Coopérations interprofessionnelles : des tâches déléguées ou confisquées ?

347 – Tandis que la HAS a commencé à valider des protocoles de coopérations interprofessionnelles, les médecins libéraux dénoncent une modification du périmètre des professions par l’Etat, via les ARS, et sans concertation avec les dites professions.

L’augmentation des maladies chroniques, le vieillissement de la population et la décroissance de la démographie médicale ces dernières années, poussent à restructurer l’offre de soins dans le sens de son optimisation afin de pouvoir relever les nouveaux défis sanitaires. Parmi les solutions envisagées, celle de la délégation d’un certain nombre de tâches des médecins vers des paramédicaux fait son chemin depuis ces dix dernières années. Après avoir remis, fin 2002, au Ministre de la Santé d’alors, Jean-François Mattei, un rapport sur la démographie médicale, en 2003, Yvon Berland, alors doyen de la faculté de médecine de Marseille, s’est vu confier par le même Ministre une nouvelle mission portant sur la « Coopération des professions de santé : le transfert de tâches et de compétences ». Elle fut suivie en 2006 par un nouveau rapport du même doyen Berland portant sur cinq expérimentations qui avaient été mises en œuvre en 2004 suivant un cahier des charges élaboré par le ministère de la Santé. L’évaluation de ces cinq expérimentations a montré la faisabilité de cette coopération de délégation de tâches entre professionnels de santé sans dégradation de la qualité des soins et souvent même avec une amélioration. Enfin, en 2010, la loi HPST a marqué une étape décisive. Son article 51 instaure en effet que « par dérogation, les professionnels de santé peuvent s’engager, à leur initiative, dans une démarche de coopération ayant pour objet d’opérer entre eux des transferts d’activités ou d’actes de soins ou de réorganiser leur mode d’intervention auprès du patient ». Le même article prévoit que « les professionnels de santé soumettent à l’Agence Régionale de Santé (ARS) des protocoles de coopération », que « le directeur général de l’ARS autorise la mise en œuvre de ces protocoles par arrêté pris après avis conforme de la HAS », et que « la HAS peut étendre un protocole de coopération à tout le territoire national ».

Les dérives de l’article 51 de la loi HPST

La HAS a commencé à statuer sur des protocoles adressés par des ARS, et à rendre ses avis pour certains d’entre eux. Et certaines organisations syndicales de médecins libéraux crient au scandale. « Délégation de tâches ou dépeçage de compétences  ? » s’interroge le SML. Dans une lettre à Xavier Bertrand, Michel Chassang, le président du Centre National des Professions de Santé (CNPS), alerte le ministre sur le fait que pour certaines des 35 expérimentations qui sont en train de voir le jour dans quatorze régions, « aucune des professions concernées n’avait été seulement consultée par les ARS », « sans qu’aucune condition de formation professionnelle n’ait été vérifiée et sans qu’aucune profession n’ait son mot à dire ». Peu soupçonnables d’être hostiles à la délégation de tâches, les cardiologues libéraux s’émeuvent eux aussi. Le Syndicat National des Spécialistes des Maladies du Cœur et des Vaisseaux (SNSMCV) « dénonce les dérives de l’article 51 de la loi HPST » et « s’étonne de l’avis favorable accordé par la HAS à certaines spécialités pour la réalisation d’acte dont ce n’est pas la pratique habituelle » (délégation de réalisations des échodopplers vasculaires par des radiologues à des manipulateurs radio par exemple ndlr). Le SNSMCV réaffirme son soutien aux protocoles de coopération interprofessionnelle, « dont il a été à l’initiative et à l’origine des premières expériences. Il en conçoit l’opportunité, mais uniquement si elle émane de la spécialité via le Conseil national professionnel de cardiologie (CNPC) ». Le syndicat des cardiologues réclame donc « l’arrêt immédiat des protocoles en cours d’élaboration et la modification urgente de la loi Bachelot sur ce point ».

Une modification de la loi HPST (seule une autre loi peut en modifier une autre), les médecins libéraux ne doivent pas l’espérer. Interpellé sur ce sujet lors du congrès du SML qui s’est tenu récemment à Toulouse, Xavier Bertrand l’a signifié assez clairement. Tout au plus s’est-il engagé à « revoir personnellement toutes les listes d’expérimentations » validées par la HAS. « Attention, danger, une compétence ne se transfère pas, si ces expérimentations commencent à mal partir, cela ne marchera pas », a mis en garde le ministre.

En fait, tout est affaire de vocabulaire. Quand la loi dit que « les professionnels de santé peuvent s’engager, à leur initiative, dans une démarche de coopération », les libéraux veulent que ce soit la « profession » dûment représentée dans toutes ses composantes qui choisisse de s’engager. Validé par la HAS, le protocole transmis par l’ARS de PACA, et qui porte sur « la réalisation d’une ponction médullaire en crête iliaque postérieure à visée diagnostique ou thérapeutique par une infirmière » est un de ceux que le CNPS dénonce comme n’ayant fait l’objet d’aucune consultation de la profession. Directeur adjoint de l’ARS PACA, Norbert Nabet s’étrangle : « L’Institut Paoli Calmette (IPC), spécialisé dans la cancérologie, nous a soumis un protocole qui correspond à la volonté des professionnels de santé, médecins et infirmières, et qui répond à un besoin. Il est en conformité avec les critères d’exigence requis, nous avons convenu d’un suivi et des modalités d’évaluation et l’avons transmis à la HAS qu l’a validé. Les ARS ne fabriquent pas de protocoles dans leur coin, elles répondent à la sollicitation de professionnels qu’elles aident à réaliser leurs projets. Il faut laisser l’initiative aux gens qui ont le professionnalisme pour le faire. L’IPC en en train de former les infirmières volontaires pour cette expérimentation qui présente toutes les garanties voulues. »

Deux protocoles en radiologie illustrent aux aussi cette différence d’interprétation du texte de loi. Le premier est porté par le Conseil national professionnel de radiologie regroupe les quatre composantes de la profession SFR, le CERF, la FNMR et la SRH, d’où son appellation de « G4 ». « Il s’agit d’un protocole permettant à des manipulateurs en radiologie d’acquérir des images en échographie, sous le contrôle d’un radiologue qui assure, lui, la validation et l’interprétation de l’examen, et en assume la responsabilité médico-légale, explique Jean-Luc Dehaene, président de la FNMR de la région Nord-Pas-de-Calais et membre du GA. Ce protocole est basé essentiellement sur l’inscription des manipulateurs au DU d’échographie pour une formation ciblée sur des points très précis et limités de l’échographie. Nous sommes en attente de l’agrément de la HAS, et il n’y a a priori pas d’obstacle à ce qu’il soit avalisé. » Un autre protocole de même nature porté par le CHU de Rouen et l’ARS de Haute-Normandie – mais pas par le CNPR – a déjà reçu l’avis favorable de la Haute Autorité de Santé. Loin de tout esprit polémique, Jean-Luc Dehaene se contente de souligner « le dilemme de l’article 51 ». « N’importe qui peut déposer un protocole qui peut être validé par la HAS sans qu’il y ait un accord unanime de la profession », regrette-t-il.

Ce n’est pas la seule ambiguïté qui entoure les coopérations interprofessionnelles. Le sujet de la responsabilité en présente une autre. Quand Jean-Luc Dehaene dit que le médecin radiologue est assume la responsabilité de l’acte délégué, Norbert Nabet estime, lui, que le professionnel de santé qui réalise par délégation et volontairement un acte pour lequel il a été formé en est responsable.

La réécriture de la loi HPST n’est peut-être pas à l’ordre du jour, mais il faudra bien pourtant clarifier un certain nombre de points si l’on veut que les coopérations interprofessionnelles se développent en France. Sinon, « cela ne marchera pas », comme dit Xavier Bertrand.

Les cardiologues pionniers

Dès l’année 2000 dans son Livre blanc, le SNSMCV avait fait de la délégation de tâches une de ses dix propositions pour l’avenir de la cardiologie libérale. Elle s’exercerait entre un cardiologue « chef d’équipe » et des paramédicaux formés aux techniques de l’échographie, du doppler vasculaire, de la rythmologie, ainsi qu’à l’éducation thérapeutique du patient et au suivi des maladies chroniques. « Ces propositions ont donné lieu à la création d’un Groupe de réflexion réunissant les cardiologues des secteurs public et privé, et dont les travaux ont abouti à un consensus sur la délégation de tâches », se souvient Christian Aviérinos, à l’époque président du SNSMCV. Dans le numéro 260 du Cardiologue, lui-même Jean-Claude Daubert, coordonnateur du Groupe de réflexion, alors vice-président de la SFC, et Michel Komajda, alors président de la SFC, ont signé un article dans lequel ils développaient le projet : «  Il n’y aurait pas de rémunération spécifique par l’Assurance Maladie. L’objectif est de libérer le médecin cardiologue d’un temps devenu plus précieux, pour se recentrer sur des activités cliniques prioritaires. Cette aide technique serait optionnelle. Sa mise en place définitive ne pourrait débuter qu’après une phase d’expérimentation dans des hôpitaux et de grands cabinets libéraux, volontaires. »

« Nous avons exposé cette proposition à Yvon Berland, puis, Geneviève Derumeaux et moi, nous sommes allés soumettre un projet d’expérimentation à Jean-François Mattei. La délégation de tâche en échographie a donné lieu à deux expérimentations en 2008, l’une à Lyon, l’autre à Marseille à l’hôpital de La Timone avec Gilbert Habib, qui ont toutes les deux été concluantes. »

« Le protocole était identique dans les deux cas ; à Marseille, l’acte était réalisé par une infirmière, c’était un manipulateur en électroradiologie à Lyon, précise Geneviève Derumeaux, présidente de la SFC, qui a mené l’expérimentation à Lyon. L’objectif était de tester la faisabilité d’acquisition d’images et la reproductibilité des mesures, auprès de patients présélectionnés dans un premier temps, puis auprès de patients tout-venant ensuite. Le résultat a été un succès, puisqu’au terme de six mois de formation, la partie technique de l’examen était réalisable par un non-médecin. La HAS a conduit l’évaluation et conclut positivement à l’expérimentation. » Une évaluation sociologique mesurant l’indice de satisfaction des acteurs de santé a montré la satisfaction générale des médecins comme des techniciens, à Lyon comme à Marseille, chez Gilbert Habib. « Il semblait donc logique de proposer la reconduite de ce protocole, explique Geneviève Derumeaux. Son élaboration a été assez longue, car nous voulions l’adhésion de toutes les composantes de la profession, du groupe des paramédicaux de la SFC et du Conseil national professionnel de cardiologie. Nous attendons l’avis de la HAS dans les jours qui viennent, et si cet avis est positif, ce protocole pourrait être proposé comme modèle aux autres ARS. »

 

Vers des nouveaux métiers en santé

Au printemps de cette année, Laurent Hénart, député de Meurthe-et-Moselle, a rendu à Xavier Bertrand, qui le lui avait demandé, un rapport « relatif au nouveaux métiers en santé de niveau intermédiaire ». Yvon Berland, président de l’Observatoire Nationale de la Démographie des Professions de Santé (ONDPS), faisait partie de cette mission. Interrogé par Le Cardiologue (voir notre numéro 340), il déclarait notamment : « Dans les domaine de la rythmologie et de l’ECG, par exemple, rien n’empêche, à partir des métiers existants, l’émergence d’un nouveau métier, de niveau Bac + 5. » Yvon Berland avait sûrement lu le Livre blanc du SNSMCV de 2000 qui proposait « la création d’un nouveau métier de technicien en cardiologie » qui pourrait, par délégation de compétence, assurer la réalisation d’actes techniques standardisés à visée diagnostique (en particulier l’échographie cardiaque et vasculaire), sous le contrôle du médecin cardiologue qui en assurerait la validation et l’interprétation. La création de ce nouveau métier imposerait une formation spécifique dans une école agréée, sanctionnée par un diplôme national à l’exemple de ce qui existe en imagerie médicale pour les manipulateurs d’électroradiologie (MER).

 

Entretien Rémy Bataillon

« Mieux accompagner l’élaboration des protocoles »

Le Dr Rémy Bataillon, directeur adjoint de la qualité et de la sécurité des soins et Chef de service de l’évaluation et de l’amélioration des pratiques à la HAS, dresse un bilan et tire les enseignements de l’instruction des premiers protocoles de coopération qui lui ont été soumis. 

Quel est le rôle de la haute autorité de santé au regard des coopérations interprofessionnelles ?

Rémy Bataillon : La loi attribue à la HAS deux compétences, celle de délivrer un avis sur les protocoles de coopération avant leur autorisation par l’Agence régionale de santé, et celle d’étendre certains protocoles à tout le territoire national. Avant de rendre son avis, la HAS veille à ce que les protocoles de coopération garantissent une prise en charge de qualité et une maîtrise des risques inhérents à cette nouvelle prise en charge des patients. A cette fin, la HAS a mis au point un certain nombre d’outils – guides méthodologiques, grille de modèle de protocoles téléchargeables sur le site de la HAS – qui sont à la fois une aide pour les professionnels de santé et un support pour l’instruction des protocoles.

