. Une première monographie paraît en 1873, dans l’indifférence générale. Sa démolition totale est même envisagée. Heureusement, la découverte en 1865 d’une base cachée ramène l’attention sur l’édifice. Une série exceptionnelle de 160 bas-reliefs, cachée au cours de sa construction, illustre un texte bouddhique, le karmavibhanga (description d’actions terrestres bonnes et mauvaises déterminant le « karma »). Depuis 1902 il subit des restaurations successives, la dernière remonte à 1973 où chaque bas-relief, chaque statue ont été démontés, numérotés, traités, lavés. Ces travaux titanesques (près de 2 millions de pierres, 2 600 panneaux sculptés, 504 statues de Boudha, éparpillés sur le sol), financés au 2/3 par l’UNESCO, ont bénéficié de l’apport de l’ordinateur, permettant de gagner 70 années de travail !|

image_pdfimage_print