Le Développement Professionnel Continu (DPC)

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Reuilly Cuvée Orphée 2017 Domaine Les Poëte

Je me méfie, quand je déguste les vins de Loire issus du sauvignon blanc, du caractère herbacé et variétal : genêt, bourgeon de cassis, buis, voir pipi de chat souvent retrouvé, lorsque les raisins manquent de maturité ou proviennent de terroirs inadaptés. Aussi, j’ai été réellement enchanté de découvrir dans les petites appellations peu connues du Berry : Quincy et Reuilly, les sauvignons blancs de Guillaume Sorbe.

Celui-ci, passionné dès son enfance par le vin, pour avoir grandi auprès de ses grand-père et père investis dans un commerce-bar, épicerie et dans les vignes familiales qui alimentaient les chopines des clients, fut tour à tour cuisinier, sommelier, commercial avant de franchir le pas en devenant vigneron. Il s’installa sur sa terre natale du Berry, pour y créer son domaine : les Poëte, ce nom n’étant pas lié à la proximité du pays de Nohant, patrie de Georges Sand, mais tout simplement en hommage à son arrière-grand-mère Esther Poëte.

Décidé à produire de grands vins, Guillaume Sorbe est un authentique rebelle qui n’a pas hésité, plutôt que de succéder à son père viticulteur, à lui conseiller de vendre son vignoble, pour s’installer quelques kilomètres plus loin à Preuilly, pour construire tout seul le vignoble qu’il souhaitait sur de petites parcelles nécessitant un gros travail de défrichage, mais vierge de tout produit chimique, pour parvenir actuellement à un ensemble de 7 ha, dont 4,5 de sauvignon blanc : 3 à Quincy sur des terres sablonneuses, limoneuses et argileuses, 1,5 à Reuilly sur des terroirs de sable rouge, de graves et d’argilocalcaires.

N’a-t-il pas été banni des AOC, pour avoir refusé les contrôles jugés tatillons et liberticides, et dû commercialiser toute sa production en « Vin de France » ? Quoiqu’il soit résolument bio et même biodynamicien, il préfère préparer lui-même ses décoctions de plantes : ortie, badiane, consoude, prêle, mais il refuse toute labellisation déclarant :  « On observe, on ressent, on choisit le bon jour, sans se préoccuper des cycles cosmiques. On écoute la réponse du sol. La biodynamie n’est pas un dogme, auquel on obéit aveuglément ». Il se qualifie « d’éco-logique » et refuse toute certification.

Produire moins, mais mieux

Situées au nord-ouest de Bourges, les appellations Quincy et Reuilly sont développées sur les coteaux de l’Arnon, de la Théols et du Cher. Exposé au sud et reposant sur une faille géologique, le domaine des Poëte à Reuilly comprend 9 petites parcelles aux faibles rendements entre 14 et 30 hl/ha, comme l’indique sa devise « produire moins, mais mieux ». Tout est fait, pour préserver le biotype et la biodiversité : forêts, arbres fruitiers, prairies. Les moutons (emblème du domaine) et les chevaux qui produisent un engrais naturel pâturent dans les vignes bordées de ruchers, l’enherbement est spontané, voire même semé.

Le travail des vignes et des sols se fait donc selon le principe des cultures bios et biodynamiques (pas de chimie, cuivre et soufre à faibles doses, purins, composts, préparations maison). Un palissage : ébourgeonnage très tôt, écimage tardif, 1 seul rognage permet de verticaliser la plante, pour l’aérer et l’éclaircir.

Les vendanges manuelles, soit en caisse, soit en benne élévatrice respectant le fruit, sont décidées par le rapport maturité aromatique/maturité analytique. Le tri est réalisé sur la parcelle. Le remplissage du pressoir se fait par inertage, le transfert des moûts sous azote. La fermentation par levurage indigène est effectuée dans de petites cuves ou fûts (400 à 600 hl) le débourbage uniquement à froid. Chaque parcelle est vinifiée et élevée séparément, l’élevage a été allongé à 18 mois, pour apporter de la finesse et des finales nettes et précises au vin. Les assemblages des parcelles ont lieu en fin d’élevage. Le sulfitage est le plus tardif et léger que possible. Lors de la mise : stabilisation des vins par collage, filtration inconstante.

Un vin irrésistible

Parée d’une limpide robe or claire, cette cuvée Orphée 2017, 100 % sauvignon blanc, exhale des parfums élégants, mais réservés de fleur blanche (lys), de fruits citronnés : pomelos, pomme granny de notes anisées : fenouil, gingembre, mais aussi exotiques :  kaki, goyave procurant une fraîcheur et une vivacité appétissantes. Une pointe de noisette amène de la complexité. La jolie bouche ciselée, charmeuse n’occulte pas la puissance, la tension, l’opulence sans lourdeur, le grain soyeux de ce vin salivant. La belle finale poivrée et saline dure et dure encore. Ce vin est irrésistible par sa fabuleuse élégance et s’inscrit dans les blancs les plus ambitieux de la vallée de la Loire.