Quel bilan pouvez-vous dresser de l’instruction des premiers protocoles ?

R. B. : Depuis qu’elle a reçu les premières saisines officielles des ARS au printemps dernier, la HAS en a traité 34 dont 7 ont, à ce jour, reçu un avis favorable avec réserves, les autres étant en cours d’instruction, à l’exception d’un seul protocole qui a reçu un avis défavorable. Par ailleurs, 35 protocoles ont été accompagnés, le plus souvent sous la forme d’une lecture technique, avant saisine officielle par l’ARS. D’ores et déjà, certaines difficultés récurrentes ont pu être repérées. Il apparaît que la définition des actes dérogatoires n’est pas toujours simple. Il semble difficile aux professionnels de terrain de définir seuls le contenu et la durée de la formation permettant au délégué d’intervenir en lieu et place du délégant. La procédure de gestion des risques et l’analyse des événements indésirables sont souvent décrites de façon incomplète. La pertinence de nombreux indicateurs présents dans les protocoles n’est pas toujours claire. Concernant l’information des patients, ses modalités ne sont pas toujours précisées, de même que n’est pas toujours évoquée la possibilité de son refus. Enfin, les protocoles manquent parfois de précision sur le respect des bonnes pratiques et la manière dont leur évolution sera prise en compte.

Comment la HAS envisage-t-elle d’améliorer les choses ?

R. B. : Ce premier bilan a mis à jour une triple nécessité. Tout d’abord, la HAS s’est organisée afin de consacrer plus de ressources à l’accompagnement des ARS et des promoteurs dans cette phase de montée en charge, et à cette fin une réunion a été réalisée par le ministère avec l’ensemble des ARS. Dans un souci d’une meilleure transparence et une plus grande efficacité, la HAS interroge systématiquement durant l’instruction  les conseils de l’ordre des professions concernés, s’ils existent, et les conseils nationaux professionnels.
Ensuite, tirant les enseignements de cette première période, la HAS a engagé une révision des supports et du modèle de protocole, l’objectif étant de guider pas à pas la démarche des professionnels en mettant l’accent sur les points faibles constatés, notamment la gestion des risques, l’information des patients et les indicateurs. Enfin, il est nécessaire de donner une impulsion nationale. Cette impulsion reposera sur la détection des projets d’intérêt national qui correspondraient, par exemple, à des projets portés simultanément par plusieurs équipes de terrain et auront vocation à être portés par le conseil national professionnel de spécialité. Ces projets seront sélectionnés sous la responsabilité du ministère de la Santé, et feront l’objet d’un cahier des charges national pour faciliter leur appropriation par les professionnels.




Des recommandations juridiquement opposables

346 – « Faire grief » : ces deux mots soigneusement choisis par le Conseil d’État changent peut être tout quant à l’opposabilité des recommandations. Jusqu’à présent, le respect d’une recommandation ne s’imposait au médecin qu’à titre déontologique. Affirmer ainsi qu’une recommandation « fait grief », c’est reconnaître qu’elle modifie par elle-même la situation juridique d’un praticien qui ne la respecterait pas et qui, de fait, pourrait faire l’objet d’une contestation devant le juge. Cette expression juridique serait en langage commun synonyme de « réglementaire » ou « opposable ». Cependant, une recommandation n’est pas éternelle et peut devenir caduque plus ou moins rapidement, tant il est vrai que les données acquises de la science changent de nos jours parfois très rapidement. La décision du Conseil d’Etat est-elle une révolution juridique ou une affirmation répétée de l’exigence actuelle d’une amélioration constante de la sécurité des soins ? C’est ce que tentent de décrypter les experts du Cardiologue dans ce dossier spécial.

Par un arrêt du 27 avril 2011, le Conseil d’Etat a élargi son contrôle relatif à l’exigence d’impartialité des experts des groupes de travail de la Haute Autorité de Santé (HAS). Que cette solution prenne sa source dans la jurisprudence plus ancienne consacrant le principe d’impartialité ou qu’elle soit considérée comme l’une des « conséquences collatérales de l’affaire du Médiator », [1] elle insiste sur le caractère réglementaire des Recommandations de Bonne Pratique (RBP) tout en imposant le respect scrupuleux des règles préventives des conflits d’intérêts au sein des autorités administratives indépendantes. 

L’Association Formindep a déposé devant le Conseil d’Etat une requête en annulation contre le refus opposé par le président de la HAS d’abroger une recommandation intitulée : Traitement médicamenteux du diabète de type 2.

L’association soutenait que des experts médicaux qui participent à la rédaction de la recommandation entretenaient des liens d’intérêts avec des laboratoires pharmaceutiques. Selon la HAS, la requête devait se voir opposer une fin de non-recevoir au motif que la RBP était dépourvue de force contraignante et qu’ainsi, n’étant pas susceptible de faire grief, elle ne pouvait être l’objet d’un recours en excès de pouvoir.

Estimant que RBP avait été élaborée dans des conditions irrégulières (absence de déclaration de conflits d’intérêts de certains membres du groupe d’experts), le Conseil d’Etat a annulé la décision de refus émanant du président de la HAS et ordonné l’abrogation de ladite recommandation dans un délai de 15 jours suivant la notification de la décision.

Le Conseil d’Etat procède en deux temps. Il reconnaît d’abord le caractère réglementaire des RBP 9 [1], ce qui lui permet ensuite de contrôler le respect du principe d’impartialité 9 [2]. Nous étudierons dans un troisième temps les conséquences liées à la suppression de la RBP 9 [3].

[1] Le caractère réglementaire des recommandations de bonne pratique

Dans l’arrêt Formindep, le Conseil d’Etat ne vérifie pas si les RBP, élaborées par la HAS sur le fondement des articles L. 161-37, 2° et R. 161-72 du Code de la Sécurité Sociale (CSS), ont été rédigées de façon impérative. [2] La haute juridiction administrative relève que l’objet de ces recommandations est de « guider les professionnels de santé dans la définition et la mise en œuvre des stratégies de soins à visée préventive, diagnostic ou thérapeutique les plus appropriées, sur la base des connaissances médicales avérées à la date de leur édiction ». C’est parce que le médecin a « l’obligation déontologique (…) d’assurer au patient des soins fondés sur les données acquises de la science [que] ces recommandations de bonne pratique doivent être regardées comme des décisions faisant grief susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ».

On en déduit que les recommandations visées par les articles L. 161-37, 2° et R. 161-72 ont intrinsèquement un caractère impératif à raison de leur objet. C’est parce que les recommandations de la HAS s’intègrent à l’obligation déontologique du médecin qu’elles constituent nécessairement une norme réglementaire qui fait grief.

Les RBP sont une source de responsabilité déontologique, civile et administrative du médecin en ce qu’elles participent à la définition des données acquises de la science. [3] A l’inverse, le respect des RBP dégage le praticien de toute responsabilité. [4] Certes, le juge civil ou administratif n’est pas lié par les recommandations. Les données acquises de la science trouvent avant tout leur source dans la science médicale (littérature médicale, usages médicaux, référentiels) et non dans le droit. Cependant, le non-respect d’une recommandation devrait constituer une présomption de faute. Il appartiendra au médecin poursuivi d’établir que les recommandations ne correspondent pas ou ne correspondent plus aux données acquises de la science ou qu’elles ne correspondent pas au cas particulier du patient. Rappelons que l’appréciation de ces données ne se limite pas au territoire français, mais s’étend aux pratiques éprouvées dans d’autres pays et à l’opinion de la communauté scientifique internationale.

Les RBP constituent des normes réglementaires parce qu’elles sont posées par une autorité publique et qu’elles ont pour objet d’encadrer la pratique médicale. En revanche, la qualification de normes est discutable lorsque les recommandations émanent d’autres autorités ou s’apparentent à de simples conseils. [5] Ainsi la recommandation par laquelle le collège de la HAS exprime, sur le fondement de l’article R. 161-71 CSS, sa préférence pour la non-inscription d’une spécialité sur la liste des spécialités remboursables par la Sécurité Sociale n’est qu’un simple avis insusceptible de recours pour excès de pouvoir. [6]

[2] L’exigence d’impartialité des experts de la HAS 

Le juge administratif vérifie que les personnes qui concourent ou participent à l’adoption d’un acte administratif répondent aux exigences d’impartialité, nonobstant la déclaration par l’expert de ses liens d’intérêt. [7]

Dans l’arrêt Formindep, l’association requérante avait produit des éléments susceptibles d’établir l’existence de liens d’intérêts entre certaines personnes ayant participé au groupe de travail et des entreprises ou établissements intervenant dans la prise en charge du diabète. Ces éléments n’ayant pas emporté la conviction du juge, celui-ci a exigé la production des déclarations d’intérêts. C’est parce que la HAS n’a pas été en mesure de verser au dossier l’intégralité des déclarations d’intérêts que le refus d’abroger du président est annulé. Autrement dit, les éléments de suspicion rapportés par l’association valaient présomption de conflit d’intérêts dès lors que les déclarations d’intérêt n’ont pas été régulièrement produites.

[3] Les conséquences de l’abrogation d’une recommandation de bonne pratique

Suivant le raisonnement du Conseil d’Etat, la RBP fait grief au motif que son objet consiste à encadrer la pratique médicale et participe ainsi à la définition de l’obligation déontologique du médecin. Ce faisant, la haute juridiction administrative insiste sur l’opposabilité de ces normes aux professionnels médicaux.

Le non-respect d’une recommandation ne participe pas seulement à la caractérisation de la faute déontologique, mais ferait également présumer la faute médicale. Inversement, le patient aura bien du mal à démontrer une faute médicale si le praticien s’est en tout point conformé aux recommandations.

Dans ces conditions, on peut s’interroger sur les conséquences de l’abrogation de la recommandation sur les actes médicaux qui lui sont antérieurs. La faute doit-elle s’apprécier compte tenu des recommandations en vigueur à l’époque où elle a été commise ? Ces recommandations font apparaître l’état de la science à un moment donné. L’abrogation qui n’a d’effet que pour l’avenir, l’annulation ou le retrait qui ont un effet rétroactif d’une recommandation, ne devrait pas permettre de reprocher à un médecin de s’être fondé sur ladite recommandation pour apprécier les données acquises de la science.

Cependant, le juge n’est pas lié par les RBP, ce qui exclut que le médecin puisse faire l’économie d’une recherche de l’évolution des données scientifiques en se limitant à l’application des recommandations.

La question de la validité de la RBP présente un intérêt particulier en matière pénale. On sait que le médecin qui cause indirectement un dommage à son patient (défaut de contrôle ou de surveillance, retard dans le diagnostic ou l’intervention) engage sa responsabilité pénale uniquement si son imprudence ou sa négligence résulte d’une faute qualifiée (art. 121-3 Code pénal).

La notion de faute qualifiée recouvre la faute caractérisée (exposer autrui à un risque d’une particulière gravité que l’auteur de la faute ne pouvait ignorer) et la faute délibérée (violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence et de diligence prévue par la loi ou le règlement).

Même si le respect des RBP ne doit pas être aveugle, la violation délibérée de ces recommandations s’apparenterait à une faute délibérée sanctionnée pénalement, et ce d’autant plus que le caractère réglementaire de la RBP est reconnu par le Conseil d’Etat. L’annulation d’une RBP ne devrait-elle pas alors permettre au médecin d’échapper à sa responsabilité pénale ? Il y a là un intérêt à ce que la recommandation soit annulée et pas simplement abrogée, [8] d’autant que le juge pénal est compétent pour annuler l’acte règlementaire illégal sur lequel est fondée la répression.

En reconnaissant que les RBP sont grief, le juge admet sans ambiguïté leur caractère opposable et ainsi le fait qu’elles puissent servir à démontrer une faute délibérée.

