Gewurztraminer Qvevri 2011 – Vin Orange

Le drapeau tricolore des vins : rouge, blanc, rosé, viendrait-il à se déchirer ? Car voilà qu’apparaît une 4e couleur : l’orange.

L’histoire des vins oranges remonte à plusieurs millénaires en Géorgie, mais ils n’ont été « redécouverts » que depuis une vingtaine d’années par les producteurs occidentaux révélant, de ce fait, non seulement une nouvelle couleur, mais surtout un nouveau goût dans le vin.

Le vin orange est tout simplement un vin blanc vinifié comme un vin rouge. Classiquement, les raisins blancs, après vendange, sont, de suite, pressés et le jus immédiatement mis en fermentation. Pour les vins oranges, la fermentation s’opère sur des raisins entiers, égrappés ou non, le jus restant en contact, plus ou moins longtemps avec les peaux et autres éléments solides qui contiennent des tanins, polyphénols pour certains colorants. Ceux-ci confèrent cette couleur orangée et une certaine tannicité au vin.

Cette opération nécessite qualité et maturité optimales des raisins, car les longues macérations permettent une forte extraction de substances aromatiques. Plus les raisins sont mûrs et sains, plus le bouquet aromatique sera noble, plus les températures seront stables et fraîches, plus subtils seront les arômes. En outre, les structures solides doivent être toujours immergées, pour éviter le contact avec l’air et l’apparition de bactéries acétiques. C’est là qu’intervient l’amphore, dont les dimensions et la forme garantissent une température fraîche, constante et uniforme dans tout le liquide et une mineure surface de son exposition à l’air. Mais 2 difficultés apparaissent : les jarres traditionnelles de Géorgie nécessitent un tapissage interne, pour rester étanches au liquide et poreuses à l’air, habituellement par de la cire d’abeille qui apporte des arômes particuliers très différents du boisé classique. De plus, leurs contenances, au minimum 500 litres, obligent, pour garder une t ° constante basse et éviter l’éclatement, d’être enterrées, d’où les puissantes notes terreuses et racinaires qui peuvent souvent rebuter.

Quoiqu’il en soit, cette vinification par macération des vins blancs, qu’elle s’opère ou non en amphores enterrées, connaît un succès grandissant, illustré par Radikon, Gravner (Frioul), Movia (Slovénie), Mathier (Valois), Gauby (Roussillon), Tissot (Jura), Bannwarth (Alsace).

L’aventure, pour Laurent Bannwarth, débute en 2001, lorsqu’il accueille un étudiant géorgien qui l’amène à s’intéresser au mode original de vinification dans son pays. Viticulteur déjà réputé pour son choix d’agriculture biologique et biodynamique, la qualité de ses vins, il décide d’adopter les techniques géorgiennes pour une petite partie de sa production et importe, avec difficultés, les jarres traditionnelles en terre cuite, les qvevris, qui donnent leur nom à ses cuvées.

A l’issue du pressurage, le jus est mis à fermenter et à macérer avec les parties solides enfermées dans des sacs de jute, comme de géants sachets de tisane, immergés dans les jarres enterrées. La quantité de marc, la durée de l’infusion permettent de nuancer la couleur, l’extraction des tanins, et arômes. Au bout de 6 mois en moyenne, le vin est soutiré et relogé dans d’autres qvevris pour un élevage sur lies fines pendant 4 mois. La présence d’air et l’absence de voile levurien permettent une oxydation modérée et contrôlée. Il n’y aucun levurage, sulfitage pendant la vinification, ni collage ou filtration pour la mise en bouteille, ce qui aboutit à un vin le plus naturel possible.

Parmi les quatre cuvées oranges obtenues par macération dégustées au domaine, le Gewurztraminer 2011 nous est apparu le plus convaincant. La robe soutenue d’un bel orange saumoné aux reflets acajous d’un vieux cognac est légèrement trouble (absence de filtration). Le nez est envahi par des fragrances prégnantes de rose fanée, de fruit de la passion, d’orange sanguine typiquement Gewurztraminer, puis se révèlent progressivement de riches arômes d’épices, poivre blanc, fruits secs et des notes de cire d’abeille, d’encens, de fumée. En bouche, s’exhalent beaucoup de prestance, une saveur prenante, des tanins suaves liés à un peu de sucre résiduel. La longue finale fait ressortir les flaveurs typiques de vin orange : notes racinaires d’humus, de mousseron.

En résumé, ce Gewurztraminer « Qvevri » développe une tonicité, une fraîcheur de tanins et une puissance des expressions aromatiques jusqu’ici inconnues qui réellement « décoiffent ».

Les vins oranges arrivent sur nos tables à l’improviste, leurs arômes, textures, saveurs particuliers, leur structure tanique créent une nouvelle dimension et une grande richesse en matière de mariages culinaires, mais tout reste à découvrir ! D’emblée, je proposerai des accords autour de la terre, du fumé, des épices. J’ai essayé, avec une réussite certaine, de goûter ce Gewurztraminer Qvevri en apéritif sur poissons fumés, œufs de lump, tarama. Il s’accordera probablement avec des plats orientaux épicés, des tajines… mais je le positionnerai préférentiellement, pendant l’automne, pour escorter viandes fumées, poêlées de champignons, châtaignes rôties. Il se confrontera, sans difficulté, à des fromages forts, époisses, vieux lille et surtout munster.

Petits conseils de dégustation : ces vins ne doivent pas être servis frais, mais chambrés comme un vin rouge, le carafage est préconisé après ouverture, il faut les boire rapidement ( !) après le débouchage, car ce sont des vins « vivants » qui évoluent vite.

Laurent Bannwarth 68420 Obermorschwihr




Bordeaux Cotes de Francs Chateau Le Puy 2005

383 – Coup de tonnerre en 2009 sur l’aristocratie vinicole bordelaise, le discret Château le Puy 2003, dans l’humble appellation Côtes de Francs, est sacré par une série télévisée japonaise « Les gouttes de Dieu », meilleur vin du monde ! Ainsi, cette adaptation télévisée avait brisé le suspense entretenu par le manga éponyme très connu (35e épisode actuellement en France), où 2 frères se disputent l’héritage d’un œnologue qui, dans son testament, a laissé 12 énigmes menant à la découverte d’un vin exceptionnel et à la possession d’une cave mirifique.

Le propriétaire du Château le Puy, Jean-Pierre Amoreau, prit alors une décision étonnante en retirant immédiatement de la vente tous ses 2003, pour arrêter une spéculation effrayante, les vins vendus 15 Ä à la propriété, grimpant au Japon à 500, voire 1 000  Ä, ce afin de les réserver à ses clients fidèles.

Le domaine le Puy créé en 1610, actuellement géré par la 14e génération, est en tout point étonnant et particulier. Les vignerons de père en fils militent pour l’expression naturelle de leurs vins, les sols n’ayant jamais connu molécules de synthèse, engrais chimiques, herbicides, insecticides…, ce qui leur confère une qualité exceptionnelle avec des vignes plus que cinquantenaires, dont les racines peuvent descendre à plus de 60 m de profondeur ! Le Château le Puy est situé sur 25 ha de terrasses dans la prolongation du plateau calcaire de St-Emilion sur des sols argilo-siliceux et argilo-calcaires surplombant la magnifique vallée de la Dordogne, justement dénommée en ce lieu : vallée des Merveilles. La culture, biologique depuis toujours, est passée, depuis plus de 25 ans, en biodynamie certifiée qui, en l’occurrence, confine à l’ésotérisme. En effet, le domaine recèle en son cœur un cromlech constitué de menhir et dolmens qui, pour J.-P. Amoreau, est capable « d’attirer les énergies cosmiques, de les concentrer, les diffuser », ce qui expliquerait le bouquet étonnant de ses vins.

Le fumier est maintenant remplacé par des engrais verts dynamisés, tels bouse de corne et silice. Les défenses immunitaires sont excitées par des laminaires. Toutes les opérations s’effectuent en fonction du calendrier lunaire. La vigne enherbée subit une taille Guyot courte évitant les vendanges vertes. La date des vendanges est soigneusement déterminée avec l’aide d’une station météorologique propre au domaine, le merlot étant toujours récolté en légère surmaturité, pour équilibrer le cabernet sauvignon. Les raisins, bien sûr, cueillis manuellement, font l’objet d’un tri drastique sur pied et sont éraflés mécaniquement, puis encuvés, sans foulage. Les fermentations en cuvier béton s’opèrent en chapeau de marc immergé, sans soufrage, levurage, ni chaptalisation, la malo-lactique survenant sous voile. Au bout d’un mois, un soutirage élimine la lie. L’élevage s’étend sur
deux ans avec bâtonnages réguliers sous des doses infinitésimales de SO2, d’abord en foudres, puis en barriques de 3 à 15 ans d’âge aseptisées à la vapeur, car, pour J.-P. Amoreau, « le bois neuf est un défaut ». La mise en bouteille, au moment du milieu d’une pleine lune, s’effectue, sans soufrage, collage, ni filtration.

Fidèle à la tradition, l’assemblage comporte régulièrement : 85 % de merlot, 14 % de cabernet sauvignon, 1 % de carménère.

D’un rubis profond, légèrement orangé sur le disque, discrètement voilé en l’absence de filtration, le Château le Puy 2005 délivre au nez une richesse aromatique impressionnante, où se succèdent des odeurs animales, viandées, de sous-bois, d’humus évoquant le cabernet franc, alors qu’il n’entre pas dans l’assemblage, puis prédominent des senteurs de fruits noirs, cassis, myrtille, mûre, d’épices douces. La bouche très concentrée, mais ronde, fait ressortir des notes de café, de moka, d’amandes grillées avec une texture serrée, des tanins tendus, mais cependant veloutés. La finale longue, persistante confirme une belle minéralité.

un « anti-Parker » absolu

En définitive, il s’agit d’un vin fougueux, racé, d’une grande complexité, mais où nul boisé, nulle note alcoolisée (12 ° annoncés) n’apparaissent, bref un Bordeaux naturel, à l’ancienne, un « anti-Parker » absolu…

La rondeur et les arômes de ce vin l’adaptent parfaitement aux viandes grillées, tels les classiques du Bordelais : entrecôtes grillées aux sarments de vignes, magret de canard, brochettes de rumsteck. Il s’accorde bien avec l’agneau, plutôt un navarin qu’un gigot ou une épaule, mais sa prédominance merlot l’incline vers les champignons, en particulier les cèpes accompagnant viandes d’agneau et de veau, tels les grenadins de veau aux cèpes, un ris de veau braisé avec poignée de girolles.

La complexité de son bouquet permet de s’aventurer vers des alliances plus osées : osso bucco, poitrine de poulet grillé et mariné aux olives, pigeons aux choux ou à la purée de pois cassés ou même un poisson : dos de saumon rôti et sarrasin.

Je dois signaler que le Château le Puy, baptisé depuis quelques années Emilien, est d’un excellent rapport qualité-prix aux alentours de 20 euros, que la cuvée vedette Barthelemy plus classique, mais de très haut niveau, est beaucoup plus onéreuse et qu’une longue aération avant dégustation est indispensable.

Bordeaux Cotes de Francs
Chateau Le Puy 2005

J.-P. Et P. Amoreau – 33570 Saint-Cibard




Vin de Corse Figari Clos Canarelli blanc 2013

L’hiver s’éloigne, les beaux jours estivaux approchent et, en avant-goût savoureux, je vous invite en Corse du Sud chez Yves Canarelli.

381 – En 30 ans, le vignoble corse a connu un bouleversement considérable. Fin des années 1970, les vignes occupaient plus de 30 000 ha, pour l’essentiel plantés de cépages rustiques amenés par les rapatriés Pieds Noirs sur la côte orientale de l’île avec des rendements pléthoriques. Actuellement, il reste moins de 8 000 ha, mais cette réduction du vignoble s’accompagne d’une progression qualitative étonnante grâce à l’émergence d’une nouvelle génération de viticulteurs corses privilégiant les cépages autochtones, modernisant les caves, adoptant la culture bio.

A la suite du canal historique (de la viticulture !) représenté par les comtes Abbatucci, Christian Imbert, Jacques Bianchetti, de jeunes et audacieux vignerons sont apparus allant toujours plus loin dans la recherche de l’excellence, tels Antoine Arena, Nicolas Mariotti-Bindi et tout particulièrement Yves Canarelli.

Celui-ci, fêtard invétéré durant sa jeunesse, décida, en 1992, de devenir vigneron se levant à l’heure, où il se couchait auparavant. Il reprit donc le petit domaine familial complanté, en 1968, au milieu de chênes verts et de blocs de granit, pour l’agrandir jusqu’à près de 30 ha âprement gagnés sur le maquis, remarquablement cultivés en biodynamie, uniquement amendés par du compost. Le domaine, blotti dans une vallée qui monte des eaux turquoises du golfe de Figari jusqu’aux contreforts de la montagne de Cagna aux sols granitiques riches en argile, bénéficie d’un climat, tant marin que montagneux. Les fortes amplitudes thermiques jour-nuit, les vents venant de la Méditerranée rafraîchissent les raisins. Les meilleurs parcelles, exposées nord, nord-ouest, constituent les cuvées baptisées Clos Canarelli. Les vignes, dont les pieds sont buttés, taillées courtes, palissées en cordon simple, font l’objet de soins attentionnés, sans aucune chimie. Le cépage blanc vermentino n’est pas effeuillé, afin de le protéger du soleil.

Les raisins, cueillis manuellement, sont triés sur table, entonnés en grappe entière, pour le blanc, par gravité dans le pressoir pneumatique et les jus sont mis à débourber pendant 48 heures. Les jus blancs sont démarrés en cuve inox thermo-régulées, dont les pieds contiennent des levures indigènes, puis fermentent en foudres, sans batonnage. L’élevage en foudre évite une trop longue imprégnation par le bois, un sulfitage léger est associé, sans collage, avec une légère filtration lors de la mise en bouteille.

Une continuelle innovation

Yves Canarelli, assisté par l’œnologue, Antoine Pouponneau, innove continuellement : nouveau chai rutilant, comme j’ai pu le constater, équipé d’un matériel moderne et performant, réhabilitation de cépages ancestraux, tels le bianco gentile en blanc, le carcaghjolu neru en rouge, expérimentation de la vinification en œuf béton, en amphores, ce qui le positionne à la pointe de la viticulture corse.

Son Clos Blanc 2013, pur vermentino, est certainement une de ses plus belles réussites. Paré d’une robe or pâle aux reflets verts, ce vin exhale des parfums délicats de fleur blanche, aubépine, chèvrefeuille, de fruits, pommes et poires fondantes, citron confit. Une petite note de pêche et d’abricot pourrait égarer vers un Condrieu, mais, très vite, émergent des arômes de maquis, thym, anis, herbes grillées, de vanille signant l’élevage sous bois. La bouche onctueuse, suave, racée offre une vaste palette aromatique avec des sensations de minéralité intense, de zestes d’agrumes équilibrant et rafraîchissant la puissance. La finale, d’une longueur étonnante pour un blanc sec, confirme le caractère envoûtant de ce beau flacon.

La belle réussite du Clos Canarelli

Ce vin respire le soleil, la mer, les vacances pour tout dire… Il n’est donc pas étonnant qu’il réalise les accords et les équilibres les plus aboutis avec la cuisine ensoleillée et les beaux produits de la Corse. A l’occasion d’un pique-nique sur la plage, la complicité avec les savoureuses charcuteries : coppa, lonzu, prisuttu, salami, les odorants fromages (en évitant les plus forts) : brocciu, tome d’Appietto, brebis de Bastelicaccia, est évidente. Mais ce vin, surtout avec quelques années de plus, exprimera encore mieux sa race avec les préparations marines : poissons de roche grillés, aïoli, bouillabaisse corse (aziminu), langoustines à l’ail et tomate, carpaccio d’empereur, denti au four, dont le goût s’enrobe de laurier, de fenouil, de tomates à la provençale. Pour Olivier Poussier, un gaspacho de homard à l’huile d’olive ou une langouste simplement grillée le sublimeront.

La beauté de cette île qui porte bien son nom, n’est plus à vanter, et il faut savoir découvrir certains villages perdus dans la montagne, contempler la mer du haut d’une corniche, admirer ses côtes escarpées, humer les violentes fragrances d’une nature luxuriante, déguster ses savoureux produits et goûter ses admirables vins, dont le renouveau qualitatif est un exemple pour les viticulteurs continentaux. Et n’oubliez pas de les acheter sur place, car, depuis un certain Napoléon Bonaparte, les taxes et droits de régie y demeurent abolis.




Chateauneuf-Du-Pape : Les Arpents des Contrebandiers 2011

Quoiqu’en pensent certains, les guides œnologiques peuvent être sacrément utiles. Ainsi je n’aurais jamais songé à goûter les vins du Mas Saint-Louis, si la dernière parution du Bettane et Desseauve n’avait consacré « révélation de l’année » ce domaine constitué il y a plus de 100 ans par Jean-Louis Geniest.

379 – Il fit l’acquisition en 1909 de la maison vigneronne en plein cœur de Châteauneuf, pour y vinifier les récoltes produites par ses parcelles situées autour d’un vieux mas qui allait donner son nom au domaine et qui, encore maintenant, sert de chai d’élevage. Son petit-fils Louis acquit, au fil des ans, de nouvelles parcelles de vignes, regroupa certaines par des échanges et aboutit ainsi à un domaine homogène de plus de 30 ha d’un seul tenant autour du mas. Jusqu’à ces dernières années, ce vignoble restait ultraconfidentiel, les propriétaires successifs négligeant toute publicité, ne présentant jamais leurs vins, ne recherchant ni notation, ni louange des critiques, se contentaient d’une clientèle fidèle, mais vieillissante.

Au décès de son mari il y a 5 ans, Monique Geniest, pourtant octogénaire, décida de tout restructurer avec l’arrivée de son neveu, Vincent Tramie, s’entourant d’une équipe jeune, motivée et compétente. Les installations sont rénovées : mise en place de cuves béton neuves, acquisition de barriques et de mi-muids permettant une vinification par parcelles, dosage de l’extraction, affinage de l’élevage. Bien lui a prît ! Le terroir au sud-est de Châteauneuf, sur la partie basse de l’appellation, est sous-estimé par les spécialistes, mais les sols sablonneux, les terrasses de galets roulés, les strates de mollasse burdigalienne se révèlent idéaux pour la réalisation de grands vins.

La culture traditionnelle, mais raisonnée, limite considérablement l’utilisation des produits chimiques. Les grenaches sont taillés en gobelet, les syrahs soigneusement palissées. Un ébourgeonnage important, des vendanges au vert, s’il n’y a pas de coulure, limitent les rendements aux alentours de 25-30 hl/ha. Lors des étés trop secs, une irrigation au goutte à goutte préserve la vigne. Les vendanges totalement manuelles, dont la date soigneusement choisie sur des critères stricts, sont régulièrement tardives de façon à obtenir la maturité optimale des raisins, dont le tri très attentif s’effectue lors de la cueillette. Les raisins sont foulés, avant d’être chargés vers de vastes cuves béton qui, pour les élaborateurs, assurent une meilleure maîtrise thermique pour les fermentations qui se prolongent sur un mois avec trois délestages, des pigeages et remontages biquotidiens permettant une extraction optimale. Le pied de cuve est constitué par des raisins non égrappés représentant 10 % du total. L’élevage en demi-muids et barriques de chêne français s’étend, pour la cuvée 2011, sur neuf mois. Lors de la mise en bouteille, filtrage léger, sans collage.

Surprenant et charmant

La cuvée, les Arpents des Contrebandiers, assemblant 75 % de grenache, 15 % de syrah, quelques pincées de cinsault et mourvèdre, est issue de vieilles vignes, 50 ans de moyenne, sur des parcelles privilégiées des lieux-dits, la Côte et la Lionne, dont le terroir particulier procure des intensités colorantes et aromatiques remarquables.

Ces Arpents 2011 s’avèrent d’emblée surprenants, car ce vin se présente « masqué », pour déconcerter et charmer le dégustateur : première impression d’un grand pinot bourguignon, puis arômes d’une noble syrah (pourtant minoritaire dans l’assemblage) du Rhône septentrional. La robe intense et vive d’un grenat profond révèle des nuances pourpres avec une pointe orangée. Le nez découvre des flagrances florales de tubéreuses, d’iris, de pivoine, fruitées de cerises noires, griottes. Les épices, réglisse, poivre blanc, forment une séduisante aromatique. Sur le palais, ce vin apparaît élégant et profond avec une délicieuse délicatesse. La belle harmonie entre fruit, alcool et sucre, l’équilibre sans aucune note d’élevage, la finesse et le soyeux des tanins, la texture solide, quoique légère, la longueur dévoilant « in fine » des arômes de truffes, de fruits noirs confiturés, transportent d’enthousiasme.

Et, pour comble de plaisir, les tarifs incroyablement modestes, aux alentours de 20 euros pour cette cuvée, la positionnent comme un des meilleurs rapports qualité/prix de toute la vallée du Rhône.

Un vin d’hiver par excellence

Le Châteauneuf-du-Pape, par la chaleur que lui transmet sa force alcoolique, 14°5 en l’occurrence, est un vin d’hiver par excellence restituant le soleil reçu pendant l’été. Il se magnifie donc avec des plats riches et puissants en goût : pavé ou queue de bœuf sauce marchand de vin, bœuf bourguignon. Dans sa prime jeunesse, il accompagnera agréablement : confits, canard braisé aux navets, pieds paquets, tout comme les saveurs épicées et pimentées des tajines. Bien-sûr, les châteauneufs ont besoin de vieillir, pour exprimer leur race, mais ces Arpents 2011 du mas Saint-Louis ont déjà cette opulence, ce moelleux, ces notes poivrées et truffières qui leur font épouser avec délice, truffes sous la cendre, œufs brouillés aux truffes et, pour vos réveillons futurs, un chapon ou une dinde rôtie aux truffes. Les partenaires privilégiés de cette cuvée restent les gibiers plutôt à poils qu’à plumes : gigue de chevreuil sauce grand veneur, côtes de sanglier aux poires, civet de lièvre, dont le goût très fort et la sauce liée au sang sont adoucis par la finesse des tanins. L’accord suprême se fera avec un lièvre à la royale, dont la sauce tournée au foie gras sublimera l’onctuosité du vin. Les notes bourguignonnes de ce vin permettent un bel accord avec les fromages affinés de Bourgogne, tels qu’époisse, citeaux, ami du chambertin.

Alors oui, quelle merveilleuse découverte ou inconnue, pour plagier les experts, que ce mas Saint-Louis, profitez-en avant qu’il ne devienne introuvable !

Chateauneuf-Du-Pape : Les Arpents Des Contrebandiers 2011 – Mas Saint-Louis 84230 Chateauneuf-Du-Pape




Miraval Pink Floyd 2013 – Côte de Provence rosé

Ils ont convolé. Qui ? Angelina Jolie et Brad Pitt. Quand ? Le 23 août 2014. Où ? Dans leur propriété de Provence, le château de Miraval. Comment ? Dans la plus stricte intimité et le plus grand secret, entourés de leurs six enfants et de quelques amis, devant un juge américain dans la petite chapelle du château.

Vin600376 – Ainsi, le journal Le Cardiologue deviendrait un magazine « people » se penchant sur l’union de ce couple célébrissime, la sulfureuse Angelina Jolie ayant longtemps revendiqué sa bisexualité et le gendre idéal, Brad Pitt, ne dédaignant cependant pas de faire le coup de poing avec les paparazzis ?

En fait, c’est le domaine viticole du château Miraval qui m’intéresse. En effet, la nouvelle carrière vigneronne des deux stars hollywoodiennes débute en 2008 par l’achat de cette propriété dans le Var pour la coquette somme de 60 millions de dollars, la bâtisse du XVIIe siècle ne compte pas moins de 35 chambres, le domaine s’étend sur 800 ha, dont 45 de vignes complantées de cabernet sauvignon, syrah, grenache blanc et noir, rolle, cinsault. Le terroir argilocalcaire, blotti dans une vallée boisée, le vignoble s’épanouissant sur des terrasses à une altitude de 350 mètres balayées par les vents, permettant un climat assez frais avec des gradients importants de température, bénéficient de conditions très favorables pour la viticulture. L’eau, inestimable richesse en Provence, coule en abondance. Les traditionnelles restanques en pierre sèche, quelque peu usées, restaurées à l’ancienne participent à la beauté du site. Angelina Jolie et Brad Pitt tentent d’appliquer leur image « glamour » aux vins du domaine, et pour améliorer leur qualité, s’associent en 2013 avec Marc Perrin, propriétaire du très réputé Château de Beaucastel à Châteauneuf-du-Pape, pour prendre en charge la vinification du domaine Miraval qui produisait, depuis près de 30 ans, des vins bio certifiés en vendanges manuelles. Il apporte d’emblée un certain nombre d’améliorations : remplacement des cuves inox, bâtonnage de 10 % des vins.

Vous connaissez ma réticence envers les rosés, tout particulièrement ceux de Provence, mais je n’ai pu résister, durant cet été, à la curiosité de déguster le vin des « Brangelina », d’autant que j’apprenais que le magazine The Wine Spectator l’avait tout bonnement désigné meilleur rosé du monde !

Un hommage au groupe mythique

Ce rosé Miraval 2013 Pink Floyd, ainsi baptisé en hommage au groupe mythique qui venait enregistrer ses disques dans le château, bien avant son achat par les Pitt, assemblant cinsault, grenache noir, syrah et rolle, est obtenu par pressurage (rosé de presse). Il repose dans une bouteille aussi sexy qu’élégante, dont les hanches plantureuses n’évoquent pas vraiment celles d’Angelina. Son étiquette fait apparaître en très petites lettres : mis en bouteille par Jolie, Pitt et Perrin, ce qui est foncièrement honnête, car on imagine mal Brad ébourgeonner les ceps ou Angelina guider les assemblages.

La robe rose églantine pâle n’attire pas l’attention par un blush trop séduisant. Des arômes floraux avec des notes douces de rose, puis fruités avec des saveurs de groseille, de fraise des bois, de framboise sauvage, de zestes de citron vert, envahissent le nez. Dès la première gorgée, une structure délicate, une acidité rafraîchissante se développent en bouche. Certes, ce vin n’a pas la puissance ou la corpulence de certains rosés des Côtes du Rhône ou de Bourgogne, mais sa finesse prononcée, sa subtilité aérienne, malgré ses 13 ° sont tout à fait charmants. Une pointe de minéralité offre une belle persistance et une agréable finale sur le poivre blanc.

Il s’agit d’un excellent rosé de Provence qui n’est, ni un vin de gastronomie, ni encore moins le meilleur rosé du monde, n’en déplaise aux laudateurs d’outre-Atlantique, mais qui se situe dans une gamme de prix très convenable, bien inférieure à celle de nombre de rosés prétentieux de Provence.

Il s’appréciera parfaitement sous le soleil de la Côte d’Azur, au bord de la Méditerranée, en apéritif avec une tapenade, une anchoïade, des olives de Lucques, des poivrons marinés dans l’herbe et l’huile d’olive. Il épousera avec plaisir des poissons grillés, tels des sardines, des rougets au barbecue, un loup juste sorti de l’eau. Il s’accordera avec des salades italiennes ou niçoises, des pâtes avec une sauce un peu relevée, des gambas à la plancha.

Brad Pitt est l’un des héros du film « The billionnaire’s vinegar » qui doit prochainement sortir et relate l’histoire de bouteilles grandioses ayant appartenu à Thomas Jefferson, mystérieusement retrouvées en 1985, vendues à des prix exorbitants et qui se sont finalement révélées être des faux… Mais rassurez-vous, le rosé de Miraval ne triche pas et n’est pas vinaigré.




Saint-Pourcain Authentique 2011

 

Le vignoble de Saint-Pourçain, partie intégrante de l’appellation Auvergne sis dans le Bourbonnais à 60 km de Clermont-Ferrand, pratiquement au centre de l’Hexagone, est reconnu comme l’un des plus anciens de France. 

374 – La réputation de ses vins a largement précédé l’avènement de la dynastie des Bourbons, puisqu’ils étaient servis à la table de Saint-Louis et des papes d’Avignon, mais devinrent presque le breuvage officiel de la cour de

Louis XIV. Les vignes couvraient 8 000 hectares fin XIXe siècle, mais furent totalement détruites par le phylloxera. Sa renaissance difficile, du fait du morcellement des terres, de la désaffection des paysans, de l’émergence des vins de Bourgogne et de Loire, lente et progressive, doit beaucoup à l’union des vignerons de Saint-Pourçain qui obtinrent tout récemment, en 2011, leur classement en AOC après restructuration des parcelles, 70 % du vignoble actuel renouvelé depuis 30 ans, plus de 500 ha replantés depuis 1978 sous forme de clos homogènes. La superficie actuelle atteint difficilement 700 ha complantés en blanc, et rouge, à mon avis, la couleur de loin la plus intéressante grâce au mariage du gamay et du pinot noir, dit ici neyrou.

Ce Saint-Pourçin, une redécouverte !

J’ai tout récemment redécouvert ce Saint-Pourçain qui m’a comblé par sa qualité, mais aussi par son prix très compétitif inférieur à 10 Ä. Le domaine de Lionel Vernois de 9 ha, sur les communes de Saulcet et Bransat, est situé sur des terrains argilo-calcaires pour l’essentiel et granitiques.

Le travail dans la vigne et le chai est tout à fait traditionnel, mais strict, respectant la plante et le vin. Les produits chimiques sont utilisés avec parcimonie. Un ébourgeonnage systématique et un rognage limitent les rendements aux alentours de 40 hl/ha. Les vignes ne sont désherbées que sur 70 cm sous les rangs, pour la plupart en taille Guyot, mais restent enherbées entre eux, ce qui limite considérablement les désherbants

Les vendanges, malheureusement mécaniques, éraflent d’emblée les grappes qui sont pressurées pneumatiquement à l’arrivée au chai, la macération est courte, la fermentation par levurage exogène en cuves émaillées ou en fibre de verre sous contrôle des températures, dure 10 jours. L’élevage dans les mêmes cuves, sans utilisation de bois, s’étend sur 6 mois avec remontage et pigeage. La mise en bouteille s’effectue, sans collage, après légère filtration. La cuvée Authentique assemble 60 % de gamay et 40 % de pinot noir qui sont vinifiés séparément.