Cette Orphée 2017 peut être proposée dès l’apéritif avec des rillons, de l’andouille point trop grasse, un pâté berrichon, puis avec des entrées : poissons fumés, crustacés grillés comme les langoustines et les gambas. Mais la complexité, la richesse aromatique et l’opulence de ce vin permettent des accords gastronomiques remarquables avec les poissons nobles, en premier lieu le saumon à l’oseille tout juste cuit à l’unilatéral de Pierre Troisgros. Une barbue dorée à la poêle, un loup en croûte de sel ou grillé au fenouil et ses patates douces, des Saint-Jacques en daube façon Ducasse pour le versant marin, un brochet beurre blanc, une féra à la tholonaise, un omble chevalier cresson sur poutargue de truite, pour l’eau douce l’accueilleront avec délice. Si, en fin de repas, il reste quelques gouttes de ce nectar, elles ne se déplairont pas avec un fromage de chèvre sec, tels un crottin de Chavignol ou un Pouligny Saint-Pierre, accords régionaux de rigueur !

Guillaume est aujourd’hui un homme heureux et apaisé, car il sait que son difficile pari : donner leurs lettres de noblesse aux « petits » vins du Berry est en bonne voie de succès.

Guillaume Sorbe – 18120 Preuilly

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération




Joseph et la femme de Putiphar ou les infortunes de la tunique – 1ère partie

C’est dans l’ancien pays de Canaan en des temps immémoriaux à l’historicité incertaine, durant le Nouvel Empire (1550-1070 av. J.-C.) et vraisemblablement vers 1360 av. J. C. sous le règne d’Amenhotep également dénommé en grec Aménophis III (v.1403-1352 av. J.-C.), le neuvième pharaon de la XVIIIe dynastie (a), qu’un jeune hébreu dénommé Joseph (Yossef ou Yusuf dans le Coran) eu quelques déboires avec une belle tunique ornée (1) qui lui fut confectionnée par son père Jacob. 

Ce geste témoignait d’une grande affection paternelle pour ce « fils de sa vieillesse » (1) de la part de ce patriarche biblique déjà père d’une famille nombreuse puisqu’il eut en tout treize enfants dont douze fils qui seront les fondateurs directs ou indirects des douze tribus d’Israël. Joseph est le fils aîné qu’il eut avec sa seconde épouse Rachel qui meurt lors de la naissance de son dernier fils Benjamin de telle sorte que Jacob, très éploré, transfert son affection sur ses jeunes enfants dont Joseph au grand dam de ses demi-frères. Leur jalousie va en outre être exacerbée par le fait que Joseph leur indiqua qu’il avait rêvé qu’ils se prosterneraient devant lui et c’est d’ailleurs cette faculté d’être un « homme aux songes » (1) qui lui vaudra, plus tard et à l’inverse, l’attention bienveillante du Pharaon. 

Pour l’instant, ses frères vont le jeter dans une citerne du désert dépourvue d’eau (1) tout en ramenant la tunique tachée du sang d’un bouc (1) à son père pour lui faire croire que son fils chéri a été dévoré par une bête sauvage. L’imposante représentation (Huile sur toile 323×250 cm, Escurial) qu’en fit en 1630 Diego Velázquez (1599-1660) montre le patriarche qui cherche à se lever sous le coup de l’émotion alors que ses fils, qui respirent l’hypocrisie, lui montre la tunique tachée de sang et qu’on peut presque entendre aboyer son petit chien dont l’instinct ne l’a pas trompé contrairement à Jacob abusé par la rouerie de ses fils. Joseph ne devra son salut qu’à la bienveillance toute relative des habitants du désert dénommés Madianites qui vont certes sortir le jeune garçon, âgé de dix sept ans (1), de son cul-de-basse-fosse, mais c’est pour le vendre à des Ismaélites dont « les chameaux étaient chargés de gomme adragante, de baume et de ladanum qu’ils allaient livrer en Egypte ». (1) (b) Ils vont vite s’apercevoir qu’ils devraient pouvoir en tirer un bon rapport en le vendant comme esclave (les annales égyptiennes relatant bien d’autres captifs du même genre), car Joseph sait lire, écrire et surtout tenir les comptes. Cette qualité est particulièrement prisée, à l’instar des scribes qui utilisent des roseaux taillés en pointe (calames) pour écrire, à sec, sur les tablettes d’argile ou, trempés dans une encre, sur les papyrus.