En conclusion, rappelons que la HAS a procédé à l’analyse de ses RBP entre 2005 et 2010 afin d’y déceler une suspicion de conflit d’intérêts d’un expert ou l’absence d’une ou plusieurs déclarations publiques d’intérêt. Le Collège a suspendu six recommandations de bonne pratique présentant des faiblesses de forme et procède désormais à leur actualisation. [9] Déjà en mai 2011, la recommandation sur la prise en charge de la maladie d’Alzheimer avait été retirée à la suite du retrait de la recommandation sur le diabète de type 2. [10]

Le projet de loi relatif à la Déontologie et prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique consacre l’obligation d’impartialité dégagée par la jurisprudence. Le projet généralise l’exigence de la déclaration d’intérêts obligatoire et prévoit la création d’une Autorité de la déontologie de la vie publique. C’est dire que l’évolution de la jurisprudence associée à l’affaire du Médiator est à l’origine d’une réforme profonde du statut des responsables publics et de la transparence de nos institutions. n

Armand Dadoun

MCU Lille 2 (Droit et Santé), CRDP – ERADP

 

[1] J. Peigné, note RDSS 2011.483 sur CE 27 avril 2011, Assoc. Formindep, n°334396.
[2] Cette vérification s’impose pour les circulaires (CE 18 déc. 2002, Mme Duvignères) mais aussi pour certaines recommandations telles que celle relative aux conditions d’accès au dossier médical (CE 26 sept. 2005, Conseil national de l’ordre des médecins, n°270234).
[3] CE 12 janv. 2005, n°256001.
[4] Civ. 1ère, 4 janv. 2005, n°03-14206.
[5] Qu’en est-il des accords de bon usage et contrats de bonne pratique de soins (art. L. 162-12-17 CSS) ? L’accord qui se borne à promouvoir un objectif de maîtrise médicalisée des dépenses s’appliquant aux antiagrégants plaquettaires, en préconisant l’aspirine pour les cas non aigus de traitement de l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs n’a pas entendu établir des références médicales opposables : CE 31 déc. 2008, Sté Sanofi Pharma Bristol-Myers Squibb. Qu’en est-il des référentiels de bonne pratique établis par l’INCA ?
[6] CE 12 oct. 2009, Sté GlaxoSmithKline Biologicals. 
[7] CE 12 fév. 2007, Sté Laboratoires Jolly-Jatel ; CE 11 fév. 2011, Sté Aquatrium.
[8] « N’ayant pas de portée rétroactive, l’abrogation d’un acte administratif individuel pénalement sanctionné est sans effet sur la validité de poursuites fondées sur la violation antérieure de cet acte » : Crim. 19 fév. 1997, Bull. crim. n° 68.
[9] Communiqué HAS, sept. 2011, « Indépendance de l’expertise : la HAS tient ses engagements ». Les RBP suspendues sont notamment : Prévention vasculaire après un infarctus cérébral ou un accident ischémique transitoire (mars 2008) ; Prise en charge des patients adultes atteints d’hypertension artérielle essentielle (juillet 2005).
[10] Formindep avait déposé une requête, parallèlement à celle sur le diabète, en vue de l’abrogation de la recommandation « Diagnostic et prise en charge de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées ».

 

Entretien Jean-Luc Harousseau

« S’appuyer sur les Conseils nationaux professionnels »

Le président de la Haute Autorité de Santé explique les changements qui vont intervenir dans l’élaboration des recommandations de bonne pratique.

Après la décision du Conseil d’Etat, quel changement va intervenir à la HAS dans l’élaboration des recommandations de bonnes pratiques ?

Jean-Luc Harousseau : Il est bien évident qu’après cette décision, notre vision sur nos propres recommandations change. Si elles sont utiles, elles ne sont pas forcément suivies. Or, après le retrait récent de certaines recommandations, beaucoup de praticiens et en particulier des associations de formation, nous interrogent sur ce qu’ils doivent faire maintenant. Autrement dit, le manque crée un besoin, le besoin d’un « label » HAS pour des recommandations de bonne pratique intellectuellement indépendantes. Cela nous pousse à faire encore mieux intellectuellement pour élaborer nos recommandations, pour les faire mieux connaître, les rendre plus attractives, plus facilement accessibles, ce à quoi nous nous employons.

Plus important encore que leur élaboration, l’actualisation des recommandations est essentielle, et suppose un état de veille permanent. Pour cela, le mieux est que les professionnels y travaillent. Pour cela, nous allons passer un contrat de partenariat avec les conseils nationaux professionnels sur lesquels nous allons nous appuyer. A eux de fournir à la HAS des listes d’experts indépendants libres de conflits d’intérêt, à la HAS d’édicter la méthodologie, de vérifier la validité des experts, puis d’examiner, d’amender, les documents fournis par les professionnels. Cette démarche est essentielle au moment où nous avons besoin de recommandations sur lesquelles asseoir les bonnes pratiques dans le cadre du futur DPC et de la rémunération à la performance instaurée par la dernière convention médicale. C’est un projet est en cours pour 2012.

La décision du Conseil d’Etat rend-elle les recommandations opposables ?

J.-L. H. : Pour l’instant, leur respect relève de l’incitation, cette incitation devenant notamment financière dans le cadre de la rémunération à la performance.

 

 

Pr Olivier Dubourg (*)

«L’important est de connaître les conflits d’intérêt »

Que vous inspire la décision du Conseil d’Etat qui a entraîné de retrait de recommandations au motif que la HAS n’a pas pu présenter toutes les déclarations de conflit d’intérêt ?

Olivier Dubourg : Il s’agit de savoir si tous les experts ayant touché le moindre centime d’une société industrielle doivent être exclus et si l’on doit retenir des experts dénués de tout conflit d’intérêt quitte à ce qu’ils n’aient pas d’expertise pertinente sur le produit concerné. Je ne pense pas qu’il faille aller jusqu’à écarter  les experts déclarant un conflit d’intérêt, je pense que l’important est de savoir quels sont ces conflits, qui doivent donc être tous déclarés. Et si quelqu’un ne déclare pas un conflit d’intérêt, il doit être écarté, un point c’est tout. En ce sens, je comprends tout à fait la décision du Conseil d’Etat auquel la HAS n’a pas pu fournir toutes les déclarations d’intérêt. Ce qui ne signifie pas que les experts qui ont fait la recommandation sur le diabète de type II ont fait du mauvais travail.

Je viens de faire une recommandation sur les cardiomyopathies hypertrophiques, dans le cadre du plan Maladies Rares avec la HAS ; nous étions 16, nous avons mis cinq ans à l’élaborer, et il y en a eu cinq versions successives avant la version définitive. Je ne peux pas penser que les gens qui ont élaboré la recommandation sur le diabète de type II ont moins bien travaillé que nous. Mais nous avons fourni à la HAS toutes nos déclarations d’intérêt.

(*) Chef de service de cardiologie à l’hôpital Ambroise Paré (Boulogne-Billancourt, Hauts-de-Seine).



Des complémentaires de premier plan

345 – Les complémentaires ne veulent plus jouer les utilités. Leur volonté de jouer un rôle dans la gestion du risque se manifeste dans les initiatives qu’elles prennent de plus en plus et qui s’apparentent peu ou prou à des filières de soins. Cela concerne essentiellement les domaines quasiment abandonnés par l’Assurance Maladie – dentaire, optique, audioprothèse – mais les ambitions des complémentaires ne s’arrêtent pas là. Pas celles de la Mutualité, en tout cas, qui ne renonce pas  à ses réseaux de soins, et semble plus déterminée que jamais à sortir du rôle de simple payeur complémentaire. En témoigne son refus d’accepter, en l’état, un secteur optionnel qu’elle estime inapte à améliorer durablement l’accès aux soins.

 On les appelle assurances complémentaires, parce qu’elles remboursent ce que ne rembourse pas l’Assurance Maladie. Or, au fil du temps, ce « complément » a sérieusement augmenté ; l’Assurance Maladie ne remboursant plus à l’heure actuelle que 55 % des soins de ville, la place des organismes d’Assurance Maladie Complémentaire (AMC) est de plus en plus centrale. A telle enseigne d’ailleurs, que les complémentaires estiment avoir acquis le droit de revendiquer un autre rôle que celui de simple payeur auprès des quelque 93 % des Français qu’elles assurent. De plus en plus nombreux sont les organismes complémentaires qui entreprennent de développer une politique de « gestion du risque ».

les complémentaires : ne plus être de simples payeurs

Si la Mutualité a annoncé à grand bruit il y a quelques années son « parcours de soins mutualiste », elle s’est faite plus discrète sur l’évaluation de ses résultats. Pour autant, elle persiste dans cette voie avec Priorité Santé Mutualiste qui fonctionne depuis deux ans sous la forme d’une plate-forme téléphonique délivrant des conseils de prévention et toutes informations utiles aux usagers pour s’orienter dans le système de soins. Nombre d’assureurs privés se sont aussi engagés dans cette voie, certains allant au-delà en proposant à leurs affiliés le recours à des réseaux partenaires, essentiellement en optique et dentaire, pour leur faire bénéficier d’un rapport qualité/prix optimal. Parmi les sociétés spécialisées dans la gestion du risque santé qui se sont développées ces dernières années, Santéclair est la plus importante, qui travaille pour plus d’une dizaine de compagnies d’assurance, mutuelles, courtiers ou institutions de prévoyance, dont quatre actionnaires (Allianz, MAAF-MMA, IPECA et MGP). En une dizaine d’années, cette société a développé des réseaux partenaires dans lesquels les professionnels se sont engagés contractuellement sur de bonnes pratiques professionnelles, des tarifs modérés, des services exclusifs et le tiers payant en faveur des assurés. Ces réseaux concernent pour l’instant le dentaire, l’optique, la pharmacie et l’audioprothèse. Mais il n’est pas exclu que Santéclair développe un jour des réseaux partenaires dans des spécialités où les dépassements d’honoraires sont importants, comme l’ophtalmologie ou la radiologie, par exemple.

Ce sont des réseaux similaires que la Mutualité souhaite développer, en passant contrat avec des professionnels de santé ou des établissements de santé, réseaux auprès desquels ses adhérents trouveraient des soins de qualité et bénéficieraient de prestations financières avantageuses. C’est ce que devait l’autoriser à faire le fameux article 22 de la loi Fourcade. Mais d’abord amendé dans un sens restrictif, l’article a finalement été censuré par le Conseil constitutionnel cet été. La Mutualité a pris acte de la décision du Conseil constitutionnel, mais ne renonce pas pour autant à ses projets de réseaux.

Le bras de fer entre la Mutualité et le Gouvernement

Quant aux institutions de prévoyance, elles se sont engagées elles aussi sur la voie de l’optimisation de l’organisation des soins. Malakoff Mederic, par exemple, a développé un réseau optique avec Harmonie Mutuelle et répond aux interrogations de leurs assurés en matière de qualité et de tarif hospitalier avec son site « ComparHospit ». Mais le groupe a également le projet de contractualiser avec des opérateurs de soins pour certaines pathologies, autour d’un protocole optimisé garantissant un certain prix pour une prise en charge optimale.

D’une certaine façon, le psychodrame actuel autour du secteur optionnel trouve sa source dans cette volonté des organismes d’AMC de ne plus être cantonnés dans leur rôle de simple payeur. S’ils payent plus, ils veulent avoir leur mot à dire sur le contenu de ce qu’ils payent. C’est en tout cas clairement la position de la Mutualité qui refuse de négocier le secteur optionnel sur ses bases actuelles, et souhaite réfléchir à des « aménagements » voire des « alternatives ». « Aujourd’hui, le secteur optionnel ressemble davantage à une simple “solvabilisation” de rattrapage pour les professionnels de santé, sans mettre fin à l’anarchie tarifaire, qu’à un véritable outil de maîtrise des dépassements, notamment les plus élevés », estime son président, Etienne Caniard, dans l’entretien qu’il nous a accordé (voir page 16). Il est clair que la Mutualité dans son intransigeance se distingue de ses partenaires de l’UNOCAM. Laquelle a apposé par deux fois sa signature sur des documents concernant le secteur optionnel, une première fois au bas du protocole d’accord d’octobre 2009, une seconde fois en juillet dernier, lors de la signature de la convention médicale qui reprend les termes de ce protocole. Les médecins libéraux crient à la trahison et demandent au Gouvernement de prendre ses responsabilités sur ce dossier. Ainsi, les spécialistes confédérés, l’UMESPE-CSMF « demande au Gouvernement de légiférer pour permettre aux assurances complémentaires qui le désirent de solvabiliser le secteur optionnel ».

Et dans le bras de fer qui se joue entre la Mutualité et le Gouvernement, la tension est récemment montée d’un cran avec la proposition d’amendement au PLFSS de deux députés UMP, Sébastien Huyghe (Nord) et Valérie Rosso-Debord (Meurthe-et-Moselle) qui instaurerait un « impôt sur la fortune » pour les mutuelles santé ayant constitué des réserves financières importantes. « Nous voulons taxer sur le mode de l’ISF les mutuelles qui ont constitué des réserves trop importantes et augmentent leurs tarifs », expliquent les deux députés. Car l’accusation couramment faite aux mutuelles est de garder par devers elles un pactole qu’elles savent faire fructifier, pas forcément au profit de leurs adhérents. Ce dont la Mutualité se défend vigoureusement, bien entendu. Le président de la Mutuelle Générale de l’Education Nationale, Thierry Beaudet, explique ainsi que la MGEN dispose de 1,4 milliard de fonds propres libres, ce qui représente environ 491 euros par personne protégée, « même pas le coût d’une prothèse dentaire ou d’un équipement d’optique ».

Il n’est pas sûr que le problème du secteur optionnel – et par-delà, celui de la place des assurances complémentaires dans un paysage de la protection sociale recomposé – trouve rapidement une résolution.  En ces temps qui précèdent l’élection présidentielle du printemps prochain, il est manifeste que les uns ont hâte de boucler le dossier, tandis que d’autres jouent la montre, attendant, les uns l’alternance, les autres le confort d’un nouveau quinquennat devant eux.