Parée d’une robe rubis aux vifs reflets carmin, ce Saint-Pourçain Authentique 2011 révèle des arômes de fruits, fraise, cerise, groseille, signant le gamay, rehaussé par des notes épicées de clou de girofle, de muscade. Le palais est tapissé par une vraie matière conjuguant délicatesse des arômes de fruits et de fleurs, violette, pivoine, texture gentiment tannique, tension minérale. La palette d’ensemble est surprenante incluant fruits, épices et sous-bois. La finale est franche, fraîche, légèrement persistante sur le poivre blanc.

Un vin d’ambiance

Au premier abord, il s’agit d’un rouge léger, gourmand, fruité, mais qui, grâce à ses notes bourguignonnes inhérentes au pinot noir, mérite d’être dégusté avec des plats complices, avec lesquels il déploiera, alors, tout son charme. Conformément à l’adage : « à cuisine régionale, vin de la même provenance », ce Saint-Pourçain accompagne à ravir la robuste gastronomie auvergnate. Sa gaieté et son fruité en fait un vin d’ambiance, de comptoir qui supporte d’être bu debout, jeune et frais, avec les savoureuses charcuteries et cochonnailles, saucisson, saucisse sèche, godiveau, jambon sec, pâtés, terrines, rillettes, etc. Il ne se déplaira nullement en compagnie des excellents fromages locaux : saint-nectaire, cantal plutôt jeune et suave, que vieux et corsé, salers, gaperon.

Après quelques années, ce vin extériorisera ses notes bourguignonnes et appellera à la table les belles spécialités régionales : le poulet bourbonnais à la crème de Cérilly, le coq au vin de Saint-Pourçain, le chou farci, la potée auvergnate, les saucisses ou les pieds de porc accompagnés de truffade ou d’aligot, les tripoux ou le pounti cantaliens.

La reconnaissance de l’Auvergne

Les vignobles d’Auvergne, malgré les destructions du phylloxera, n’en finissent pas de lutter, pour renaître et se faire reconnaître. À l’instar de ce Saint-Pourçain, ils le méritent compte tenu de leur progression qualitative et de leur exemplaire rapport qualité-prix. Mais j’apprends que Lionel Vernois « jette l’éponge », en fait prend sa retraite de vigneron, sans successeur. Heureusement, son domaine va être repris par la cave Nebout qui s’occupait déjà, depuis quelques années, de la vinification ; ainsi, j’espère que la devise de la région : « sem d’Auvernha, lachem pas » (nous sommes d’Auvergne, ne lâchons pas), se trouvera confirmée.

Saint-Pourcain Authentique 2011
Lionel Vernois 03500 Saint-Pourcain/Sioule

 




Vouvray demi-sec 2007

Selon la légende, le futur Saint-Martin ermite, puis évêque, aurait rapporté de Pannonie, un pied de vigne (du chenin ?), dont les moines développèrent ensuite la culture, qu’il planta au-dessus de l’abbaye de Marmoutier, qu’il avait créée en 372. Ainsi débute l’histoire du chenin, et de toutes ses déclinaisons, effervescent, sec, demi-sec, moelleux et liquoreux, avec ses succès et ses tragédies.

En effet, ce cépage, capable d’engendrer de grands vins, peut également produire des breuvages lourds ou abâtardis, si on ne soigne pas correctement la vigne en limitant sa vigueur, si on chaptalise le vin ou si on laisse opérer la malo-lactique qui fait chuter les acidités et cette sensation spécifique de « tranchant ». Divers écueils que sait éviter Philippe Foreau, un des maîtres du vignoble vouvrillon, au Clos Naudin.

Créé en 1910, par son grand-père, grâce à l’achat d’anciennes vignes, le Clos Naudin, dès cette époque, vendait directement son vin en bouteilles. Il s’étend actuellement sur 12 ha, exclusivement planté en chenin, situés en Premières Côtes, considérées par beaucoup pour donner les meilleurs crus, à flanc de coteaux dominant la Loire. Les sols, pour la plupart, sont composés d’argiles à silex riches en cailloux appelés ici « perruche ». Le sous-sol, c’est le fameux tuffeau du Turonien chargé en calcaire épais que les vignerons ont creusé, pour en faire leur cave et parfois leur habitation.

Le domaine pratique la sélection massale (1) pour les replantations, mais un tiers des vignes a plus de 40 ans. La culture de type bio ne comporte qu’un seul traitement phytosanitaire de synthèse, uniquement en cas de risque avant la fleur. Le désherbage se fait mécaniquement par labour et décavaillonnage évitant ainsi les herbicides. La lutte contre les parasites utilise la méthode de confusion sexuelle. Tout autre produit chimique, insecticide, engrais est banni. Les vignes plantées à 6 000 pieds/ha sont fortement taillées et ébourgeonnées, pour limiter les rendements à 35 hl/ha.

La production de vins demi-secs et moelleux bénéficie du climat océanique tempéré et de la douceur apportée par la Loire, mais nécessite certaines conditions favorables : automne sec et ensoleillé, vents forts soutenus, pour « sécher » le fruit, afin d’obtenir une maturation optimale du chenin et sa richesse en sucre, dont une partie ne pourra ainsi être fermentée. Ce sucre résiduel déterminera le classement en demi-sec (15 à 30 g), moelleux (30 à 50 g), liquoreux (plus de 50 g). Le botrytis, désiré en Anjou, n’est pas souhaité à Vouvray, en particulier par Foreau. La récolte, obligatoirement manuelle, par tries successives, parfois grain sur grain, permet de sélectionner les différentes cuvées en fonction de leur charge en sucre.

Les raisins sont pressurés pneumatiquement. La vinification naturelle grâce aux levures présentes sur la peau s’effectue en fûts de 300 litres, avec un maximum de 5 % de bois neuf, dans la splendide cave en tuffeau, dont la basse température permet une fermentation lente. L’élevage en fûts, avec un minimum de soufre, ne se prolonge pas au-delà de 6 mois, car le bois, selon Foreau, modifie la personnalité du chenin.

 

Une élégance remarquable

Avec sa robe éclatante jaune or parée de reflets topaze, ce vouvray demi-sec Clos Naudin 2007 est incroyable de densité et de richesse en bouche traduisant une superbe pureté de fruit. Des arômes d’agrumes, orange sanguine, pamplemousse rose, pomelo, rejoints par l’abricot, le chèvrefeuille, le coing et le massepain, envahissent le nez. En dépit de ses notes profondes douces amères de pépins de fruits, il atteste d’une élégance remarquable, et d’un équilibre presque parfait entre fruit et acidité. Cette acidité prégnante presque mordante, colonne vertébrale dirigeante des vins de Foreau, masque les 18 g de sucre résiduel, mais pas cette richesse exotique et cette complexité comparables à un pur-sang retenu dans son paddock. Sa longue finale se distingue par des notes minérales de craie, de gingembre et de douces fleurs d’une persistance proverbiale.

Oui, décidément, Philippe Foreau, gourmet passionné, sait transmettre dans ses vins le bonheur de les projeter dans l’espace qui leur revient : les grandes tables.

 

Un délice pour le cuisine thaï

Ce vin, grâce à son énergie et sa fraîcheur, sans excès de douceur, ses senteurs d’agrume et de coing, convient admirablement à la gastronomie et sublime la cuisine exotique sucrée-salée. Les poissons en sauce : sole à la crème, lotte à l’armoricaine, filets de cabillaud aux agrumes, une pastilla de pigeon ou mieux de poisson, la cuisine thaï, crevettes à l’aigre-douce, un ris de veau croustillant aux écrevisses selon Senderens, l’épouseront avec délice. J’ai un coup de cœur personnel avec deux préparations : le foie gras poêlé au coing et le canard à l’orange.

Bien que les vouvrays moelleux soient les plus adaptés aux desserts, ce demi-sec ne se déplaira pas en la compagnie d’une crème catalane, d’un gâteau aux poires ou d’un soufflé aux coings.

Philippe Foreau résume ainsi sa philosophie : « Boire du vin, au-delà de la gorgée avalée, c’est s’interroger sur les mystères de son goût, c’est comprendre son origine, son cépage, son terroir, c’est deviner les conditions climatiques qu’il a reçues ».

(1) Une technique qui permet de changer un pied de vigne tout en conservant une haute qualité de production, notamment lorsque le vignoble possède de très vieilles vignes de qualité.

 

Vouvray demi-sec 2007 – Domaine du Clos Naudin – 37210 Vouvray

 




Château du Champ des Treilles 2011

vigneNe le celons pas, les prix des grands Bordeaux rejoignent actuellement la fantasmagorie ! Pour preuve : Angélus 2009 352 €, Cheval Blanc 2011 560 €, Lafitte 2011 572 €, Mouton 2010 791 €, Pétrus 2006 1 980 € ! Pas de méprise, ces prix hallucinants ne s’appliquent pas à une caisse de 6, mais à UNE bouteille ! Quel Français peut encore s’offrir de tels joyaux éphémères ? Certainement pas un cardiologue…

Heureusement, il est encore possible de déguster d’excellents « petits » Bordeaux aux alentours de 12 euros, tel le Champ des Treilles, beau domaine situé au sud de Sainte-Foy-la-Grande.

C’est en 1998 que, délaissant l’industrie agro-alimentaire, Corinne Comme reprend avec son époux, Jean-Michel, directeur technique du cru classé de Pauillac, Pontet-Canet, la petite exploitation familiale comptant maintenant 10 ha de vignes. La biodynamie s’est imposée à Corinne comme la meilleure solution pour le respect de la vie des sols, de la nature des cycles et de la santé des humains. C’est un retour au « bon sens » qui lui a permis de bannir tout geste inutile ou violent comme l’écimage, l’effeuillage ou les vendanges vertes. Ne cédant pas à la tentation du « tout-merlot », elle a aussi misé sur le petit verdot très à l’aise sur ses sols argilo-calcaires. Depuis 12 ans, l’accent est mis sur l’augmentation de densité de plantation, pour atteindre 10 000 pieds/ha en taille Guyot simple et double à l’instar des grands crus médocains que connaît bien Jean-Michel. Cette conduite, plus onéreuse, améliore la colonisation racinaire, la répartition des grappes et leur exposition au soleil. Le sol enherbé est labouré et décavaillonné, pour retourner la terre et éviter les herbicides.

L’agriculture biologique et biodynamique exclut évidemment tout intrant chimique. Si nécessaire, une fumure organique, des traitements à base de tisanes de plantes contribuent à améliorer la vie du sol.

Les raisins, récoltés manuellement à belle maturité en cagettes, passent sur la table de tri dès leur arrivée au chai. Les moûts fermentent spontanément en cuve inox grâce aux levures naturelles du raisin. Chaque parcelle est vinifiée séparément, les schémas de vinification étant adaptés à chaque terroir, afin d’exprimer au mieux leurs propres spécificités. Après la fin de la malo-lactique, le vin est soutiré et élevé 12 mois en fûts de chênes français. Comme à la vigne, toute action violente est bannie dans le chai, les extractions s’opérant tout en douceur. L’assemblage du Grand Vin du Champ des Treilles comporte 63 % de merlot,
20 % de cabernet franc, 9 % de cabernet sauvignon, 8 % de petit verdot.

Livré sur une robe brillante grenat sombre, paré de beaux reflets pourpres, ce Château des Treilles 2011 exhale au nez un bouquet aromatique intense très merlot de fruits noirs : cassis, mûre, griotte. Cette corbeille de fruits est soulignée par des flaveurs d’épices : cannelle, coriandre, menthe poivrée, de truffe et de réglisse qui se succèdent en une folle farandole. En bouche, la fraîcheur, la finesse, la douceur dominent avec beaucoup de suavité, de velouté grâce à une structure tannique fine, mais serrée sur un beau fil d’acidité. La finale est longue et persistante sur des notes de fruits noirs, auxquelles viennent s’ajouter des senteurs de terre chaude, de caillou frotté et de bois exotiques, en regrettant peut-être un peu de sécheresse terminale.

Ce vin encore jeune évoque les parfums d’une prairie en fin d’été, sur laquelle le crépuscule tombe doucement, qui se transforment dans un verger rempli de fruits pleins de couleurs, annonçant ainsi un beau potentiel de garde.

Avec sa finesse si particulière, ce vin de Sainte-Foy Bordeaux est un excellent compagnon pour une cuisine à son image délicate et raffinée. Un rumsteck saignant sauce Choron grosses pommes frites, une souris d’agneau confite aux épices douces, tagines de légumes, un carré de veau au soja, endives aux zestes d’orange amère lui feront fête, tout comme les classiques cèpes à la bordelaise. Je lui ai personnellement présenté une cuisse de pintade farcie qu’il a gaillardement escortée. De façon plus originale, il s’accordera avec certaines préparations marines : blanquette ou navarin de la mer, praires farcies, risotto de crevettes au curry.

N’acceptons pas la frénésie des prix des seigneurs bordelais et suivons Corinne C. qui aime ses vignes, et mieux leur fait confiance. Elles le lui rendent bien, engendrant des vins particuliers peut-être, mais sans maquillage, et qui laissent parler le terroir.

Château du Champ des Treilles 2011
Sainte-Foy Bordeaux 33220 Margueron



Côtes du jura : Fleur de Marne-la-Bardette 2008

371 – Ouiller ou ne pas ouiller ? Telle est le dilemme shakespearien soulevé par la talentueuse nouvelle vague des vignerons jurassiens.

vinjura150pxPendant longtemps, les vins blancs secs du Jura étaient appréciés par un nombre restreint d’amateurs pour leurs originalité et typicité : élevés sous voile selon la méthode traditionnelle, où l’évaporation dans les fûts n’est pas compensée par rajout de vin (ouillage), afin d’éviter la persistance d’une bulle d’air provoquant la piqûre acétique, c’est-à-dire le vinaigre.

Or, dans le Jura, le vin, en particulier le cépage savagnin, se protège par la constitution d’une pellicule levurienne, le voile, qui permet une oxydation lente et progressive accentuant les arômes. L’expression majeure de cette vinification hétérodoxe est représentée par le vin jaune, où le savagnin, maturant plus de 6 ans en fût, acquiert ses saveurs inimitables de noix, de curry et de morille.

Et puis vint Jean-François Ganevat, vigneron à forte personnalité, militant pour l’abandon du voile, privilégiant les beaux chardonnays du sud du vignoble, prônant une vinification classique à la bourguignonne avec ouillage, une culture biologique, puis biodynamique, un élevage parcellaire…

D’abord sceptique

Comme nombre d’amateurs, j’étais sceptique (Le Cardiologue n° 309) avant de découvrir ses fabuleux vins, ainsi que, grâce à un ami cardio-œnologue dôlois, ceux plus accessibles et moins onéreux de son proche voisin de Rotalier, Alain Labet, qui utilise strictement les mêmes méthodes.

Alain Labet travaille maintenant avec son fils Julien qui gère la vinification et crée ses propres appellations sur un domaine né en 1974, actuellement de 13 hectares, avec une forte dominante de blancs de chardonnay. Les plus belles cuvées, regroupées sous le nom de Fleur de Marne, proviennent de vignes de plus de 60 ans issues d’anciennes sélections massales à l’époque où les clones n’existaient pas.

Cultivées sur des marnes, terres sédimentaires du Lias avec un socle calcaire du Bathonien, les meilleures vignes poussent en pente douce, exposées ouest à une altitude de 250 mètres. L’agriculture, strictement bio sur certaines parcelles, n’utilise quasi aucun produit chimique, ni engrais. Le travail est manuel : griffage pour désherber, labourage, taille Guyot classique courte, traitements biologiques.

Les vendanges manuelles en caissettes s’étendent sur 1 mois, avec un tri sévère sur pied et au chai. Le raisin non éraflé est pressé pneumatiquement, le jus débourbé au bout de 12 heures, puis remis en suspension pour une fermentation spontanée à partir des levures présentes naturellement dans la vigne, différentes d’une parcelle à l’autre qui donnent ainsi au vin sa personnalité et ses typicités aromatiques. Cela explique, chez les Labet, le dogme des cuvées parcellaires issues d’une seule vigne portant le nom du lieu-dit, où il est né.

Le vin est élevé sur lie en barriques, sans soutirage pendant 12 à 24 mois. Elles sont complétées chaque semaine, pour prévenir l’oxydation et interdire le voile. Le bois neuf est exclu. La mise en bouteille s’effectue, sans collage, ni filtration.

Habillée d’une robe or pâle limpide aux reflets verts, cette Fleur de Marne Bardette 2008 exprime une matière séveuse juvénile et une personnalité charnue épicée. Le nez est charmé par la délicatesse des fleurs de chèvrefeuille, d’aubépine, de camomille associée à la fraîcheur d’agrumes mûrs. La bouche, envahie par des arômes d’épices, poivre blanc, cumin et de fruits, pamplemousse et abricots confits en une richesse un peu échevelée, regorge de saveurs minérales tempérées par un plaisant gras et une fine acidité typiques du sol de marnes sur socle calcaire. La finale tendue et longue confirme la noblesse de ce chardonnay jurassien. Ce vin évoque d’innombrables fleurs délicates qui se balancent sous le doux soleil de l’automne, leurs pétales aux couleurs tendres tremblant et s’abandonnant sous le murmure de la brise.

Un grand vin de gastronomie

A l’évidence, ce chardonnay du Jura la Bardette, doté d’une minéralité tranchante qui titille les papilles, est un grand vin de gastronomie. Il dédaignera les classiques fromagers jurassiens, raclettes, fondues et autres tartiflettes, mais se complaira avec des plats plus élaborés : pavé de saumon sauce fumée au lard, lieu jaune moutarde à l’ancienne, barbue ou plus prosaïquement cabillaud au jus de carottes selon Piège, salade ou tartare de Saint-Jacques aux truffes, filets de perche à la hollandaise. Les poissons de rivière et de lac, les écrevisses lui feront la fête. Il accompagnera plaisamment de belles viandes blanches, telles une escalope de veau comtoise, une volaille crémée et truffée. Il s’accordera plus avec des fromages locaux doux : mont d’or, morbier qu’avec les vieux comtés ou beauforts qui, eux, se roulent de plaisir avec le savagnin.

A Alain Labet, la conclusion : à travers mes vins, je laisse s’exprimer la personnalité d’un cépage, d’un lieu, d’un sol, d’un terroir. Le vigneron n’est que l’interprète de cette partition écrite par la nature.

Jean Helen

Domaine Labet 39190 Rotalier

 




Faugères : Domaine Saint-Antonin Magnoux 2010

Magnoux370 – Gros rouleurs de mécanique, potions « high-tech » généreuses à haut indice d’éthanol, tels étaient les reproches habituellement adressés aux vins rouges du Languedoc… Mais de jeunes viticulteurs talentueux, ainsi que nous l’avons déjà signalé (Le Cardiologue 312 et 334), ont totalement modifié ces jugements, en confectionnant des vins modernes privilégiant la finesse, l’élégance et la fraîcheur au détriment de la puissance brute, du punch et du degré alcoolique grâce à la prédominance des cépages rhodaniens, syrah, grenache sur les méditerranéens, carignan, cinsault.

Le domaine Saint-Antonin illustre parfaitement cette évolution signant, pour Parker, l’un des meilleurs vins du Sud de la France. Frédéric Albaret, après plusieurs années d’expériences viticoles à Châteauneuf et en Languedoc, prend la décision de créer « ex nihilo » son domaine en 1994 d’une superficie initiale de 14 ha, montée actuellement à 26 ha, dans l’aire d’appellation Faugères sur le terroir schisteux typique de la région qui apporte gourmandise et suavité aux vins. Après avoir, des années durant, cassé le schiste de ses propres mains, ce vigneron passionné voit sortir de terre, en 2000, un tout nouveau chai et une cave de stockage incrustés dans la colline. Les vignes, plantées en plateau, sont bien exposées, mais cependant relativement protégées de l’ensoleillement intense.

Frédéric Albaret procède à une viticulture entièrement naturelle certifiée bio depuis 2012, éliminant tout intrant chimique, gardant son sol bien vivant. La taille est en gobelet, sauf pour les syrahs en cordon de Royat. Les terres non désherbées sont labourées, un ébourgeonnage strict limite les rendements à 25 hl/ha, évite les vendanges au vert et aère les souches. Un léger effeuillage pendant l’été peut s’y associer.

Les vendanges manuelles en cagettes font l’objet d’un double tri sur table. Les raisins, sauf les mourvèdres, s’ils ont souffert de la chaleur, sont totalement éraflés, pressurés pneumatiquement et macèrent dans des cuves de 80 hl. La fermentation par levurage naturel s’étend sur 1 mois avec une extraction douce, sans sulfitage, grâce à un léger remontage journalier, pour humidifier le chapeau, sans pigeage, ni bâtonnage. L’élevage dure un an en foudres et demi-muids, puis une année supplémentaire en cuve avec un sulfitage minimal : légère filtration avant la mise en bouteilles, sans collage. L’assemblage varie selon les millésimes, pour le Magnoux 2010 : 70 % de syrah, 20 % de mourvèdre, 10 % de grenache.

Une invitation pour flâner au milieu de la garrigue

Parée d’une robe sombre rubis profond, aux reflets et disques pourpres limpides, aux larmes abondantes, cette cuvée Magnoux 2010 donne d’emblée l’impression de flâner dans la garrigue, puis de pénétrer doucement dans un jardin d’épices. Une profusion de fruits noirs, cassis, confiture de mûre, d’herbes de Provence, thym, origan, d’épices, cannelle, poivre noir, réglisse envahissent le nez. En bouche, ressortent, dans une richesse profonde et moëlleuse, des saveurs de viande rôtie, de noyaux de fruits, d’iode, de poussière minérale procurant une sensation douce-amère intense, mais avec beaucoup de fraîcheur qui masque parfaitement le 14,5 degré d’alcool. Les tanins, malgré la forte charpente, sont d’une grande finesse et le boisé fondu presqu’imperceptible. Sa longue finale tapisse le palais avec raffinement.

Ce vin, par ses arômes de garrigue et de fruits noirs, convient parfaitement à un jambon de montagne ou un ballota espagnol accompagné d’une salade de tomates à l’huile d’olive. Grâce à ses notes sudistes, il épousera avec délice toutes les recettes traditionnelles du midi : lapin au thym, carré d’agneau au romarin et artichauts, caille à la tapenade, daube provençale. Servi frais, il accompagnera grillades, pièce de bœuf, poulet rôti, viandes blanches. Doté d’un très bon potentiel de garde, il pourra attendre 5 ou 6 ans, pour fêter un gibier à poil ou un faisan au raisin. Gardez un fond de verre pour un dessert au chocolat.

Il faut impérativement carafer ce vin, dont le moindre attrait n’est pas le remarquable rapport qualité/prix.

Laissons conclure Frédéric Albaret : « le premier talent du vigneron est de produire du vin qui se boit. Le plus important, en définitive, ce n’est pas l’appellation, mais la personnalité du vin et du vigneron qui est derrière ».

J. Helen

Faugères : Domaine  Saint-Antonin Magnoux 2010

Frédéric Albaret – 34480 Cabrerolles




Après l’œnologie, la biérologie

beers on bar counter
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367 – Vincent Blanchard – A l’instar des concours d’œnologie, la dégustation à l’aveugle fait bien évidemment partie des épreuves. Mais pas seulement. Pour décrocher le titre tant convoité, tous les jeunes biérologues doivent réaliser des tests d’association mets-bières mais aussi proposer une recette de cocktail de bières. A l’issue d’une journée complète passée à déguster blondes, brunes et autres blanches – toutes artisanales –, c’est un jeune homme de 23 ans qui décroche la palme. Antoine Vidal est le nouveau meilleur biérologue de l’année 2013, un titre décerné tous les ans depuis 2005.

L’intérêt des bières artisanales

Car la biérologie est un phénomène récent qui va de pair avec l’intérêt croissant de la population pour les bières artisanales. « Les mentalités sont en train d’évoluer et les gens apprécient désormais déguster une bonne bière, pas une bière industrielle sans saveur », note Antoine Vidal. Lui aussi participe de ce mouvement. Comme un œnologue, il maîtrise les étapes de fabrication de la bière. Et comme un sommelier, il est capable d’accorder un plat avec une bière particulière. Et ainsi d’orienter les amateurs pour leur faire découvrir autre chose. Dans un pays tourné davantage vers la culture vinicole que brassicole, le chemin est encore long. « Mais il y a un vrai intérêt pour la bière artisanale depuis quelques années », poursuit-il.

Pour preuve, le nombre de brasseries artisanales explose. De 293 en 2008, il en existe désormais près de 500, dont 84 nouvelles en une année, selon le très sérieux Annuaire des brasseries françaises publié chaque année. La France possède désormais une solide base autour du houblon. Les brasseurs artisanaux prennent de plus en plus de poids par rapport aux géants industriels qui ont longtemps dominé voire écrasé le marché. « Nous nous sommes regroupés avec trois autres brasseurs pour mettre nos moyens en commun, améliorer la qualité de nos produits et faciliter les livraisons en France », explique Vivien Remond, un jeune brasseur de 23 ans, qui produit la Sainte Cru en Alsace. En dix-huit mois, il est passé d’un brassin tous les dix jours à deux brassins par semaine. Il entend bien poursuivre sa croissance en multipliant par deux sa production dès l’année prochaine.

L’éducation de l’amateur

Mais son développement et celui des 500 brasseurs artisanaux français passent aussi par l’éducation de la population, trop habituée à associer un vin rouge avec une viande ou un vin liquoreux avec du fois gras. « Le travail des biérologues est important dans ce sens car nous sommes là pour expliquer comment se déguste une bière avec quel plat on peut l’associer suivant la typicité de ses saveurs », poursuit Antoine Vidal. L’univers de la bière s’apprend aussi depuis peu à l’université où les formations se multiplient comme à Nancy ou à La Rochelle. « Toutes ces avancées vont dans le bon sens », note-t-il.

Tout juste diplômé en restauration, lui a décidé de promouvoir les bières françaises autrement. Il vient de participer au lancement de MaBièreBox avec deux jeunes entrepreneurs. Tous les mois, il propose à ses abonnés de les former en leur envoyant un coffret de bières artisanales qu’il a lui-même sélectionnées. Une idée simple et originale pour combiner plaisir de la bière et éducation du plus grand nombre. Un pas de plus pour faire reconnaître son breuvage de prédilection et redonner ses lettres de noblesse à un produit trop longtemps sous-estimé.




Riesling Sommerberg « E » 2009 – Domaine Albert Boxler

72photo366 – Jean Helen – « Austérité vibratoire verticale », « plénitude sphérique », « puissance tellurique », tels sont quelques qualificatifs choisis par d’éminents œnologues (Le Rouge et le Blanc), pour décrire la minéralité des vins ! On est dans la pensée, l’imaginaire, car le langage trop formaté ou la métaphore décrivent difficilement et incomplètement ces sensations tactiles et leurs représentations minérales, à tel point que, si la minéralité est intégrée par les vignerons : « la minéralité n’a pas d’odeur, elle se goûte », elle est déniée par certains spécialistes qui préfèrent les termes de salinité, sapidité, verticalité, pierrosité.

A mon humble avis, la minéralité d’un vin ne se décrit pas, elle se ressent et, à l’évidence, vous éprouverez cette sensation en dégustant les magnifiques Rieslings de Jean Boxler, tout particulièrement dans son grand cru Sommerberg. Jean Boxler, à la tête, depuis 1996, d’un domaine vieux de 4 siècles, a succédé à son grand-père Albert, puis à son père Jean-Marc, producteurs très scrupuleux et grandement exigeants. Quoique réservé, c’est un vrai passionné qui devient intarissable, lorsqu’il parle de ses chers terroirs et de son obsession à garder leur spécificité, possédant 13,5 hectares avec 2 grands crus, Brand et Sommerberg, c’est sur cette 2e parcelle que le Riesling trouve terroir d’exception, pour exprimer toute sa noblesse minérale.

Le Sommerberg (colline de l’été) est un coteau aux pentes abruptes au pied des Trois Epis à une altitude de 270 à 400 m. Le sol homogène, composé de granit et micas érodés, riche en éléments minéraux, bénéficie d’une exposition superbe, sud, sud-est. Les pieds de vigne, pour la plupart anciens (moyenne de 60 ans pour le domaine Boxler), puisent en profondeur l’humidité salvatrice lors des années de forte chaleur, car la pluviométrie est limitée. Jean Boxler exerce sur 4 hectares, dont certaines parcelles (E et D) sont parmi les plus hautes et où le travail est, dit-il, « héroïque ». Le fort dénivelé, jusqu’à 45 °, quasi sans terrasses, exige un labourage et un désherbage au treuil ou chenillard, lorsque c’est possible, mais le plus souvent manuel. Les sols, travaillés depuis longtemps sur le mode bio, sont très peu traités : en situation de coteaux, peu de risque de mauvaise pourriture, donc pas d’insecticides, pas de cuivre, car peu de mildiou, un peu de soufre pour l’oïdium. Les vignes, plantées entre 6 et 8 000 pieds/ha en taille Guyot simple, ne sont pas enherbées, pour ne pas concurrencer la vigne sur ces sols pauvres. Les rendements moyens : 30 hl/ha sont très faibles, en sachant que l’AOC autorise 50 à 60, malgré l’absence d’écimage, de rognage, de vendange au vert ; « on n’impose rien au pied de vigne, s’il y a trop de raisin dans une parcelle, on déclassera cette récolte ».

Les vendanges, déterminées sur la maturité de chaque parcelle, sont manuelles en seaux avec un tri sévère à la vigne et au chai. Le raisin entier, mis immédiatement en cuve, est pressé pneumatiquement lentement, pour extraire les moûts tout en finesse. Après un débourbage statique, la fermentation lente sur leurs levures indigènes en foudres s’étend sur 2 à 5 mois, sans recherche de la malo-lactique à température de la cave. L’élevage sur lie en foudre, sans bâtonnage, sans soufrage, dure 11 mois. La mise en bouteille ne comporte ni collage, ni filtration.