Jacob recevant la tunique de Joseph (1630) par Diego Vélasquez (1599-1660). Huile sur  toile 223×250 cm. Monastère de San Lorenzo Escurial.

C’est ainsi qu’ils sont  parfois très proches du pouvoir (2) en cette Egypte ancienne où seulement cinq pour cent de la population sait lire et écrire (3) et en particulier dans les grands domaines agricoles de « l’Egypte qui est un don du Nil » comme l’a si bien dit Hérodote (v.480-v.425 av. J.-C.). Ce fleuve sacré, personnifié sous la forme divine d’Hâpy, est en effet bénéfique avec ses crues qui apportent, pendant quatre mois, de juin à septembre, le fertile  limon noir d’où vient le nom antique de l’Égypte (4) Kemet : la terre noire ou chemit ou chim d’où dérive le mot chimie. (5) Les terres de ce ruban fertile sont surtout dévolues aux cultures maraîchères et aux céréales telles que le blé et l’orge pour fabriquer du pain et de la bière très appréciée, l’invention des fours à pain « traditionnels » remontant à la découverte du levain vers 3000 av. J.-C. (6) 

La vie s’organise le long du fleuve nourricier qui, prenant naissance à partir des grands lacs africains traverse le pays du sud au nord sur près de 1300 km  en étant bordé à l’ouest par le désert libyen et à l’est par les montagnes arides qui descendent vers la Mer Rouge en sachant que dans ces déserts également dénommés « terre rouge » (3) vivaient des tribus nomades qui chercheront à s’installer dans la vallée lors des années difficiles. (4) Le Nil va ensuite se jeter dans la Méditerranée par de nombreux bras au niveau de son delta qui est de ce fait la région la plus fertile dénommée Basse-Egypte. 

Le Pharaon (de per-aa : le roi) est celui qui unit le pays comme le symbolise sa double couronne rouge (Basse Egypte) et blanche (Haute Egypte) ou Pschent, mais il est aussi la réincarnation d’Horus, avec l’Oeil oudjat considéré comme hybride d’œil humain et d’œil de faucon et aux vertus apotropaïques, le pouvoir du roi étant de nature religieuse. L’Egypte d’alors avait une intense activité commerciale avec le Proche-Orient, principalement via le port de Byblos (7) où convergeaient les routes commerciales en provenance de Mésopotamie (Irak actuel) avec des caravanes amenant des épices, des résines, mais aussi des minéraux très recherchés tels que la malachite aux méandres verts et le lapis-lazuli d’Afghanistan au bleu intense avec des paillettes dorées suggérant la nuit étoilée. (8) 

De Chypre provenait le cuivre, d’Anatolie provenait le plomb et l’étain et les cèdres du Liban fournissaient du bois de grande longueur qui faisait cruellement défaut(8) en Egypte pour la construction des charpentes et des navires, pour les gros rondins et les traîneaux de bois servant à déplacer les énormes pierres pour la construction des pyramides et les colossales sculptures destinées aux temples, mais aussi pour les mâts dotés d’oriflammes arrimés aux pylônes (du grec pulon : portail) à l’entrée des temples (dans lesquels le peuple n’était pas admis) et devant lesquels se dressaient les obélisques dévolus au culte solaire. (9) 

En outre « l’Egypte servait alors de refuge à ceux qui, telle la famille de Jacob, fuyaient les catastrophes politiques ou climatiques » (7) et c’est ainsi que Joseph contribuera à sauver les « fils d’Israël » de la famine ; ils s’installeront dans l’est du delta du Nil dans une zone dénommé Goshen, dont la localisation reste incertaine (22) et ils y resteront jusqu’à l’Exode, c’est-à-dire jusqu’à leur fuite d’Egypte sous la conduite de Moïse.