 

Les forces en présence

En 2007, selon la Direction des recherches, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES),
93 % de la population résidant en France sont couverts par un des 893 organismes qui se partagent le marché de la complémentaire santé :

59 % de la population couverte était assurée par une mutuelle,

24 % par une société d’assurance, 

17 % par une institution de prévoyance (IP).

 

FNMF (Fédération Nationale de la Mutualité Française)

Présidée par Etienne Caniard, la Mutualité Française fédère près de 700 mutuelles santé en France, soit leur la quasi-totalité. Antérieure à la création de la Sécurité Sociale au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, la doyenne des organisations représentatives de l’Assurance Maladie Complémentaire (AMC) occupe une place prépondérante dans le paysage de la protection sociale : 6 Français sur 10 sont protégés par une mutuelle de la Mutualité Française, ce qui représente près de 38 millions de personnes pour 18 millions d’adhérents. Refusant d’être un simple payeur, prenant le relais sans broncher de l’Assurance Maladie toutes les fois que celle-ci se déleste d’une part de remboursement, la Mutualité revendique un rôle dans la gestion, et entend prendre part activement à la restructuration de l’offre de soins. Dans cette optique, elle a décidé de ne pas rembourser les fameuses « vignettes oranges », et initié la campagne en faveur du recours aux médicaments génériques. La Mutualité souhaite aller plus loin et développer des réseaux de soins en passant contrat avec des professionnels de santé ou des établissements de soins.

FFSA (Fédération Française de Sociétés d’Assurance)

Numéro deux du secteur des complémentaires, la FFSA regroupe les assureurs privés pour qui la santé est restée longtemps une activité très secondaire. Cela a bien changé ces dernières années, comme en témoigne l’abondance de publicité que les assurances privées font dans les médias, et comme en témoigne leur croissance dans ce domaine. Bien que pesant son poids d’influence politique, la FFSA n’a toujours pas à ce jour obtenu de siéger au Conseil de l’UNCAM, où la Mutualité garde le monopole de la représentation des complémentaires. Les relations sont d’ailleurs plutôt tendues entre ces deux formations qui se retrouvent cependant au sein de l’Union Nationale des Organismes Complémentaires d’Assurance Maladie (UNOCAM), où elles parviennent parfois à avoir des positions communes, à propos de l’augmentation de la taxe sur les contrats responsables, par exemple. Le Groupement des Entreprises Mutuelles d’Assurance (GEMA) fait également de pont entre ces deux univers. Le GEMA regroupe une cinquantaine de mutuelles d’assurance à la démarche plus entrepreneuriale que mutualiste : GMF, MACIF, MAAF, MAIF, MATMUT… 

CTIP (Centre Technique Des Institutions de Prévoyance)

Le CTIP regroupe les Instituts de Prévoyance (IP) qui ont comme caractéristiques de gérer paritairement (MEDEF et syndicats de salariés) la prévoyance des entreprises (invalidité, décès, notamment), secteur encombré qui a incité les IP à se développer dans la complémentaire santé. Rodés aux négociations avec les entreprises, ces organismes ont acquis en quinze ans une part de marché au détriment de la mutualité et des assureurs privés. Parallèlement, ils se sont déployés dans le domaine de la dépendance, très proche du secteur de la santé, se créant ainsi un nouveau cœur de métier dans lequel certains d’entre eux font montre d’un grand dynamisme.

 

Entretien Etienne Caniard

« Nous ne renonçons pas aux réseaux de soins »

Le président de la Mutualité Française estime qu’en l’état, le secteur optionnel ne règlera pas durablement le problème des passements d’honoraires et, donc, celui de l’accès aux soins.

Quelles seront les conséquences de l’augmentation de la taxe sur les contrats solidaires et responsables pour les organismes de complémentaire santé ?

Etienne Caniard : Des difficultés importantes pour accéder aux soins pour un nombre plus important encore de nos concitoyens, nous en sommes convaincus. Le Gouvernement sait que cette taxe renchérira les cotisations. Les mutuelles sont des organismes à but non lucratif, des sociétés de personnes. Elles n’ont pas de capital, ne versent pas de dividende à des actionnaires et elles ne peuvent être déficitaires comme la Sécurité Sociale. Toute charge nouvelle pèse sur les cotisations. 38 millions de Français ont une mutuelle. Indirectement, il s’agit d’un nouvel impôt qui ne veut pas dire son nom. Socialement, c’est profondément injuste, car nous le savons, si les cotisations augmentent, les adhérents vont choisir des garanties moins protectrices, voire renoncer à leur mutuelle. Or, la mutuelle est indispensable, notamment pour accéder aux soins courants. Elle en finance presque la moitié ! Les personnes qui n’auront plus de mutuelle risquent de recourir davantage aux urgences hospitalières qui sont très coûteuses pour la collectivité. C’est incohérent ! C’est pourquoi nous venons de lancer sur le site internet de la Mutualité Française et de ses mutuelles adhérentes une pétition pour appeler nos concitoyens à exprimer leur mécontentement et à demander au Gouvernement de renoncer à cette taxe.

L’UNOCAM a récemment décidé de reprendre les négociations sur le secteur optionnel. Quelles conditions mettez-vous à la reprise de ces négociations ?

E. C. : La Mutualité Française condamne vivement, et depuis plusieurs années, l’explosion croissante du nombre et du volume des dépassements d’honoraires, car ils remettent en cause l’accès aux soins pour nombre de nos concitoyens. Leur banalisation a entraîné progressivement la modification de la nature même de notre système de protection sociale. Et nous vivons aujourd’hui dans la fiction d’un taux de remboursement du régime obligatoire qui ne correspond plus du tout à la réalité des tarifs. Il est urgent de mettre fin à cette situation, car c’est inacceptable pour les patients ! La création d’un secteur optionnel ne doit avoir qu’un seul objectif, améliorer l’accès aux soins. Aujourd’hui, le secteur optionnel ressemble davantage à une simple « solvabilisation » de rattrapage pour les professionnels de santé sans mettre fin à l’anarchie tarifaire, qu’à un véritable outil de maîtrise des dépassements, notamment les plus élevés.

Selon vous, ce secteur optionnel – dans les modalités actuelles inscrites dans la convention médicale récemment signée – est-il la réponse appropriée au problème des dépassements d’honoraires et des inégalités d’accès aux soins engendrées par le secteur 2 ?

E. C. : Le secteur optionnel a été conçu à partir de moyennes qui cachent de fortes disparités, qu’elles soient géographiques ou à l’intérieur même des professions. Pour les 4 000 chirurgiens libéraux en secteur 2 par exemple, si les dépassements d’honoraires sont en moyenne de 56 %, ils ne sont que de 10 % pour les 400 pratiquant les tarifs les plus bas, alors qu’à l’autre extrême, la même proportion facture en moyenne 240 % de dépassement à leurs patients. Comment imaginer que les seconds vont réduire leurs dépassements en choisissant le secteur optionnel ? C’est pourtant sur ces excès qu’il faut agir si l’on veut améliorer l’accès aux soins.
Tant que l’on raisonnera à partir de moyennes, on créera un effet d’aubaine pour les praticiens facturant de faibles dépassements sans réguler les excès. Cela n’est pas satisfaisant.

D’abord amendé dans un sens restrictif à l’Assemblée, l’article de la loi Fourcade sur les réseaux de soins mutualistes a finalement été censuré par le Conseil constitutionnel cet été. Quel est l’avenir de ces réseaux et de la possibilité de mieux rembourser les assurés faisant appel à eux ?

E. C. : Nous avons pris acte de la décision du Conseil constitutionnel. Et nous ne renoncerons pas aux réseaux de soins qui permettent aux adhérents de bénéficier de soins de qualité avec un reste à charge limité. Professionnels de santé et financeurs doivent retrouver une totale liberté de contractualiser. C’est une des conditions de l’amélioration du système de soins. Il est paradoxal de demander aux mutuelles de participer à la régulation des dépenses de santé et de ne pas leur donner les moyens juridiques de le faire.




Une convention charnière

344 – La rémunération à la performance, principale innovation de la nouvelle convention, est un véritable coup d’accélérateur à la modernisation du système de soins français. Assortie de quelques autres ébauches de réformes, elle a emportée l’adhésion de la CSMF, du SML et de MG-France : une signature historique ! 

Grande première dans la vie conventionnelle : pour la première fois les trois principaux syndicats, la CSMF, le SML et MG-France ont signé ensemble la nouvelle convention. Cela suppose que chacune des centrales a retrouvé dans le texte final suffisamment de ses « fondamentaux » pour apposer son paraphe. « Nous avons signé cette convention, parce que, sur bien des points, elle répond à notre projet confédéral », explique Michel Chassang, président de la CSMF. Même discours du côté du SML, qui reconnaît dans l’introduction du paiement à la performance, les mesures en faveur de certaines spécialités cliniques et des praticiens à Mode d’Exercice Particulier (MEP) des propositions de son projet conventionnel. Rien d’étonnant dès lors à ce que Michel Chassang et Christian Jeambrun aient acquiessé à un texte comportant en outre, le maintien de l’ASV et le secteur optionnel, dont ils avaient fait deux préalables à leur signature. Mais qu’a trouvé dans ce texte MG-France, l’opposant de toujours à ces deux syndicats, qui lui ai fait apposé sa signature à côté de la leur ? Outre le maintien de l’ASV, « Le fonctionnement médecin traitant est confirmé, la santé publique devient un élément important dans les objectifs de la rémunération à la performance et, pour la première fois, les problèmes d’accès au soins et d’inégalité sont abordés dans la convention par l’élargissement du tiers payant aux patients bénéficiaires de l’aide à l’Acquisition d’un Complémentaire Santé (ACS), et l’appréciation laissée au médecin traitant de l’appliquer à certains patients », explique son président, Claude Leicher.

Le P4P à la française

La diversification des modes de rémunération des médecins, évoquée depuis des années, tardait à venir. En instaurant il y a deux ans – sans concertation – le Contrat d’amélioration des pratiques individuelles, l’Assurance Maladie s’était, certes, attiré les foudres des syndicats médicaux, mais elle avait aussi entrouvert une porte qui s’ouvre plus franchement aujourd’hui. L’innovation majeure est sans conteste l’introduction du paiement à la performance, version 2011 – et surtout conventionnelle – du CAPI. Largement inspiré du « pay for performance » anglais, communément appelé « P4P », le principe en est d’inciter financièrement les médecins à respecter les recommandations en vigueur, l’objectif étant l’amélioration de la qualité des soins et, accessoirement, une meilleure efficience du système. Le nouveau dispositif prévoit une rémunération calculée sur la base de 29 indicateurs dotés de 1 300 points au total, pour une clientèle de 800 patients (un pondération intervient au-delà selon le volume de la clientèle réelle). Chaque point valant 7 euros, un médecin traitant qui réaliserait le « grand chelem » en atteignant 100 % des objectifs définis pour tous les indicateurs percevrait ainsi une prime de 9 100 euros pour un an, soit 11,40 euros par patients. Une hypothèse maximale que n’envisage guère le directeur de l’UNCAM, Frédéric van Roekeghem, qui estime que la rémunération moyenne devrait se situer aux alentours de 5 000 euros par médecin généraliste. Les indicateurs concernent l’organisation du cabinet et la qualité du service d’une part, et d’autre part la qualité de la pratique médicale. Cette partie comprend des « indicateurs de suivi des pathologies chroniques » (250 points), des « indicateurs de prévention et de santé publique et prévention » (250 points), et des « indicateurs d’efficience » (400 points) dont bon nombre concernent la prescription de génériques dans certaines classes thérapeutiques (statines, IPP, IEC, antidépresseurs, antihypertenseurs, aspirine, antibiotiques). Les indicateurs « organisation du cabinet et qualité de service » concernent d’emblée tous les médecins libéraux, généralistes et spécialistes. En revanche, les indicateurs relatifs à la qualité de la pratique médicale ne concernent pour l’instant que les médecins traitant. Cette option conventionnelle « a cependant vocation à s’étendre à toutes les spécialités par avenants afin de prendre en compte la spécificité de pratique des différentes spécialités cliniques et techniques et d’adapter les indicateurs susceptibles d’être retenus ainsi que les modalités de calcul », précise le texte de la convention. Dans cette perspective, les cardiologues travaillent d’ores et déjà à l’élaboration d’indicateurs pertinents pour leur spécialité.