Mais la grande philosophie de Jean Boxler est la vinification parcelle par parcelle (et même micro-parcelles), sans nécessairement les assembler, de façon à préserver les spécificités et typicités de chaque terroir.

Un vin fascinant d’une grande précision

Le Riesling grand cru Sommerberg « E » (pour la parcelle Eckberg) est un vin fascinant, d’une couleur intense jaune or pale aux reflets verts, brillante et profonde. Les notes de citron vert, de pamplemousse et de poussières minérales de son nez introduisent une bouche d’une richesse et d’une matière dense saline superlatives, aux profondes saveurs d’amande fraîche, de pêche et d’agrumes onctueux. Le miel citronné et la noix de muscade soulignent la finale persistante somptueuse, mais rafraîchissante sur de beaux amers.

Ce Sommerberg, taillé au laser (ou tendu comme un string pour les jeunes…), d’une précision pure, longiligne, cristalline, laisse une persistance de saveurs qui amènent à comprendre le concept de minéralité.

Evitons de lui proposer les mets traditionnels de l’Alsace gourmande, même s’il les escorterait vaillamment, choucroute, baeckeofe, schiffele et autres wädele, car il s’agit d’un grand vin méritant des plats de haute gastronomie. En premier lieu, les poissons et crustacés, tels que proposés sur les cartes des (nombreux) étoilés alsaciens : terrine de sandre aux coquilles St-Jacques et mousseline de homard, tronçon de turbot rôti à l’os crémeuse au cep et poêlée d’asperges vertes, filets de sole à la crème ou à la nage d’écrevisses, fricassée de homard et pâtes larges au basilic, fleurette de queue de langoustine au safran et coriandre fraîche. Il câlinera la fameuse mousseline de grenouille de Paul Haeberlin. Dans un registre plus simple, il fera merveille avec des poissons de rivière : truite au bleu, brochet beurre blanc ou une volaille crémée.

Attention, les tarifs de ces magnifiques vins sont élevés, de plus, le Sommerberg « E », ci-décrit, est quasi introuvable du fait de sa rareté, car réservé à une clientèle fidèle, mais le Sommerberg classique, presqu’aussi délectable, est disponible, si on anticipe la réservation.

Pour conclure sur cette minéralité, il n’est pas étonnant que Jean Boxler, quand il nous déclare : « la minéralité, je la ressens rien qu’en regardant certaines parcelles de mes vignes », rejoigne Paul Claudel : « qui a mordu la terre, en conserve le goût entre les dents ».

• Riesling Sommerberg « E » 2009 – Domaine Albert Boxler – 68230 Niedermorschwihr




Terrazas De Los Andes Malbec Reserva 2010 – Mendoza – Argentina

Les Argentins se plaisent à raconter qu’ils vénèrent 3 dieux : le tango, Evita Peron et Maradona. Un récent voyage dans ce pays magnifique m’a également permis d’apprécier 2 demi-dieux épicuriens : l’inégalable viande de bœuf et leurs puissants vins rouges.

La remarquable progression qualitative des vins argentins depuis 20 ans est expliquée par divers facteurs : l’arrivée d’investisseurs et œnologues du monde entier, la rénovation et la création de bodegas (caves), la plantation de la vigne à des altitudes de plus en plus élevées, en moyenne 1 000 mètres jusqu’à 3 000 dans la province de Salta ! A de telles hauteurs, les températures sont suffisamment basses, la nuit, pour permettre des cépages rouges aux arômes intenses et à la couleur profonde.
La région de Mendoza est incontestablement la vedette de la viticulture argentine grâce au cépage emblématique malbec introduit au XIXe siècle à partir de plants bordelais. Le goût des malbecs argentins est fort différent de celui des vignobles cadurciens, d’autant qu’il s’est adapté au climat de l’hémisphère sud, avec des baies plus petites et plus denses.
Terrazas de Los Andes, créée en 1999 dans la région de Mendoza sur le haut plateau de Lujan de Cuyo par la bodega Chandon, spécialiste des vins effervescents, filiale de LVMH, s’est développée sur un vignoble implanté fin XIXe siècle sur une série de terrasses à une altitude variant de 800 à 1 500 mètres. La région bénéficie d’atouts importants pour la viticulture. Sise au pied de la Cordillère des Andes, dont les hautes cimes stoppent les vents humides du Pacifique, elle réalise une oasis de verdure au sein d’un désert semi-aride. Malgré une latitude quasi tropicale, l’altitude procure des hivers froids favorisant la dormance de la vigne, un soleil intense, avec un air sec, dans la journée, des nuits froides avec des amplitudes thermiques importantes. Le problème est la sécheresse, car l’eau peut devenir rare, du fait de la faiblesse des précipitations, si bien que de nombreux vignobles sont irrigués. Terrazas utilise le système traditionnel indien d’inondations par canalisations alimentées par la fonte des neiges.
Les maladies de la vigne étant rares grâce à l’air froid des montagnes, nombreuses vignes sont franches de pied, non greffées, en particulier pour Terrazas sur la parcelle de Las Compuestes. Le soleil intense stimule la photosynthèse et favorise la maturation naturelle des phénols.
La bodega Terrazas de Los Andes a optimisé l’implantation des cépages, chacun, trouvant à une altitude différente, l’expression du maximum de ses qualités, le malbec étant implanté à plus de 1 000 mètres sur un sol sableux, alluvionnaire et graveleux.
Les vignes, plantées à une densité de 5 500 pieds/ha en taille Guyot, sont marcottées, les manquants étant vite remplacés, pour obtenir un âge moyen élevé. Les vendanges, manuelles avec un double tri sélectif, se déroulent tardivement vers la 2e ou 3e semaine d’avril après une longue maturation des baies durant 75 jours (45 en moyenne dans le Bordelais).

Un cheval prestigieux

La bodega dispose d’une grande winery moderne, mais dont les murs et colonnes de brique gardent un certain charme suranné. Sa réputation n’est plus à faire, d’autant que le propriétaire LVMH a largement répandu en France, ses meilleures productions. La marque a établi avec Pierre Lurton de Cheval Blanc, une association donnant naissance à un vin argentin prestigieux : Cheval des Andes plus fougueux et plus coloré que son cousin libournais.
La vinification, assurée par Roberto De la Motta, passe par une macération en cuves avec pigeage manuel s’étendant sur 3 semaines, un élevage durant 12 mois avec soutirage tous les 3 mois, en barriques de chêne pour 80 % d’origine française avec 30 % de bois neuf.
Le Malbec Reserva 2010 Terrazas de Los Andes, habillé d’une robe sombre grenat foncée avec quelques nuances de pourpre, est un vin complexe, long en bouche, riche et crémeux, sans lourdeur malgré ses 14,5°.
Le nez est envahi par les fruits noirs, cassis, myrtille, les épices douces, muscade, paprika, le graphite, avec des touches boisées de vanille et chocolat. La bouche ressent une légère sucrosité aux arômes de prunes et pruneaux, avant que n’apparaissent des notes plus typiques du malbec, réglisse et violette. On est charmé par l’intensité du fruit, la suavité et le velouté des tanins. La finale, toute en longueur entre puissance et raffinement, retrouve une pointe d’acidité équilibrant le fruité.
Ce Malbec se confirme être le compagnon idéal des belles grillades de bœuf bien saignantes, vuelta y vuelta, fierté des Argentins, tel le baby beaf (500 à 800 g/personne tout de même !), mais aussi entrecôtes, côtes de bœuf, T-bone, bavettes, etc., qu’elles soient cuites classiquement sur gril ou barbecue ou selon la technique « al asador », en position verticale. Ce vin, par son intensité aromatique, épousera avec plaisir les autres classiques de la gastronomie argentine : en entrée, empanadas à la viande, puis choripanes (saucisses), chiporro (agneau patagon), carrés d’agneau sauce chimichurri. Il ne se déplaira pas en compagnie d’un fromage à pâte dure : comté, beaufort, tommes diverses.
La beauté des paysages, la richesse culturelle de Buenos-Aires, la musique de Carlos Gardel, l’accueil chaleureux des Argentins (si on ne parle pas de foot), le parfait mariage du bœuf et du malbec ne peuvent que nous faire clamer : Hasta luego ! Vaya Argentina ! n




Jurançon, Domaine de Souch – Cuvée Marie Kattalin 2006 Yvonne Hegoburu

Jean Helen – Royal, le Jurançon est entré dans l’histoire lors du baptême du futur Henri IV, dont les lèvres auraient été humectées de quelques gouttes de ce vin.

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Les vignes de Jurançon perchées sur les contreforts pyrénéens aux coteaux très pentus, interdisant la mécanisation, reçoivent du sud le vent d’Espagne et de l’ouest celui de l’Océan Atlantique, bénéficiant de la protection du Pic du Midi d’Ossau. Elles poussent sur les poudingues, roches détritiques modelées par l’érosion, recouverts localement de formations d’argiles, graviers et galets qui permettent aux racines des ceps de s’infiltrer profondément et d’assurer leur alimentation hydrique.

Les cépages traditionnels, gros et petit manseng, courbu, lauzet produisent d’excellents blancs secs, mais surtout de remarquables liquoreux souvent comparés aux Sauternes. Mais, différence notoire, ces vins ne sont pas botrytisés, car la pourriture noble, non recherchée peut même être délétère. Les grains des mansengs ont une peau épaisse qui permet de retarder leur cueillette jusqu›à novembre, voire fin décembre pour les vendanges tardives, afin de concentrer le sucre par la technique du passerillage, où sont lentement déshydratées les baies par le soleil et le vent chaud du sud, le foehn. Cela impose des vendanges par tries successives des grappes, pour obtenir leur pleine maturité avant toute pourriture, et limite drastiquement les rendements aux alentours de 20 hl/ha pour le domaine de Souch.

 

Une vie commencée à 60 ans !

Yvonne Hégoburu, débordante d’une générosité qu’on retrouve dans ses vins, gère ce domaine avec une énergie et une passion exceptionnelles. Maintenant octogénaire, elle n’a commencé sa vie de vigneronne qu’à 60 ans, au décès de son mari que la maladie avait empêché de débuter l’exploitation de la propriété qu’ils avaient achetée.

Elle travaille sur un petit domaine de 7 hectares certifié agriculture bio, très orienté vers la biodynamie. Les sols sont gardés enherbés et labourés de façon traditionnelle. La plante et son environnement sont dynamisés par projection, à petites quantités, de préparations naturelles, types silice, ortie, achillée, assemblées de façon complexe, administrées en fonction du cycle des astres. Rien n’altère l’authenticité du terroir, ni désherbants, ni pesticides. En fin de maturation, des filets protègent les vignes contre la voracité des oiseaux.

Les vendanges manuelles par tries successives sont acheminées au chai dans des caissettes. Les raisins non égrappés sont pressés dans l’heure qui suit la cueillette et macèrent à basse température avant le débourbage. La fermentation alcoolique à température constante en barrique de chêne est arrêtée par sulfitage, pour garder environ 80 g de sucre résiduel pour la cuvée Marie Kattalin, dont l’élevage en barrique dure 18 mois. Les cuvées ne sont, ni levurées, ni acidifiées, ni flash-pasteurisées. Légère filtration, pas de collage avant la mise en bouteille.

 

Une longueur en bouche incroyablement persistante

Habillé d’une robe or franc, limpide et brillante avec quelques irisations vertes, ce Jurançon Marie Kattalin 2006, 100 % petit manseng, exhale des parfums opulents de fruits exotiques, ananas, mangue, fruit de la passion, végétales de verveine, vite sublimés par la truffe blanche. La bouche est envahie d’arômes de miel, de cannelle, de citron confit. La longueur harmonieuse, minérale est incroyablement persistante.

Ce vin d’une concentration, mais aussi d’une finesse et d’une pureté superlatives, sans aucune lourdeur, garde toujours une pointe d’acidité qui lui confère sa grandeur. Comme l’a bien analysé une de mes convives : «cela commence par une avalanche de douceurs et se termine par des flots de fraîcheur».

Le mariage de ce nectar avec la gastronomie doit éviter certains classiques du Jurançon : en apéritif, il écraserait tout autre vin lui succédant, les accords avec les cuisines exotiques, type sucré – salé, seront bancals, car le vin occuperait trop le devant de la scène. Incontestablement, le bel accord se fera avec une terrine ou un aspic de foie gras, son acidité tempère et allonge le foie, tout en conservant son caractère onctueux. Je serai plus réservé concernant les foies gras poêlés. Ensuite, il accompagnera, à l’instar des Sauternes, les fromages à pâte persillée : roquefort, fourme d’Ambert, etc, mais aussi un brebis des Pyrénées, type Ossau-Iraty, accompagné de confiture de cerise noire.

C’est surtout un merveilleux vin de dessert, il met en valeur une tarte aux mangues, un gâteau basque, des cannelés bordelais, une galette des rois, il divinise l’ananas rôti ou flambé, la mandarine givrée et yuzu acidulé.

Yvonne Hégoburu avait intitulé, en mémoire de son mari, une de ses cuvées : « Pour René ». Peut-elle lui rendre plus bel hommage qu’en façonnant ses magnifiques vins moëlleux qui n’ont aucun équivalent en puissance et originalité d’expression. n

Jurançon, Domaine de Souch – Cuvée Marie Kattalin 2006 Yvonne Hegoburu – 64110 Laroin



Côtes de Bourg 2009 « Les 3 Petiotes »

362-363 – Jean Helen – J’avais, dans Le Cardiologue 310, vanté le Château Martinat que m’avait fait découvrir, dans le Bourgeais, où il avait pris sa retraite, un excellent ami gastro-œnologue rémois. En retour, je lui avais conseillé de s’intéresser au domaine des 3 Petiotes sis à moins de 200 m de sa propriété, choix qui s’est avéré fort judicieux !

VinL’aventure des 3 Petiotes est celle de la reconversion d’une jeune cadre bancaire dynamique, désireuse d’échapper à un travail monotone et peu valorisant, pour se laisser guider par le plaisir du goût, de la convivialité, de l’amour du vin et par le labeur et les tribulations incessantes qu’il nécessite, ce qu’elle raconte avec beaucoup d’humour dans son blog jonglant entre les enfants, les aléas climatiques, les contraintes de la culture bio, les trahisons du matériel.

Valérie Godelu, passée dans sa jeunesse par la Lorraine, puis le Beaujolais, où elle apprit à apprécier le vin, prépara sa reconversion depuis une dizaine d’années, en consacrant avec son mari tous ses congés à une formation viti-vin à Beaune. Puis les hasards de leur vie professionnelle les amenant à Bordeaux, elle tomba sous le charme des Côtes de Bourg, où elle réussit à acquérir, en 2008, 3 parcelles d’un total de 3 hectares entre Prignac et Tauriac qui n’intéressaient guère les locaux, car les rangs de vigne, séparés d’à peine 1,50 m, interdisaient le travail mécanique. C’était décidé ! Valérie Godelu abandonne alors son métier pour celui de vigneronne, son mari conservant son travail, pour « faire bouillir la marmite », mais l’assistant, ses soirées et week-ends, dans le travail de la vigne.

La qualité du sol argilo-sableux renforcé en profondeur par des argiles bleues et rouges, des petites concentrations de latérite possédant de bonnes réserves hydriques, l’orientation idéale pour l’ensoleillement des vignes nord-sud promettaient de belles possibilités très vite concrétisées.

Le nom surprenant du domaine, les 3 Petiotes, est venu de la naissance des 3 fillettes du couple qui s’harmonise avec les 3 parcelles du domaine complantées respectivement de malbec, merlot, et cabernet, âgées de plus de 35 ans.

D’emblée, Valérie choisit l’agriculture biologique actuellement en cours de certification. « J’ai pris l’option de faire un vin le plus naturel possible, je ne rajoute aucun intrant chimique autre que le soufre avec grande parcimonie, afin d’obtenir un vin digeste », souligne-t-elle. Les vignes sont cultivées, sans pesticides ni engrais de synthèse, l’herbe est tondue entre les pieds au rotofil, le sol retourné en surface 1 à 2 fois/an. La taille Guyot double a été adoptée, pour étaler les grappes. Effeuillage en août, pour mieux exposer les grappes au soleil, travaux en vert limitent drastiquement les rendements à 25 hl/ha.

En 2012, après quelques galères dans des locaux éloignés et exigus, un chai tout neuf est sorti de terre qui optimise le travail de vinification.

Les vendanges sont manuelles en cagettes. Un double tri à la récolte, puis au chai est effectué sur des raisins égrappés à la main. Les fermentations alcooliques et malo-lactiques s’enclenchent dans la foulée, sans sulfitage, ni levurage exogène. L’élevage sur lies avec bâtonnage régulier s’étend sur 12 mois en barriques anciennes. La mise en bouteille ne comporte ni collage ni filtration.

Ces 3 Petiotes 2009 résultent d’un assemblage inhabituel de 40 % de malbec, 35 % de merlot, le reste de cabernet essentiellement franc. Paré d’une robe grenat foncé aux reflets violacés, ce vin exhale immédiatement des senteurs de liqueur de cassis, de pruneaux et d’épices dominées par le poivre noir, puis, très rapidement, apparaissent des arômes plus sudistes de fruits rouges, de kirsch, de menthe. La bouche est fruitée, gourmande, veloutée exprimant une matière dense, équilibrée, où l’on retrouve, à nouveau, des notes de pruneaux, de poivre, de réglisse, les tanins cependant restent encore un peu vifs. La finale laisse une belle impression fraîche et salivante.

Cette bouteille, très atypique pour un Bordeaux, ne peut que séduire par son côté fruité et épicé lié au malbec, mais aussi par son prix particulièrement doux !

Ce vin joyeux, rempli d’énergie s’accordera avec de nombreux mets. Il épousera une grillade de bœuf ou une brochette d’agneau, surtout si elles sont cuites aux sarments de vigne, un boudin noir aux pommes, une cannette rôtie. Valérie le recommande avec sa recette fétiche, encornets à la joue de bœuf, mais aussi avec des desserts chocolatés : bavaroise au chocolat et fraise, moelleux au chocolat.

Le fourmillement de projets des Godelu : cuvée « en attendant Suzie » comportant 70 % de malbec, une autre 100 % cabernet franc, un moelleux de merlot
botrytisé ( !), son référencement dans le livre « des vins qui ont de la gueule » permettent d’affirmer que les Petiotes sont en passe de devenir grandes…

Côtes de Bourg 2009 « Les 3 Petiotes »
Valerie Godelu 33710 Tauriac
 



Crémant de Limoux Brut Résilience 2008 (Alain Cavaillès 11300 Magrie)

Dès 1531, les moines de l’abbaye de Saint- Hilaire, à quelques kilomètres de Limoux, s’aperçurent que le vin blanc qu’ils avaient mis en bouteilles bouchées de liège, formaient des bulles : la Blanquette de Limoux venait de naître et est donc considérée comme un des plus anciens vins mousseux, puisque, n’en déplaise aux Champenois, il semble démontré qu’à la suite d’un pèlerinage dans cette abbaye bénédictine, fin XVIe siècle, Dom Pérignon expérimenta à Hautvillers sur les vins de Champagne la méthode limouxine.

Le vignoble de Limoux, sub-division du vignoble languedocien, à l’ouest des Corbières, présente une combinaison de terres argilocalcaires caillouteuses, influencées par la Méditerranée et les Pyrénées, procurant un ensoleillement important et une pluviométrie suffi sante. Ce climat est résolument favorable à la production de blancs réputés. Mais ce vignoble a la particularité unique dans le Languedoc de produire des vins effervescents qui conjuguent Blanquette et Crémant de Limoux.

La Blanquette doit sa typicité au cépage mauzac (Blanquet en occitan qui illustre les petites pointes blanches sur les feuilles de la vigne) et qui constitue jusqu’à 90 % du vin. Elle est, le plus souvent, élaborée selon la méthode traditionnelle champenoise, où l’ajout d’une liqueur de tirage provoque une deuxième fermentation dans le flacon (voir Le Cardiologue n° 327) ; mais les mêmes viticulteurs proposent, en parallèle, des Blanquettes de Limoux méthode ancestrale, où la fermentation est ralentie par refroidissement dans la cuve et repart de façon naturelle dans la bouteille ; ces vins titrent péniblement 7 ° d’alcool.

De la noblesse dans les cépages _ Le Crémant, lui, privilégie les cépages nobles : Chardonnay, Chenin qui ne peuvent dépasser 90 % de l’assemblage, pour la cuvée Résilience d’Alain Cavaillès : 50 % de chardonnay, 40 % de chenin, 10 % de pinot noir. Il est élaboré selon la méthode champenoise. Son vieillissement dure au mois 15 mois, alors que la Blanquette peut être commercialisée au bout de 9 mois. A noter que la cuvée Résilience est très faiblement dosée à 4 g de sucre : ce qui la classerait en Champagne dans les extra-bruts.

Alain Cavaillès est installé depuis 1996 dans la vallée de Magrie au coeur du terroir d’Autan considéré comme l’excellence de l’appellation. Les vignes, au départ épuisées, ont été revigorées par l’agriculture biologique, avec l’obsession de conserver le sol en vie par labourage et apport de matières organiques. Les vendanges sont manuelles en caissettes de 30 kg. La dénomination de sa cuvée vedette Résilience illustre parfaitement sa philosophie : « capacité d’un écosystème à retrouver un fonctionnement normal, après avoir subi des attaques et des dommages ». Mais le vigneron outrepasse largement la nouvelle réglementation européenne sur les vins bio : « Pas d’agriculture bio sans vinification bio, réduction des doses de sulfites, pas de collages agressifs, filtration uniquement si nécessaire, pas d’utilisation systématique du froid, vinification en plein air, pour que le vin suive le cycle naturel des saisons », clame-t-il.

D’une brillante robe jaune pâle, rehaussée de reflets dorés, ce Crémant Résilience dévoile des bulles abondantes très fines, teintées d’élégance. Il exprime des arômes de fleurs blanches, aubépine, chèvrefeuille, de fruits délicats, mandarine, pêche blanche, associés à de subtiles notes de toast grillé signant le cépage chardonnay. La bouche nerveuse et minérale est bien équilibrée. Peut-être pourrait- on regretter un certain manque d’ampleur et de longueur.

Sa vivacité et sa fraîcheur, sa faible sucrosité en font typiquement un vin d’apéritif, ouvrant celui-ci, sans empâter la bouche, ni charger la digestion. Il concurrencera, ainsi, nombre de champagnes de modeste qualité. Il se dégustera avec des petits toasts salés, des réductions à base de poissons fumés, et notamment du saumon cru ou mariné. Il peut aussi accompagner, de façon originale, des poissons grillés, mais, au contraire des champagnes de gastronomie, je ne conseillerai pas de le servir pendant tout un repas.

Un vin, conclut Alain Cavaillès, est plus qu’un liquide « sympa » à consommer, il a un potentiel évocateur, il est en simultané vecteur d’émotion et de mémoire. ■

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Marcillac, Domaine du Cros Vieilles Vignes 2009 (Philippe Teulier 12390 Goutrens)

Des années de misères ont façonné les hommes et l’histoire des vignes de Marcillac. Développé par l’abbaye de Conques au Xe siècle, pratiquement détruit par le phylloxera, replanté dans l’entre-deux-guerres, pour atteindre 3 000 ha, puis bouleversé par le grand gel de 1956 et la crise liée à la fermeture des mines de Decazeville, le vignoble avait quasi disparu, réduit à une cinquantaine d’hectares, mais il a pu renaître grâce au travail et à l’opiniâtreté d’une coopérative dynamique et d’une poignée de vignerons indépendants. Cette résurrection fut permise par le réaménagement du vignoble en privilégiant un cépage original, le fer servadou (« qui se conserve » en occitan), dénommé mansois dans l’aveyronnais ou braucol dans le gaillacois, qui donne toute sa typicité à l’appellation. De plus, les hommes ont façonné des terrasses, les faïsses, sur les coteaux très pentus, pour faciliter le rude travail à la vigne, si bien que le Marcillac a été reconnu AOC en 1990 au rebours des autres appellations aveyronnaises : vins de Conques, d’Entraygues, du Fel et d’Estaing (sans Giscard).

Le vignoble de Marcillac, couvrant actuellement moins de 200 ha à une vingtaine de kilomètres de Rodez, bénéficie d’un climat contrasté : hivers très rigoureux dans cette zone de semi-montagne, étés très chauds et ensoleillés grâce à l’influence méditerranéenne. Il se développe sur des coteaux abrupts formant un cirque naturel orienté plein sud autour de la vallée de l’Ady, réalisant ainsi un microclimat très propice au développement de la vigne.

Une culture raisonnée _ En 1982, Philippe Teulier a pris en main le domaine familial du Cros, pour le faire passer progressivement de 3 à 26 ha par location ou achat de vignes âgées sur les meilleurs terroirs, complantées sur des éboulis calcaires et des rougiers (argiles violacées) permiens en sous-sol.

Maintenant secondé par son fils Julien, il pratique une culture raisonnée, traitant très peu, car le fer servadou est bien résistant aux maladies cryptogamiques. Les talus et entre-rangs sont enherbés, entretenus et tondus régulièrement. Ebourgeonnage, taillage, écimage, vendanges au vert limitent les rendements aux alentours de 45 hl/ha. Les raisins, cueillis à bonne maturité manuellement en caissettes, égrappés, sont pressurés par gravité, pour une macération lente de cinq semaines en cuves inox thermorégulées avec une extraction douce par pigeages du chapeau, remontages et délestages.

L’élevage en vieux foudres de plus de 30 ans s’étend sur 18 mois. La mise en bouteille, précédée de très légers collage et filtration, s’effectue au bout de 2 ans.

Habillé d’une robe sombre, pourpre foncé, ce Marcillac Domaine du Cros Vieilles Vignes 2009, 100 % fer servadou, produit par des vignes soixantenaires, est un vin de charme et de plaisir. Succèdent à d’agréables senteurs de fruits rouges, framboise, groseille et de cassis, d’importants arômes d’épices : clou de girofle, noix muscade, surtout poivre qui rappellent fortement la Syrah. La bouche est charnue avec une dominante de fruits noirs ; on apprécie une trame affinée, des tanins fondus et souples, loin de l’image caricaturale collant aux vins de Marcillac, rustiques aux tanins accrocheurs. La finale est concentrée, fraîche, sapide, mentholée. Ce vin très aromatique équilibre parfaitement bouquets et tanins.

Un équilibre qui épouse la cuisine régionale _ Les accords gustatifs avec ce Marcillac sont riches : viandes rouges, grillades de porc, en vieillissant gibiers à poils, telle une épaule de chevreuil aux airelles. Mais il ne faut surtout pas résister au plaisir de lui faire épouser la belle cuisine régionale : petits gris sauce persillade, aligot saucisses, salades de gésiers confits ou de lentilles aux lardons, et surtout tripous, où il résiste bien à la forte saveur de la tripe, ses tanins s’adoucissant et son grain se fondant. J’ai expérimenté un remarquable accord avec un boudin aux deux pommes : la minéralité du vin affronte le gras du boudin, et son fruité dompte l’acidité de la pomme fruit. Ce Marcillac ne se déplaira pas en fin de repas avec les fromages locaux : fourmes, cantal, laguiole, salers.

Messieurs les restaurateurs aveyronnais qui Pilotez de nombreuses et remarquables brasseries parisiennes, qu’attendez-vous pour promouvoir cet excellent vin, dont les prix sont angéliquement doux ?

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Coteaux du Languedoc Blanc Lune Blanche 2010 (Daniel Le Conte des Floris – 34120 Pézenas)

Mais force était de reconnaître que les blancs ne suivaient pas la même progression, certains vignerons affirmant « ex abrupto » qu’il y fait trop chaud et sec, pour produire de bons vins blancs. Cet a priori est battu en brèche par quelques producteurs qui, innovant dans les terroirs et les cépages, peaufinent de magnifiques cuvées, l’une des stars étant actuellement, selon moi, Daniel Le Conte des Floris.

Personnalité attachante, étonnante, fils d’un patron de médecine interne de Besançon, dont l’épouse est également fille d’un chef de service de cardiologie (l’immense Le Dantec pour ceux qui l’ont connu), Daniel Le Conte des Floris a traversé plusieurs vies, avant de trouver son épanouissement dans la viticulture. Diplômé des Mines de Paris, tour à tour, producteur à France Culture, responsable du Centre National du Cinéma, embauché ensuite par la Revue du Vin de France, dont il devint en six ans rédacteur en chef, il décida, ne pouvant plus supporter la vie parisienne, d’assumer pleinement sa passion pour le vin et, après une formation en oenologie à Beaune, parvint à acquérir, en 2000, un certain nombre de parcelles morcelées autour de Pézenas sur un total de 7 hectares.

Daniel, d’emblée, affirme ses fortes convictions : agriculture biologique, maintenant certifiée Ecocert, spécificité des terroirs adaptés à chaque cépage, afin que chaque vin exprime son identité marquée du sceau de la terre, interventionnisme réduit au minimum aussi bien à la vigne qu’à la cave.

Ainsi, il propose des vins racés, frais, d’une grande finesse, non dénués de minéralité et de profondeur. Si ses rouges sont excellents, ses blancs sont réellement magnifiques : Lune Rousse relancée grâce à la complantation de nouveaux pieds de roussanne, Arès et ma préférée, Lune Blanche.

Sur des sols schisteux et argilo-gréseux, cette petite exploitation, plantée peu serrée à 5 000 pieds/ha en taille Gobelet pour Lune Blanche, limite les rendements à 20 hl/ha. La culture, selon les règles biologiques, évite tout produit chimique en dehors d’un peu de soufre, pour lutter contre l’oïdium. Le vigneron ébourgeonne peu, laboure et débroussaille entre les rangs. La vendange, dont la date est décidée sur des analyses physicochimiques, et surtout sur la dégustation des baies, est manuelle en petites cagettes, avec un tri expert lors du ramassage.