Louis-François Garnier

Bibliographie

1) La Bible de Jérusalem cerf 2007.
2) Chedid A. Néfertiti et le rêve d’Akhénaton. Les Mémoires d’un scribe, Flammarion, 1974.
3) Tyldesley J. L’Egypte à la loupe. Larousse 2007.
4) L’Egypte et la Grèce antique. Gallimard-Larousse 1991.
5) Reboul Th. Les oculistes pharaoniques et leurs vases à collyres. L’Ophtalmologie des origines à nos jours. Tome 5 ; 5-17. Laboratoire H. Faure.
6) Tommasi M. Le régime du Nil nourrit les Egyptiens. Histoire & Civilisations N°66 : 14-19 novembre 2020.
7) Manley B. Atlas historique de l’Egypte ancienne. De Thèbes à Alexandrie : la tumultueuse épopée des pharaons. Autrement 1998.
8) Maruéjol F. L’Egypte et Canaan, les partenaires ennemis. L’Histoire de la Méditerranée. Le Monde Hors-série 2019.
9) Le musée égyptien de Turin. Federico Garolla Editore 1988.
10) Mann Th. Joseph et ses frères. Joseph en Egypte. L’Imaginaire Gallimard 1980.
11) Cevennit W. L’état pharaonique. Organisation politique de l’Egypte ancienne. Egypte ancienne N°36 2020.
12) Berlaine-Gues E. Hathor une déesse envoûtante. Egypte ancienne N°36 2020.
13) Mahfouz N. Akhénaton le Renégat. roman  Denoël 1998.
14) Agut D., Lafont B. Faute, culpabilité… en Egypte et en Mésopotamie. Qui a inventé le péché ? Le Monde de la Bible N°234 2020.
15) Onfray M. Sagesse. Ed. J’ai Lu 2020.
16) La grande histoire de l’Antiquité. Pharaons. Hors-série N°2 2020 Oracom.
17) Willaime V. Thèbes ; L’âme de l’Egypte pharaonique. Egypte ancienne N°36 2020.
18) Barrow R.J. Lawrence Alma-Tadema. Phaidon 2006.
19) Vernus P. Dictionnaire amoureux de l’Egypte pharaonique. Plon 2009.
20) Peltre Ch. Les Orientalistes. Hazan 2003.
21) Briend J. Joseph. Le monde de la Bible. foliohistoire Gallimard 1998.
22) Lemaire A. Les Hébreux en Egypte. Le monde de la Bible. foliohistoire Gallimard 1998.
23) Zivie A. Ramsès II et l’Exode : une idée reçue. Le monde de la Bible. foliohistoire Gallimard 1998.

Remerciements au Docteur Philippe Frisé, ophtalmologiste à Ploërmel pour sa documentation.




Monde numérique – deux visions complémentaires

A un an d’écart, deux livres ont fourni deux visions complémentaires, mais proches sur de nombreux aspects du monde numérique dans lequel nous vivons. La première, développée dans « Junk Tech », est celle de deux personnalités du monde des affaires et de la communication, la deuxième, développée dans « L’enfer numérique », est celle d’un journaliste d’investigation.

Deux types d’auteurs 

Junk Tech

Junk Tech est écrit Jean-Marc Bally, président d’une société internationale de capital-investissement, dont la fonction est d’évaluer la valeur potentielle de sociétés non cotées dans l’objectif d’y prendre une participation en capital pour financer leur démarrage, leur développement ou leur cession ou transmission. Il a pour co-auteur, Xavier Desmaison, président d’un groupe de conseil en stratégie de communication à forte dominante numérique et d’une association de dans la lutte contre les fausses nouvelles et théories du complot sur internet. C’est dire que l’association des deux auteurs permet une analyse de la communication des entreprises du numérique relativement à leur valeur de production effective.

Et ils commencent fort leur ouvrage en prenant comme modèle l’apport des entreprises du numérique à la gestion de la pandémie : « D’un côté des plateformes technologiques comme Amazon, Netflix ou Zoom ont vu leur modèle validé et leurs performances boostées dans la mesure où elles ont semblé répondre efficacement à un certain nombre d’attentes des individus connectés du XXIe siècle. Mais, d’un autre côté, on a pu observer à quel point les champions de la Silicon Valley et de l’économie 2.0 s’étaient révélés inopérants pour traiter des difficultés plus concrètes relatives à la sécurité, à la santé ou à la production industrielle de nos sociétés ». 

On aura compris par ces propos que si certaines entreprises numériques sont devenues des vedettes des marchés financiers c’est par une communication habile tendant à faire croire à beaucoup qu’elles apportent une solution technologique aux problèmes du monde. Ce livre décrypte le caractère fictif de ce discours.

L’enfer numérique

L’enfer numérique est écrit par Guillaume Piton, journaliste et réalisateur de documentaires dans les domaines économiques, politiques et environnementaux et à qui l’on doit déjà un livre de référence « La Guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique ». 

Dans L’enfer numérique, il fait œuvre de journaliste : il enquête sur le terrain, interroge et narre avec une vision typique de journaliste c’est-à-dire qu’il commence souvent par la description du lieu de l’enquête (la plupart des régions du monde), puis rend compte des divers points de vue des personnes interrogées. 