Le compte n’y est pas

« Cette convention très légitime consacre l’engagement des praticiens à favoriser la qualité de la pratique et à moderniser leur rémunération », s’est félicité Frédéric van Roekeghem. Si la modernisation est bien au rendez-vous, du côté de son l’augmentation, c’est autre chose… Hormis le bonus que peut apporter l’option « P4P », la nouvelle convention n’est guère généreuse du côté revalorisation tarifaire. Après l’obtention au 1er janvier dernier du C à 23 euros – attendu depuis 2007 ! – les généralistes ne devaient pas espérer une nouvelle hausse de leur lettre-clé. La convention leur octroie cependant la possibilité de coter à 50 % les frottis comme un acte technique en plus de la consultation, et 2 V la nouvelle « Visite Longue et complexe » (VL) chez le patient Alzheimer. Trois spécialités cliniques bénéficient de revalorisations : les dermatologues, avec une consultation de dépistage des cancers cutanés à 46 euros, les pédiatres, avec une revalorisation à 38 euros des consultations obligatoires longues et complexes, et la création de la consultation du nouveau-né entre la sortie de la maternité et la 28e semaine (38 euros), et les psychiatres, qui voient leur lettre-clé (Cnpsy) passer de 34,30 euros à 37 euros. Ces derniers pourront en outre coter 1,5 euros une consultation effectuée dans les 48 h à la demande du médecin traitant. On peut ajouter encore la revalorisation du forfait de surveillance thermale, qui passe de 64,03 euros à 70 euros, et celle de la séance d’acupuncture (18 euros au lieu de 12,5 euros), et c’est tout pour ce qui est des revalorisations tarifaires.

Du côté des moyens, le compte n’y est pas, même pour les signataires.

« Nous déplorons que les masses financières engagées ne soient pas à la hauteur, et que pour la première, fois une convention ne comporte aucune revalorisation du C des généralistes. Ce sera notre combat pour les cinq ans à venir ; il n’est dans l’intérêt de personne que les actes médicaux ne soient pas rémunérés à leur juste valeur », déclare Michel Chassang. « La rémunération forfaitaire – dont la part est très en-dessous de ce que nous souhaitons – n’est pas au niveau du travail demandé aux médecins, renchérit Claude Leicher. Quant à la FMF, c’est essentiellement ce manque de moyens qui a motivé son refus de signer. « Il aurait fallut aller chercher les marges financières là où elles sont, tonne son président, Jean-Paul Hamon, c’est-à-dire à l’hôpital, en en régulant l’accès une bonne fois pour toutes, et sur les prescriptions pharmaceutiques. Pour exercer une médecine libérale de qualité, il faut un vrai forfait secrétariat et un vrai forfait communication. On ne peut pas livrer la médecine libérale comme cela, en signant une convention sans conditions ! Et il n’y a rien pour infléchir la courbe démographique. Ce n’est pas avec ce texte qu’on va inciter les jeunes à s’installer. »

Une incitation aux déserts médicaux

A cet égard, le chapitre démographie de la convention 2011 ne brille pas, il est vrai, par excès d’inventivité. Pour tenter d’améliorer les conditions d’exercice des médecins et favoriser l’installation dans les déserts médicaux, une « option démographie » est créée, mais qui ne fait guère qu’apporter quelques modifications à l’avenant 20 de la convention précédente, qui n’a pas remporté un succès fracassant. La nouvelle option s’adresse donc aux médecins exerçant les deux tiers de leur activité en zone médicalement sous-dotée. En la prenant, ils s’engagent à exercer au même endroit pendant trois ans. En contrepartie, ils peuvent bénéficier d’une aide forfaitaire d’investissement – c’est la nouveauté – de 5 000 euros par an s’ils exercent en groupe, et de 2 500 euros annuels s’ils exercent en pôle de santé. En revanche, le bonus prévu par l’avenant 20 pour les médecins des zones sous-médicalisées baisse : il ne sera plus de 20 % des honoraires annuels, mais de 10 % pour les médecins exerçant en groupe (plafonné à 20 000 euros par an), et de 5 % pour ceux qui exercent en pôle (plafonné à 10 000 euros). Par ailleurs, une une « option santé solidarité » incite les médecins installés en zones surdotées à aller exercer en zone sous-médicalisée au moins trente jours par an, moyennant le remboursement de leurs frais de transport et une rémunération supplémentaire équivalant à 10 % de leur activité clinique, dans la limite de 20 000 euros par an. L’avenir dira si ces nouvelles mesures incitatives repeupleront les déserts médicaux. On peut en douter…

 

La convention ne dit pas tout sur…

L’ASV

Au chapitre de la « pérennisation du régime d’allocations supplémentaires de vieillesse », il est dit notamment que sera instaurée une cotisation proportionnelle aux revenus et non plus forfaitaire. Il est confirmé que l’Assurance Maladie continuera de prendre en charge les deux tiers des cotisations des médecins du secteur 1. Mais l’essentiel de la réforme de l’ASV – dont dépend sa survie – ressort de décrets à paraître, élaborés à partir des négociations qui se sont tenues au début de l’été entre le ministère de la Santé, les syndicats médicaux, la CARMF et l’Assurance Maladie. Ce décrets sont espérés prochainement, pour une application de la réforme de l’ASV dès l’année prochaine.

Le secteur optionnel

Signé fin 2009 par l’Assurance Maladie, la CSMF et le SML, puis enterré par Roselyne Bachelot, le protocole d’accord sur le futur secteur optionnel est inscrit dans la convention 2011. Mais sa mise en œuvre fera l’objet d’un avenant spécifique, qui en détaillera les modalités d’accès et de fonctionnement, après négociations avec les parties prenantes. Mais ces nogociations s’annoncent difficiles, voire impossibles, en l’absence d’un partenaire de toute première importance dans ce dossier, l’UNOCAM, qui regroupe les différents organismes de l’assurance complémentaires santé (mutuelle, assureurs privés, institutions de prévoyance). Or, l’UNOCAM a quitté les négociations conventionnelles le 23 juin dernier, pour protester contre la suppression par le Sénat de l’article 22 de la proposition de loi Fourcade, qui autorisait les mutuelles à pratiquer des remboursements différenciés selon que leurs adhérents se font soigner ou pas dans un réseau mutualiste. Sa réintroduction dans le texte de loi, assortie de restrictions à cette autorisation, n’a pas fait revenir l’UNOCAM à la table des négociations conventionnelles, qui n’est peut-être pas près d’y revenir : le fameux article fait partie de ceux que le Conseil Constitutionnel a censurés cet été, et depuis, les députés ont voté l’augmentation de la taxe sur les contrats responsables…

 

 

Entretien Claude Le Pen

« Un tournant à petits pas »

Pour l’économiste de la Santé, la nouvelle convention est une étape de plus vers la disparition du traditionnel modèle de la médecine libérale, inadapté aux évolutions médicale, professionnels et sociétales.

 

Que pensez-vous de la convention qui a été signée par les trois principaux syndicats médicaux ?

Claude Le Pen : Sa nouveauté réside dans l’introduction d’une pluralité de mode de rémunération et celle de plusieurs options proposées au médecin rendant possibles un certain nombre de choix individuels. Cela ajouté à la fin du seul paiement à l’acte en fait une convention assez historique, qui enterre quelque peu la médecine libérale dans son modèle traditionnel. Ce n’est pas une rupture radicale, c’est une étape supplémentaire dans l’érosion de ce modèle de médecine libérale que l’on observe depuis quelques années. Et le fait que pour la première fois la CSMF, le SML et MG-France aient apposé leur signature à ce texte signifie, au fond, que la plupart des médecins adhèrent, bon gré, mal gré, à cette idée que la médecine libérale n’est pas l’avenir. On n’est plus dans la traditionnelle scission entre la médecine libérale et l’hôpital. Ce texte introduit une scission entre la médecine libérale et la médecine ambulatoire : les soins de premier recours peuvent être pratiqués selon différents modes d’exercice : à l’acte, salarié, exercice en groupe, en pôle, etc. Et cette diversification correspond à des évolutions économiques, professionnelles, médicales, sociétales.

Pensez-vous que ces nouvelles règles du jeu sont de nature à apporter plus d’efficience à notre système de santé ?

C. LP. : Il faut toujours faire en sorte d’optimiser le système. Mais cette notion d’efficience ne va pas sans une certaine ambiguïté. Via l’optimisation des moyens, il ne s’agit pas de faire moins bien avec les moyens à disposition, mais mieux avec ces moyens. En clair, il ne s’agit pas d’écarter de certains soins telle ou telle catégorie de population – comme c’est le cas en Grande-Bretagne, par exemple – au prétexte de l’efficience. La recherche de l’efficience doit être bornée par une philosophie éthique. A cet égard, il ne faut pas perdre de vue qu’au-delà des objectifs qualitatifs, il y a derrière le paiement à la performance des visées qui diffèrent selon les acteurs : les médecins y voient le moyen d’améliorer leur revenu, et l’Assurance Maladie en attend quelques économies. D’ailleurs, un bon nombre des indicateurs retenus concernent la prescription en génériques, et l’on est toujours dans le deal classique : un peu d’argent contre un peu moins de prescription. De ce point de vue, le « P4P », c’est la maîtrise médicalisée new look ! Par ailleurs, on brandit toujours le mot « efficience », avec celui de « prévention » comme une baguette magique. Mais on sous-estime le fait que ces stratégies ont un coût matériel, organisationnel et humain, et supposent donc des moyens, qui manifestement ne sont pas au rendez-vous. Mais on y arrivera ! Ce qui est important avec cette nouvelle convention, c’est qu’on va au-delà de l’incantation. Mais il faut aller plus loin dans l’exercice regroupé, les délégations de tâches, etc.

Vous estimez donc que cette convention marque un tournant ?

C. LP. : Oui, on prend un tournant, mais lentement, dans une stratégie de petits pas comme Kissinger pour la paix au Vietnam ! Mais lorsqu’on additionne les petits pas effectués depuis vingt ans, on constate un grand changement. A cet égard, la signature de la convention 2011 par MG-France et la CSMF est emblématique : le premier a combattu le système des recommandations soutenu par la confédération, laquelle applaudit au dispositif du médecin traitant après avoir pourfendu celui du médecin référent…




L’option cumul emploi retraite

343 – Favorisé pour maintenir en activité des médecins qui deviennent rares, la poursuite d’une activité libérale après la retraite risque d’attirer de plus en plus de professionnels à l’heure où la réforme de l’ASV envisagée entraînera une diminution de leur revenu.

Pari les mesures destinées à endiguer la crise démographique médicale, diverses dispositions ont été prises ces dernières années pour favoriser le maintien d’une activité chez les praticiens à la retraite, cumul autorisé par la loi Fillon du 21 août 2003 pour les médecins ressortissants de la CARMF, mais à condition que le revenu tiré de cette activité soit inférieur au plafond de la Sécurité Sociale, sous peine de suspension de la retraite. Les années suivant cette loi n’ont pas vu les médecins se précipiter massivement sur le cumul. Mais il est vrai que peu d’années auparavant, beaucoup avaient interrompu leur activité avant l’âge de la retraite, encouragés à le faire par l’avantageux dispositif du MICA imaginé par des décisionnaires – à bien courte vue ! – pour réduire la progression des dépenses d’Assurance Maladie en poussant vers la sortie les praticiens à l’acmé de leur activité et de leurs prescriptions… Les temps ont changé, les médecins se sont faits rares, et l’on a donc cherché à leur faire jouer les prolongations. La LFSS de 2009 a accéléré le processus en supprimant le plafond de ressources autorisées. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, qui ont vu grimper en flèche à partir de cette année 2009 le nombre des médecins cumulant retraite et activité. 

Il y a fort à parier que cette tendance va s’accentuer : avec la réforme annoncée de l’ASV annonçant une baisse de 4 % de la retraite globale des médecins, sans doute un nombre croissant d’entre eux souhaiteront-ils cumuler retraite et activité afin de s’assurer un niveau satisfaisant de revenu pour leurs vieux jours.

Les conditions du cumul

Sous réserve d’avoir liquidé l’ensemble de leurs pensions personnelles auprès de tous les régimes de retraite obligatoires, de base et complémentaires, les médecins qui le souhaitent peuvent cumuler sans limitation leur retraite et le revenu d’une activité professionnelle libérale ou salariée s’ils ont le nombre de trimestres nécessaire pour bénéficier d’une retraite à taux plein ou, à défaut, à partir de l’âge de la retraite à taux plein.. Les médecins qui ne remplissent pas ces conditions peuvent néanmoins exercer une activité, mais avec une limitation du revenu qu’elle procure, limitation qui ne concerne pas les revenus tirés de la participation à la PDS. Si cette limitation n’est pas respectée, le versement de la pension de retraite est suspendu à hauteur du dépassement. Attention : cette limitation s’applique également aux revenus salariés.

Le médecin désirant maintenir ou reprendre une activité après sa retraite doit faire à la CARMF une demande de retraite en signalant le maintien d’une activité. Dans les trente jours suivant la reprise d’activité, il doit retourner la déclaration d’activité afin que la CARMF procède à sa réaffiliation aux régimes de base, complémentaires, ASV et ADR. Car la poursuite d’une activité s’accompagne de celle des cotisations – sans acquisition de points – au Régime de Base (RB), au régime complémentaire (RCV), à l’ASV, et au régime de l’allocation de remplacement de revenu (ARD) (non, le calcul se fait à partir de l’estimation de la nouvelle activité). Cependant, la dernière LFSS autorise les médecins en cumul emploi-retraite dont l’activité est réduite de payer une cotisation ASV proportionnelle au revenu. Cette mesure s’ajoute à la possibilité de demander une exonération totale de la cotisation ASV quand le revenu est inférieur à 11 500 euros.