Un cépage méconnu _ Pressurage manuel vertical, macération directe en fût avec décantage et débourbage sur 36 h, pas de levurage, sauf exception, élevage en fût pendant un an, puis six mois en cuve inox pour les blancs qui, en 2010, ont été collés et filtrés.

Les vins blancs sont élaborés autour d’un cépage méconnu, bien que magnifiquement adapté au climat : le carignan blanc, dont l’acidité naturelle permet de pousser la maturité. La cuvée Lune Blanche 2010 est composée exclusivement de carignan blanc issu de vignes soixantenaires.

Un magnifique vin charpenté et aromatique _ Annoncée par une robe brillante, jaune or pâle, cette Lune Blanche, aux jambages gras, délivre des arômes complexes, épicés, fruités, où le nez est d’emblée envahi par des senteurs de melon, abricot, pamplemousse, puis des fragrances oxydatives de pomme et de noix, ce qui n’est pas l’effet du hasard, le vigneron reconnaissant jouer, durant l’élevage, avec l’oxydation, en limitant le soufre, pour accroître la dimension minérale et compenser le manque d’acidité de son vin. La bouche est ample, opulente, ronde, marquée d’entrée par des saveurs bourguignonnes d’amande et de brioche, puis affluent des notes exotiques de coing et de fruit de la passion.

D’une longueur grisante, ce magnifique vin charpenté, gras, aromatique, mais demeurant frais et digeste, au grand potentiel de garde, se positionne, malgré sa jeunesse, pour la grande gastronomie.

Des accords riches et variés _ C’est pourquoi les accords avec ce flacon seront riches et variés : en premier, les poissons nobles en sauce, mais aussi noix de Saint- Jacques au poivre blanc, tartare de truite ou de thon à l’huile d’olive, ris de veau poché aux chanterelles. J’ai été émerveillé par sa rencontre avec une barbue au jus de carottes et moutarde à l’ancienne selon Piège, mitonnée par mon épouse. Alain Senderens propose un mariage surprenant avec un filet de canette, figues fraîches et raisin blond, car la marinade imprime au filet une subtilité aromatique que bercent la richesse et les parfums de la Lune Blanche. Pourquoi ne pas réserver les dernières gouttes à un gorgonzola ?

Daniel Le Conte des Floris aime à souligner qu’« il nous a fallu apprendre à désapprendre, car la réalité du Languedoc n’est pas celle des autres vignobles français », mais cet homme intelligent a su très vite s’adapter et il a toute chance avec ses vins blancs de marquer l’histoire du vignoble languedocien. Quelle magnifique reconversion pour l’ancien journaliste ! ■




Château de France 2006 – Pessac-Léognan – B. Thomassin 33850 Léognan

Les vignobles des Graves, les plus anciens du Bordelais, complantés depuis plus de 2 000 ans, furent particulièrement réputés, lorsque le mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri Plantagenet en 1154 livra cette province à la couronne britannique pendant trois siècles, ses vins étant exportés massivement et accueillis avec enthousiasme par les Anglais qui y restent toujours très attachés. L’Américain Thomas Jefferson classait, fin XVIIIe, les vins de Graves comme les meilleurs vins de Bordeaux. Mais cette appellation perdit progressivement cette renommée au profit du Médoc. Il faut reconnaître que l’étendue, la diversité et l’hétérogénéité du vignoble, produisant beaucoup de vins légers, sans grande complexité, nuisaient à sa réputation, si bien qu’en 1987, une aire de production Pessac- Léognan, regroupant les terroirs les plus prestigieux, a été délimitée, imposant, dans une optique qualitative, des règles plus strictes : rendements de 45 hl/ha par exemple.

Le nom de Graves caractérise les petits galets polis, charriés depuis le quaternaire par les glaciers et la Garonne depuis les Pyrénées.

Le Château de France est l’un des domaines les plus sudistes de la bande de Pessac-Léognan s’étendant depuis les faubourgs de Bordeaux sur la rive gauche de la Garonne. Il bénéficie d’une bonne exposition sur un des plus beaux coteaux de la terrasse de Léognan, d’un climat doux , protégé des intempéries de l’Atlantique par la forêt des Landes à l’ouest, mais recevant une hygrométrie régulière grâce à l’océan. Le terrain très graveleux repose sur un sous-sol d’argile, d’alios, de calcaires et de faluns.

Le nom prestigieux de Château de France vient, en fait modestement, de l’ancien lieu-dit : le tènement de France, sur lequel fut édifiée une maison de maître à la fin du XVIIe siècle. Cette propriété familiale de 40 hectares, acquise en 1971 par Bernard Thomassin qui, dès le début, entreprit une importante replantation, est, depuis 1996, gérée par son fils, Arnaud, qui poursuit énergiquement les travaux de rénovation des installations et la réorganisation des vignobles. Malheureusement, un incendie, il y a un an, a complètement détruit le chai de vinification, mais sa reconstruction va permettre de moderniser et d’optimiser celui-ci.

La viticulture, raisonnée sur une plantation de 5 à 7 000 pieds/hectare en taille guyot double et simple, d’âge moyen de 45 ans, n’omet pas effeuillage, éclaircissage et vendanges au vert, notamment pour le millésime 2006, dont les mois de juin et juillet furent particulièrement chauds, ce qui permet de limiter les rendements et de fortifier les grappes restantes.

La vendange est manuelle, le tri pendant la cueillette et sur table au chai rigoureux.

La fermentation alcoolique de 7 à 10 jours, suivie de 3 à 4 semaines de macération, s’effectue en cuve thermorégulée à 30-32°, où a également lieu la malo-lactique.

L’élevage en barriques, comportant 40 % de bois neuf, s’étend sur 12 à 14 mois. L’assemblage réunit 60 % de cabernet-sauvignon et 40 % de merlot. Pour finir : collage au blanc d’oeuf, filtration légère avant mise en bouteille.

Annoncé par une robe grenat foncée aux belles irisations violettes, ce Château de France 2006 exprime, à l’ouverture du flacon, une certaine réduction qui disparaît après aération, puis, très vite, le nez est envahi par des arômes typiques des grands Graves : terre calcinée, tabac, bois de cèdre avant qu’apparaissent des notes confiturées de cassis et fumées de réglisse. La bouche harmonieuse, friande, épicée : clou de girofle, muscade, garde fraîcheur et minéralité, les tanins bien présents, mais souples et soyeux, le boisé très prégnant pendant les premières années, mais maintenant bien intégré, aboutissent à un vin de plaisir, souriant, loin de l’austérité des seigneurs médocains ou libournais. Peut-on seulement regretter une finale un peu courte ?

Ce Pessac-Léognan a l’élégance et la suavité aptes à s’accommoder à bien des poissons : lamproie à la bordelaise poireaux confits, sandre au beurre rouge. Mais, comme nombre de Bordeaux, il épousera joyeusement le navarin et le carré d’agneau, l’entrecôte bordelaise aux sarments de vigne, le rôti de veau aux girolles, voire un oeuf cocotte à la truffe noire. Il accompagnera certains desserts : soupe de fruits rouges, miroir au cassis, mais il se hérissera devant le chocolat.

Ainsi, ce Château de France, à l’instar des Graves Pyrénéens doucement polis et arrondis par les siècles, glisse sur la langue et le palais comme une délicate et onctueuse caresse. ■(gallery)




Château de la Tuilerie Eole Blanc 2008 – Costières de Nîmes – Chantal Comte 80900 Nîmes

Le Château de la Tuilerie est un domaine de 70 hectares, complanté pour seulement 10 % en blanc, sis sur la partie la plus ancienne de la formation géologique de la Costière constituée par plusieurs mètres d’alluvions caillouteuses drainées par le Rhône au quaternaire sur la marne argileuse du pliocène. Le sol est pauvre, acide, filtrant, recouvert de sable et galets roulés qui confèrent aux vins, finesse et élégance. Les sous-sols argileux font pousser des vignes, dont l’alimentation en eau et minéraux est limitée contribuant à la faiblesse des rendements et la production de grappes à petits grains, et ainsi de vins concentrés et aromatiques. L’exposition au nord, la ventilation par le mistral sont favorables au maintien d’une bonne acidité et à la synthèse des anthocyanes pour les rouges.

Au Château de la Tuilerie, enherbement, ébourgeonnage, effeuillage sur une taille en cordons de Royat entraînent des rendements très faibles : 20 hl/ha pour la cuvée Eole. L’agriculture est raisonnée limitant les intrants chimiques au strict nécessaire, mais Chantal Comte, l’experte propriétaire, se méfie beaucoup de la mode actuelle pour le bio, et notamment de l’utilisation de métaux lourds, tel le cuivre dans la bouillie bordelaise. La date de la récolte est scientifiquement déterminée par les degrés de maturité alcoolique, et surtout phénolique, et par la qualité des pépins. Les vendanges, là aussi au rebours des tendances actuelles, sont effectuées par une machine perfectionnée permettant un tri extrêmement sélectif des meilleurs raisins, si bien que la table de tri n’est presque jamais utilisée.

Pour la cuvée Eole Blanc, les différents lots, réceptionnés par gravité, sont pressurés pneumatiquement et ébourbés pendant 24 à 48 h à 10 °. La fermentation alcoolique s’opère en fûts neufs à température constante de 18 °, puis l’élevage s’étend pendant au minimum 1 an en barriques de chêne neuves de 220 litres avec un batonnage manuel régulier, pour remettre les lies en suspension et apporter gras et complexité. Les bouteilles, après collage et très légère filtration, mûrissent en cave pendant 6 mois avant commercialisation. La cuvée Eole Blanc n’est produite que dans les grands millésimes, où la qualité des raisins est impeccable, en très faible quantité, environ 4 000 bouteilles, ce qui justifie son prix élevé pour l’appellation. Elle résulte d’un assemblage savant, variable d’une année à l’autre, déterminé par la viticultrice, pour l’année 2008 : viognier 20 %, rolle 10 %, grenache blanc, clairette, roussanne, marsanne.

Son nom aérien rend hommage à Clément Ader, grand-oncle de Chantal Comte, pionnier de l’aviation, qui avait baptisé sa première machine volante Eole, dieu des vents dans la mythologie grecque, et ce n’est pas un hasard, si cette cuvée Eole prenait son envol en 1989, date anniversaire du centenaire de l’aviation !

Chantal Comte a réhabilité, par ce vin d’exception, classé en 2007 par la revue Decanter, parmi les 100 plus grands vins blancs du monde, une bouteille ancienne en verre noir fabriquée au 18e siècle, dénommée « arlésienne ».

Parée d’une robe limpide et brillante jaune or avec des reflets verts, cette cuvée Eole Blanc 2008 exhale de doux parfums de pamplemousse, de bergamotes et de fruits exotiques : ananas, mangue, fruit de la passion, avec quelques notes miellées. La bouche voluptueuse, séveuse, glycérinée exprime, sur une bonne acidité et fraîcheur, une attaque franche sur des notes de pêche blanche, de jasmin et de vanille se poursuivant avec des arômes de brioche toastée et d’épices sur une longueur interminable.

Surprenant à plus d’un titre, ce vin est d’une complexité défiant l’analyse organoleptique classique et, de plus, ses arômes et fragrances se modifi ent continuellement au cours de la dégustation et en fonction des mets proposés. Ainsi, les accords culinaires avec ce vin opulent, rond, mais complexe, peuvent prêter à controverse. Chantal Comte estime qu’il est le compagnon idéal des truffes, de la crème, des champignons et le recommande sur un carpaccio de foie gras, un homard grillé, une belle volaille fermière aux champignons des bois. Personnellement, je suis influencé par les flaveurs méditerranéennes de cet Eole Blanc qui respire les vacances et le marierai volontiers avec des coquilles Saint-Jacques à la provençale, des ravioles aux truffes, mais il ne sera pas heurté par un aïoli ou une bouillabaisse qu’au contraire, il caresse et enveloppe. Il épousera, sans hésitation, des fromages de chèvre affinés et tous desserts à base d’amande et de vanille : crème brûlée, galette des rois, pithiviers.

Mais laissons conclure Chantal Comte : « S’il est culture et mémoire, inventons le vin chaque jour ! S’il est fait d’amour, d’inquiétude et de soins attentifs, il est d’abord source de plaisir ! »




Domaine Gourt De Mautens Rasteau 2006 – Jérôme Bressy 84110 Rasteau

Je ne peux qu’approuver, ce Gourt de Mautens 2006 est certainement le vin le plus enthousiasmant que j’ai pu déguster depuis le début de cette année, alors que le 2007, honoré par Bettane et Desseauve, s’annonce encore meilleur.

Jérôme Bressy a pris en main le domaine familial, où, jusqu’alors, la vendange était livrée à la cave coopérative, en 1996 à l’âge de 23 ans avec, d’emblée, une obsession : réaliser le plus grand vin possible. Son parcours a été ponctué d’essais, d’erreurs, de changements, de virages. Il est parfois allé trop loin dans la maturité de ses raisins, mais il a persévéré dans son projet, pour produire, dès 2005, des vins de haute qualité affirmant la grandeur et l’originalité du terroir Rasteau méconnu, mais si qualitatif.

Effectivement, ses vignes sur sols d’argiles rouges avec alluvions de Riss et de marnes argilo- calcaires, possédant la capacité de stocker l’humidité et permettant une bonne régulation hydrique, bénéficient d’une belle exposition solaire, plantées en terrasses et coteaux. Les résurgences qui apparaissent après les pluies, sont ainsi à l’origine du nom du domaine : Gourt, trou d’eau, Mautens, par mauvais temps.

Mais Jérôme Bressy a très vite compris que tout commençait par le travail dans la vigne : cultures biologique certifiée, et biodynamique depuis 2008, aucun produit chimique, proscription de tout désherbant, insecticide, pesticide, etc., traitements par tisanes de plantes, poudres de roche, décoctions de soufre à dose infinitésimale. Les vignes sont enherbées, labourées à la charrue, elles portent 3 à 6 grappes par plant en taille gobelet. Les travaux d’ébourgeonnage, d’éclaircissage, de démamage, sans rognage, conduits selon les caractéristiques de chaque pied, limitent drastiquement les rendements de 10 à 15 hl/ha.

Sur la plupart des parcelles, les différents cépages sont plantés en « foule » ; c’est-à-dire mélangés, choix de J. Bressy, pour pouvoir cueillir les raisins à la maturité optimale, non pas en fonction du cépage, mais du terroir et c’est le talent du vigneron qui détermine sur l’observation des pulpes, peaux et pépins, quelle vigne est prête, en allant le plus loin possible dans la maturité des raisins, pour gommer le caractère rustique des tannins inhérents au terroir marneux.

Les vendanges manuelles en caissettes ajourées permettent déjà une sélection sévère à la cueillette, tout ce qui n’est pas digne, je le jette (J. Bressy), complétée par un tri grain par grain sur table à la cuverie.

Jérôme Bressy a fait le choix de ne produire qu’un seul cru grâce à un assemblage savant de 70 % de grenache, 15 % de carignan, tous deux produit par des vignes de 50 à 90 ans d’âge, et de 15 % de mourvèdre, syrah, counoise, vaccarèse. La vinification, en lots séparés, selon les terroirs mariant les différents cépages, des grappes éraflées pour le 2006 (mais non pour les millésimes suivants), bénéficie d’un levurage indigène avec un très léger sulfitage. La macération a lieu en petite cuve de bois pendant 18 jours, après un pressurage pneumatique doux, seuls, les 1ers jus sont gardés. L’élevage sur lies, sans soutirage, s’opère en fonction des lots, soit en foudre de 15 hl, soit en demi-muid de 600 l et, pour certains, en cuve pendant une 1ère phase de 15 mois avant d’être assemblés pour un 2e affinage en cuve béton de 20 mois. L’élevage est donc particulièrement long sur près de 3 ans avant la mise en bouteille par gravité, sans filtration, ni collage. Une attention toute particulière est apportée aux bouchons en fleur de liège.

Ce remarquable Gourt de Mautens 2006 est un monument. Annoncé par une robe velours cramoisi, ce vin aux jambages gras exprime un ample et doux nez de pruneau, de chocolat noir, de kirsch confituré et d’herbes de Provence rôties. Ces imposantes senteurs sont suivies en bouche d’une puissance et d’une richesse superbes, ainsi que d’une profondeur et d’une intensité somptueuses. Une étrange sensation de plénitude envahit la bouche mêlant les nuances d’un bouquet aromatique finement épicé avec des impressions tactiles, veloutées, étonnamment diversifiées.

Ce très grand vin peut se suffire à lui-même et se déguster seul avec quelques brins de Saint-Nectaire.

Mais il s’appréciera aussi bien avec des plats méditerranéens : grillades aux herbes, pintade aux olives, pastilla de pigeon, qu’avec la grande cuisine : tournedos Rossini, lièvre à la royale. A Noël, une oie ou un chapon l’accompagneront avec enthousiasme.

Dès ses débuts, Jérôme Bressy avait cette ambition, « construire vraiment un vin avec une personnalité encore plus affirmée, avec une profondeur, une texture de tannins d’une grande noblesse, une grande longueur, une palette d’arômes très large : le plus grand vin possible » ! Indéniablement, il a atteint son but à moins de 40 ans… ■




Gewurztraminer « Vendanges Tardives » Grand Cru Zinnkoepfle 2007 – Schlegel Boeglin 68250 Westhalten

Et il est vrai que ce lieu-dit Zinnkoepflé s’épanouit et rayonne sur la « Vallée Noble » de Soulzmatt, ses sommets étant protégés pour leurs faunes et flores méditerranéenne et caspienne. Le terroir marno-calcarogréseux sur une colline pentue orientée plein sud, bénéficiant d’un ensoleillement optimal, d’une faible pluviométrie, d’une protection des vents du nord par le Petit et le Grand Ballon Vosgien, produit de magnifiques vins fi ns et élégants, où le Gewurztraminer a trouvé terre d’élection.

Ayant succédé à son père depuis une vingtaine d’années, Jean-Luc Schlegel pratique une agriculture raisonnée avec le minimum d’intrants chimiques, une fertilisation limitée à de ponctuels apports de composts végétaux. La vigne est enherbée un rang sur deux, avec une taille assez courte en double guyot, un ébourgeonnage et, si besoin, une vendange au vert limitent les rendements.

La vendange est manuelle (obligatoire pour l’appellation vendange tardive) en caissettes. Les raisins surmaturés et botrytisés destinés aux vendanges tardives sont récoltés plus d’un mois après le début des vendanges.

Le pressurage pneumatique par paliers successifs s’effectue pendant 5 à 6 heures sur raisins entiers. La macération en cuves inox thermorégulées nécessite un levurage exogène sélectionné par un laboratoire local. Un double débourbage élimine les débris de rafle. L’élevage en cuve sur lies fines, sans bâtonnage, s’étend sur une dizaine de mois avec 2 ou 3 soutirages, évitant la malolactique. L’ajout de soufre, inévitable pour les vins en surmaturation, est limité. L’élevage se prolonge encore 18 mois en bouteille.

Jean-Luc Schlegel, petit producteur discret et modeste, est injustement méconnu par rapport aux ténors de l’appellation Zinnkoepflé, tel le tonitruant Seppi Landmann, mais je considère qu’il élabore un des meilleurs Gewurztraminer d’Alsace, en particulier en vendanges tardives, lorsque le millésime, comme en 2007, s’y prête. Le Zinnkoepflé VT 2007 Schlegel Boeglin, paré d’une robe jaune or, brillante et éclatante aux jambages gras et épais, développe une finesse et une élégance qui frisent la perfection. Une envolée florale de rose, de pivoine, de fleur d’acacia, fruitée de litchi, de coing, envahit le nez. En bouche, des arômes multiples rivalisent entre eux, veloutés, suaves, pulpeux, caressants et tendres, d’où émergent toujours le litchi, le fruit de la passion, l’abricot confi t rehaussés par des notes mystérieuses d’épices d’orient et de cannelle. La belle acidité de ce vin atténue, en les masquant délicatement grâce à sa fraîcheur, les 80 g/l de sucre résiduel.

L’harmonie subjugue, la caudalie interminable impressionne _ Je reconnais, sans hésitation, le Gewurztraminer du domaine grâce à la prééminence des arômes de litchi, à tel point que le père de Jean-Luc, la première fois où il a goutté ce fruit, s’est écrié : pourquoi l’a-t-on fait mariner dans du Gewurztraminer ? !

Les accords culinaires avec ce nectar sont nombreux et souvent somptueux. A l’apéritif, il accompagne, sans difficulté, les mélanges salés, sucrés, mais sa richesse risque de rendre squelettiques les vins ultérieurs. Il est un compagnon classique du foie gras, bien que les puristes alsaciens lui préfèrent le Pinot Gris. Dans cette région, on a l’habitude de le déguster avec du gibier, notamment le chevreuil aux airelles, mais les épousailles grandioses vont survenir avec une sole ou des quenelles de brochet sauce homardine, des coquilles Saint- Jacques marinées, copeaux de foie gras, émulsion à l’huile d’olive, une blanquette d’agneau, kefta au citron confi t et coriandre fraîche du Crocodile à Strasbourg. Il se complait avec la cuisine chinoise, la plus relevée et épicée, sechouanaise.

Il équilibre, par son acidité, le sucre du dessert, lui donne verticalité et relief : croustillant de pêche à la vanille, mousse aux fruits de la passion ou, plus rustiquement, tarte aux quetsches ou aux poires.

Mais l’accord parfait se fera avec le munster, la rencontre des deux violences, celle du munster fermier et celle de ce vin puissant, se fond en une belle douceur finale. Le Gewurz renforce le côté floral du munster qui, de son côté, rehausse le bouquet du vin. L’explosion est inattendue, l’accord détonnant…

« Last but not the least », les tarifs, pratiqués par le domaine, sont à l’instar de ses vins, d’une douceur angélique. ■




Terre Inconnue Sylvie 2006 – Vin de table S. Creus 34400 Saint-Sériès

Robert Creus, chimiste de formation, ancien bourlingueur, a toujours été un grand dégustateur, connu sur les forums internet pour ses avis très tranchés. C’est en 1996 qu’il se lance dans l’aventure « Terre Inconnue », dans son esprit : joyau à protéger (n’était-ce pas prémonitoire de la série télévisée « Terra Nova » ?), lorsqu’il achète quelques ares de vieux carignans qu’il complètera progressivement par le grenache, la syrah et, plus récemment, tempranillo et serine (cépage rare ancestral de la syrah). Il est maintenant propriétaire d’un petit vignoble de 4 ha morcelé autour de Saint-Sériès au nord de Lunel dans l’Hérault.

Un phalanstère familial _ Le travail s’effectue en famille avec l’aide de ses parents et, en particulier, de Lucien, son père, qui cultive méticuleusement les vignes avec une ferveur de jardinier, ce qui permet à Robert de continuer à travailler à temps partiel à la chambre de commerce du Languedoc. Ce phalanstère familial s’exprime dans la dénomination des cuvées : Los Abuelos, les grands-parents en espagnol, Sylvie du nom de son épouse.

Robert Creus, refusant tout carcan administratif, commercialise tous ses vins sous la simple appellation « vin de table français », mais il faut reconnaître que ses grandes cuvées : Leonie pur carignan, Los Abuelos 100 % grenache, et Sylvie 50 % syrah, 50 % serine ne peuvent prétendre à la classification AOC-Languedoc.

La vigne pousse sur un terroir argilo-calcaire recouvert, sur certains sites, de galets roulés comme à Châteauneuf. La viticulture est raisonnée, mais les Creus refusent les contraintes Bio, désherbant et traitant chimiquement, lorsque cela leur apparaît justifié, une vendange au vert est habituellement effectuée limitant les rendements, généralement à 20, 25 hl/ha et, de façon drastique, à 10 hl/ha pour la cuvée Sylvie. La date des vendanges est soigneusement déterminée par Robert sur la maturité des raisins, et plus encore des pépins, lorsqu’il croque un goût de noix. La récolte, évidemment manuelle, est faite en petites cagettes, pour éviter l’écrasement des grains.

Les grappes, éraflées à 70 %, bénéficient d’un léger sulfitage à la réception. La fermentation par parcelles est longue sur 4 semaines avec remontage manuel, pigeage léger, mouillage quotidien du chapeau.

A la mise en barriques, vins de presse et de jus sont assemblés, l’élevage avec 30 à 50 % de bois neuf pour la cuvée Sylvie est long : 18 à 24 mois, sans soutirage. La mise en bouteille au grès du patron s’opère, sans collage, ni filtration.

Une explosion de saveurs _ Parée d’une robe grenat légèrement trouble du fait de l’absence de filtration, cette « Terre Inconnue Sylvie 2006 », pur syrah et serine, est explosive : des parfums de fleurs dominées par la violette, de cassis, d’épices : poivre blanc, noix de muscade, submergent le nez. La bouche riche, glycérinée, soyeuse exprime des arômes prégnants de cacao et de jus de viande accompagnés par des tanins crayeux serrés, mais d’une finesse voluptueuse. La finale chaleureuse, liée au degré alcoolique, reste fraîche, minérale avec une caudalie impressionnante. Ce vin hors norme, monstre de puissance emballé dans un écrin de taffetas, pourrait, à mon avis, être comparé au mythique Côte-Rôtie La Turque…

En accord avec le Languedoc _ La richesse et l’exubérance de ce vin pourraient faire craindre des alliances difficiles avec les mets, mais délicieuse surprise, il va, au contraire, s’adapter et s’accorder avec de nombreuses préparations et, en premier lieu, la grande cuisine languedocienne : daube gardianne, côte de sanglier aux poires, tripes languedociennes, cassoulet aux fèves. Un faisan Souvaroff aux truffes et foie gras, un lièvre en saupiquet l’épouseront avec délice.

Grâce à ces plats, si le fruité et la structure de Sylvie restent marqués, ses tanins semblent plus fondus, son caractère généreux a tendance à s’effacer, sa composante cacao devient moins imposante.

Mais, plus rustiquement, un poulet aux herbes de Provence, un lapin aux olives, un navarin d’agneau lui feront fête.

Laissons conclure Robert Creus : « à force de critiquer les vins des autres, il me fallait réaliser le mien ». Effectivement, l’essai est un coup de maître et échappe à toute critique. ■

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Le Grand Blanc 2009 Vin de France – Henri Milan 13210 Saint-Rémy-de-Provence

Henri Milan reprit le domaine familial en 1986 et, d’emblée, il choisit de vinifier en respect total avec la nature, fasciné par les vins de Bourgogne, on compare d’ailleurs souvent ses blancs avec les grandes côtes de Beaune. Ses rencontres avec Claude Bourguignon, microbiologiste des sols qui remarqua immédiatement le potentiel exceptionnel des terroirs du domaine et l’amena à la biodynamie, puis avec Eloi Dürrbach, le maître de Trevallon, l’incitèrent à créer des vins originaux et complexes tendant toujours vers l’excellence, où l’harmonie des cépages assemblés par terroirs donnent une finesse et un grain incomparables.

Le rebelle de l’AOC

Mais ce « presque » notaire est un rebelle qui refuse rapidement de se plier aux règles contraignantes et, selon lui, uniformisantes de l’AOC « Baux de Provence », pour faire déclasser toute sa production en « Vin de France », son Grand Blanc du fait de la présence du cépage roussanne ne pouvant d’ailleurs prétendre à l’AOC. Ainsi, dit-il, je peux garder ma liberté et mon libre arbitre.

Le domaine Milan est issu de la rencontre d’une montagne, les Alpilles, et d’un climat particulier propice à une originalité de terroirs due à l’influence méditerranéenne tempérée par une fraîcheur relative grâce à sa situation sur le flanc nord de la montagne permettant des vins plus fi ns, plus fruités, moins solaires que sur le versant sud.

Les vignes, plantées sur des argiles et éboulis calcaires avec un sous-sol de marnes bleues, sont cultivées en biologique éliminant tout intrant chimique, et font l’objet de soins méticuleux avec ébourgeonnage, effeuillage. Les vendanges sont 100 % manuelles. Les raisins non égrappés sont pressurés directement, les fermentations et macérations débutent en cuves pendant 3 à 6 semaines, puis le jus est écoulé en barriques en pleine fermentation par un système de pompe à galets asymétriques, sans levurage exogène, ni sulfitage. L’élevage, pour les blancs, dure 1 an en barriques de 228 litres, puis 1 an en cuves. Une pincée de SO2 est intégrée après la malo-lactique ; mise en bouteille, sans collage, ni filtration.

Le Grand Blanc 2009 résulte d’un assemblage savant de grenache blanc (30 %), chardonnay (30 %), roussanne (20 %), rolle et muscat à petits grains avec un rendement de 40 hl/ha. Paré d’une robe jaune or laiton, dense, un peu trouble liée à l’absence de filtration, ce vin surprend d’emblée par ses arômes de pêche, abricot avec une pointe d’agrume amer, pamplemousse, mandarine, puis des notes d’amande, de frangipane, de verveine et lavande vous subjuguent et vous transportent dans la Méditerranée de la garrigue et des cigales. Après une attaque franche, il inonde le palais d’une belle matière structurée, ronde, gourmande, maîtrisée par une acidité parfaitement intégrée. La finale longue, longue est fraîche, bien enrobée de saveurs sudistes, et d’un fond de tilleul et menthol multipliant les arômes, sans les opposer.

A l’évidence, ce vin encore jeune doit être carafé au moins 1 heure avant le service.

Les accords avec ce vin très riche et aromatique sont très variés, si l’on en croit les spécialistes. A l’évidence, les poissons et crustacés l’adoreront et en tout honneur : la bouillabaisse qui, avec l’iode des poissons, les tomates, les oignons, la rouille, désarçonne nombre de vins blancs ou rosés ; mais la puissance aromatique et l’acidité du Grand Blanc civilisera et flattera le plat réalisant un accord quasi parfait. Les « fans » du Grand Blanc nous proposent d’autres épousailles étonnantes, voire décoiffantes : une omelette aux oursins, un tacos au foie gras, un pot au feu de thon au beurre d’anchois, un risotto Italia au basilic et crème mozzarella, accord du restaurant NoLita à Paris, un poulet aux écrevisses, et, selon la proposition d’Henri Milan lui-même, une grosse volaille fermière peau caramélisée à l’amanite des Césars ou aux ceps.