Son discours est simple : à l’heure où la défense de l’écologie et du climat est devenue une valeur dominante orientant les comportements et les pratiques, il est une pratique paradoxale, celle de l’utilisation grandissante du numérique alors que « l’industrie numérique consomme tant d’eau, de matériau et d’énergie que son empreinte est le triple de celle d’un pays comme la France ou l’Angleterre ». Une phrase résume son propos « la pollution digitale met la transition écologique en péril et sera l’un des grands défis des trente prochaines années ».

Si l’approche des auteurs est différente, elle repose sur au moins deux points communs : le discours manipulateur des entreprises du numérique et l’inconscience (entretenue ?), pour ne pas dire la bêtise des consommateurs des produits numériques.

Manipulation : tout ça pour quoi ?

Junk tech rappelle la double manipulation de ces entreprises. La première est celle de ses utilisateurs afin de récolter des informations personnelles valables, c’est-à-dire monnayables, en ayant recours à la psychologie sociale pour entretenir l’addiction à leurs produits. La deuxième est celle d’un discours promouvant « un monde meilleur » grâce à l’outil technologique pour résoudre les grands problèmes du monde, ce que l’on dénomme le « solutionnisme technologique » alors que ces entreprises n’ont rien bâti de fondamental si ce n’est d’avoir développé des ruptures de modèles économiques, c’est-à-dire de nouvelles façons de générer de l’argent à partir de métiers traditionnels.

Pour les auteurs, le succès de la Silicon Valley n’est pas une question de technologie ou de supériorité technologique, mais de marketing et de design de leurs produits ou de facilité d’utilisation de leurs plateformes. Une stratégie reposant sur un discours permettant d’attirer  et des capitaux et des utilisateurs rendus captifs afin e vendre leurs données.

L’enfer numérique rappelle quant à lui, que « Les grandes entreprises du Net veulent conserver cette esthétique de l’immatérialité… une manière pour elles de minimiser l’impact de leurs infrastructures sur l’environnement et les ressources naturelles ». En effet, qui sait ce que consomme en eau et électricité un centre de données ? C’est-à-dire ces unités physiques dénommées « nuage » ou Cloud pour entretenir une image d’immatérialité alors que pour ce service « il existerait aujourd’hui près de 3 millions de datacenters d’une surface de moins de 500 m2 dans le monde, 85 000 de dimensions intermédiaires et une petite dizaine de milliers dont la taille peut avoisiner l’Equinix AM4 (plusieurs milliers de mètres carrés). Et au cœur de cette Toile de béton et d’acier prospèrent plus de 500 datacenters dits hyperscale, souvent vastes comme un terrain de football ». 

Qui connaît la quantité de métaux rares que contient un téléphone portable, rendu volontairement rapidement obsolète ? 

Qui sait qu’un courriel génère 0,5 gramme voire 20 grammes de carbone si une pièce jointe lui est attachée alors que 319 milliards de courriels sont envoyés chaque jour dans le monde ? 

Qui connaît le bilan énergétique d’une vidéo visionnée en ligne ?…

Tout ça pour qui : des consommateurs « gâtés-pourris »

« Les utilisateurs se moquent de la façon dont le web fonctionne. Ce sont des enfants pourris-gâtés qui attendent qu’internet tourne toujours plus vite. Et au bout du compte, tout le monde se retrouve prisonnier de cette logique » selon un observateur interrogé dans « L’enfer numérique ». 

Junk tech va encore plus loin en évoquant le mythe de Narcisse : « En quête d’accomplissement psychique et de réalisation de soi, cette génération a développé des traits de personnalité narcissiques qui ont eu une influence directe sur les modes de consommation, la stratégie des marques, les critères de différentiation entre produits et services… une de facettes de la Junk tech : une façon de procurer un shoot d’estime de soi à des personnes qui y ont été biberonnées depuis la naissance et qui pensent manquer de reconnaissance ».

Synthèse

Deux livres à lire l’un après l’autre, riches d’enseignements méconnus sur le monde numérique face à l’effet anesthésiant des informations grand public. 

Et, si dans cette rubrique, n’ont été mentionnés que les côtés obscurs du monde numérique et de ses consommateurs décrits dans ces ouvrages, sachez qu’ils contiennent aussi plusieurs données sur leurs côtés positifs et qu’ils suscitent des réflexions voire font des propositions pour une utilisation plus raisonnable des outils de ce nouveau monde, celui d’aujourd’hui. 