Outre la CARMF, le médecin optant pur le cumul doit également informer de son choix son Conseil départemental de l’Ordre, comme il doit aussi effectuer toutes les démarches nécessaires auprès des organismes concernés (URSSAF, caisses d’Assurance Maladie, etc.). Il doit également souscrire une assurance en RCP. S’il s’agit d’une poursuite de l’activité après retraite, il aura tout intérêt à la conserver, sans rupture, la souscription d’un nouveau contrat lors d’une reprise d’activité s’accompagnant d’une augmentation substantielle, les assureurs présumant d’un risque accru lié à l’âge…

Le cumul emploi retraite est-il intéressant ? Difficile d’entrer dans tous les cas de figure qui peuvent se présenter. Le tableau ci-contre établi par la CARMF à partir d’un exemple permet de comparer les différentes options et leur résultat financier. Il confirme en tout cas ce que Yves Decalf, le président de l’ASSUMED, nous déclarait en janvier dernier (Le Cardiologue n° 338) : « Le plus avantageux est de prendre sa retraite à soixante-cinq ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein dans les trois régimes et de poursuivre son activité médicale libérale ». Quelqu’un a résumé cela assez bien : travailler plus pour gagner plus ! Reste que dans les conditions de plus en plus pénibles faites aux médecins dans leur exercice, certains peuvent avoir plutôt envie de gagner moins pour vivre mieux…

 

Qui sont les « cumulards » ?

Depuis 2005, année où seuls 222 médecins cumulaient leur retraite avec une activité libérale, le nombre des « cumulards » n’a cessé d’augmenter pour atteindre 1 814 en 2009, et 4 457 au 1er janvier de cette année. Majoritairement des hommes (83 %), âgés de 65 ans et plus, ils ne sont que 7,3 % à exercer le cumul avant 65 ans. Les trois quarts d’entre eux cumulent retraite et activité libérale sans limitation de revenus. Les médecins généralistes sont les plus nombreux, et de loin, à cumuler (1 755), suivis par les psychiatres (578). A noter que c’est dans ces deux spécialités que les femmes sont les plus nombreuses, respectivement 179 et 185. En troisième position arrivent les cardiologues libéraux, qui sont 244 à cumuler (dont seulement 10 femmes), suivis des chirurgiens (226). 

Sans vraiment s’en étonner, on constate que ce sont surtout les régions des grandes métropoles qui compte le plus de médecins ayant opté pour le cumul, la région parisienne en regroupant les deux tiers (1 562), nettement en tête devant PACA (546), et Rhône-Alpes (340).




C’est le tocsin pour la retraite

343 – Troisième pilier de la retraite des médecins et le plus rentable, l’ASV est au bord du gouffre. Son maintien, souhaité par une majorité de médecins, nécessite une réforme en cours d’élaboration et qui s’apparente au traitement de choc, puisque de toute évidence, les libéraux verront leur cotisation augmenter notablement et leur retraite diminuer. Le cumul emploi-retraite, de plus en plus pratiqué, risque de s’imposer, non plus comme un choix, mais comme une nécessité.

Les médecins n’ont pas manifesté dans la rue au moment de la réforme de la retraite, mais cela ne signifie pas, loin s’en fait, que tout va pour le mieux concernant la retraite du corps médical ! Cette retraite comporte trois parties. Le régime de base, commun à toutes les professions libérales et géré par la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse des Professions Libérales (CNAVPL), pèse 23 % du total des cotisations payées par le médecin, mais ne représente que 19 % de la retraite moyenne, soit 496 euros mensuels. Cette année, cette cotisation a été fixée à 8,6 % du revenu dans le cadre d’un plafond de 29 427 euros, puis à 1,6 % du revenu au-delà dans la limite d’un plafond égal à cinq fois le plafond de la Sécurité Sociale. Au 1er avril 2011, le point du régime de base valait 0,5432 euro. D’un rendement faible, ce régime est quelque peu « plombé » par le mécanisme de compensation financière qui s’exerce au nom de la solidarité avec les régimes déficitaires des agriculteurs des artisans et des commerçants, et, depuis peu, l’arrivée massive de nouveaux affiliés que sont les autoentrepreneurs, qui payent de faibles cotisations. Pour ce régime, le départ à la retraite à taux plein est possible dès 60 ans pour les assurés nés avant 1949 et totalisant 40 années de cotisation. Cette durée de cotisation va augmenter progressivement, portée à 41 ans en 2012. Ce régime n’échappe pas à ce qui mine l’ensemble du système de retraite par répartition français : si l’on comptait trois cotisants pour un retraité en 2004, ce ratio sera de 1 pour 1 à l’horizon 2036.

Le régime complémentaire, géré par la Caisse Autonome de Retraite des Médecins de France (CARMF), représente 54 % des cotisations globales des médecins et leur assure 42 % de leur retraite, soit 1 005 euros mensuels cette année. La cotisation au régime complémentaire est de 9,2 % du revenu, plafonné à 113 000 euros. Elle donne droit à dix points maximum, dont la valeur, fixée par la CARMF et validée par arrêt ministériel, est de 75 euros en 2011, ce qui donne au régime complémentaire un rendement supérieur à celui du régime de base. Pour bénéficier de la retraite à taux plein dans ce régime, il faut cesser son activité à 65 ans ; si on le fait entre 60 et 65 ans, on perd 5 % par année manquante pour attendre l’âge requis. Les réserves de ce régime sont, elles aussi, menacées à moyen terme, et le taux de cotisation ne pourra pas rester indéfiniment le même.

L’ASV, une rentabilité jugée catastrophique 

Enfin, troisième pilier de la retraite des médecins, l’Allocation Supplémentaire Vieillesse, la fameuse ASV, qui fait tant parler d’elle et depuis si longtemps déjà. Rien d’étonnant à cela : même si le nombre de points servis annuellement a régulièrement baissé au fil des années et si la valeur du point est gelée à 15,55 euros depuis 1999, le rendement de l’ASV est encore aujourd’hui le meilleur (10,60 %). Mais c’est précisément cette rentabilité qui l’a fragilisée au point d’être dans une situation catastrophique aujourd’hui : si rien n’est fait, les réserves seront à sec l’année prochaine, et le régime sera en cessation de paiement en 2013. Selon Gérard Maudrux, le président de la CARMF, c’est un excès de rentabilité qui a miné l’ASV, dont les pouvoirs publics se sont servis pour inciter les médecins – jugés trop nombreux à l’époque ! – à cesser leur activité. Il estime que le rendement de l’ASV était de 25 % supérieur à ce qu’il aurait dû être. Aujourd’hui, avec la démographie médicale déclinante et la raréfaction des actifs pour l’abonder, l’ASV est au bord du gouffre. Les syndicats médicaux, pour une fois tous d’accord, ne s’y sont pas trompés qui ont exigé une réunion quadripartite rassemblant le Gouvernement, l’Assurance Maladie, la CARMF et les syndicats avant que les négociations conventionnelles ne s’engagent, pour régler de façon durable le sort de l’ASV. Seules la CARMF et la FMF étaient favorables à sa fermeture et au paiement des points acquis. « Mon premier argument est qu’une réforme de l’ASV pour assurer l’équilibre du dispositif va imposer des conditions telles qu’il n’y aura plus guère d’avantages sociaux pour les médecins, explique Gérard Maudrux. D’autre part, je suis persuadé que l’Assurance Maladie ne continuera pas de payer éternellement les deux tiers des cotisations des médecins du secteur 1 comme elle le fait actuellement. En l’absence de garantie sur les deux tiers, il faudra diviser la recette par trois. Cela arrivera inévitablement. Je suis donc partisan que l’on ferme l’ASV et que l’on paye les points acquis. »

Payer plus pour gagner moins

Mais ni les autres syndicats, ni le Gouvernement ne l’entendent de cette oreille. Ce dernier parce que la liquidation de l’ASV nécessiterait 30 milliards d’euros à payer, la CSMF, le SML et MG France, parce que la fermeture de l’ASV remettrait en question 39 % de la retraite des médecins (pour une cotisation qui représente 28 % du total des cotisations retraite), et dissuaderait définitivement les jeunes médecins de s’installer en secteur 1. « Le Gouvernement et les syndicats médicaux veulent le maintien du système, il faut donc trouver une solution », s’incline Gérard Maudrux. Après la première réunion du 21 avril dernier, deux autres réunions, le 19 mai et le 1er juin dernier, ont vu se dessiner les contours d’une réforme de l’ASV, qui, dans ses grandes lignes, convient à tous les syndicats. Certes, il n’y a pas de miracle, ce sera douloureux pour les médecins, et, comme le dit le président de la CSMF, Michel Chassang, « il s’agit de choisir parmi les solutions les moins pires ! ». Ainsi, on s’achemine vers un doublement de la cotisation le plus vite possible, dès 2013 sans doute. Cette augmentation pourrait se faire en une seule fois, ou progressivement, sur trois ans, comme le souhaite l’Assurance Maladie, pour qui cette hausse signifie 250 millions d’euros supplémentaires à sortir chaque année… La question n’est pas encore tranchée.

Pour un médecin de secteur 1, dont la cotisation ASV est actuellement de 1 360 euros, cette augmentation signifierait 110 euros de plus à payer par mois. C’est douloureux, mais encore envisageable. En revanche, pour les médecins de secteur 2, qui payent aujourd’hui 4 140 euros, le doublement de la cotisation est impossible. « La question du secteur 2 n’est pas tranchée, précise Michel Chassang. On envisage la possibilité d’un dispositif pour les faibles revenus en secteur 2, qui introduirait une part de proportionnalité au revenu dans le calcul de la cotisation. Il se pourrait aussi que l’augmentation de la cotisation soit moindre, avec, en parallèle, une diminution des points. » De fait, aux dernières nouvelles, les praticiens de secteur 2 verraient leur cotisation ASV majorée des deux tiers, tandis que la valeur du point serait diminuée d’un tiers. Du côté des prestations, justement, trois mesures sont envisagées. Pour les retraités, on s’achemine vers une diminution de 10 % du point sur trois ans plutôt que vers un gel durant six ou sept ans, comme envisagé initialement. Pour les médecins en activité, la valeur du point serait diminuée de 10 %, passant ainsi de 15,50 euros actuellement à 14 euros. Un médecin de secteur 1 verrait ainsi sa retraite globale (retraite de base, complémentaire et ASV) amputée de 4 %.

Dans les grandes lignes, tous les syndicats sont d’accord sur ces mesures, qui restent à affiner, en particulier concernant le secteur 2. Quant à l’allongement de l’âge du départ à la retraite de 65 à 67 ans, il fait encore débat. Pour Gérard Maudrux, elle est nécessaire et, « combinée à l’augmentation de la cotisation et à la baisse des points, cela est jouable sur le long terme ».

Pour entrer en vigueur au début de l’année 2013, cette réforme de la dernière chance de l’ASV nécessitera quelques décrets, notamment pour fixer la valeur du point et son inscription dans la convention en cours de négociation, en particulier pour ce qui concerne la participation de l’Assurance Maladie au financement de l’ASV des praticiens du secteur 1. Un acquis que les syndicats médicaux n’entendent pas voir remis en question. « C’est un principe sur lequel nous ne transigerons pas », affirme Michel Chassang. De fait, un désengagement de l’Assurance Maladie signifierait ipso facto la mort du secteur 1.

 

 




Livre Blanc du diabète – Entretien Gérard Raymond : « Il faut passer de l’ETP à l’accompagnement de la personne »

342 – Le président de l’Association Française des Diabétiques juge le Livre Blanc assez novateur dans son positionnement de la diabétologie, mais estime qu’il est urgent maintenant de passer aux actes sur le terrain. 

 

Que pensez-vous du Livre Blanc du diabète ? Y avez-vous participé ?

Gérard Raymond : Nous n’avons pas participé à sa rédaction, mais nous avons beaucoup échangé avec les auteurs. Un chapitre est d’ailleurs consacré à l’AFD, à ce qu’elle est et ce qu’elle fait. Les idées que nous avons promues depuis quelques années sont présentes, et l’on retrouve dans les sept propositions émises ce qui est essentiel pour nous : le benchmarking, la notion de « patient expert ». Sur le fond, il s’agit d’une étude très claire et réaliste sur ce qu’est aujourd’hui le diabète et sa prise en charge, avec des difficultés d’ordre sanitaire, économique et sociales. Car le diabète est une maladie sociétale et, il importe de prendre en compte cette dimension. Quand les diabétologues parlent de coordination des soins et d’équipes pluridisciplinaires, nous ne pouvons qu’être d’accord, et nous réjouir de cette volonté de l’ensemble des acteurs de coopérer.