A la sortie de cette vague de froid hivernal, remontons-nous le moral avec ce grand vin méditerranéen annonciateur du beau temps et écoutons Henri Milan : « mes vins parlent au corps et à l’âme avant de parler à la raison de ceux qui les dégustent ». ■(gallery)




Cahors : Château de Gaudou, Réserve de Caillau 2006 – Durou et Fils 46700 Gaudou

Ce vin aux tanins accrocheurs avait la réputation d’être rocailleux, de « rouler les R » à l’instar des habitants, breuvage des mousquetaires et des rugbymen, mais, début des années 1980, une nouvelle génération de viticulteurs a repris les choses en main, définissant le style d’un Cahors moderne, vigoureux, mais aussi racé et élégant.

Les vignes poussent le long du Lot sur des sols alluvionnaires de graves et sur des grèzes composées d’éboulis calcaires aménagés en terrasse, surplombés par l’exigeant plateau calcaire moins fertile. Elles bénéficient d’un climat océanique, mais aussi soumis aux influences méditerranéennes avec une faible pluviométrie ; le vent d’autan souffle un air chaud et sec qui accompagne les baies jusqu’à leur pleine maturité, la rivière jouant le rôle de régulateur thermique et hydrique. Le plateau calcaire subit des températures plus contrastées permettant des vins plus fi ns que sur les terrasses.

Les vignes du Château de Gaudou, s’étendant sur 35 hectares, plantées sur les troisièmes terrasses les plus élevées, ensoleillées sud, sud-ouest et sur le plateau, bénéficient des meilleurs terroirs. C’est au XVIIIe siècle que Louis Durou s’installe au lieu-dit Gaudou comme vigneron. Depuis le nouveau millénaire, Fabrice Durou, digne héritier de la lignée, incarne le renouveau de l’appellation, restant fi dèle au savoir-faire de ses aïeux, mais en le teintant de modernité.

La viticulture raisonnée évite les intrants chimiques, la vigne est enherbée, l’ébourgeonnage, l’effeuillage et une vendange verte préservent la qualité et limitent les rendements. La récolte de la Réserve de Caillau est purement manuelle avec égrenage, complétée sur la table de tri, pour sélectionner les meilleurs raisins, ce qui aboutit pour cette cuvée 100 % malbec à des rendements étonnamment faibles de 20 hl/ha sur une aire de production très limitée sur 1 hectare. La vinification des raisins frais et entiers est traditionnelle, précédée par une macération en cuve à température contrôlée. Le pigeage régulier est résolument manuel. Le vin est ensuite mis en barrique pour la malo-lactique et l’élevage en fûts de chêne neufs sur lies dure 22 mois. Soutirages et transferts se font par gravité.

Une incroyable structure pour un vin magnifique

Dans le verre, ce Château de Gaudou Réserve de Caillau 2006 reflète une robe très foncée jus de cassis aux reflets violacés. Il délivre des arômes exubérants de fruits noirs, mûre confiturée, cassis, vanille, clou de girofle avec, en rétro olfaction, des notes de cacao, truffes, champignons, jus de viande. La bouche est construite sur une magnifique densité, puissante, précise et raffinée, une fraîcheur mentholée, où le poivre blanc et la cardamome rejoignent la palette aromatique. Les tanins restent gras et soyeux. La finale aux notes de réglisse et de violette confirme l’incroyable structure de ce vin magnifique. A l’opposé des Cahors virils classiques, ce vin révèle une harmonie aristocratique et rappelle l’adage du rugby : « un sport de brutes joué par des gentlemen ».

Les accords mets-vins seront particulièrement riches avec ce flacon. Si les Cahors épousent facilement la roborative cuisine du sud-ouest : magrets, aiguillettes de canard, confits et autres cassoulets, il serait préférable de laisser ces accords aux autres cuvées du Château de Gaudou : Grande Lignée et Renaissance, certes délectables, mais moins racées que la Réserve de Caillau. A elle, les plats à base de champignons et truffes : omelette aux truffes, cèpes à la sarladaise, tourte de cailles aux truffes, rôti de boeuf aux champignons. Elle accueillera avec enthousiasme daube de boeuf, gigot de 7 heures, alouette aux châtaignes. Mais elle s’épanouira avec les grands gibiers : faisan Souvaroff, palombe rôtie, civet de lièvre, côtes de sanglier aux poires. L’accord exceptionnel que j’ai pu réaliser à Noël, fût avec une gigue de chevreuil sauce poivrade : les deux goûts sauvages, celui du vin et celui du plat, s’additionnent, pour faire naître une synthèse merveilleuse, le vin semble moins viandé, prend du gras et de la rondeur, le chevreuil plus moelleux et structuré. La finale aromatique du vin gagne encore en épices et poivre.

Boire l’excellence jusqu’à la lie est le credo de Fabrice Durou, comment ne pas y souscrire ! ■




La Dilettante Vouvray brut, Catherine et Pierre Breton – Les Galichets 37140 Restigne

Les vins effervescents français les plus connus, en dehors du Champagne, sont les Crémants de Loire, Bourgogne, Alsace, la Clairette de Die, la Blanquette de Limoux. On distingue, en fonction de leur concentration en CO2, de façon croissante, les vins perlants, pétillants, puis mousseux.

La vinification des vins effervescents utilise schématiquement quatre méthodes : – la gazéification : injection brutale de CO2 liquéfié dans le vin sec ou moelleux, soit en bouteille, soit en cuve close. Les vins obtenus par cette méthode ont une mousse éphémère à grosses bulles, par lesquelles le gaz s’échappe rapidement ; – la méthode en cuve close amène à rajouter du sucre et des levures au vin sous pression, afin d’obtenir une deuxième fermentation. Le CO2 se dissout dans le vin et permet la formation des bulles. Utilisée pour le cidre et les « Sekt » allemands ; – la méthode rurale ou ancestrale : la fermentation est ralentie par refroidissement dans la cuve, repart et s’achève dans la bouteille. Les résultats en termes d’effervescence sont très irréguliers et le vin n’est pas limpide. Utilisée pour la Clairette de Die et certaines Blanquettes de Limoux ; – la méthode champenoise ou traditionnelle (Voir Cardiologue n ° 327) : après sa fermentation alcoolique, le vin tranquille est mis en bouteilles, où sont ajoutés du sucre et des levures (liqueur de tirage). Les bouteilles sont fermées hermétiquement et une deuxième fermentation démarre produisant du CO2 enfermé et dissout sous pression. A l’ouverture de la bouteille, les molécules de gaz se détendent selon la loi de Mariotte, et passent à l’état gazeux, pour produire les bulles.

Le Chenin blanc, magnifique cépage ligurien, se prête parfaitement à cette méthode. Les arômes fruités sont sublimés par l’effervescence, un long vieillissement en cave avant commercialisation lui apporte finesse et élégance.

Pierre Breton est une personnalité exemplaire de la Touraine, chantre de la culture biologique et maintenant biodynamique, figure de proue d’une génération de jeunes viticulteurs dynamiques et novateurs, il a acquis une réputation internationale grâce à ses Bourgueil, denses, intenses, superbement fruités.

Mais son épouse, Catherine, qui l’assiste expertement, a aussi son jardin secret à Vouvray, où elle possède avec son frère un domaine à Vernou sur Brenne produisant de magnifiques Chenin sur des terroirs en coteaux pierreux composés de substrats de tuffeau et de sols d’argile à silex, dits perruches. Quoiqu’elle ne bénéficie pas encore de l’appellation Bio, elle observe, à l’instar de son mari, les mêmes règles : pas d’engrais chimiques, de désherbants, rendements limités, récoltes manuelles, sulfitage infinitésimal. Le vin tranquille pur Chenin est obtenu par pression lente des raisins, puis passage en cuve du jus pour la fermentation par un levurage indigène naturel. Sans attendre la malo-lactique, le vin est mis en bouteille après ajout de sucre et levure pour la deuxième fermentation, remuage classique, élevage long de 1 an ó sur lattes, dégorgement, pour éliminer le dépôt de levures mortes, compensation par une liqueur de dosage : vin et sucre à 1 g/l, ce qui le ferait classer en Champagne dans les extra-bruts.

Cette Dilettante Vouvray Brut qui n’en a que le nom, car Catherine Breton est une grande professionnelle, mire une robe claire, jaune paille, où dansent des bulles fines, aériennes et persistantes. Le nez très typé Chenin exprime des arômes de pomme verte, de fleur de pêcher, de pamplemousse.

La bouche fraîche, élégante dévoile des saveurs de giroflée, de coing, de fruits secs avec une petite note lactée. Certes, l’ensemble manque un peu de corps et de gras, mais il reste éminemment agréable, vif et désaltérant.

Cette Dilettante effervescente est, à l’évidence, un vin d’apéritif digeste qui ne chargera, ni l’appétence, ni l’estomac. Il pourra accompagner l’ensemble d’un cocktail composé de réductions salées. Il ne se déplaira pas en compagnie de fritures de petits poissons ou de tout produit de la mer avec une sauce au beurre blanc. Son côté lacté pourra probablement le marier avec une panacotta aux fruits ou un fromage blanc au coulis de fruits jaunes.

Crise économique, dette grecque, effondrement des marchés financiers, du CAC 40, foin du Champagne ! Vive la rigueur, si on peut se consoler et passer agréablement les fêtes avec cet excellent crémant de Vouvray… ■




Les cépages oubliés : Gamay de Bouze 2010 – Henry et Jean-Sébastien Marionnet 41230 Soings-en-Sologne

«Le cercle des cépages disparus », ainsi pourrait s’intituler la quête d’Henry Marionnet, vigneron déterminé, releveur de défi s depuis plus de 30 ans, chantre de l’expérimentation et de l’innovation dans la viticulture tourangelle.

Sa passion pour la recherche bachique et l’amour qu’il porte à ses vignes, l’ont amené tour à tour à prôner les cultures franches de pied, sans porte-greffe : Vinifera, les vinifi cations en macération non soufrée : Première Vendange, et la résurrection de cépages oubliés en Touraine : le côt, malbec des bordelais, le romorantin (voir Le Cardiologue 339), dont il produit une cuvée à partir de vignes préphylloxériques de plus de 150 ans : Provinage à se damner et le Gamay de Bouze, objet de cet article. Henry Marionnet qui a laissé progressivement son fi ls, Jean-Sébastien, prendre les commandes, exerce sur le territoire de la Charmoise, aux confi ns de Touraine et Sologne, bien nommée grâce à cette douceur ligérienne chantée par Du Bellay.

Ses vignes plantées sur des sols argilosiliceux, dites « perruches » de 60 hectares, situées sur les terres les plus hautes entre la Loire et le Cher, bénéfi cient d’un climat continental privilégié, protecteur contre le gel, particulièrement propice au mûrissement des Gamay et Sauvignon.

Des vins d’un fruité sans pareil

Henry Marionnet accorde une importance extrême à la qualité de ses vignes cultivées selon les principes de la lutte raisonnée évitant les apports chimiques. Un ébourgeonnage et une vendange verte en août limitent les rendements en association avec un effeuillage optimisant le développement des pigments et tanins. Les grappes sont vendangées à la main et rigoureusement sélectionnées lors de la cueillette, ce qui permet un transport très rapide vers la cuverie, sans passer par une table de tri. La récolte est ainsi placée dans des caissettes peu profondes évitant l’écrasement des grains et le risque d’oxydation.

Les raisins non égrappés, non foulés, non pressurés sont fermentés dans des cuves inox saturées de gaz carbonique à température contrôlée de 30°. Dans cet environnement, sans oxygène, la fermentation s’effectue sur des raisins entiers, sans recours au SO2, sans levurage et sans chaptalisation (si le millésime le permet). Après décuvage et pressurage, les fermentations alcooliques et malolactiques se terminent rapidement. Les deux jus de presse et de goutte sont assemblés. La mise en bouteille est réalisée au bout de 4 à 5 mois. Cette méthode originale imaginée par Henry Marionnet, dite « macération carbonique intracellulaire » permet des vins d’un fruité sans pareil. Ainsi, Henry Marionnet produit une gamme de vins rouges de Gamay à jus blanc fruité, frais, plus accomplie et certainement plus naturel que la plupart de ceux du Beaujolais. Mais il s’est passionné pour le Gamay de Bouze, Gamay à jus rouge, dit « teinturier », cépage d’origine bourguignonne cultivé à la fi n du XVIIIe siècle à Bouze-lès-Beaune, ayant connu un grand succès dans la vallée du Cher avant son rejet de l’appellation Touraine par l’INAO début 1980. Alors que cette variété avait pratiquement disparu, H. Marionnet a pu en retrouver par hasard une parcelle, pour la ressusciter, mais il ne peut la commercialiser que sous l’appellation « Vin du pays de Loir et Cher ».

Un vin spectaculaire d’autrefois

La robe de ce Gamay de Bouze 2010 d’emblée impressionne : foncée, presque encre avec des reflets violacés. Ce vin dense exhale des arômes de fruits noirs : cassis, mûre, myrtille avec une petite note de réduction de sous bois. On redécouvre un vin spectaculaire d’autrefois avec sa force et son élégance. Ses tanins très présents, mais ronds et harmonieux, offrent une densité et une structure impressionnantes et ne se comparent à aucun autre Gamay existant. Le palais est envahi par des notes fraîches, pures et harmonieuses de fruits noirs, de violette avec une finale vive, épicée et poivrée.

Ce vin complexe permet des mariages contrastés. Délaissant les charcuteries tourangelles, il s’accordera mieux avec des viandes en sauce, du lapin sous toutes ses formes : au romarin, à la moutarde, en gibelotte, pourquoi pas avec un petit gibier : caille farcie, faisan à la vigneronne. Une épaule de veau farcie, un petit salé aux lentilles arrondiront ses tanins. Il s’épanouira sans contestation avec une tarte aux raisins ou un clafoutis aux cerises. Ce vin jeune et fringant doit être servi frais 12° à 13°. Il aurait une très longue garde, d’après les Marionnet, mais, dès maintenant, il est délectable et proposé à un prix particulièrement sympathique (moins de 10 euros).

Sous une apparence « paysanne », anobli par la force et la justesse du fruit, ce vin prouve qu’un cépage mal aimé, puis oublié et presque disparu peut être transcendé par le talent d’un grand vigneron. ■(gallery)




Vin de Savoie : Chignin Bergeron 2007 – Domaine Louis Magnin 73800 Arbin

S’il est vignoble qui pâtit d’un manque de considération, c’est bien le savoyard : les autochtones ne sont pas gens de communication, l’essentiel de la production, jusqu’à peu, étant consommé sur place par les nombreux touristes assoiffés après le ski, et surtout le vignoble de Savoie avec ses 22 cépages, est un véritable casse-tête, même pour l’amateur le plus averti. Citons, en rouge : la Mondeuse dérivée de la Syrah donnant de beaux vins tanniques à la vigueur poivrée, en blanc l’Altesse ou Roussette, pouvant produire des vins de garde d’une complexité inouïe, le Bergeron, variante locale de la Roussanne rhodanienne, offrant des vins incisifs, opulents, complexes, la Jacquère, blanc rafraîchissant aux notes délicates, floracées, herbacées, le Gringet, variante locale du Savagnin jurassien, la Mollette donnant les vins effervescents de Seyssel et de Bugey, les Chasselas, Chardonnay, Mondeuse blanche, Malvoisie, etc. !

Un patchwork de parcelles _ Pour « complexifier » : si l’appellation Chignin Bergeron est le fief du Bergeron, alias Roussanne, le terroir Chignin est celui de l’Altesse alias Roussette. Comment s’y retrouver !

Le vignoble de Savoie est un patchwork de parcelles isolées s’égrenant du lac Léman jusqu’au sud de Chambéry, les différentes aires de vignoble se développant dans d’étroites vallées aux pentes escarpées bordant de petits lacs dominés par les majestueux sommets alpins. Si la Savoie offre une délicieuse palette de vins blancs et rouges croquants, rafraîchissants, peu onéreux, mais finalement assez simples, certains viticulteurs ont pris le parti de tirer la production vers le haut, le domaine Louis et Béatrice Magnin étant indéniablement l’une des figures emblématiques.

Proche des combes de Savoie, adossé au versant sud du massif des Bauges, à une altitude de 250 m, exposé sud, sud-est, en face de la chaîne de Bellecombe, ce petit vignoble familial de 8 hectares est planté sur des éboulis argilocalcaires, bénéficiant d’un microclimat méditerranéen, idéal pour la pleine maturité des raisins.

Les Magnin ont opté, depuis plusieurs années, pour une agriculture biologique et biodynamique, intrants naturels : tisanes de plante, poudre d’argile, bouse de corne avec soufre et cuivre à doses infinitésimales. La densité des ceps en taille guyot simple est de 8 500/ha. La vendange, par tries successives, souvent en légère surmaturité, est purement manuelle. Le pressurage pneumatique doux et long est effectué après un débourbage statique ; le moût est mis en cuve inox pour la fermentation alcoolique, sans malo-lactique. L’élevage en cuves sur lies fines dure 12 à 15 mois. Le bois est proscrit. Parée d’une limpide robe vieil or, ce Chignin Bergeron 2007 développe au nez des arômes miellés, anisés et fl oraux, acacia, tilleul, avec une légère pointe oxydative. La bouche est élégante, pulpeuse, dense, profonde avec du gras et une longue finale. Frais, il affiche une tension minérale acidulée plutôt qu’acide, la palette gustative complexe mêle de façon déconcertante : abricot, amande, fruits confits, poire compotée.

Un air hivernal _ Les blancs de Savoie, dans les restaurants d’altitude, escortent gaillardement les robustes mets alpins à base de fromage : fondue, raclette valaisanne, tartiflette au reblochon, ainsi que leurs goûteuses charcuteries. Mais dans ces situations, il faut privilégier des vins très jeunes, rafraîchissants, acides, peu « alcooleux », tels la Jacquère ou le Chasselas de Ripaille. Le Chignin Bergeron plus complexe, fi n et opulent, mérite « mieux » et, en fait, se mariera idéalement avec des poissons de lac ou de rivière : fi lets de perche, truite aux amandes, omble chevalier meunière (s’il n’est pas d’élevage !), féra à la thononaise, lavaret aux câpres. Intruse de la mer : la lotte façon Orloff garnie de fromage blanc et de tranches de lard offrira un accord délectable.

Alors, installons-nous à Chamonix, Courchevel ou tout simplement à la maison, ouvrons ce beau flacon de Chignin Bergeron en apéritif avec quelques copeaux de tomme ou comté, préparons, avec évidemment l’aide de notre experte compagne, un beau poisson de lac, pour terminer la bouteille. C’est le bonheur hivernal assuré !… ■

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération

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Chenas 2009 Paola et Rémi Benon 71570 La Chapelle-de-Guinchay

L’appellation Chenas cultivée sur 250 hectares, la plus petite des 10 crus du Beaujolais, est située entre Moulin-à-Vent et Juliénas, si bien que ce vin est plutôt classé dans les Beaujolais corsés, puissants et charpentés que dans ceux soyeux et délicats, tels le Fleurie ou le Saint-Amour. Cependant, les méthodes de vinification de la famille Benon procurent à ce vin, une finesse et un velouté assez particuliers et originaux.

Je vous avais révélé, dans Le Cardiologue n° 318, mon vigneron préféré de Morgon, Roger Thévenet, auquel je suis fidèle depuis plus de 25 ans ; dans la même veine, je vous invite à découvrir une production, à laquelle ma belle-famille était attachée depuis plus de 50 ans et que j’ai immédiatement adoptée.

Rémi Benon a dû reprendre en 1982, à l’âge de 16 ans, à la suite du décès précoce et brutal de son père, l’exploitation familiale, pour la maintenir à un haut niveau qualitatif dans les appellations Saint-Amour, Juliénas et Chenas, vers lequel va mon inclination.

Les vignes sises sur Chenas et la Chapelle-de-Guinchay sont cultivées sur un terrain granitique traversé par des filons argileux, de la façon la plus naturelle possible, utilisant le minimum d’herbicides et de produits chimiques. Elles sont plantées serrées, 10 000 pieds/hectares, avec une taille Guyot simple, et enherbées. Un ébourgeonnage sévère est effectué et, si nécessaire, une vendange au vert permettant des rendements faibles pour la région de 40 à 45 hl/ha. Les vendanges sont, comme dans tous les bons domaines de l’appellation, purement manuelles, afin de conserver intacts les raisins, totalement éraflés, avant la mise en cuve.

Une macération à la bourguignonne

Contrairement à la plupart des vignerons du Beaujolais qui pratiquent une macération semi- carbonique, Rémi Benon procède à une macération sur 10 à 12 jours en cuve ouverte, à la bourguignonne, le chapeau protégé par une grille en bois, à une température de 20 °, sans pigeage, le levurage étant naturel. L’élevage est réalisé dans des cuves en acier émaillé, sans aucune utilisation de bois, pendant 9 mois. Le sulfitage est léger, la cuvée 2009, ci-présentée, n’a pas été chaptalisée. Il faut souligner que ce millésime 2009 fût, en Beaujolais, une réussite historique grâce à une météo idéale et un état sanitaire parfait de la vigne.

Ce Chenas 2009, quoiqu’encore un peu jeune et que l’on pourra facilement attendre 4 à 5 ans, est un vin à la robe rubis teintée de grenat gourmand, friand, rond d’une belle longueur. D’emblée, de puissants parfums de pivoine et de violette vous enchantent, escortés en bouche par d’envoûtants arômes de fruits rouges : cerise craquante, framboise, groseille. Les tanins soyeux, intégrés par une acidité parfaite, établissent belle harmonie et parfaite structure.

Ce Chenas, comme les autres crus du Beaujolais, escortera gaillardement charcuteries, cochonnailles, jambons persillés, terrines et rillons. Il s’accordera mieux encore avec un assortiment de tapas et jambons crus, une tarte ou une tourte aux lardons. Certains gastronomes lui réservent tout particulièrement une salade composée d’avocats et tomates-cerise au cumin, une purée de potiron aux oeufs brouillés et ciboulette, une brochette de poulet mariné au paprika. En vieillissant, ce Chenas se complaira avec un pigeon ou un petit gibier à plumes.

La frénésie médiatique planétaire pour le Beaujolais Nouveau étant (heureusement) en train de retomber, il n’est que temps de s’intéresser aux vrais et bons Beaujolais, comme ce Chenas qui, de plus, est proposé à des tarifs d’une douceur angélique.(gallery)




Cour-Cheverny Cuvée François 1er 2004 – Domaine des Huards – Michel Gendrier

Inscrit dans le patrimoine, au même titre que les magnifiques châteaux de Chambord et de Cheverny tout proches, le Romorantin, cépage unique des vins de Cour-Cheverny, mérite indéniablement d’être découvert et apprécié. Grâce à lui, la petite histoire oenologique et la grande histoire de France se rejoignent, lorsque, en 1519, François 1er fit venir de Bourgogne, 80 000 plants d’un cépage probablement issu du croisement d’un pinot avec du gouaix blanc, pour les cultiver autour de sa résidence, le Clos de Beaune, où il projetait de construire un château. Il en avait confié les plans à Léonard de Vinci, alors retraité au Clos Lucé, qui imagina, non seulement un palais grandiose, mais aussi une ville conçue sur l’eau avec un système de canaux et de moulins : une nouvelle Rome. La mort de Léonard de Vinci mit un terme à ce projet, la ville prit néanmoins le nom de Romorantin et François 1er choisit… Chambord, ce dont nul ne se plaindra !

Des vins originaux d’une remarquable personnalité

Le cépage ainsi transplanté, lui aussi baptisé Romorantin, se révéla particulièrement adapté aux terres argilo-silico-calcaires entourant la petite ville de Cour-Cheverny qui obtint, en 1993, une AOC spécifique.

Les vignes sont fragiles, vulnérables au vent, car les brins sont très cassants, les raisins à peau fine éclatent facilement et restent sensibles à la pourriture et à la coulure. Ce cépage blanc très productif, doté d’une acidité naturelle élevée, se récolte en octobre à la fin des vendanges. Il génère des vins originaux d’une remarquable personnalité, le domaine des Huards, dirigé par Jocelyne et Michel Gendrier, représentant l’une des figures emblématiques de ce vin solognot du Loir-et-Cher.

Le domaine mène une viticulture biodynamique n’utilisant aucun produit de synthèse, aucun désherbant, ni substance chimique, les sols sont labourés, les pulvérisations de bouillie bordelaise, de souffre à doses infinitésimales conservent le potentiel naturel des terroirs et la vie microbiologique des sols. Une taille sévère permet des rendements raisonnables (45 à 50 hl/ha) sur une surface de 8 hectares pour le Cour-Cheverny, alors que les lois d’appellation autorisent 60 hl/ha.

La vinification opère un pressurage doux suivi d’un débourbage statique. Seules, les levures indigènes présentes naturellement agissent pour la fermentation entre 18 et 20°, à la fi n de laquelle le soutirage est réalisé. La cuvée François 1er, issue de vieilles vignes de 60 ans d’âge moyen, bénéficie pour deux tiers d’un pressurage direct et pour un tiers d’une macération pelliculaire de 15 heures, puis d’un élevage en cuve inox de 6 mois sur lies fines. Le bois est proscrit.

Une palette aromatique étendue et complexe

La dégustation de ce Cour-Cheverny 2004 cuvée François 1er est, pour le moins, surprenante. La robe est légèrement dorée ; à l’ouverture, il apparaît fermé, rétracté avec des nuances de chèvrefeuille, mais il va très vite s’épanouir, surtout si, comme cela est hautement recommandé, vous le carafez. Au nez apparaissent des flaveurs mentholées, d’herbe sèche, de fleur de pissenlit et de cire d’abeille. En bouche, l’attaque est onctueuse, puis le vin explose avec une forte minéralité et un festival aromatique de beurre doux, d’angélique, de noix verte et de fruits exotiques. L’équilibre entre finesse tactile et puissance, de même que la persistance fraîche, minérale, racée, sont impressionnants.

Décidément, ce vin n’est à nul autre comparable, car, au cours de la dégustation, j’ai de prime abord évoqué un Chardonnay, puis un petit Manseng, pour conclure finalement à un croisement entre Chenin et Riesling ! Ce vin, doté d’une palette aromatique étendue et complexe, permettra des accords mets – vins variés et subtils. Il épousera, avec allégresse, poissons et viandes fumés, coquilles Saint-Jacques, surtout aiguisées par quelques pincées de truffes. Son onctuosité et sa minéralité se marieront voluptueusement avec un brochet au beurre blanc, une poularde sauce Albufera, un veau fermier à la crème. Il ne repoussera pas les fromages à pâte molle : Vacherin d’Abondance, Pont-l’Evêque, reblochon avec une tendresse particulière pour le Brillat-Savarin.

De plus, les tarifs de ce Cour-Cheverny cuvée François 1er sont aussi doux que l’est cet élixir. Grâce soit rendue à ces artisans courageux et doués qui, en pérennisant le cépage Romorantin, le gravent dans la mémoire viticole. ■

|| |Le Château de Cheverny a servi de modèle à Hergé pour le « Château de Moulinsart » du Capitaine Haddock, auquel il avait simplement enlevé les deux ailes extrêmes du vrai Château.|(gallery)




Côtes du Marmandais Clos Baquey 2006 – Elian Da Ros 47250 Cocumont

Plus tout à fait Bordeaux, pas encore vraiment Sud-Ouest, les Côtes du Marmandais, situées à cheval sur la Garonne, dans le Lot-et-Garonne, produisaient, dans un certain anonymat, des vins essentiellement replantés en cépages rouges Bordelais depuis le grand gel de 1956. Une campagne d’arrachage, provoquée par la mévente, a limité la superficie du vignoble à 1 000 hectares en 2009. Mais vint Elian Da Ros au physique d’acteur de cinéma italien, dont la famille, originaire d’un village de Vénétie, immigrée depuis deux générations, se partageait entre cultures maraîchères, céréalières et élevage, mais ne négligeait pas de vinifier, pour leur usage personnel, quelques arpents. Ainsi, son père Antoine avait complanté des ceps de très vieilles sélections massales de cabernet et merlot.

Dès l’âge de 8 ans, Elian Da Ros frémit d’une passion pour le vin. Après des études au lycée agricole, l’obtention d’un BTS viti-oeno à Montpellier, il fit ses classes après un bref passage chez Didier Dagueneau, pendant plus de cinq ans chez le grand Léonard Humbrecht, figure mythique du vignoble alsacien. De retour au pays en 1997, il reprit les quelques hectares familiaux, pour les agrandir progressivement en englobant les plus beaux terroirs de Cocumont (pas de plaisanterie douteuse, cocut en gascon signifie coucou !), pour atteindre actuellement 21 hectares. Son domaine sur la rive gauche de la Garonne, à quelques encablures des Côtes de Graves, est remarquablement situé sur des terres riches argilocalcaires (pour le Clos Baquey) ou argilograveleuses, bénéficiant de belles conditions climatiques à tendance océanique grâce au vent d’autan qui vient lécher les rives de la Garonne.