En savoir plus…

Junk Tech

Comment la Silicon Valley a gagné la guerre du marketing

  • Auteurs : Jean-Marc Bally et Xavier Desmaison
  • Éditeur : Hermann
  • Parution : Novembre 2020
  • Pagination : 140 pages
  • Format broché : 14,00 euros
  • Format kindle : 8,99 euros

L’enfer numérique

Voyage au bout d’un like

  • Auteur : Guillaume Pitron
  • Editeur : Les liens qui libèrent
  • Parution : Septembre 2021
  • Pagination : 352 pages
  • Format broché : 21,00 euros
  • Format e-book : 15,99 euros




Effets indésirables cardiaques des vaccins à ARN contre le SARS-Cov2

DES VACCINS À ARN 
CONTRE LE SARS-COV-2


Depuis le début de la vaccination anti-Covid-19 jusqu’à novembre 2021, plusieurs centaines de millions de doses de vaccin à ARNm ont été injectées dans le monde. Les équipes de pharmacovigilance scrutent la survenue d’effets secondaires. Parmi ceux-ci, le cardiologue est particulièrement concerné par les effets secondaires cardiaques, à savoir la survenue de péricardites, de myocardites et les troubles du rythme cardiaque. Qu’en est-il ?

EFFETS
INDÉSIRABLES CARDIAQUES

DES VACCINS À ARN
CONTRE LE SARS-COV-2

Serge Sarzotti. 

Beaulieu-sur-Mer

Epidémiologie

Tout d’abord, cadrons le débat. Le comité européen de pharmacovigilance a conclu que les effets indésirables cardiaques des vaccins à ARM étaient extrêmement rares, beaucoup plus rares que la myocardite induite par l’infection par le SARS-CoV-2, virus responsable de la Covid-19. 

Après un syndrome Covid-19 non sévère, une étude chez des athlètes nord-américains a enregistré jusqu’à 2,3 % cas de myocardites, la plupart asymptomatiques. Après une Covid-19 sévère – et en réanimation –, l’atteinte myocardique peut concerner jusqu’à 42 % des patients dans l’étude réalisée à Nice par D. Doyen. Inversement, la survenue d’une myocardite post-vaccinale est un événement rare qui concerne surtout des hommes jeunes (entre 12 et 39 ans), les symptômes survenant typiquement dans les trois jours après la deuxième injection du vaccin.

En période épidémique, on a mesuré que la probabilité d’avoir une myocardite après une vaccination anti-Covid-19 par ARNm est quatre fois moindre que lors d’une infection par le SARS-CoV-2. Pour fixer les idées, selon le CDC américain, si l’on vaccine un million d’hommes âgés de 12 à 29 ans avec deux doses de vaccin à ARNm, environ 47 seront atteints d’une myocardite ou d’une péricardite, tandis que l’on évite 560 hospitalisations, 138 admissions en soins intensifs et 6 morts dues à la Covid-19. Ainsi, à l’exception des enfants de moins de 12 ans chez lesquels le rapport bénéfice-risque du vaccin n’est pas encore connu, même dans une population à risque de myocardite post-vaccinale, le bénéfice de la vaccination reste majeur.

Mécanisme, tableau clinique et analyse histologique, mécanisme

Des myocardites avaient déjà été observées lors des vaccinations de masse, notamment lors des campagnes de vaccination antivariolique. Cet effet secondaire n’est donc pas spécifique de la vaccination par ARNm.
Dans le cas du vaccin anti-SARS-CoV-2, le mécanisme de l’atteinte cardiaque n’est pas connu. S’agit-il d’une réaction inflammatoire non spécifique ? Ou bien d’une atteinte par similitude antigénique entre la protéine Spike du SARS-CoV-2 et une protéine non connue du myocarde. 

La publication de huit cas de myocardites post-vaccinales en juin 2021 dans la revue Circulation a permis de préciser le tableau clinique. Il s’agissait de huit patients de sexe masculin âgés de 21 à 56 ans, qui avaient eu des douleurs thoraciques précocement après l’administration d’un vaccin à ARNm, survenant dans 7 cas sur 8 après la deuxième dose de vaccin. Une fièvre était survenue dans les 24 heures après vaccination pour cinq patients. La douleur thoracique était constante, invalidante, et avait débuté entre 2 à 3 jours après la vaccination. La troponine était augmentée dans tous les cas avec un pic le jour suivant l’hospitalisation. La recherche du SARS-CoV-2 était négative. A l’échocardiographie, il y avait une FEVG inférieure à 50 % chez 2 patients et 5 patients avaient des anomalies de la contraction segmentaire. A l’IRM cardiaque au gadolinium, il y avait un aspect en faveur d’un œdème myocardique, permettant de poser le diagnostic avec certitude. 

Le traitement a reposé sur des anti-inflammatoires non stéroïdiens pour 3 patients, de la colchicine pour 2 patients, de la cortisone pour 2 patients et 3 patients n’ont pas reçu de traitement. Les patients ont dû s’abstenir de compétition sportive pendant une période de 3 à 6 mois avec une nouvelle évaluation avant la reprise sportive.