Cela étant dit, et c’est la limite du Livre Blanc : ce n’est qu’un livre ! Il faut absolument multiplier les expérimentations sur le terrain pour mettre en place de nouvelles stratégies et réorganiser les soins de proximité, en définissant le rôle de chaque acteur, non pas « autour » mais « avec » le patient. La personne atteinte de diabète doit être reconnue dans sa globalité, ce que font de plus en plus les professionnels de santé. Il y a quelque temps dans un colloque, j’ai entendu un chirurgien qui parlait de revascularisation dire « Ce qui m’intéresse, c’est le diabète de la personne ». Moi, ce qui m’intéresse, c’est la personne ! Mais il y a de l’humanisme dans ce Livre Blanc et les médecins descendent de leur tour d’ivoire. Sans en avoir l’air, ce Livre Blanc est assez novateur en ce qui concerne le positionnement de la diabétologie.

La proposition 6 préconise la promotion de l’éducation thérapeutique du patient, et insiste sur la nécessité d’améliorer la formation des professionnels de santé à l’ETP. Qu’en pensez-vous ?

G. R. : En matière d’ETP, qui a permis de faciliter l’autotraitement chez les diabétiques, le moment est venu de passer du militantisme au professionnalisme. Il faut franchir une étape ; ne pas en rester au diagnostic éducatif et aux objectifs partagés, mais allez plus loin dans l’écoute de la personne. A cet égard, il faut bien dire que « l’éducation thérapeutique » associe les deux plus mauvais mots qu’on pouvait trouver ! On doit maintenant passer de l’ETP « descendante » à un accompagnement de la personne, en tenant compte de ses besoins, de ses attentes, de son ressenti. Et réfléchir à comment on peut l’accompagner. Est-ce aux médecins de le faire ? Je pense qu’ils doivent déléguer et, que s’ils veulent tout faire, ils ne feront rien. Il ne sont eux aussi que des accompagnant dans la pathologie chronique, et il y a un temps pour la thérapeutique et, un temps pour l’accompagnement, le dialogue. A l’AFD, nous formons des personnes à l’écoute, à l’accueil et à l’animation de groupe. Et nous les formons aussi à faire abstraction de leur diabète !




Livre Blanc du diabète – Entretien Alain Coulomb : « La piste de pôles ambulatoires est à explorer »

342 – Pour le coauteur du Livre Blanc, les cardiologues libéraux ont un rôle prépondérant à jouer dans la coordination des soins autour du patient diabétique.

Quel est le devenir de ce Livre Blanc du diabète ?

Alain Coulomb : C’est un peu comme une bouteille à la mer, cela va dépendre de qui le ramasse ! Il semble retenir l’intérêt si l’on en juge par les nombreuses reprises dont il a fait l’objet dans les medias. Notre intention est maintenant de le décliner dans les régions à travers cinq ou six réunions. Les ARS devraient être intéressées. Une pathologie dont le coût est aujourd’hui de 14 milliards d’euros ne peut pas laisser indifférent… Lors d’une récente visite  dans un hôpital anglais, dans un service de diabétologie, un médecin m’a expliqué que 18 % des dépenses liées au diabète étaient hospitalières, et que l’objectif était de les réduire de moitié. Il a été très étonné quand je lui ai dit qu’en France, la part hospitalière du coût du traitement du diabète s’élève à 40 % ! Il est plus que temps de réagir.

Selon vous, quelle est la place des cardiologues libéraux dans la prise en charge des malades diabétiques ?

A. C. : La pathologie du diabète a effectivement une dimension cardiologique, les cardiologues ont donc un rôle éminent à jouer dans la prise en charge des diabétiques. Ce sont d’ailleurs des professionnels qui ont largement réfléchi à la question dans le Livre Blanc de la cardiologie qu’ils ont publié il y a trois ans. Les cardiologues ont deux faces dans leur exercice ; ils sont des techniciens de très haute technicité, mais ils sont aussi des médecins confrontés à une pathologie chronique. Il faut qu’ils apprennent à gérer ces deux aspects, ou que la profession se subdivise en deux métiers différents.

Le Livre Blanc du diabète fait pourtant la part belle à l’hospitalo-centrisme. Ne pourrait-on imaginer des pôles ambulatoires cardio-métaboliques ?

A. C. : Si nous semblons pêcher par hospitalocentrisme, c’est bien inconsciemment, car l’axe majeur du Livre Blanc est bien la prise en charge des patients diabétiques par la médecine de ville. Cela dit, plus de la moitié des diabétologues travaillent à l’hôpital. Quant à la suggestion de pôles cardio-métaboliques, c’est une piste peu explorée, mais je trouve excellente l’idée de pôles élargis.

Les ARS sont-elles vraiment le passage obligé de toute initiative, comme le suggère le Livre Blanc ?

A. C. : Les agences régionales de santé n’ont pas d’autres choix que de s’intéresser à tout ce qui peut permettre de sortir de l’hospitalocentrisme, précisément, et si elles ne le faisaient pas, on pourrait s’interroger sur leur utilité. Il est difficile de nier que la loi leur confère un rôle tout à fait prépondérant dans ce domaine.




Sophia

342 – Initié en 2008 dans dix départements pilotes, ce dispositif d’accompagnement des diabétiques via une plate-forme téléphonique a pour objectif d’accompagner les patients qui le souhaitent, en relais du médecin traitant, pour les aider à mieux vivre avec la maladie et en prévenir les complications. S’adressant aux patients diabétiques de type 1 et 2 âgés de plus de 18 ans et pris en ALD, il concerne aujourd’hui 19 départements et 440 000 patients. 

Selon le premier bilan dressé par la société Cemka-Eval, 103 000 patients ont aujourd’hui adhéré à Sophia. L’évaluation montre « un effet Sophia » positif dans le suivi des examens. Les adhérents réalisent plus fréquemment les examens recommandés dans le suivi du diabète. Ainsi sont-ils plus nombreux à effectuer l’examen ophtalmologique annuel recommandé (4 points d’écart entre les patients Sophia et les autres). De même, on observe un baisse du taux d’hémoglobine glyquée un peu plus importante chez les adhérents de Sophia.

Une croissante de dépenses hospitalières plus faible

En revanche, les premières données concernant les hospitalisations, et sur une seule année, révèlent que les patients Sophia recourent autant que les autres à l’hôpital ? Toutefois, on remarque une croissance de leurs dépenses hospitalières plus faible, avec une diminution allant de –30 euros à –130 euros, selon la méthode d’ajustement retenue. Pour les auteurs du Livre Blanc du diabète, cette imprécision quant aux hospitalisations évitées est le point noire de l’expérience : « L’expérience Sophia, mise en place par l’Assurance Maladie, peut être considérée comme une initiative de télémédecine, estiment les auteurs du Livre Blanc. Elle a déjà remporté un certain succès et sa généralisation ne peut que profiter aux personnes diabétiques. Il semblerait toutefois intéressant que l’on envisage de calculer le taux réel d’hospitalisations évitées grâce à ce programme pour en établir un rapport financier et en déterminer la véritable efficience ».

Une généralisation sur l’ensemble du pays

Pour autant, l’Assurance Maladie considère que ces premiers résultats sont suffisamment encourageants pour poursuivre le programme Sophia et même l’élargir à d’autres pathologies. Le service, qui fait partie du plan ministériel d’amélioration de la qualité de vie des malades chroniques, sera généralisé à l’ensemble du pays d’ici à 2013 et étendu à des pathologies cardiovasculaires et respiratoires.

 




Livre Blanc : Le diabète sort de l’ombre

342 – Le premier Livre Blanc du diabète vient d’être publié sous l’égide de la Société francophone de diabétologie (SFD). Il analyse dans tous ses aspects, et toute son ampleur, cette pathologie, qui concerne largement les cardiologues libéraux, puisque 37 % des diabétiques de type 2 les consultent. Sept propositions concrètes sont faites par les auteurs pour endiguer l’inquiétante progression de cette « épidémie silencieuse ».

Pourquoi un Livre Blanc du diabète ? les chiffres du diabète sont la meilleure réponse à la question. En moins de dix ans, la prévalence du diabète traité en France est passée de 2,6 à 4,4 %, et le nombre de personnes atteintes de 1,6 million à 2,9 millions. Dans le même temps, son coût a doublé et s’élève aujourd’hui à quelques 14 milliards d’euros, tous régimes d’Assurance Maladie confondus. C’est 10 % des dépenses de santé, dont 40 % sont imputables aux hospitalisations. Les personnes diabétiques ont en moyenne 65 ans, 55 % d’entre elles ont plus de 65 ans, et un quart a plus de 75 ans. La très grande majorité est en ALD, au titre du diabète ou d’une autre pathologie. Dans 92 % des cas, il s’agit d’un diabète de type 2, mais la prévalence du diabète de type 1 augmente de 3 à 4 % par an. Plus des deux tiers de diabète sont diagnostiqués à l’occasion d’un dépistage (bilan, prise de sang, grossesse), 18 % sur la base de symptômes évocateurs et 15 % à l’occasion d’une complication, c’est-à-dire trop tardivement.

Parmi les complications du diabète, les pathologies cardiovasculaires sont fréquentes. Les résultats des études ENTRED (Echantillon National Témoin REprésentatif des personnes Diabétiques) qui ont porté sur les périodes 2001-2003 puis 2007-2010, le risque vasculaire des patients diabétiques, bien qu’en diminution, reste élevé. En 2007, 59 % des diabétiques de type 2 ont un risque très élevé, 26 % un risque élevé et 14 % un risque modéré. Quant à la fréquence des complications du diabète, elle augmente légèrement. Un antécédent d’angor ou d’infarctus est rapporté par 16,7 % des personnes diabétiques de type 2, chiffre stable depuis 2001. En revanche, depuis cette date, la fréquence des revascularisations coronariennes a augmenté de 5 points et concerne 13,9 % des patients, ce qui porte au total la fréquence des complications coronariennes (en incluant les revascularisations) à 20,8 % (+ 3 points). Si le suivi des diabétiques est majoritairement assuré par les médecins généralistes, l’étude Entred montre que le recours aux cardiologues libéraux a nettement progressé entre 2001 et 2007, puisque 37 % des malades les consultent (+ 5 points).

A ces quelques chiffres piochés parmi tant d’autres dans le Livre Blanc, et qui suffisent à expliquer l’enjeu que représente une prise en charge plus efficiente de cette maladie chronique, s’ajoute une certitude : le nombre de personnes diabétiques de type 2 va continuer d’augmenter, notamment en raison du nombre important de patients en surpoids et obèses. Le défi à relever est donc multiple : améliorer le dépistage quantitativement et qualitativement (on estime que 50 000 personnes ignorent qu’elles sont diabétiques), organiser et coordonner l’intervention des différents professionnels de santé pour augmenter l’efficience de la prise en charge des patients et réduire les coûts, notamment en évitant les hospitalisations inutiles. L’enjeu est de taille, puisque, hormis la spécificité de certains soins, la plupart des propositions émises dans le Livre Blanc du diabète sont largement extrapolables à d’autres maladies chroniques.

 

Les 7 propositions du Livre Blanc

1 Inventer pour réduire l’impact du diabète. Sur les trois millions de diabétiques, seuls 500 000 nécessitent vraiment le recours au plateau technique hospitalier. Pour les 2,5 millions de patients pour lesquels le passage par l’hôpital ne s’impose pas, il est primordial d’inventer une nouvelle offre de soins. C’est à quoi doivent œuvrer les ARS en s’appuyant sur l’expérience de professionnels de santé de terrain, pour réduire les inégalités d’accès aux soins, mieux dépister et prendre en charge les diabétiques et développer l’ETP.

2 Médiatiser le diabète pour mieux le prévenir. Parce qu’elle est silencieuse et indolore, la pathologie diabétique n’effraye pas et l’on en parle peu. Beaucoup de diabétiques ignorent qu’ils le sont. Il importe donc d’initier des campagnes nationales de prévention et de dépistage, et informer sur les complications du diabète et la mortalité associée, en particulier sur les maladies cardiovasculaires qu’il peut induire. L’information doit se faire à travers les campagnes liées à l’alimentation, auprès des professionnels de l’agroalimentaire, et en direction de cibles prioritaires en fonction des facteurs de risque.

3 Centrer l’organisation sur le malade et non sur la maladie. Projet de vie, milieu socioculturel, capacité à être autonome, besoins, la prise en compte de tous ces éléments est essentielle pour optimiser la prise en charge des personnes diabétique.

4 Améliorer la qualité de vie des malades. Cela passe notamment par le recours à la télémédecine, formidable outil pour prévenir l’hospitalisation.