Elian Da Ros, traumatisé par le décès de son père d’une leucémie attribuée aux produits phytosanitaires, se convertit immédiatement au bio, certifié Agrocert en 2003, bannissant tout produit chimique remplacé par des composts organiques, et opta pour la biodynamie dès 2002. Il pratique, sur ses vignes, une taille Guyot avec un enherbement naturel un rang sur deux et un ébourgeonnage sévère. Lors des vendanges, les raisins sont totalement égrappés, récoltés manuellement, pressurés pneumatiquement. Chaque cépage est vinifié à part avec pigeage en début de fermentation, puis macération lente avec extraction très douce, la fermentation alcoolique en cuves de ciment dure 10 à 20 jours, l’élevage est réalisé en foudres et barriques de chêne pendant 24 mois pour le Clos Baquey. L’assemblage des différents cépages a lieu avant la mise en bouteille, sans collage, ni filtration. Le sulfitage est réduit au minimum. Elian Da Ros produit différentes cuvées aux noms poétiques : « Chante-Coucou », « Sua sponte », « le vin est une fête », mais sa cuvée vedette est le Clos Baquey provenant d’une seule parcelle de 5 hectares, assemblage de 1/3 de merlot, 1/3 de cabernet franc, 15 % de cabernet sauvignon et 20 % d’abouriou. En effet, il a ressuscité ce cépage rebelle, précoce, très réducteur et sensible à l’oxydation qu’il a su dompter par une macération carbonique. C’est probablement l’abouriou qui procure l’originalité de ses vins rouges grâce à sa robustesse, mais aussi ses touches fl orales et épicées.

Ce Clos Baquey 2006, à l’ouverture, m’est apparu décevant, fermé avec un peu d’acidité volatile, et ce n’est qu’après une longue aération le lendemain que j’ai pu apprécier sa concentration, son opulence et sa richesse. Le verre mire une robe pourpre et noire, légèrement trouble du fait de l’absence de filtration. Le nez dévoile de doux parfums de fruits noirs : cassis, sureau, mûre, puis affluent des arômes spécifiques de Da Ros, et probablement du cépage abouriou : zestes d’orange, cacao, épices et piments doux sur un fond délicatement boisé. La matière dense et suave, avec des tanins fermes, mais bien mûrs, tapisse la bouche dans un ensemble équilibré, où les fruits noirs, la cannelle, la vanille explosent et amènent une finale longue, tendue et prometteuse.

Ce Clos Baquey, par sa richesse et sa complexité, épousera de nombreux plats à base de viande ou de volailles. Il escortera galamment : viandes grillées, brochettes diverses, entrecôte marchand de vin, mais il s’épanouira mieux encore avec des préparations plus complexes : train de côtes accompagné de cèpes, caneton de Challans aux navets, faisan aux raisins, magret de canard en aigre douce sur une poêlée de champignons. Accord presque parfait : le carré de porc au boudin noir de Ducasse.

Afin d’éviter ma déception initiale et l’apprécier à sa haute valeur, il faut impérativement carafer plusieurs heures, voire 24 heures à l’avance, ce Clos Baquey 2006.

La qualité de ce magnifique flacon reflète celles d’un homme fier, passionné, perfectionniste qui réussit ainsi à traduire sa sensibilité et ses vibrations les plus intimes dans son vin. ■(gallery)




Champagne Roland Sage 1990 – 51530 Chouilly

Roland Sage est décédé il y a deux ans. C’était un ami, aussi ma proposition de célébrer, avec des bulles, les fêtes de fin d’année va être teintée de tristesse.

à la tête d’une petite production à Chouilly, village emblématique de la Côte des Blancs, Roland Sage produisait exclusivement, en millésimé, du grand cru blanc de blanc de Chardonnay.

Il a toujours refusé la publicité, l’inscription dans les guides oenologiques et, en fait, s’occupait peu du côté commercial de son entreprise, car il avait toujours entretenu un vaste réseau d’amitié lui permettant de vendre, sans difficulté, sa belle production, notamment dans le milieu médical. Avouons qu’il était efficacement aidé par son frère Roger, cadre d’un grand laboratoire pharmaceutique, avec lequel nombre de cardiologues maintenant un peu âgés avaient sympathisé, notamment en tant que co-organisateur avec le regretté Roger Wittlin, des dynamiques et exotiques séminaires d’échocardiographie dans les années 1980. Roger Sage ne manquait jamais d’amener à une époque, maintenant malheureusement obsolète, où les relations avec l’industrie pharmaceutique étaient empreintes d’amitié et de convivialité, les flacons de son frère Roland lors de toute réunion médicale…

La recette secrète des Maisons Sage

L’élaboration du Champagne Roland Sage était parfaitement classique avec quelques particularités : outre la grande qualité des raisins des terroirs Grands Crus de la Côte des Blancs, Roland Sage pratiquait un remuage et un dégorgement manuels jusque dans les années 2000, et surtout il utilisait une liqueur de dosage selon une recette secrète des Maisons Sage – Champion permettant un brut faiblement dosé à 10 g/l. En outre, les millésimés vieillissaient plus de quatre ans dans ses belles caves crayeuses.

Roland Sage était un bon vivant, un épicurien dans toute l’acception du terme et je le verrai toujours, lors du mariage de sa nièce, sabrer un nombre incroyable de ses très vieux flacons et, à chaque flûte, nous affirmer d’une lippe gourmande « ça, c’est du vin ! ».

Ce Brut Sage 1990, malgré son âge canonique pour un Champagne, présente une corpulence étonnante et une vigueur primesautière. Les bulles s’égrènent toujours aussi nombreuses et pétillantes que celles d’un jeunot de quelques années. En bouche, déferlent des arômes d’agrumes citronnés, de fleur blanche, de noix fraîche, à peine teintés d’un léger nez d’oxydation, champignon et gibier. Roland Sage a certainement signé avec ce millésime magnifique, l’une de ses plus grandes réussites. Ce splendide flacon, malheureusement le dernier de ma cave, fut dégusté en apéritif lors d’une récente fête familiale, mais je regrette de ne pas lui avoir offert un plat de prestige, tel un turbot au champagne ou un croustillant de bar au foie gras…

Le Champagne Roland Sage a disparu depuis le décès de son propriétaire, mais son neveu, avec lequel il collaborait depuis de nombreuses années, garde sous le label Roland Champion, une qualité très proche, notamment pour les millésimés, de celle que Roland Sage avait atteinte et ses vins sont hautement recommandables.

Par ailleurs, je vous rappelle l’excellent rapport qualité/prix du Margaine Spécial Club (voir Le Cardiologue 327) ou, si vous cherchez le haut de gamme, je vous conseille fortement le Billecart Salmon Brut réserve, élu meilleur Brut du monde par Decanter, qui honorera splendidement toutes vos fêtes. Roland, où que tu sois, nous continuerons à célébrer le culte de l’amitié grâce aux bulles de Champagne en ayant toujours une pensée pour toi… ■

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Lucia Saint-Emilion 2004 – Michel Bortolussi 33330 Saint-Emilion

Curieusement, ce domaine est quasi inconnu en France, ignoré des grands guides oenologiques, alors qu’il est adulé par les Américains et les Japonais ; c’est d’ailleurs, dans une de mes lectures préférées, le manga « Les gouttes de Dieu » que je l’ai découvert. Michel Bortolussi reconnaît, avec quelque regret, que la quasi-totalité de sa production part à l’étranger.

Michel Bortolussi, propriétaire depuis 1995 du Château Lucie, Saint Emilion basique, dont les récoltes étaient destinées depuis longtemps à la coopérative, comprit rapidement qu’il possédait, en fait, un joyau que son expérience dans le matériel de vinification allait lui permettre de révéler. Il agrandit légèrement son domaine qui atteint maintenant 3 hectares relativement morcelés, mais avec une parcelle de très vieilles vignes complantées en 1901 face à Grand-Pontet. Dès 2001, il eut l’heureuse initiative de s’assurer des conseils de Stéphane Derenoncourt, vigneron génial maintenant à la tête d’une société de « consulting » qui guide et assiste une quarantaine de domaines bordelais.

Indiscutablement, c’est la collaboration de Stéphane Derenoncourt qui a permis à Lucia, puisque c’est ainsi qu’elle avait été rebaptisée, de prendre son envol et devenir certainement l’un des plus grands Bordeaux de la rive droite. Tous les ingrédients ont été réunis pour la réussite : travail forcené dans le vignoble avec culture raisonnée proche du bio, effeuillages et récoltes purement manuelles, vendanges au vert, sélection draconienne sur la table de tri permettant des rendements étonnamment faibles de 20 à 25 hl/ha, macération en cuves de chêne ouverte selon la technique bourguignonne chère à Derenoncourt, pigeage manuel, le moût étant foulé avec les pieds ! L’élevage s’opère en barriques de chêne comportant 60 % de bois neuf pendant 12 à 16 mois, selon le millésime. L’assemblage de Lucia comporte près de 95 % de Merlot avec quelques pincées de vieilles vignes de Cabernet Sauvignon et Malbec.

Ce domaine, pour Parker qui lui accorde d’ailleurs des notes énormes, est classé en « vin de garage » : ce qui irrite fort Michel Bortolussi. Certes, sa production est faible, moins de 10 000 bouteilles/an, mais sa cuverie n’est pas exiguë, le chai est spacieux, moderne, parfaitement équipé, et surtout ses prix sont tout à fait corrects, sans rapport avec ceux des fameux vins de garage, en fait, un des meilleurs rapports qualité/prix du Libournais.

Le Lucia 2004 d’une robe rubis pourpre profond est un vin spectaculaire au fruité flamboyant, au goût explosif, et à la concentration profonde. D’emblée, le nez exhale des arômes intenses de crème de myrtilles, de confitures de mûres sur un fin sillage floral de rose, pivoine, violette. La bouche est grasse, ample à l’attaque exprime une formidable densité tannique enrobée par une chair incomparable. Des flaveurs de torréfaction, de charbon de bois et de prunes accompagnent une caudalie interminable. Ce vin est manifestement apte à une longue garde de 15 ans minimum.

Les Saint-Emilion sympathisent habituellement avec des viandes rouges cuites au barbecue, l’entrecôte bordelaise grillée aux sarments de vigne en étant l’exemple le plus pointu. Mais notre Lucia mérite mieux, car, en vieillissant, elle fera honneur, grâce à sa richesse et son exubérance, à un civet de lièvre, un salmis de palombe ou un pâté de grives. Je crois également que ce vin affectionne les champignons, faites-lui épouser : grenadin de veau aux cèpes, pigeon aux girolles, rôti de veau farci aux truffes. Elle aimera également, en fin de repas, un vieux gouda, un salers ou un laguiole.

Mais voici le bémol : ce vin n’est pas vendu à la propriété, vous pourrez le trouver chez certains cavistes, comme le Cellier de Boenot à Pomerol, et peut-être qu’en insistant, le sympathique Michel Bortolussi pourra vous réserver quelques primeurs…

Pour conclure sur l’opéra Lucia di Lammermoor, j’oserai écrire que ce vin d’une séduction fascinante évoque le baiser sucré et doux amer d’une beauté aux prunelles noires et aux cheveux de jais. ■




Sauvignon blanc 2008 Cloudy Bay – Blenheim Nouvelle-Zélande

Ce n’est pas en se refermant dans notre Hexagone cocardier, en méprisant la concurrence des vins du Monde que nous défendrons le mieux nos magnifiques productions ! Effectivement, le Sauvignon Cloudy Bay qui jouit, à l’étranger, d’une énorme notoriété, est un interlocuteur intéressant, car il offre une déclinaison originale et atypique de ce cépage qui trouve ses expressions les plus fabuleuses dans les liquoreux bordelais et dans les blancs secs du Centre Loire : Sancerre et Pouilly-Fumé (voir Le Cardiologue 317).

Découverte et ainsi intitulée par le capitaine James Cook lors de son voyage en 1770, Cloudy Bay est située à l’extrémité orientale de l’île du sud de la Nouvelle-Zélande dans la vallée de Marlborough, où débouche la rivière Wairau. Le vignoble bénéficie d’un climat tempéré, frais, solaire et venté, proche de celui du Nord de la France, en raison de la froide mer australe qui baigne les côtes de la province de Marlborough.

Les longues journées ensoleillées (comment l’éminent navigateur a-t-il pu décrire cette région comme brumeuse ?) alternent avec des nuits froides. Cette phénologie convient à merveille au Sauvignon, Savvy pour les « kiwis », maturation lente du raisin, accumulation de sucre, sans perte de la fraîcheur, complexité aromatique liée à la combinaison des grains, soit exposés au soleil prenant un nez de fruit exotique, soit cachés par l’ombre évoluant vers un goût acidulé et citronné.

Les vignobles, souvent éloignés à l’intérieur des terres, sont cultivés sur des sols d’origine volcanique, argileux et limoneux, mais la winery est installée sur la Wairau Valley.

Les premiers millésimes de Cloudy Bay, élaborés par le fondateur David Hohnen à partir de 1985, témoignèrent d’emblée d’une telle précision et force dans l’expression aromatique du Sauvignon qu’ils ont immédiatement enthousiasmé le marché mondial et que, happés par les oenologues anglo-saxons, ils étaient pratiquement introuvables en France.

Depuis dix ans, LVMH est devenue le principal actionnaire de la winery, si bien que le vin est largement distribué dans l’Hexagone, mais les propriétaires ont eu la sagesse de ne rien changer dans son élaboration en conservant le surdoué vinificateur, Kevin Judd.

Celui-ci reste très discret sur son savoir-faire. Mais nos artistes liguriens seraient surpris, voire choqués, par ses méthodes de vinification : si le raisin bénéficie de soins méticuleux et est récolté à maturité optimale, malheureusement de façon mécanique, cela n’empêche pas un arrosage intensif, des engrais à profusion, quoique peu chimiques, des rendements énormes, plus de 100 hl/ha. La vinification et l’élevage sont réalisés dans des cuves inox avec un strict contrôle de la température. Certaines cuvées (dans certaines années ?) sont élevées en baril avec un peu de Sémillon.

La dégustation du Sauvignon Cloudy Bay me procure un vrai plaisir. Les arômes classiques du Sauvignon de Loire : genêt, buis, bourgeon de cassis, voire pipi de chat, sont beaucoup moins prégnants, mais, dans le verre, d’une robe dorée pâle, le vin dévoile d’emblée un nez herbacé de poivron vert et d’asperge et, très vite, explosent des arômes exotiques de litchi, de mangue, d’ananas. La bouche corsée et aromatique conjugue le fruit juteux d’agrumes très citronnés avec de riches saveurs de caramel et d’amandes sous-tendus par une minéralité cristalline et une acidité pointue qui masquent une richesse alcoolique de 13,5°. Ce vin très typé permettra des mariages originaux. Osez-le en apéritif avec des poissons fumés, et notamment du saumon. Dans sa prime jeunesse, sa verdeur relative accompagnera sympathiquement les coquillages et, tout particulièrement, les huîtres. Mais dès qu’il aura acquis un peu de rondeur avec l’âge, il épousera sensuellement les plats marins excités par des saveurs orientales, en particulier citronnelle et coriandre, comme tous les poissons à la mode thaïe. Les gastronomes des antipodes apprécient leur Cloudy Bay avec des filets de bar au fenouil, un tartare de saint-jacques à l’anis, un sauté de thon, riz croquant, une omelette japonaise avec alcool de riz, dashi, sauce soja. Ses saveurs exotiques accueilleront avec délice un clafoutis aux mangues ou aux kiwis (of course !).

Ce flacon, comme la majorité de ceux du Nouveau Monde, est capsulé et son apogée ne dépasse pas deux ou trois ans. N’y a-t-il pas un rapport ?

Mais grâce au Cloudy Bay, la Nouvelle-Zélande nous offre une image beaucoup plus sympathique et agréable que celle des manifestations contre la présence française dans le Pacifique ou de la féroce mêlée des All Blacks. ■(gallery)




Château de la Négly : « La Falaise » 2006 – Côteaux du Languedoc – 11560 Fleury d’Aude

Etrange destin que celui des vins du Languedoc ! Berceau de la viticulture, fondé par les Grecs, développé par les Romains, le vignoble languedocien s’est considérablement étendu au fil des siècles, l’ouverture du canal des Deux- Mers, l’arrivée du chemin de fer en 1858 lui permettant d’écouler sa production pléthorique à faibles coûts, la superficie du vignoble progressant à 463 000 hectares en 1875, et plus de 500 000 en 1950.

Une métamorphose qualitative sous l’impulsion de jeunes viticulteurs

Après les ravages du phylloxera et de l’oïdium, la production redémarre grâce aux porte-greffes et à des cépages rustiques aux rendements énormes. Le Languedoc représente, entre les deux guerres, 40 % de la viticulture nationale, se fl attant d’être la cave de la France ouvrière. Mais la crise menace, les millésimes sont si volumineux que le marché s’effondre, la concurrence avec les vins d’Algérie, eux aussi produits en masse, tire les prix vers le bas. La grande révolte de 1907 affronte les viticulteurs avec l’armée au prix de nombreux morts et, depuis, surviennent, de façon récurrente, des manifestations souvent très violentes. Les causes sont évidentes : production de masse de vins de table et de vins de pays d’une médiocrité affl igeante, paupérisation des vignerons, campagnes antialcooliques, arrachage massif des vignes imposé par la communauté européenne réduisant actuellement le vignoble à 250 000 hectares.

Mais, comme nous l’avons déjà signalé (Cardiologue n ° 312), une métamorphose qualitative incroyable, sous l’impulsion de jeunes viticulteurs talentueux et motivés, s’est opérée depuis 25 ans, si bien que se multiplient les domaines produisant d’excellents vins expressifs, complexes, dont les prix, même parfois élevés, sont sans commune mesure avec ceux des grands Bourgognes ou Bordeaux.

Le Château de la Négly a effectué sa mutation, lorsque Jean-Paul Rosset l’a pris en main en 1992 au décès de son père qui considérait que le vin ne lui assurait qu’une source mineure de revenus, et vendait le raisin produit par ses vignes à gros rendement à la coopérative.

Jean-Paul Rosset, assisté par un excellent vigneron, Yves Chamontin, et conseillé par Claude Gros, oenologue surdoué qui tire les fi celles dans nombre de domaines réputés, a réalisé une véritable révolution au Château de la Négly : rendements réduits par des vendanges au vert (15 à 20 hl/ha), ridiculement faibles pour la région, contrôles de qualité, récoltes manuelles sur cagettes de 10 kg, éraflage total, table de tri sélectionnant, grain par grain, certaines cuvées, cuves de fermentation avec maîtrise des températures, extraction douce, élevage en barriques de chêne neuf.

Des prix sans commune mesure avec ceux des grands Bourgognes ou Bordeaux

Blotti sous une barre rocheuse du massif de la Clape près de Narbonne, ce vignoble de 50 hectares, idéalement exposé sur des coteaux en pente douce dominant la Méditerranée, profi te d’un climat sec, d’un très grand ensoleillement et, grâce à la proximité de la mer, de vents chargés d’embruns qui favorisent la maturation du raisin et limitent les maladies cryptogamiques. Le sol est composé de limon sableux du Miocène issu d’éboulis calcaires, sa porosité permet une bonne pénétration de l’eau et, ainsi, une excellente réserve.

Le Château de la Négly propose toute une gamme de vins allant de la Côte AOC coteaux du Languedoc jusqu’à des cuvées de prestige : la « Porte du Ciel » ou le « Clos du Truffiers » coproduit avec le grand oenologue Jeffrey Davies qui atteignent des tarifs imposants.

J’ai une toute particulière affection pour le Coteau du Languedoc, « La Falaise » 2006, vin divinement parfumé, caractérisé par la finesse et la complexité de ses arômes, par la puissance de sa structure, mais aussi par la douceur de son prix. Issus de 50 % de syrah, 35 % de grenache et 15 % de mourvèdre, d’une macération de 50 jours et d’un élevage dans 50 % de barriques de chêne neuf, « La Falaise » reflète une belle robe violine noire. Le nez exhale d’emblée les herbes aromatiques, le thym, les baies sauvages, puis arrivent, par vagues, des notes de cerises confi tes, de crème de cassis, de confi tures de mûres et, en fi nal, des arômes fumés et salins. En bouche, il exprime une texture crémeuse, de riches fruits noirs mûrs, mêlés de viande rôtie et de fl eurs capiteuses, et dévoile une fi nale opulente, douce, enveloppante avec des nuances épicées, balsamiques et graphitiques.

L’ensemble est flamboyant et luxurieux, mais parfaitement structuré sur des tanins gras et bien enrobés, si bien qu’il évite les défauts habituels des Languedoc hyperpuissants et « parkerisés », et escamote le boisé trop marqué et les notes de chaleur malgré ses 15 °.

Les arômes sudistes de « La Falaise » 2006 permettront d’excellents mariages de saveur avec toutes les recettes traditionnelles du midi : lapin au thym, porc à la sauge, agneau aux fèves et artichauts, caille à la tapenade, tajines d’agneau aux raisins et citrons confi ts. Mais puis-je vous suggérer un plaisir plus rustique : un petit goûter avec un jambon de montagne ou un ballota espagnol accompagné d’une salade de tomates à l’huile d’olive et d’un verre de « La Falaise » ? Oui, les Languedociens surmonteront leur crise viticole, mais par le haut, si, à l’instar du Château de la Négly, ils aspirent à l’excellence. ■

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération




Côtes de Moselle : Château de Vaux Septentrion 2008 – Norbert Molozay 57130 Vaux

Qui connaît les vins de Lorraine ? Pas grand monde mis à part certains autochtones et quelques oenologues érudits… Et pourtant ce vignoble produisait, fin XIXe siècle, 40 millions de litres de vin avant les ravages du phylloxera, les destructions de la grande guerre et l’industrialisation intensive de la Moselle. Il renaît progressivement et péniblement de ses cendres avec des fortunes diverses : les Côtes de Meuse, piquette sympathique, l’étrange vin bleu des Vosges, objet d’une critique acerbe dans le blog du Monde.fr de Miss Glou-Glou, dont je revendique une certaine paternité. Je n’ose non plus vous recommander les vins gris du Toulois, pour lesquels mon estomac exprime un rejet complet, s’il n’est bardé, pendant plusieurs jours, de Phosphalugel et Mopral du fait de l’acidité du breuvage. En revanche, les Côtes de Moselle, les vins les plus septentrionaux de l’hexagone, ont des atouts incontestables pour produire des vins de qualité, mais souffrent encore beaucoup de la comparaison avec les magnifiques vins allemands de la Moselle – Saar – Rüwer (Dr Loosen, J.-J. Prüm, le mythique Egon Muller). Je n’ai d’ailleurs pas compris pourquoi les Mosellans, au contraire de leurs Cousins allemands et alsaciens, ne privilégiaient pas le magnifique cépage Riesling.

« Un château au potentiel énorme »

« Flying Winemaker », ainsi que lui-même se définit, Norbert Molozay est, malgré ses 39 ans, un vinificateur expérimenté, pour avoir bourlingué en Nouvelle-Zélande, Australie, Etats-Unis, mais aussi Bourgogne, Alsace, assisté par sa charmante épouse, Marie-Geneviève, issue d’une famille de négociants en vin messins qui, abandonnant sa formation scientifique, s’est entièrement consacrée à sa passion d’oenologue.

Quand ils découvrent en 1999 le Château de Vaux, Marie-Geneviève et Norbert Molozay ont immédiatement un immense enthousiasme, « parce qu’il a un potentiel énorme », s’installent définitivement en Moselle et mettent tout en oeuvre, pour développer et magnifier la qualité des vins du Château de Vaux sur un terroir de 12,5 hectares planté en coteaux.

Les terrasses pierreuses et le sol argileux sur éboulis calcaires sont bien structurés et drainés. L’exposition Sud/Sud-Est génère un microclimat particulièrement protégé des influences froides et humides. La pluviométrie est régulière grâce au fleuve, la Moselle, qui tempère les excès ; le relief des coteaux et les expositions favorables bonifient les chaleurs estivales.

Les cépages sont variés et particuliers. Ainsi, le Septentrion est un assemblage de 60 % de Pinot gris, riche, capiteux apportant un peu de sucre, pour compenser l’acidité des 20 % de Muller-Thurgau aux arômes floraux, parfois chlorophylliens et des 20 % d’Auxerrois au nez d’agrumes et de fruits exotiques.

Le vignoble est en conversion biodynamique, les vendanges effectuées fi n septembre procurent un rendement assez élevé de 60 hl/ha réduit par un tri sévère sur table. Le pressurage à plateau sur cuve est suivi d’un débourbage pendant 48 h. La fermentation se produit directement et immédiatement dans de grands fûts de chêne de Moselle de 400 à 600 litres, où a lieu ensuite la malo-lactique. L’élevage se fait, pendant 10 mois, sur lies totales, sans soutirage, pas de sulfitage, ni d’acidification, seul le Muller-Thurgau est légèrement chaptalisé.

La dégustation du Château de Vaux Septentrion 2008 dans des caves voûtées du XIIIe siècle permet de mirer une robe jaune claire à reflets verts et d’apprécier des arômes vifs de pêche blanche, d’acacia, de fleurs de pommier, des flaveurs exotiques de banane, ananas, vanille douce. En bouche, il charme par sa rondeur, sa suavité presque doucereuse liée à la présence d’un peu de sucre résiduel, mais bien équilibrée par une légère note minérale de pierre à fusil.

Illustrant excellemment l’adage : cuisine de terroir, vin de même origine, le Septentrion s’accordera magnifiquement avec la si méconnue gastronomie lorraine. Grâce à la sève et au moelleux du Pinot gris, il escortera galamment les poissons de rivière en sauce : matelote de poissons d’eau douce, carpe à la juive, pavé de sandre en peau confit. Il épousera voluptueusement grenouilles à la mode de Boulay, cassolette d’escargots à l’anis, tourte lorraine à la viande, mais le plus somptueux accord s’opérera avec une quiche bien crémeuse, où l’acidité relative du vin enveloppe et assouplit le gras de la migaine. Ne considérez donc plus la Moselle comme le tombeau des industries sidérurgiques et minières, mais venez apprécier ses richesses culturelles, tel le Centre Pompidou de Metz, culinaires et vinicoles, dont le Château de Vaux est l’emblème. ■(gallery)




Vin de Tahiti Blanc sec été austral 2006 : Domaine Dominique Auroy – Rangiroa – Polynésie française

Moorea, Bora-Bora, Tuamotu, ces perles du Pacifique fascinent à l’image du paradis : beauté légendaire des plages de sable blanc, parfums envoûtants des fl eurs tropicales, charme indolent des farés, douceur des danses chaloupées des vahinées à la longue chevelure d’ébène, magnificence des couleurs lorsque, à l’horizon, se confondent mer et ciel dans une symphonie toujours renouvelée de turquoise, d’émeraude, de vert jade et de saphir…

Mais savez-vous qu’à Rangiroa, un groupe de passionnés a relevé le pari fou d’implanter un vignoble et est en passe de le réussir ? Dominique Auroy, entrepreneur français installé à Tahiti et grand oenologue, conseillé par Bernard Hudelot, viticulteur en Côtes-de-Nuits, enseignant à la faculté, s’est jeté dans cette aventure rocambolesque. Après des études approfondies sur les cycles phénologiques (Etude de l’influence des climats.)], les données météorologiques, les facteurs édaphiques([Relatif à l’étude des sols)], il a créé son vignoble sur un motu ([Récif corallien)] situé à 5 km de la passe d’Avatoru, dont il a confié l’exploitation à un jeune oenologue bourguignon, Sébastien Thepenier. Les difficultés prévisibles étaient, à l’évidence, majeures et toutes les bases de la vinifi cation ont dû être repensées, adaptées, modifi ées en fonction des conditions climatiques extrêmes pour obtenir des vins réellement uniques.

La sélection des cépages

Le problème le plus ardu fut de sélectionner des cépages adaptés à ces conditions hors normes. Une cinquantaine furent d’abord testés, aucun des cépages internationaux classiques ne put s’acclimater et, actuellement, seuls, le cépage Carignan pour les rouges et les blancs, le muscat de Hambourg pour les rosés et l’Italia pour les blancs moelleux ont été retenus.

Un travail colossal sur ce domaine de douze hectares permet de produire 50 à 60 000 bouteilles annuelles sur un sol uniquement composé de débris de corail blanc enrichi par du compost végétal au pied de chaque plant. L’eau, indispensable en période de sécheresse, c’est-à-dire plus de dix mois par an, est amenée par une dizaine de puits alimentés par l’énergie solaire qui pompent la lentille d’eau douce affl eurant la surface du lagon.

Si le gel n’est pas à craindre, l’atoll, culminant à 4 m de hauteur, est facilement submergé par les vagues, si bien que chaque rang de vigne est protégé, tant bien que mal, par des cocotiers, papayers et bougainvillées. L’air salin éradique toutes les maladies cryptogamiques : phylloxera (les ceps sont franc de pied, sans porte greffe), mildiou, oïdium, mais les ennemis sont autres : nématodes, crabes de cocotiers, scarabées géants, voire cochons sauvages, contre lesquels il faut utiliser toutes sortes de subterfuges.

Le motu n’est évidemment accessible que par bateau et tous les travaux (soins, vendanges) ne peuvent être que manuels. De la même façon, le raisin vendangé est transporté dans des caissettes ajourées par bateau jusqu’au chai dans l’île de Rangiroa.

Les vins sont déclinés en rosé, ni pire ni meilleur que les classiques rosés provençaux, en rouge, qui ne m’a pas franchement enthousiasmé, trop acide avec des tanins rêches, et en blancs qui sont, eux, à mon avis, fort dignes d’intérêt.

Un blanc digne d’intérêt

Le blanc sec est issu du cépage carignan rouge, vinifi é en blanc, récolté avant complète maturité, pour lui garder toute sa fraîcheur et acidité. Les raisins sont pressurés pneumatiquement, mis en cuve thermorégulée pour le débourbage et la fermentation. L’élevage est effectué pendant un an en fûts de chênes du Limousin avec fermentation malolactique, pas d’acidifi cation, peu de chaptalisation.

Le blanc sec été austral 2006 fait miroiter une robe dorée brillante aux reflets jaune pâle et exhale de belles notes d’agrumes : citron, pamplemousse avec d’intenses fl aveurs exotiques très originales qui seraient dues au terroir corallien : ananas, mangue, vanille ; on appréciera en bouche ses caractères vifs nerveux, sa forte minéralité, ses saveurs anisées. A l’évidence, ce vin se mariera idéalement avec les produits de la mer que la Polynésie nous offre : vivaneau grillé, mahi-mahi au lait de coco, perroquet sauce gingembre, gratin de bénitier, mais l’accord princier se fera avec les magnifi ques langoustes tropicales que l’on trouve encore en abondance.