Fin septembre 2021, ont été publiées deux observations de myocardites post-vaccinales avec confirmation histologique (ce qui est rare) dans le New England Journal of Medicine (NEJM). La première a concerné une patiente de 45 ans, vaccinée par une première dose de vaccin Pfizer (commercialisé sous le nom de Corminaty), 10 jours auparavant et qui a ressenti une dyspnée. Au bilan, il y avait une tachycardie, une dysfonction VG (FEVG à 20 %) et une élévation de la troponine. A la biopsie endomyocardique, il y avait un infiltrat inflammatoire avec lymphocytes T, lymphocytes B, macrophages, éosinophiles et cellules plasmatiques. Un traitement classique de l’insuffisance cardiaque avec soutien inotrope et corticothérapie a été associé à une sortie de l’hôpital 7 jours après l’admission avec, à ce moment-là une FEVG à 60 %. 

La deuxième observation était dramatique et a concerné un homme de 42 ans ayant eu une dyspnée et des douleurs thoraciques 15 jours après la deuxième injection d’un vaccin Moderna. A l’échocardiographie, il y avait une dysfonction biventriculaire avec une FEVG à 15 % et le patient est décédé 3 jours après son admission hospitalière. A l’autopsie, il y avait une myocardite biventriculaire avec un infiltrat non spécifique comparable à l’examen histologique de la patiente précédente.

Cas particulier du vaccin Moderna

La pharmacovigilance est très efficace dans les pays scandinaves et c’est la Suède qui avait, la première, rapporté 440 cas de narcolepsie post-vaccination anti H1N1.

En Suède, l’agence du médicament a recensé 34 cas de myocardites et 11 péricardites après l’injection de 1,8 million de doses de vaccin Moderna alors qu’à l’issue de 10,6 millions de doses du vaccin Pfizer, n’ont été enregistrés que 75 cas de myocardites et 44 cas de péricardites. Comme ces événements surviennent chez des hommes jeunes, la Suède puis les pays scandinaves, ont interdit la vaccination par le Moderna en dessous de 30 ans. 

En France, l’étude Epi-Phare a confirmé le risque de survenue de rares cas de myocardites d’évolution favorable. Dans la population de moins de 30 ans, ce risque est 5 fois moindre pour le vaccin Pfizer par rapport au vaccin Moderna (100 microg) chez les 12-29 ans. La HAS recommande donc maintenant l’utilisation du seul vaccin Pfizer, qu’il s’agisse de primovaccination ou de rappel en dessous de l’âge de 30 ans.

Pour l’instant le vaccin Moderna ne doit plus être utilisé en dessous de 30 ans. Dans le futur et en fonction des résultats des études c’est la demi-dose de Moderna qui pourrait être utilisée en dessous de 30 ans.

Hypertension artérielle, troubles du rythme cardiaque

Dans les rapports de la pharmacovigilance française, il y a des cas d’hypertension artérielle dans le profil d’effets indésirables des vaccins à ARN anti-Covid-19 et 1 500 cas de trouble du rythme cardiaque ont été rapportés avec le vaccin Pfizer. Il est possible que ces troubles soient consécutifs à l’anxiété provoquée par la vaccination, mais peut être aussi au vaccin lui-même.

Cas particulier de l’enfant de moins de 12 ans

Mi-novembre 2021, la France n’a pas commencé à vacciner les enfants de moins de 12 ans, contrairement aux Etats-Unis et à Israël. Pour ces derniers, c’est le vaccin Pfizer qui a été choisi. Des résultats sur de grandes séries seront bientôt disponibles. Dans cette population particulière, la mesure de l’incidence des myocardites post-vaccinales est fondamentale dans l’évaluation du rapport bénéfice-risque. En effet, le bénéfice individuel du vaccin pour un enfant de moins de 12 ans est limité puisque ce virus tue moins en France que la méningite, les varicelles ou les rotavirus.

Les données concernant l’incidence des myocardites post-vaccinales chez les enfants de moins de 12 ans sont donc particulièrement attendues et détermineront l’utilisation de ce vaccin dans cette population. Aux Etats-Unis, la fréquence des myocardites chez les garçons de 12-15 ans (162 cas/million) est supérieure à celle observée chez les garçons de 16-17 ans (94 cas par million) ce qui est un mauvais signal. Si ce signal se confirmait en dessous de 12 ans, il est probable que les responsables français n’autoriseront pas la vaccination systématique dans cette population par le vaccin Pfizer.

En Conclusion

Les atteintes cardiaques liées aux vaccins anti-SARS-CoV-2 à ARNm sont des événements rares, beaucoup plus rares que les atteintes cardiaques liées au virus SARS-CoV-2, mais graves, et elles conduisent à une hospitalisation. 

Le mécanisme physiopathologique n’est pas encore connu, il peut s’agir d’une réaction immunitaire lymphoplasmocytaire non spécifique qui s’emballerait et qui atteindrait le cœur ou d’une parenté antigénique entre une protéine non connue du myocarde et le spike du SARS-CoV-2.

Du fait d’un plus grand nombre de myocardites induites, le vaccin Moderna n’est plus utilisé en dessous de 30 ans.

Chez l’enfant de 2 à 11 ans, du fait de l’existence de myocardites induites par les vaccins à ARNm, le rapport bénéfice-risque de la vaccination par le vaccin Pfizer est étroitement surveillé par les pays qui ont lancé la vaccination dans cette tranche d’âge. Actuellement, ce rapport est plutôt en faveur de la vaccination dans cette tranche d’âge aux Etats Unis. En France où la population pédiatrique est différente (moins d’obésité, meilleur accès aux soins) les études se poursuivent.


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Le Cardiologue n° 443 – Novembre-Décembre 2021


Quelques lectures pour approfondir vos connaissances et en particulier la dernière référence qui fait état des résultats d’ACST2. 

(1) Anne L Abbott, Stroke 2009;40:e573-e583

(2) Lars Marquardt, Stroke 2010;41:211-e17

(3) Anne G den Hartog, Stroke 2013;44:1002-1007

(4) Alison Halliday, Lancet Vol 398 September 18, 2021




Savoir analyser la littérature médicale [1]

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L’ANDPC

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Comment s’est construite la Classification Commune des Actes Médicaux (CCAM) ?

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Le PLFSS

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Quelles solutions pour améliorer l’accès aux soins ?

Par Marc Villacèque.
Président du Syndicat national des cardiologues.

Depuis des années, le Syndicat National des Cardiologues alerte ses adhérents et les pouvoirs publics sur la dégradation du système de Santé. La difficulté d’accès aux soins, criarde dans certains territoires, est devenue une des priorités des Français. Les politiques (maires, députés, sénateurs, et le ministre de la Santé) ont décidé de prendre des décisions sans aucune concertation avec les médecins. Ils ont ainsi acté la fin du monopole médical sur les soins, monopole adossé à l’exigence du cursus médical, au code de déontologie et aux conventions successives. Déjà, la sage-femme pouvait prescrire et suivre des patientes et des nouveau-nés, le pharmacien faire des vaccinations…

Maintenant, nos élus proposent plus en permettant :

  • L’accès direct

– à l’orthophoniste sans passer par l’ORL ou le MG ;

– à l’orthoptiste pour prescrire des lunettes sans passer par l’ophtalmologiste.

  • L’autorenouvellement des prescriptions par le kinésithérapeute.
  • Des expérimentations pour un accès direct à l’infirmière de pratique avancée.

Nous ne sommes plus dans la fiction puisque ces mesures ont été votées par l’Assemblée nationale et le Sénat dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2022, en attendant le vote définitif par les députés fin novembre.

De plus, le ministre de la Santé a demandé aux cliniques privées et aux médecins libéraux de prendre part à la permanence de soins (gardes, astreintes, travail le week-end) d’ici la fin de l’année. D’autres encore souhaitent le retour de l’obligation de la participation à la permanence de soins pour tous les médecins dès janvier 2023. Il ne faut pas oublier que ce sont ces mêmes décideurs qui avaient supprimé les lignes de gardes et refusé de payer nos astreintes.

Tous les syndicats de médecins et le conseil de l’Ordre ont vivement et légitimement réagi pour que le premier accès aux soins reste le rôle exclusif du médecin. Maintenant, la balle est dans notre camp. Devant la pénurie de médecins, le poids des maladies chroniques, la surcharge de travail, les médecins sont-ils prêts à travailler encore plus pour diminuer les délais de rendez-vous, participer aux gardes et à la permanence des soins ? Ou sont-ils prêts à augmenter le personnel de leur cabinet et superviser les soins ? Quelles que soient les réponses choisies, le problème de l’accès aux soins mérite mieux que des bouts de lois sans aucune vision globale ni réflexion de coordination entre les professionnels de santé. Il nécessite un débat citoyen et un échange constructif avec les acteurs de soins pour imaginer le système de Santé de demain. C’est pourquoi le SNC est mobilisé à tous les niveaux : défense de l’équipe de soins spécialisés devant le directeur de la CNAM, animation des groupes de réflexions sur les nouveaux acteurs de soins comme les IPA… Mais les choix seront difficiles et, comme disait Foch, « ne me dites pas que ce problème est difficile. S’il n’était pas difficile, ce ne serait pas un problème ».