Par contre, les grands classiques polynésiens : tartares, carpaccio, poissons crus à la Tahitienne s’accorderont mieux avec l’autre blanc, dit de corail, plus acide et primesautier. Ces vins, distribués en métropole, peuvent être commandés sur le site [www.vindetahiti.pf.(gallery)




Vosne-Romanée Village 2005 – Emmanuel Rouget – 21640 Flagey-Echezeaux

La jeunesse japonaise, rapidement rejointe par celle des autres pays, s’enthousiasme, par le biais de cette bande dessinée remarquablement didactique et expertement documentée, pour l’oenologie et l’univers des grands crus, au moment où la France met son vin à l’index par des lois répressives et des campagnes sanitaires outrancières.

Dans le tome 2 du manga, où entre en scène Emmanuel Rouget avec son grandiose Cros Parantoux 1999, il est raconté que ce vin fût, en fait, vinifié par son oncle, Henri Jayer « le Dieu du Pinot noir », suppléant son neveu, malade à l’époque, ce que Emmanuel dément formellement. Vous l’aurez compris, Emmanuel Rouget est bien le seul véritable disciple et héritier, au sens littéral du terme, du grand Henri Jayer. Le maître a transmis au fur et à mesure son savoir-faire à son neveu qui, depuis 1985, a pris progressivement ses marques et affine maintenant son propre style.

Des méthodes dignes du « Dieu du Pinot noir »

L’AOC Vosne-Romanée, située au coeur de la Côte de Nuits entre Chambolle et Vougeot au nord, Nuits-Saint-Georges au sud, bénéficie de conditions climatiques très favorables, chaudes et sèches, sans gelées tardives, protégée au pied d’un relief orienté vers l’est. Les meilleures parcelles reposent sur des calcaires du Jurassique, des conglomérats saumon du Miocène affleurant les bas des versants.

Les méthodes culturales et vinificatrices d’Emmanuel Rouget sont celles que l’oncle a toujours défendues : haute qualité issue de vignes de sélections massales, cultivées sans engrais chimiques avec des traitements raisonnés, taille courte, petits rendements, moins de 30 hl/ha pour le simple village, tri sévère à la coupe comme à l’arrivée en cuverie, vinification « à la carte » pour chaque cuvée et millésime. Les raisins sont éraflés en conservant les grumes entières, toute surmaturation du raisin et toute surextraction du jus sont soigneusement évitées. Ils sont élevés en fûts de chêne de qualité avec proportion variable de bois neuf selon les appellations, clarification naturelle sans collage, ni filtration. Mais Emmanuel Rouget se distancie quelque peu du maître en prolongeant l’élevage sur lies, en limitant la proportion de bois neuf et en soutirant le moins possible, pour rechercher des vins fins, élégants, racés au fruité intense.

Une âme de Bourguignon

Ce vigneron est de prime abord peu avenant, bougon et plus que réservé, si vous avez l’intention de lui arracher quelques bouteilles de ses cuvées vedettes, Echezeaux, Beaumonts ou mythiques Cros Parantoux, happées par la demande internationale, la grande restauration ou quelques cavistes de luxe. Mais c’est en réalité un homme remarquable, éminemment sympathique, lorsqu’on le connaît bien, et, en fait, un véritable artiste passionné par la vinification, et il y a encore possibilité, surtout en vous recommandant de votre journal Le Cardiologue, d’acquérir ses magnifiques villages : Savigny et Vosne-Romanée.

Ce Vosne-Romanée Village 2005, issu d’un grand millésime, est tout simplement merveilleux et il vous sera difficile de trouver Côte de Nuits Village plus cristallin et démonstratif. Produit par l’assemblage de 5 parcelles associant la structure et la puissance des coteaux les plus élevés à la douceur, l’élégance et la sensualité des fonds de combes, il est élevé pendant 18 mois dans des fûts de chêne comportant moins de 50 % de bois neuf.

Ce vin à la robe rubis profond, parfois un peu trouble en raison de l’absence de filtration, exhale d’agréables et douces senteurs de fleurs, violette, pivoine, de fruits noirs, cassis, mûre se conjuguant à des nuances d’épices douces : cumin, noix de muscade, voire encens, signature assez reconnaissable de l’école Jayer-Rouget. En bouche, explosent, sous le palais, des parfums de fraise écrasée et de cerise fraîche qui recomposent une structure crémeuse, suave et veloutée, et vous entraînent vers une finale d’une élégance et d’une longueur étonnantes, étayée par une subtile note de craie.

Ce vin charnu et épicé préfère les viandes fortes aux fibres bien dessinées qu’il pourra dompter et envelopper : belles volailles rôties, agneau patiemment cuit au four, pavé de boeuf peu entrelardé et gibiers à plume mijotés en cocotte. Il épousera voluptueusement une terrine de faisan, un canard aux navets ou aux poires. Fermons les yeux… Ce vin ne vous évoque-t-il pas un nu voluptueux de Rubens ?




Bandol « Château Pradeaux » 1999 – 83270 Saint-Cyr-sur Mer

Les restanques, longues terrasses de pierre sèche, édifiées depuis des siècles, protègent et bonifient le sol, pédologie mosaïque, constituée de grés, calcaire, marne sableuse. Les brises marines assurant au degré hygrométrique satisfaisant, le mistral, un environnement phyto-sanitaire favorable fournissent au cépage roi de Bandol, le mourvèdre, des conditions de maturation idéales par une parfaite adéquation entre composantes naturelles du terroir et exigences édaphiques de ce cépage fragile, à la maturation longue et tardive, très sensible à la pourriture.

Ainsi, outre ses paysages d’une beauté féerique (ne manquez pas le panorama sur la Méditerranée à partir du caveau Pibarnon), Bandol nous offre des vins rouges pleins, puissants, équilibrés grâce à la qualité du mourvèdre, mais aussi du fait d’une réglementation draconienne : vignes de 7 ans minimum, vendanges strictement manuelles, rendement maximal de 40 hl/ha, vieillissement d’au moins 18 mois en fûts ou foudre de chêne, interdiction de la chaptalisation.

Des domaines prestigieux

Bandol s’honore de plusieurs domaines prestigieux : Pibarnon, Tempier, Vannières, mais ma préférence va, sans hésitation, vers le Château Pradeaux qui produit des vins de garde magistraux.

Le Château Pradeaux est produit par des ceps cinquantenaires avec des rendements très faibles de 30 hl/ha comportant 95 % de mourvèdre et une pincée de 5 % de grenache. Le travail de la vigne est essentiellement manuel, l’excellent état sanitaire permet de limiter les interventions à l’introduction de soufre et de sulfate de cuivre. La vinification est traditionnelle : foulage léger, sans éraflage, fermentation en cuve ciment thermorégulée pendant 12 jours, séparation des jus de presse et de goutte pour la fermentation malo-lactique, élevage pendant 3 ou 4 jours en foudre de chêne patiné en conservant intégralement la rafle, pas de collage, ni de filtration. Ce parti pris de ne pas érafl er explique la longévité des cuvées, mais aussi le caractère du vin dans les premières années : ingrat avec une structure dure, austère, revêche, il ne va s’affiner qu’avec le temps, mais avec quelle puissance et harmonie !

Le Château Pradeaux 1999 est une bouteille magnifique, d’une robe carmin profond, teintée de nuances cuivrées exhalant des arômes de fruits noirs, de poivre, de havane avec des notes caractéristiques des grands mourvèdres : pruneau, olive noire, cuir. Il tapisse la bouche de ses parfums iodés et de tanins très mûrs, veloutés, puissants, mais restant d’une exquise finesse. En aveugle, j’affirmerai qu’il s’agit d’un grand Bordeaux, peut-être d’un Haut-Brion.

Les accords culinaires avec ce vin puissant aux arômes complexes sont riches. Le mariage princier se fera avec une daube provençale aux olives noires qui se fond parfaitement avec les arômes du Bandol. Un lapin aux pruneaux, un caneton aux olives ou aux raisins, un ossobucco tomaté procureront les mêmes plaisirs. La puissance du vin domptera facilement un cabri ou un sanglier. Vous pouvez, originalement, le confronter à la cuisine orientale : un canard laqué pékinois, une pastilla au pigeon. Le Bandol ne redoute pas, au contraire des Côtes de Nuits, les saveurs relevées des fromages affinés de Bourgogne : époisse, citeaux.

Certains critiques estiment que les récents millésimes de Château Pradeaux n’atteignent pas le niveau de ceux du passé, vins plus faibles, moins profonds, plus extraits qu’auparavant. Ne les ayant pas dégusté, je ne peux juger…

Mais si vous pouvez dénicher des millésimes 1990, 1995 ou 2001, n’hésitez pas, ils sont grandioses ! ●

LE DOMAINE

Le domaine fut créé en 1752 par le comte Jean-Marie-Etienne Portalis corédacteur du code civil et négociateur du Concordat. Il connut bien des vicissitudes : dévasté par la Révolution de 1789, détruit par le phylloxéra au XIXe siècle, puis, à nouveau, par les bombardements de l’Occupation, il fut réhabilité par la comtesse Arlette Portalis à la fi n de la guerre. C’est elle qui se dévoua, sans compter, dans la conduite du domaine familial lui assurant, par une vinification particulière du mourvèdre, sa typicité actuelle avant de le confier, en 1985, à son héritier Cyrille.




Condrieu « Coteau de Vernon » 1999 – Domaine Georges Vernay – 69420 Condrieu

Ose-t-on imaginer que le vignoble de Condrieu, en patois « Coun de Ria », le coude du fleuve, aurait disparu dans les années 1960 si Georges Vernay n’avait bataillé de toutes ses forces et convictions pour le ressusciter ?

Les obstacles étaient majeurs. Les falaises, dressées sur la rive droite du Rhône, désespéraient toute idée de culture, mais des générations les ont pourtant sculptées en d’acrobatiques escaliers rythmés par des murets de pierre sèche, les chaillées ; l’horizontalité, arrachée au vide, n’a parfois qu’un mètre de largeur, de quoi planter un seul rang de vignes qui doivent s’agripper sur des piquets et croisillons. Les ceps, poussant sur une mince couche de terre, le fameux gore, granit décomposé, ne survivent qu’en plongeant leurs racines dans les anfractuosités de la roche. Le nom d’une cuvée vedette de Vernay, les « Chaillées de l’enfer », illustre bien ces difficultés.

De plus, le viognier est un cépage difficile, peu fertile, aux rendements faibles, de 20 à 30 hl/ha, dont la vinification ne tolère pas l’approximation, oscillant entre réduction et dilution. Georges Vernay sut éviter tous ces écueils et obtenir la quintessence de cette appellation. Bénéficiant d’une célébrité largement méritée, il a su laisser, depuis 1996, les rênes de la vinifi cation à sa fille, Christine qui, abandonnant son métier d’enseignante à l’ENA, a apporté sa finesse et sa sensibilité pour, s’il était encore possible, sublimer les potentialités du domaine. La culture de la vigne et les vendanges, compte-tenu de l’escarpement des coteaux, sont obligatoirement manuelles. Les raisins arrivent à la cave en caissette, où un deuxième tri sévère est effectué. Les techniques de vinification changent constamment pour s’adapter à la matière récoltée et au millésime considéré. Les raisins peuvent être égrappés ou non, subir des macérations pelliculaires ou être comprimés directement dans des pressoirs pneumatiques. Les jus sont débourbés, puis fermentés tout en douceur dans des barriques constituées au maximum de 25 % de bois neuf pour les deux cuvées de prestige : les Chaillées de l’enfer et le Coteau de Vernon. Les vins, sur lies totales régulièrement bâtonnées, restent en élevage pendant douze mois. On trouvera des millésimes avec malo-lactique, d’autres non, c’est selon l’analyse et la dégustation.

Le Condrieu Coteau de Vernon 1999, produit par des vignes septuagénaires, issues de sélections massales, est un vin superbe, archétype de l’expression du viognier. Dans le verre, mire une vive couleur jaune or pale. D’emblée, les fl aveurs d’abricot et de pêche blanche, caractéristiques du cépage viognier, éclatent, mais se dévoilent, par paliers, une véritable explosion aromatique : fl eurs blanches (acacia, chèvrefeuille, iris), cédrat, bergamotes, fruits tropicaux, ananas, mangue. Ce vin en bouche est d’une droiture, d’une pureté et d’une finesse incomparables. Son heureuse acidité et minéralité lui confèrent belle précision et parfait équilibre. La finale est puissante, épicée, miellée avec une très longue caudalie. Certains experts soutiennent que les Condrieu vieillissent mal et qu’il vaut mieux les boire dans les deux ou trois ans. Ce fl acon, comme d’ailleurs la plupart des grandes cuvées de Vernay, apporte un démenti cinglant, et j’estime qu’on peut facilement les apprécier au bout de dix ans.

Le Condrieu, vin blanc aromatique et exotique, permet de remarquables accords culinaires. Les premières asperges vertes du printemps, arrosées d’un filet d’huile d’olive ou aiguisées par une sauce gribiche, s’accompagneront avec délectation d’un jeune Condrieu. Mais vous obtiendrez, avec ce Coteau de Vernon, des mariages sublimes avec un gratin de queues d’écrevisses, des Saint-Jacques à la crème d’épinard et aux abricots, une salade de langoustines, et surtout des quenelles de brochet, sauce Nantua. Le Condrieu, grâce à ses arômes exotiques, se déguste plaisamment avec la cuisine thaï ou de simples sushi. Il imbibe et rend harmonieux des fromages secs, tels un picodon de Drôme ou une rigotte de Condrieu.

Quel bonheur ce vin ! Grand merci à la famille Vernay d’avoir réhabilité cette appellation ! ●

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération




Chinon « Clos de la Dioterie » 2002 : Domaine Charles Joguet – 37220 Sazilly

Notre confrère, François Rabelais, natif de Chinon, thuriféraire et grand consommateur des vins de Touraine, prêtait à Gargantua dès sa naissance, ce hurlement : A boire ! à boire ! et adorait « ce bon vin breton (ancienne appellation du cabernet franc (ndr)) poinct ne croist en Bretagne, mais en ce bon pays de Véron ».

Mais cet enthousiasme n’est pas unanime et certains, à l’instar de mon épouse, reprochent à ces rouges tourangeaux, Saumur-Champigny, Bourgueil, Chinon, leurs caractères végétaux, herbacés, voire terreux. Je considère que ces arômes, parfois désagréables, résultent de cuvées mal vinifiées ou issues de médiocres millésimes, mais que certains vignerons élaborent en Touraine des vins remarquables qui méritent d’être (re)connus.

La Touraine, par son climat doux et tempéré, permet au difficile cabernet franc, de développer dans ses vins rouges, de merveilleux arômes fruités et floraux.

Des amateurs devenus orphelins

A la mort de son père en 1957, Charles Joguet a repris l’exploitation familiale abandonnant, de ce fait, ses études aux Beaux-arts et – à lui seul – redoré le blason des vins de Chinon, pour leur faire atteindre des sommets dans la hiérarchie viticole. En 1997, toujours en quête intellectuelle et pressé par des problèmes financiers, il a tiré sa révérence pour revenir à ses passions : peinture et sculpture. Ainsi, le nom d’un homme génial, pur artisan, est devenu une marque. Mais ce domaine, repris par son ancien associé, Jacques Genet, et secondé par un excellent viticulteur, François-Xavier Barc, a su garder les préceptes très novateurs du maître Joguet : vendanges par petites caisses ajourées au lieu de la hotte traditionnelle, égrappoir révolutionnaire de Günter Amos, vinifi cation séparée des différentes parcelles en cuves inox avec pigeage électromécanique. Certes, après la retraite de l’artiste, les amateurs sont devenus un peu orphelins de ce grand vin ligérien, car le domaine a connu une zone de turbulences liée à son expansion passant d’une production annuelle de 70 000 à 350 000 bouteilles, à une baisse qualitative portant notamment sur les appellations de moyenne gamme. Mais, depuis huit ans, on retrouve, dans les grandes cuvées, le fruit et la texture satinée qui avaient fait la gloire de Charles Joguet.

Une gloire retrouvée

Le Clos de la Dioterie, petite parcelle de 2,5 hectares, est le parangon de l’appellation, produit par des vignes octogénaires, exposées idéalement au nord-est, et poussant sur un terrain argilo-calcaire, avec des rendements faibles de 30 hl/ha.

Ce Clos de la Dioterie 2002, vinifié dans une année difficile, est tout simplement merveilleux ; il arrive seulement à maturité avec encore de belles années devant lui. La robe est pourpre, cardinalice. Le nez perçoit, outre les arômes caractéristiques du cabernet franc : poivron vert, framboise, des notes de fruits confiturés, de prunes et d’épices, réglisse, cannelle, muscade. En bouche, on apprécie les structures tanniques, soyeuses et satinées des grands Joguet, la finale est longue, fraîche et voluptueuse.

Ce grand vin permet de remarquables accords culinaires. Sa vivacité et sa structure tannique relèvent bien les textures vinaigrées, mais aussi gélatineuses : pieds de porc, queue de boeuf, gîte, poulet au vinaigre, rognons madère, foie de veau déglacé au vinaigre, mais je recommande deux mariages princiers avec ce fl acon : la cannette de Challans en serviette et le feuilleté de ris de veau aux truffes. Ses arômes framboisés ne repousseront pas un dessert à base de fruits rouges, tel un clafoutis aux cerises. La production très faible : 12 000 bouteilles/ an contraint la maison à limiter strictement les commandes, mais vous pouvez encore disposer des 2008, et peut-être 2007.

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Champagne A. Margaine : Cuvée « spécial club » brut 1999 – 51380 Villers-Marmery

Pourquoi, à l’occasion des fêtes de Noël, ne pas se noyer dans les bulles, afin d’oublier notre triste condition de cardiologue libéral ? La mini-tempête, produite dans la flûte, transforme une dégustation de Champagne en un moment unique, mais toujours répété et festif ! Rappelons schématiquement la vinification du Champagne : _ Pressurage des raisins issus de 3 cépages : un blanc : Chardonnay, deux noirs : Pinot Noir et Pinot Meunier en séparant chaque cuvée. _ Fermentation alcoolique classique. _ Assemblage des différents cépages, crus et ajout pour les cuvées non millésimées, de vins anciens, dits de réserve, pour une homogénéisation de l’appellation. _ Tirage en bouteille avec enrichissement de sucre et de levures qui provoquent une nouvelle fermentation appelée « prise de mousse » nécessitant une bouteille robuste et une solide fermeture, car la pression dans la bouteille est celle qu’un plongeur ressent à 50 mètres sous la mer ! Ce n’est qu’à l’ouverture de la bouteille que sont libérés les 5 litres de gaz carbonique en excès, qui, fuyant la phase liquide, rejoignent l’atmosphère, pour former les fameuses bulles. _ Conservation inclinée et remuage, le plus souvent mécaniquement par gyropalettes, pour faire glisser le dépôt de levures mortes dans le goulot. _ Dégorgement par expulsion des levures du goulot, par congélation du col. _ Remplacement du dépôt expulsé par une liqueur de dosage composée de vin et de sucre déterminant la nature de la cuvée depuis le non dosé jusqu’au doux, comportant plus de 55 g/l de sucre, en passant par le brut, moins de 15 g/l. _ Vieillissement sur lattes variable selon les cuvées de 2 ans pour les Champagnes ordinaires à 10 ans ou plus pour les cuvées de prestige.

Le Champagne est un produit miraculeux élaboré sur une terre nourricière crayeuse qui a, en outre, permis la construction des extraordinaires sous-sols et caves de vieillissement et où la magie des hommes, le moine Dom Pérignon, ou plus probablement les marchands anglais, a imaginé de transmuter des raisins acides et pauvres en sucre, en un vin merveilleux grâce aux bulles qui épanouissent la saveur minérale du raisin et équilibrent l’acidité par la fi nesse de l’effervescence.

Je vous dévoilerai mon producteur préféré que m’avait fait découvrir mon fameux ami, gastroentérologue rémois.

La maison A. Margaine fut fondée en 1920 par Gaston Margaine.

Villers-Marmery, lieu d’exercice de la quatrième génération Margaine, est une enclave dans la Montagne de Reims, terroir du Pinot Noir, où le Chardonnay trouve terre d’excellence, pour exprimer ses caractères vifs et aériens, mais rehaussés par une certaine corpulence.

La mise en place de nouveaux principes de culture, les vendanges manuelles, le pressurage effectué avec soin dans les chais préservent tous les caractères et arômes des cépages.

La cuvée « Spécial Club » 1999, blanc de blanc issu uniquement d’un assemblage de Chardonnay, bénéfi ce d’un vieillissement de 3 années sur lies.

D’emblée, le pétillement or pâle, brillant et scintillant des fines bulles exerce un magnétisme sur l’oeil. La sensation haptique, due au choc du gaz carbonique contre la langue et le palais, est vive, fraîche et désaltérante, caractéristique des bons blancs de blanc.

Les flaveurs de brioche beurrée sont attribuées par certains aux levures, proches du levain des boulangers, introduites pour la prise de mousse, mais signent, tout bonnement, à mon avis, le cépage Chardonnay. Cette cuvée exalte de vives fragrances de pêche blanche, d’acacias, d’agrumes citronnées.

Le Champagne est une merveilleuse boisson apéritive, et surtout un vin de fête, mais cette cuvée A. Margaine, malgré la légèreté du blanc de blanc, possède un gras et une vinosité qui lui permettent de faire merveille pendant tout un repas. Voici quelques propositions pour un repas de rêve… tout naturellement de réveillon : en entrée : huîtres chaudes à la fondue de poireau ou saint-jacques à la crème et au persil ; ensuite : fricassée de cèpes et écrevisses ou turbot sauce champagne. Ce Champagne, grâce à sa vivacité et sa fraîcheur, accompagnera, sans problème, un coulommiers ou notre camembert national qui repoussent habituellement tous les vins. Contrairement aux idées reçues, les Champagnes bruts, de par leur acidité, épousent difficilement les desserts. Troquez- les alors contre un demi-sec.

Cet excellent flacon est proposé à un tarif très intéressant : 20 euros, alors que la cuvée traditionnelle, fort agréable, vous est littéralement offerte pour 13 euros.

Alors, bonnes fêtes pour tous, avec, je vous le souhaite, beaucoup de Champagne !

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Chablis Village 2005 : Domaine Vincent Dauvissat – 89800 Chablis

Qui ne connaît pas le vin de Chablis ? Ce vignoble prestigieux, créé dès le Moyen-Ãge par les moines cisterciens, fût immédiatement très apprécié par la cour parisienne grâce aux transports fluviaux facilitant l’acheminement des tonneaux. Progressivement, cette renommée s’étendit au-delà de l’Hexagone, à tel point que, dans les années 50, les grands Bourgognes blancs des Côtes de Beaune : Meursault, Puligny-Montrachet, Savigny, s’exportaient aux Etats-Unis sous le nom générique de Chablis, qu’encore maintenant nombre de vins blancs aromatiques sont présentés aux Etats-Unis sous le nom de Chablis, et que j’y ai me^me découvert un vin blanc étrange et, à vrai dire, répugnant qui étiquetait fièrement la mention “Cépage Chablis” !

Les vignobles de Chablis, quoiqu’éloignés de plus de 150 km du nord de Beaune, font partie de l’appellation Bourgogne grâce à leur unité ampélographique : le Chardonnay. C’est le plus vaste terroir de Bourgogne sur près de 5 000 hectares produisant 1/3 des vins blancs de l’appellation.

L’originalité et la typicité du Chablis s’expliquent par la géologie, sol quasi unique pour l’ensemble des vignobles : le calcaire du Kimméridgien datant du Jurassique supérieur. En effet, tout bon Chablis transmet d’emblée des flaveurs de minéraux, de pierre à fusil, de craie, ce qui permet, à d’excellents vinificateurs, au moins une vingtaine, d’exprimer leurs talents. Mais il est unanimement reconnu que 2 d’entre eux, d’ailleurs parents, Francois Raveneau et Vincent Dauvissat occupent incontestablement le sommet de la hiérarchie.

Vincent Dauvissat dirige un petit domaine de 11,7 hectares, produisant seulement 75 000 bouteilles par an, fondé dans les années 1920 par Roland Dauvissat. Le vignoble est entretenu avec une méticulosité maniaque, tel un jardin d’agrément : taille rigoureuse, ébourgeonnage serré, culture du sol, amenant, depuis 2002, une reconversion en biodynamie.

Les raisins sont récoltés très mûrs, expliquant la richesse du fruité des vins, avec un rendement faible : 30 hectolitres/hectare pour le simple village qui est ci présenté. La fermentation alcoolique s’opère lentement sur 3 semaines. Tous les vins sont élevés, au minimum, 8 mois en vieilles barriques de chêne, ce qui permet, contrairement à beaucoup de vins blancs, une fermentation malo-lactique. Vincent Dauvissat est un homme réservé, peu expressif, mais chez lequel on percoit vite la vibration et la volonté du grand viticulteur et, de fait, tous ses vins sont magnifiques, du plus simple jusqu’aux deux grands crus : les Preuses et les Clos qui, dans les grandes années, tutoient le sublime.

Mais son simple Chablis Village 2005 est un vin enthousiasmant, largement au niveau des 1ers crus de nombre de ses collègues chablisiens, boosté de plus par ce grand millésime. Le verre fait mirer une robe jaune pâle, limpide à peine teintée d’or. L’impression immédiate est la pureté minérale avec des notes de poudre de sel et d’ardoise, caractéristique des grands Chablis. Les flaveurs très complexes mêlent, sans dissonance, les arômes de beurre frais, de mousseron et de poireau du Chardonnay avec des parfums de fleur blanche et des notes fruitées de pomme verte, ananas, poire. Ce vin long, gras, séveux réalise un équilibre parfait entre acidité et opulence. Classiquement, les Chablis s’accordent à merveille, du fait de leur acidité, avec les huîtres et plateaux de fruits de mer. Les spécialistes nous apprennent que la structure calcaire du Kimméridgien s’était bâtie à partir de sédiments et de coquillages, en particulier des huîtres minuscules, exoguira virgula, qui formaient le fond de la vaste mer intérieure couvrant la Bourgogne il y a 150 millions d’années : ce qui expliquerait la typicité saline, iodée, en fait marine, de certains Chablis et leur mariage quasi incestueux avec les huîtres qui retrouvent aussi leurs ancêtres fossilisés !…

En fait, ces accords fonctionnent beaucoup mieux avec les Chablis élevés en cuves inox, plus acides, moins gras et onctueux que les vins de Vincent Dauvissat bénéficiant d’une maturation en fûts.

Le Chablis Village 2005 permet, par contre, un mariage royal avec une sole meunière, un des plus beaux accords mets-vins que je connaisse. De même, ce vin épousera avec plaisir : une poêlée de Saint-Jacques à la fleur de sel, des crevettes au sésame, un gâteau de langoustines au jus de palourdes, un jambon à l’os braisé avec le vin de même provenance, bien évidemment une andouillette pommes pont-neuf, des fromages de chèvre sec apaisant la soif provoquée par leur sécheresse.

La faible production, l’énorme demande des restaurants étoilés et de l’international contraignent Vincent Dauvissat à ne plus accepter de nouveaux clients, mais peut-être qu’en insistant et en vous recommandant de votre journal Le Cardiologue ?…

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Excellence – Boulaouane 2006

Il est difficile, pour nous oenophiles européens, de se contenter du sempiternel thé à la menthe offert dans les pays du Maghreb, car cette cuisine raffinée épouse, avec volupté, un vin, s’il est bien choisi. Il est une constatation récurrente que les cuisines, dotées d’une forte typicité régionale ou nationale, s’accommodent au mieux de vins de la même provenance. Ainsi, nous pourrons, sans hésitation, marier les plats marocains avec des vins du Maghreb, et encore mieux du Maroc.

L’Afrique du Nord, après la colonisation française, était devenue, jusque dans les années 1960, le deuxième producteur du vin au monde. L’Algérie produisait 16 millions d’hectolitres de vin sur 360 000 hectares, dont la majeure partie était exportée, surtout en France, pour couper, renforcer et bonifier les vins, à l’époque médiocres, du Midi. Le traité d’Evian imposa d’ailleurs à la France un quota déterminé d’importation de vin d’Algérie qui ne fut pas respecté sous la pression des viticulteurs français. L’indépendance des pays du Maghreb, les interdits de la religion musulmane, la fermeture du marché français entraînèrent une baisse massive de la production de vins dans ces pays et une diminution importante de leur qualité, les exportations étant réorientées vers les pays du Nord et de l’Est de l’Europe beaucoup moins exigeants sur la qualité. Mais ces vins méditerranéens ont connu, depuis 10 ans, une révolution qualitative grâce à l’arrivée de producteurs et viticulteurs français attirés par la qualité des terroirs, les coûts productifs très intéressants et les potentialités de développement. Citons, entre autres, Gérard Gribelin, propriétaire de Fieuzal, au domaine de la Zouina au Maroc, l’inénarable couple Magrez – Depardieu au Château Saint-Augustin en Tunisie, le domaine El Bordj en Algérie. Mais, indiscutablement, ce sont les vins du Maroc qui ont le plus bénéfi cié des progrès viticoles : Sahari, Château Roselane, S de Siroua, et aussi Boulaouane.

Le savoir-faire bordelais

Les vins de Boulaouane étaient, depuis de nombreuses années, surtout connus pour leur gris : rosé pâle, puissant et aromatique. Mais cette cave a été reprise en « joint-venture » par la puissante maison bordelaise Castel qui a complètement modernisé les installations et a permis, avec la collaboration de ses oenologues, une progression qualitative remarquable. Les cépages bordelais, Cabernet Sauvignon, Merlot ont été privilégiés aux dépens des cépages méditerranéens plus productifs, mais moins nobles : Cinsault, Carignan, Alicante.

Les Celliers de Boulaouane, sis aux pieds de l’Atlas, produisent maintenant d’excellents vins dans les 3 couleurs : blanc, rosé ou gris, rouge, grâce à des sélections et méthodes culturales adaptées au climat. Les vendanges sont manuelles, les raisins rapidement réfrigérés, la vinifi cation se fait en cuve par gravité. La cuvé spéciale « Excellence », obtenue par un assemblage très précis de Cabernet Sauvignon, Merlot et un peu de Syrah, bénéficie d’un élevage de 6 mois en fûts de chêne. Cette « Excellence de Boulaouane » 2006 fait mirer une belle robe violacée brillante et déploie des arômes de fruits rouges : cerise, framboise, groseille, plus faiblement noirs : cassis. Le nez est finement boisé, vanille, cannelle et il se caractérise par ses arômes tertiaires de « vin de soleil » : eucalyptus, jasmin, muscade. La bouche est ample, pleine, équilibrée avec des tanins bien policés.

Pour en revenir à notre couscous, sur lequel nous aimons faire trôner une belle viande de mouton ou d’agneau : méchoui, mais aussi tranche de gigot, épaule ou côtelettes charnues, nous résisterons à la sollicitation habituelle des rosés d’Algérie et du Maroc. L’Excellence de Boulaouane, grâce à ses cépages bordelais et ses flaveurs ensoleillées, vous permettra un accord magnifique. Ce vin accompagnera naturellement toutes les viandes en sauce, il ne s’effacera pas devant les préparations épicées, tel le boulfaf et la redoutable harissa. Il pourra épouser des gâteaux au chocolat. Cet agréable vin que vous pouvez dénicher entre 6 et 8 euros dans les boutiques spécialisées, ne grèvera donc pas le budget de votre soirée « Afrique du Nord ».

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Muscat Grand Cru Saering 2005

Alors quel apéritif recommander ? Ecartons d’emblée les alcools forts : Whisky, Gin, Vodka et autres Tequila, purs et sous forme de cocktails étranges, alambiqués ou explosifs qui n’ont, comme seul mérite, que de charger votre degré d’alcoolémie et de calories, d’animer parfois tumultueusement votre tablée et, en toute certitude, de positiver votre alcootest à la sortie. Eliminons également les apéritifs trop sucrés : vins doux ; Porto, Banyuls, Martini qui vous poisseront la bouche pour toute la soirée. Réservons les boissons anisées pour les chaudes journées de grande soif avec des mets méditerranéens, poisson grillé ou brochettes. N’abusons pas du Champagne, certes très festif, quoiqu’onéreux qui, par sa sucrosité, peut vous couper un peu l’appétit.

En définitive, la meilleure entrée en matière me semble être un bon vin blanc, soit sec, type Chardonnay qui fait fureur dans les milieux branchés des Etats-Unis, soit moelleux naturels ou muscats fortifiés, tels que nous le proposent de nombreux terroirs francais : Loire, Rhône Méridional, Languedoc, Sud-Ouest, etc.

Mais, à mon humble avis, le meilleur vin pour l’apéritif est le Muscat d’Alsace, vin vif, sec, sapide, dont le goût muscaté donne l’impression de croquer à pleine dent une belle grappe de raisin, aiguise l’appétit, sans fatiguer le palais.

Le Muscat ne représente que 2,5 % de l’encépagement alsacien et est complanté à partir du Muscat blanc et rosé à petits grains, et du Muscat ottonel, assemblés en proportions variables par les viticulteurs. Cépage noble, il se décline en Grand Cru, Vendanges Tardives et, exceptionnellement, sélection de grains nobles.

Certains viticulteurs, tel Rolly Gassmann, élaborent des Muscats fruités et un peu sucrés qui s’apparentent plus aux Muscats doux renforcés, tels les Beaumes de Venise ou les Cap Corse, mais qui font merveille pour les desserts.

Mais je préfère nettement les Muscats secs et minéraux proposés par la maison Dirler. Maintenant à la tête d’un vaste domaine de 18 hectares incluant les Grands Crus : Kessler, Kitterlé, Saering et Spiegel, Jean-Pierre Dirler est un vinificateur hors pair. Ses vignes, totalement cultivées en agriculture biologique et biodynamique, sont labourées et leurs défenses naturelles renforcées par des préparations biodynamiques, des petits apports de soufre et de bouillie bordelaise, des tisanes d’ortie, des décoctions de prèles et d’achillée. Les désherbants et engrais chimiques sont radicalement proscrits.

Son Muscat Grand Cru Saering 2005 représente, à mon avis, l’archétype de ce que doit être un grand Muscat. Issu de vignes sur terroir marno-gréseux, les raisins sont vendangés tardivement, afin d’assurer la pleine maturité phénolique éliminant ainsi les parties vertes et dures.

Après pressurage pneumatique, les jus sont fermentés, soit en foudre, soit en cuve inox pendant 1 mois, puis élevés sur lie fine pendant 9 mois, et enfin filtrés sur plaque avant la mise en bouteille. Ce Muscat Saering, d’une belle robe jaune vert, déploie, outre ses arômes muscatés, des parfums de rose, melon, citronnelle, verveine et, en vieillissant, des notes anisées et légèrement épicées, type cannelle. En bouche, il transmet une texture vive, aigue, fraîche et racée.

A l’évidence, il s’agit d’un merveilleux vin d’apéritif ouvrant avec plaisir l’appétit pour les agapes programmées.

Mais l’un des mariages les plus aboutis se fera avec des asperges fraîches, si possible d’Hoerdt, relevées d’une sauce mousseline. Les asperges, compte-tenu de leur amertume et de leur goût herbacé, sont des ennemies déclarées du vin, mais, en l’occurrence, s’accommodent remarquablement du caractère muscaté de ce cépage alsacien.

Ce vin épousera, sans difficulté, une flammekueche et une tarte fine aux tomates. Il ne sera pas désarconné, tout comme les Gewurztraminer secs, par les cuisines exotiques épicées et relevées : chinoises, thaïlandaises ou indiennes, tels des crevettes au gingembre, un bar sauce thaïe, le curry de Madras, une pastilla marocaine l’accueillera tendrement.

Servez le Muscat frais entre 8 et 10 °, ne le conservez pas en cave plus de 5 ans, et suivez, comme je l’ai initialement fait, Serge Dubs, meilleur sommelier du monde, qui recommande en première intention ce flacon pour l’apéritif dans le triple étoilé d’Illhaeusern.




Madiran Bouscasse 1998 « Coeur de Vieilles Vignes » – Alain Brumont, 32400 Maumusson-Laguian

Mais surtout silence total sur les bienfaits d’une consommation modérée en termes de prévention des maladies cardiovasculaires qui sont reconnus par des études, elles, sérieuses et incontournables. Il est maintenant prouvé que ces effets bénéfiques proviennent de molécules antioxydantes, tel le resveratrol. Nous rappellerons la récente étude néerlandaise, publiée dans le « Journal of Epidemiology and Community Health », portant sur 1 400 hommes suivis sur près de 40 ans, qui démontre que ceux qui ne boivent que du vin, sans dépasser un demi-verre par jour, ont une espérance de vie de 5 ans supérieure à ceux qui ne boivent pas d’alcool du tout, et de 2 ans-et-demi par rapport à ceux qui boivent régulièrement de la bière ou d’autres alcools.

Si l’on considère, à juste titre, que ces actions antioxydantes du vin sont liées essentiellement à leur teneur en tannins, il faudrait privilégier les cépages contenant les tannins les plus riches et les plus puissants ; ce serait alors les Madiran vinifiés principalement à partir du bien nommé tannât. Mais ce cépage, initialement, produisait, du fait cette charge tannique, des vins rudes, rustiques et astringents.

Alain Brumont a donné ses lettres de noblesse au Madiran grâce à une sélection parcellaire rigoureuse, une maîtrise stricte des rendements (sélection de cinq à six grappes par pied et d’une grappe par sarment) et une vinification experte affinée au fil du temps : dégustation des jus, pour réaliser les équilibres et assemblages, chais d’une propreté chirurgicale, dotés des technologies les plus modernes, pigeage exclusif, collections uniquement des jus de goutte, fermentation malo-lactique en barrique de chêne neuf. Avec l’assistance du maître vinificateur, Fabrice Dubosc, il a réussi à dompter ce cépage difficile, pour produire des vins profonds, puissants, mais d’une race et d’une texture impressionnantes.

Alain Brumont propose deux types très différents de Madiran : – le Montus qu’il a élaboré à partir de 1980, pour aboutir à un des plus grands vins rouges Français, ses cuvées spéciales, Prestige, et plus encore, La Tyre, étant régulièrement jugées à l’aune de Château Pétrus ; – le Château Bouscassé est le domaine familial d’Alain Brumont qu’il a progressivement agrandi en défrichant les meilleures parcelles de la crête de Maumusson et qu’il a sublimé grâce à sa science oenologique. Ã l’évidence, le Bouscassé n’a pas la finesse et la suavité du Montus, mais il recèle une corpulence et une charpente qui me plaisent tout particulièrement et qui, à mon avis, permettent des accords gastronomiques aisés et évidents.

Bouscassé se décline en différentes cuvées : Argile rouge, Bouscassé associant 65 % de tannât, des cabernets sauvignon et franc, le fer servadou, vieux cépage traditionnel et la cuvée « Vieilles Vignes », tannât à 100 %, produites à partir de vignes de plus de 50 ans d’âge, dont certaines marcottées, donc préphylloxériques.

Le Madiran 1998 « Coeur de Vieilles Vignes » est une cuvée particulière qu’Alain Brumont a dédiée à son père Alban et qui correspond, selon lui, au summum de ce qui peut se faire sur la croupe d’argile grise de Maumusson. Elle n’a malheureusement été créée que pour ce grand millésime 1998, mais je considère que les Bouscassé Vielles Vignes dans les grandes années, et je vous recommande tout particulièrement le 2005, sont très proches et souvent qualitativement équivalents.

Ce vin, à la robe très sombre, partageant au XIXe siècle avec le Cahors, le surnom plutôt péjoratif de « vin noir », exhale des parfums de fruits noirs, mûre et myrtille, de griotte kirchée, puis des arômes tertiaires de vanille, épices, et en rapport avec son âge : cuir et jus de viande. En bouche : quelle structure ! quelle puissance ! quelle virilité ! C’est le Chabal des vins !

Le Madiran, et tout particulièrement ce flacon, est le compagnon idéal pour la roborative cuisine du Sud-Ouest qui réclame un vin solide, robuste à forte charge tannique (le tannât !), pour atténuer et assimiler le caractère envahissant de la graisse, tandis que le vin désire un partenaire qui gomme son astringence.

Le Bouscassé « Coeur de Vieilles Vignes » s’épanouira avec un confit de canard aux lentilles, un magret de canard ou d’oie et, bien évidemment, tout cassoulet, faisant fi des chicanes locales de Toulouse, Carcassonne ou Castelnaudary. D’autres mariages remarquables s’accompliront avec un agneau des Pyrénées rôti aux herbes et assaisonné aux piments d’Espelette, avec le foie gras de canard chaud et aux haricots noirs pimentés de Philippe Braun (il s’agit d’une des rares situations, où le foie gras accepte de se mesurer à un vin rouge).

Mais, au-delà du régionalisme, ce vin épousera, avec volupté, une daube ou un gibier à poil, type civet de marcassin ou chevreuil mariné. On aurait tort, en fin de repas, de ne pas terminer la bouteille avec des fromages des Pyrénées : Etorki, Oussau-Iraty, Esbareich, surtout si vous les accompagnez de confitures de cerises.

Alors pourquoi ne pas jouer à fond la carte de la prévention : graisse d’oie et vin très tannique, tel le Madiran ? !

à consommer avec modération. L’abus d’alcool est dangereux pour la santé.




Domaine de la Bongran. Jean Thevenet. Quintaine 71260 Clessé

Il faut cependant tempérer cet enthousiasme frénétique pour les premiers crus de Meursault, Beaune, Pulligny et Chassagne Montrachet et pour leurs mythiques grands crus : Montrachet, Batard, Corton-Charlemagne, par le fait que peu de viticulteurs assurent une qualité irréprochable et constante et, que chez les très grands, les vins sont quasi inabordables par leur rareté engendrée par les faibles productions et la demande planétaire entraînant, pour la plupart, des tarifs prohibitifs même pour le commun des cardiologues.

Mais certains vignerons du Mâconnais, vignoble de l’extrême sud de la Bourgogne, en plein renouveau qualitatif, produisent des vins où le Chardonnay trouve ses expressions les plus opulentes grâce à un ensoleillement très favorable, si bien que le consommateur enregistrera beaucoup plus de satisfactions, à des prix nettement plus doux, qu’avec nombre de productions moyennes ou médiocres de Meursault ou Chassagne-Montrachet.

Le vignoble du Mâconnais dispose d’appellations régionales et de cinq appellations communales : les AOC Pouilly-Loché, Pouilly-Vinzelles, Saint Véran (parfois commercialisée sous le nom de Beaujolais blanc), Pouilly Fuissé et Viré-Clessé, les deux dernières offrant, à mon avis, les meilleurs potentialités qualitatives.

La famille Thevenet, implantée à Quintaine depuis le début du XVe siècle, produit sur le domaine de la Bongran (étymologiquement : bon grain, terre donnant du bon raisin) des vins superbes d’une typicité très particulière, différente des Mâcons blancs classiques, car ils sont issus de vendanges récoltées tard, très mûres, conservant un peu de sucre résiduel. Jean Thevenet vient de passer le flambeau à son fils Gautier qui entend bien garder les mêmes techniques de culture et vinification qui ont fait la réputation du domaine.

La vigne pousse sur un terrain argilo-calcaire et marneux où le sous-sol affleure les ceps qui font l’objet d’une taille hivernale sévère et de soins naturels méticuleux, la propriété étant en cours de confirmation biodynamique.

La récolte est manuelle avec des rendements faibles de 30 à 35 hl/hectare. Le Viré-Clessé tradition est produit principalement sur le remarquable terroir du Clou à Quintaine.

Sa fermentation est réalisée en cuve epoxy le plus naturellement possible, le vin étant ensuite transvasé pour un élevage long sur lies fines en cuves inox pendant 18 à 24 mois.

De façon étonnante, les barriques de bois ne sont jamais utilisées. Ne sont pas réalisés bâtonnage, collage ou acidification. Avant la mise en bouteille, une filtration légère préserve l’équilibre naturel et assure une netteté parfaite.

Les Thevenet ont ainsi la sagesse de ne proposer leurs vins, avec quelques années de décalage, que lorsqu’ils l’estiment prêts à la dégustation.

Le Viré-Clessé 2002 du domaine de la Bongran fait miroiter dans le verre, une belle robe or pâle cristalline et brillante. Le nez explosif et complexe laisse d’abord s’exprimer la note classique du Chardonnay (brioche beurrée), puis exhale des parfums impétueux de fruits mûrs (poire rotie, pêche jaune), de fleurs (genets, de miel séché), d’épices (poivre, curry). Sa bouche extrêmement concentrée, luxuriante, huileuse et satinée inonde le palais de truffes, miel, agrumes, se prolongeant dans une caudalie immense par des notes de fruits secs et grillés : amandes, noisettes.

La présence de sucres résiduels, qui peut heurter certains, explique la richesse et la complexité de ces arômes et parfums mais ne perturbe en rien l’équilibre parfait de ce vin grâce à ses belles acidités et minéralités.

Les Mâcons blancs offrent de très nombreux et variés accords culinaires. Les Mâcons simples d’appellation régionale peuvent être servis en apéritif, avec des radis noirs à la fleur de sel sur pain grillé ou des filets de thon germon citronnés.

Ils s’accordent parfaitement avec des coquillages, crustacés, tourteaux, crevettes ou langoustines mayonnaises et accompagnent gaillardement la cervelle de canut aux herbes, les chèvres du Mâconnais, le crottin de Chavignol.

Mais la richesse et la complexité du domaine de la Bongran autorisent et appellent des alliances plus subtiles ou inattendues.

Des quenelles de brochet subliment le côté brioché. Une blanquette de veau crémée, un sauté de veau au safran et citron confit, une truite aux amendes l’accueilleront avec volupté.

Mais les mariages les plus aboutis se feront avec des noix de Saint Jacques aux truffes, une tourte aux homard et asperges, des volailles à la crème et aux morilles et tout particulièrement la fameuse poularde demideuil de la mère Brazier.

Pour apprécier pleinement ce grand vin, Carafez-le au minimum 1/2 heure avant de le servir à 12°.

Je tiens enfin à signaler que les Thevenet élaborent, dans les années favorables, une petite merveille : la cuvée Botrytis prenant le contre-pied des vieux Bourguignons qui affirmaient qu’il était impossible d’obtenir de la pourriture noble à partir du Chardonnay. Ils sont probablement les seuls à réaliser cet exploit et à hisser un vin de Bourgogne au firmament des grands liquoreux.

à consommer avec modération. L’abus d’alcool est dangereux pour la santé.




Château Lynch-Bages 1996, 33250 Pauillac

Aborder les vins de Bordeaux, c’est s’attaquer à un mammouth qu’il faudrait, n’en déplaise à certains, dégraisser : 120 000 hectares de vignes, 9 500 vignerons, 800 millions de bouteilles annuelles !

Comment s’y retrouver, en sachant que le meilleur (rarement) côtoie le pire (assez souvent), que les prix varient de quelques euros pour un petit Bordeaux à plus de 400 € pour un premier grand cru ? Le fil d’Ariane reste la classification des grands crus datant de 1855, immuable, à une seule exception, lorsqu’en 1973 Mouton Rothschild fut promu premier grand cru, mais c’est une coïncidence étonnante que le Président de la République de l’époque, Georges Pompidou, eût été un ancien cadre de la banque Rothschild.

Cette classification, quoique critiquée, reste cependant une excellente base pour le choix des grands vins bordelais, même si, après plus de 150 ans, il apparaît de nombreuses lacunes, le Château Lynch-Bages étant un parfait exemple de sous-classement.

Le plus prestigieux vignoble de Bordeaux, et… du monde, avec la Côte de Nuits (excusez-moi mes amis Bordelais !), le Médoc est une presqu’île cernée par deux vastes étendues d’eau, où la culture de la vigne est relativement récente, mais où la qualité du terroir a permis un développement qualitatif et quantitatif exceptionnel de la viticulture, les Châteaux, parfois magnifiques, souvent pompeux ou franchement ridicules, poussant comme des champignons pour devenir les temples de sa majesté : le vin.

Chaque grande appellation du Médoc possède, de façon un peu schématique, ses caractéristiques : les Margaux (finesse et suavité), les Saint- Estèphe (générosité et corpulence), les Saint- Julien (austérité et puissance), mais les Pauillac sont certainement les plus grands (complexité mêlant les qualités des autres, ajoutant profondeur et soyeux, et ce n’est pas un hasard s’ils possèdent trois premiers grands crus).

Le Château Lynch-Bages tire son nom de la juxtaposition de celui de ses anciens propriétaires, la famille Lynch, Irlandais catholiques ayant fuit leur pays après la bataille de Boyne en 1690 et de celle d’une des plus belles croupes de Pauillac, où était sis l’ancien hameau de Bages.

Le Château devint la propriété de la famille Cazes en 1934 et est toujours resté jusqu’à maintenant au sein de cette famille, Jean-Michel Cazes qui l’avait dirigé pendant plus de 30 ans, venant de passer la main à la génération suivante : Sylvie et Jean- Charles.

Ce Château est familial dès l’origine, les premiers possédants au XVIe siècle étant tenu de « payer la rente et autres devoirs seigneuriaux de la fitte ». Il s’agit d’un des rares grands crus bordelais dans cette situation, la plupart étant maintenant possédés par des banques, des sociétés d’assurance, des chevaliers d’industrie ou magnats étrangers.

Mondialement connu pour son opulence, sa puissance, ce cinquième grand cru mériterait largement, selon les experts, d’être reclassé au niveau des deuxième, dont il atteint d’ailleurs les prix.

La situation des vignes est réellement dans un « triangle d’or » : Mouton et Lafite Rothschild au nord, Latour et Pichon Longueville au sud.

Le vignoble fait l’objet de soins précautionneux : taille courte, vendanges vertes, effeuillages, cueillette manuelle, accompagné d’un tri très sélectif.

La vinification est très classiquement bordelaise : fermentation en cuves d’acier thermorégulées, long élevage de 12 à 15 mois en barriques de chêne français, avant l’assemblage : 73 % de Cabernet-Sauvignon, 15 % de Merlot, un peu de Cabernet-Franc et Petit-Verdot. Une vaste rénovation des chais vient de débuter. Laissons les grands Pauillac, tel le Lynch-Bages, sortir de l’adolescence, pour atteindre leur pleine maturité. Trop jeunes, ils domineraient les meilleurs plats par leur personnalité austère, leur bouquet intense et leur boisé prégnant. Armons-nous de patience, pour les conserver une bonne dizaine d’années.

Ainsi, le Lynch-Bages 1996, dont le millésime a permis des Cabernet-Sauvignon splendides, atteint actuellement sa plénitude. Ce vin est enthousiasmant, ses arômes de cassis, mûres et myrtilles sont maintenant fondus dans un bouquet complexe, où s’épanouissent des fragrances de tabac blond, de bois de santal, de cèdre, de cuir avec quelques notes réglissées.

Très belle robe rouge sombre avec des nuances violacées et belles larmes épaisses sur les bords du verre.

La bouche perçoît un vin charnu, corsé, onctueux avec des tanins très denses, mais superbement élégants et totalement soyeux. Sa longueur est mémorable.

Le Pauillac est le vin de l’agneau, du même nom bien sûr. Ce Lynch-Bages 1996 s’épanouira avec une selle d’agneau rosé accompagnée de pommes boulangères, un gigot de sept heures aux fèves, un simple navarin. Il épousera, avec béatitude, un ris de veau légèrement crémé, une côte de veau épaisse avec un gratin de macaronis, le jarret de veau caramélisé d’Alain Ducasse. Il sera un concurrent redoutable des grands Bourgogne, pour accompagner les gibiers à plumes. Il affectionne les vieux Hollande : Edam, Gouda, Mimolette et, plus encore, le Saint-Nectaire.

Mais je laisse Michel de Montaigne (lointain prédécesseur de Juppé à la mairie de Bordeaux) décrire ce nectar bien mieux que je ne saurais le faire : « On ne boît pas, on donne un baiser et le vin vous rend une caresse ». _

|Ã consommer avec modération. _ L’abus d’alcool est dangereux pour la santé.|




Muscat du Cap Corse 2005, Domaine Leccia (20232 Poggio d’Oletta)

J’avais regretté, dans un précédent article, que les viticulteurs français aient choisi cette voie plus facile et lucrative des vins fortifiés, plutôt que d’essayer d’élaborer des grands Muscats de vendanges tardives ou de pourriture noble : ce que nos voisins Italiens (Pantelleria, Lipari), Espagnols (Malagua non fortifiés, Chivite) et, plus encore, Sud- Africains (Klein Constantia) réussissent à merveille.

Néanmoins, les Muscats doux français : Beaumes-de-Venise, Rivesaltes, Saint-Jeande- Minervois, Mireval et autres Frontignan sont des vins à part entière, dotés d’une sacrée personnalité, tout au moins chez les bons producteurs. Ils conjuguent tous une richesse, une variété et une puissance aromatiques étonnantes. D’emblée, même les novices identifient les flaveurs de raisin muscaté (c’est le moins !) de rose, de melon. Des notes plus subtiles peuvent être décelées : fruits exotiques, miel, poivre, fonction du producteur, de la région et du millésime.

Mais les Muscats du Cap Corse, à mon avis, procurent une typicité et un supplément qualitatif indéniables.

Le Muscat du Cap Corse, domaine Leccia, est récolté à partir de raisins passerillés poussant sur un sol argilo-calcaire au nord de la Corse près de Saint-Florent. Rendement faible de 30 hl/ha, macération de 48 heures à 20 °C, coulage, pressurage, assemblage des jus de goutte et de presse, fermentation en cuves inox thermo-régulées, mutage par ajout d’alcool neutre. Le degré alcoolique du vin, compte-tenu du fortifiant éthylique, se situe entre 15,5 °C et 16 °C.

Ce Muscat, d’une belle couleur jaune paille, déploie, en bouche, outre les arômes muscatés, d’eau de rose et de cantaloup, des fragrances étonnantes d’agrumes : pamplemousse, cédrat, zestes de citron, additionnées de mangues et de fruits confits. En bouche : gras, onctuosité et longueur envoûtante.

Peut-être suis-je encore sous le charme de cette merveilleuse contrée pour y déceler quelques parfums de garrigue !

Les accords culinaires sont riches et variés. Nos amis insulaires le proposent volontiers en apéritif ou avec un foie gras cru à la fleur de sel et gelée de coing.

Cependant, je considère qu’il s’agit principalement d’un vin de dessert : salades de fruits exotiques, glaces, sorbets de toute sorte l’accompagneront, sans difficulté.

Mais les arômes d’agrumes spécifiques des Muscats du Cap Corse vous permettent des mariages exceptionnels et inattendus : tagine au citron, soufflé au grand marnier, et surtout tarte au citron meringuée.

Le domaine Leccia a été récemment l’objet de quelques turbulences, Annette Leccia, après que son frère, Yves, eût décidé de voler de ses propres ailes, a repris, seule, l’exploitation de ce Muscat, et il est possible que les derniers millésimes, 2006, 2007, aient un peu souffert de ces difficultés. Par ailleurs, je sais parfaitement que d’autres producteurs (Clos Nicrosi, Orenga de Gaffory) produisent d’excellents, et peut-être supérieurs, Muscats Corses, mais la complexité et les difficultés de distribution des vins corses sur le continent me confortent dans la recommandation du domaine Leccia qui est, lui, facilement accessible.

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Morgon « Vieilles Vignes » 2006 – Domaine du Petit Pérou – Thévenet 69910 Villie-Morgon

Je considère qu’il s’agit d’un simple jus de raisin fermenté, auquel des levures apportent certaines nuances artificielles : banane, poire, etc.

On peut donc regretter cette médiatisation outrancière du vin primeur qui minimise la qualité des autres appellations et, en particulier, des dix crus du Beaujolais exubérants dans leur jeunesse, conjuguant tous un fruité éclatant, franc, frais.

Les Beaujolais rouges sont produits par le seul cépage autorisé : le Gamay, dont la promotion n’a pas été, pour le moins, favorisée dans l’histoire : Philippe le Hardi en 1354 ordonna « d’arracher en Bourgogne tous les plants du très mauvais et déloyal Gamay, car il procure des vins jaunes, gras et tels qu’aucune créature humaine n’en pourrait convenablement user, sans péril de sa personne ». Heureusement, le Gamay trouvera terre d’élection en Beaujolais, où il fait des merveilles sur les terrains schisteux et granitiques.

On oppose un peu artificiellement les crus produisant des vins fins, veloutés, délicats, tels le Fleurie, le Regnié et le bien nommé Saint-Amour que préfèreront nos charmantes compagnes, à ceux plus nerveux, puissants et charpentés comme le Julienas, le Moulinà- Vent (permettant une longue garde) et le Morgon vers lequel va indéniablement mon inclination.

Nombre d’oenologues élitistes des grands Bordeaux et Bourgognes, contempteurs des autres vignobles, gardent néanmoins discrètement leur « petite adresse » en Beaujolais. Je n’aurai en contre-pied aucune hésitation à vous révéler la mienne, à laquelle je reste fidèle depuis plus de 25 ans.

Roger Thévenet, maintenant associé à son fils Laurent, gère une exploitation de treize hectares produisant, avec des rendements faibles pour la région, 600 hectolitres de vins.

La vigne est, bien-entendu, l’objet de soins méticuleux avec ébourgeonnage, limitation drastique de tous adjuvants artificiels.

Le Morgon « Vielles Vignes » 2006 est récolté sur des vignes de plus de 70 ans avec une bonne proportion de raisins du terrain vedette de Morgon : la Côte de Py. La macération en cuves closes est courte, d’une quinzaine de jours. L’élevage est réalisé pendant 2 ans, d’abord en cuve, puis en fûts de chêne.

Ce vin à la belle robe violacée brillante exhale d’emblée les parfums typiques du Beaujolais : cerise craquante, framboise, groseille et, en rétrolfaction, quelques composantes florales de violette.

Il se révèle, en bouche, friand et charnu, sans aucune agressivité boisée de type vanille.

La bouteille de Morgon a la particularité, chaque année au moment des vendanges, de « morgonner » avec une petite note de pétillant. J’ai rarement observé ce phénomène qui, à mon avis, vient d’une malo-lactique incomplète avec les vins de Roger Thévenet.

Ce Morgon, comme tous les bons Beaujolais, est l’ami des charcuteries, cochonnailles, jambons persillés ou autres têtes de veau gribiche.

Roger Thévenet le propose volontiers avec une belle grillade, ce qui ne m’agrée guère. Je préfère, surtout si la viande saignante est accompagnée de frites, lui opposer des vins beaucoup plus puissants : Côtes du Rhône méridionaux, Languedoc bien vinifiés.

Des mariages remarquables seront obtenus, comme le propose Philippe Bourguignon, avec les pieds de porcs à la Sainte Menehould ou le tablier de sapeur de Alain Chapel. Buvez-le frais et dans les 3 ou 4 ans.

Mais si vous avez oublié dans votre cave ce Morgon depuis plus de 10 ans, utilisez-le pour la sauce d’un coq au vin, vous m’en direz des nouvelles !…

|Je vous avais vanté, dans mon premier article en janvier 2008, les mérites du Vacqueras Château des Tours de Emmanuel Reynaud . Celui-ci vient de se voir décerner, par le guide Bettane et Desseauve 2009, le titre de meilleur vigneron de France, en fait pour sa cuvée mythique de Rayas. Amateurs, précipitez-vous pour, si cela est encore possible, acquérir quelques bouteilles d’une quelconque de ses cuvées (Rayas : probablement impossible, Pignan, Fonsalette, Château des Tours) en vous recommandant de votre revue « Le Cardiologue » !|