5 Orchestrer les synergies et mises en réseau des professionnels. La multiplicité des compétences dans le domaine du diabète nécessite une réelle organisation entre les structures hospitalières et ambulatoire, les 74 réseaux qui existent actuellement en France, et les services sociaux. Pour cela, le Livre Blanc préconise que le diabétologue (hospitalier ou libéral) soit au centre du dispositif de soin et oriente le patient, en partenariat avec le généraliste et/ou un réseau de soins le patient, vers le praticien, le réseau ou le service le mieux adapté. A lui aussi de définir des indicateurs de structures, de processus et de résultats pur optimiser le parcours de soins et éviter les hospitalisations.

6 Mieux former les professionnels de santé à l’ETP. Après sa reconnaissance la loi HPST, il reste à former les professionnels de santé à l’ETP et à concevoir un mode de rémunération adapté, qui pourrait être un forfait. Les pouvoirs publics pourraient instaurer un « label qualité » pour les structures impliquées dans l’ETP.

7 Innover vers une démarche translationnelle et transversale commune à la majorité des maladies chroniques et explorer de nouvelles voies. Résultant de l’observation des patients, la recherche translationnelle est une recherche fondamentale qui impose de favoriser la proximité avec les patients afin d’assurer l’application rapide des connaissance au bénéfice du malade, en termes de diagnostic comme de traitement. Le Livre Blanc suggère qu’après l’ETP, les diabétologues fassent des sciences cognitives leur nouveau cheval de bataille. Leur pratique permettrait de sensibiliser la population aux risques encourus par certains comportements et de sélectionner les campagnes de santé publique les plus efficaces.

 

Le diabète en France

Publié sous l’égide de la Société Francophone du Diabète (SFD), le premier Livre Blanc du diabète, diffusé à 5 000 exemplaires, vient d’être présenté à la presse. Dans cet ouvrage qui s’appuie également sur les contributions de nombreux experts, les auteurs Alain Coulomb (consultant), le Pr Serge Halimi (CHU de Grenoble), et Igor Chaskilevitch (administrateur) tirent la sonnette d’alarme sur la croissance galopante du diabète, l’épidémie silencieuse du XXIe siècle. Cette maladie chronique, invalidante et coûteuse, est associée à de lourdes complications. Longtemps préservée, la France, en moins de dix ans, a vu le nombre de diabétiques passer de 1,6 à 2,9 millions de personnes, « un chiffre qui dépasse les prévisions les plus pessimistes », a souligné le président de la SFD, le Pr Bringer, lors de la présentation de l’ouvrage. Les diabétiques qui s’ignorent seraient de l’ordre de 600 000. Son coût a doublé en moins de dix ans et approche les 14 milliards d’euros en 2009, soit 10 % des dépenses de santé. L’hôpital coûtait, en 2007, 4,7 milliards d’euros par an pour le seul diabète, soit beaucoup plus que chez nos voisins. L’explosion du nombre de patients est liée principalement à l’épidémie parallèle d’obésité, doublée d’une tendance croissante à la sédentarité. « Il y a une concordance des courbes de progression de l’obésité et du diabète depuis 12 ans », souligne le Pr Bringer.
Adressé aux pouvoirs publics et aux parlementaires, le Livre Blanc contient sept propositions pour tenter « d’infléchir la progression de cette épidémie, d’en atténuer les formes sévères et de favoriser des alternatives à l’hospitalisation ». Il s’agit d’inventer une nouvelle offre de soins pour réduire l’impact du diabète avec le concours des ARS, médiatiser le diabète pour mieux le prévenir, centrer l’organisation sur le malade et non pas sur la maladie, améliorer la qualité de vie des malades notamment par la télémédecine, orchestrer les synergies et mises en réseau des professionnels pour assurer une meilleure prise en charge des patients, mieux former les professionnels de santé à l’éducation thérapeutique (ETP), innover vers une recherche translationnelle et transversale commune à la majorité des maladies chroniques et explorer de nouvelles voies.

« Le Livre Blanc du diabète. Sept propositions pour faire face à l’épidémie silencieuse du XXIe siècle », 230 pages
www.senioractu.com/Sept-propositions-pour-faire-face-au-diabete-l-epidemie-silencieuse-du-21eme-siecle_a13566.html



Convention AERAS 2011 : Quelles avancées pour les droits du malade ?

341 – Année des patients oblige, la nouvelle convention AERAS (s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé) succède à celle de 2007, et s’applique depuis le 1er mars dernier. Si elle conserve l’essentiel du texte initial, elle apporte néanmoins quelques améliorations notables. La première porte sur l’information et la diffusion de la connaissance de la convention AERAS, encore insuffisante. Ainsi, d’ici à la fin de l’année, le site internet officiel de la convention (www.aeras-infos.fr) sera rénové, et davantage tourné vers l’accompagnement des futurs emprunteurs dans leur recherche d’assurance. Des partenariats d’information vont être créés, notamment avec les médecins. Sur le fond, la convention 2011 offre une meilleure couverture du risque invalidité « spécifique ». L’un des objectifs est de couvrir 60 % des assurés relevant de la deuxième catégorie d’invalidité de la Sécurité Sociale. Le montant des prêts pouvant être obtenus par le dispositif augmente, passant de 15 000 euros à 17 000 euros pour les prêts à la consommation, et de 300 000 euros à 320 000 euros pour les prêts professionnels et immobiliers. Quant au seuil de déclenchement du mécanisme d’écrêtement des surprimes, il est abaissé et ramené de 1,5 à 1,4 point du TEG.

La convention AERAS 2011 crée une commission des études et des recherches, dotée d’un budget de quatre millions d’euros sur quatre ans. Composée de médecins, d’experts de la HAS et de l’INCA, de médecins conseils de compagnies d’assurance et de représentants d’associations de patients, cette commission a pour mission d’objectiver les données sur la mortalité/morbidité des principales pathologies, et de fournir de nouvelles statistiques aux assureurs. Afin d’optimiser la réussite du dispositif, une autorité de contrôle est créée, des indicateurs de suivi seront mis en place et des objectifs indicatifs chiffrés donnés. Enfin, la convention AERAS 2011 marque une évolution vers l’harmonisation des questionnaires médicaux spécifiques par pathologie, ce qui simplifiera les démarches des futurs emprunteurs, qui devaient auparavant interroger plusieurs fois leur médecin pour remplir des questionnaires différents d’un assureur à l’autre.

La notion de droits des malades renvoie en général aux droits des patients à l’égard de leurs médecins ou à l’égard de l’Assurance Maladie. Pourtant, la qualité de malade a des implications juridiques dans de nombreux domaines de la vie sociale [1]. L’une des plus remarquables concerne certainement les droits des personnes atteintes d’un risque aggravé de santé à l’égard des prêteurs et des assureurs. La loi du 31 janvier 2007 relative à l’accès au crédit des personnes présentant un risque aggravé de santé prévoit qu’une convention nationale est conclue entre l’Etat, les associations de consommateurs et de personnes malades ou handicapés et les organisations professionnelles représentant les établissements de crédit et les assureurs. En l’absence de convention, les dispositions visées par l’article 2 de la loi doivent être réglementées par décret [2].

L’avenant à la Convention AERAS en date du 1er février 2011 renforce les droits des personnes atteintes d’un risque grave de santé. Les nouveaux droits ne bénéficient pas rétroactivement aux personnes ayant déjà profité des dispositions anciennes. Il convient de reprendre les principales avancées qu’entérine cet acte entré en vigueur le 1er mars 2011.

L’élargissement de la couverture invalidité 

En matière de prêts immobiliers et professionnels, l’avenant prévoit un engagement renforcé des assureurs qui seront tenus de proposer, à partir du 1er septembre 2011, deux types de garantie invalidité, à condition que la couverture de ce risque soit possible. Autant dire que l’efficacité du dispositif dépendra de ce qu’il faut entendre par la possibilité de couverture du risque invalidité. Si ce critère n’est pas rempli, les assureurs sont uniquement tenus de proposer une garantie Perte totale et Irréversible d’Autonomie (PTIA), laquelle ne suffit pas toujours à obtenir le prêt.

Si la couverture est possible, l’assureur doit proposer une garantie invalidité aux conditions de base du contrat standard avec, le cas échéant, exclusion(s) et/ou surprime, ou une garantie invalidité spécifique au taux de 70 %.

La garantie spécifique constitue l’avancée majeure opérée par l’avenant :

– le taux de 70 % est apprécié par référence au barème d’invalidité annexé au Code des pensions civiles et militaires ;
– la garantie ne comporte aucune exclusion de pathologie [3] ;

les établissements de crédit s’engagent à n’exiger aucune autre garantie s’agissant de la couverture du risque santé. Cependant, l’avenant prévoit une exception qui limite l’efficacité du dispositif puisque ces établissements peuvent refuser d’accorder le prêt si l’examen particulier du dossier ne leur permet pas de disposer d’une garantie raisonnable sur la capacité du candidat à l’emprunt à s’acquitter des annuités d’emprunt.

Contrairement à ce qui avait été envisagé, l’avenant n’impose aucun quota aux assureurs dans l’octroi de la garantie invalidité, ni ne fait de cette garantie une assurance obligatoire dont le tarif est fixé d’autorité par le Bureau central de tarification en cas de refus d’assurance.

Par ailleurs, l’assureur peut procéder à un ajournement en reportant sa décision d’octroyer la garantie invalidité. Au-delà de l’allongement des délais de traitement consécutif à l’ajournement, il arrive que l’assureur prévoie que le refus de garantir l’invalidité remet en cause la garantie décès [4]. L’avenant n’interdit pas cette pratique qui paraît contestable. En effet, si on admet que le candidat puisse accéder au troisième niveau (voir infra) alors même que le refus porte uniquement sur la garantie invalidité [5], le fait qu’il dispose déjà des garanties décès et PTIA pourrait faciliter l’acceptation de son risque par le Pool des risques très aggravés.

L’écrêtement des surprimes

La surprime versée par l’emprunteur est plafonnée en matière de prêts immobiliers liés à l’acquisition de la résidence principale et de prêts professionnels, dont le montant ne dépasse pas 320 000 euros (contre 300 000 auparavant) et si le candidat n’aura pas plus de 70 ans à la dernière échéance du prêt [6]. Notons que les crédits relais n’entrent pas dans le calcul du seuil des 320 000 euros lorsque l’emprunt a pour but l’acquisition d’une résidence principale. En revanche, pour les autres prêts, les encours cumulés de prêts ne doivent pas dépasser 320 000 euros.

Les conditions d’éligibilité au dispositif d’écrêtement liées aux revenus des candidats à l’emprunt ne sont pas modifiées. L’avenant consacre néanmoins deux avancées :
– la partie de la surprime qui dépasse 1,4 point du TEG (contre 1,5 auparavant) est prise en charge par les assureurs et les prêteurs. Les primes d’assurances atteignent rarement de tels montants ;
– la surprime est intégralement prise en charge par les assureurs et les prêteurs au profit des emprunteurs de moins de 35  ans bénéficiaires du prêt à taux zéro renforcé (PTZ+).

Le dispositif à trois niveaux

L’avenant maintient la distinction entre les trois niveaux d’offre d’assurance :

1. Lorsque l’analyse d’un questionnaire de santé conduit l’assureur à refuser un candidat à l’emprunt, le dossier de celui-ci est automatiquement transféré vers un deuxième niveau qui permet le réexamen individualisé de la demande d’assurance.

2. En cas de refus au deuxième niveau, le candidat peut prétendre à un examen de troisième niveau, à condition que le prêt ne dépasse pas 320 000 euros et soit d’une durée telle que l’âge de l’emprunteur en fin de prêt n’excède pas 70 ans.

3. Le troisième niveau est constitué par le « Pool des risques très aggravés » qui est une convention de co-réassurance gérée par le Bureau Commun d’Assurances Collectives (BCAC) par laquelle est déterminée la part d’indemnité prise en charge par le Pool en cas de sinistre, en vue d’alléger l’obligation de l’assureur qui conserve en général 50 % du risque ayant fait l’objet d’un refus aux premier et deuxième niveaux.

Le questionnaire médical

En matière d’assurance décès des prêts à la consommation affectés ou dédiés, l’assureur s’engage à ne pas imposer un questionnaire de santé lorsque le montant du crédit n’excède pas 17 000 euros (contre 15 000 euros auparavant), uniquement lorsque la durée du crédit est inférieure ou égale à quatre ans et que l’emprunteur n’a pas plus de 50 ans.

Le candidat à l’assurance doit alors seulement déposer une déclaration sur l’honneur de non-cumul de prêts au-delà du plafond de 17 000 euros.

Le titre II de l’avenant rappelle que les réponses au questionnaire, lorsque celui-ci peut être imposé, sont strictement confidentielles. En effet, l’analyse du questionnaire est réservée au service médical de l’assureur. Le conseiller bancaire ne doit absolument pas prendre connaissance des réponses, ce qui n’est pas toujours appliqué compte tenu du manque de publicité des règles posées par la Convention AERAS. Il faut conseiller aux emprunteurs de répondre aux questionnaires, non pas en présence du banquier, mais à leur domicile, et de les renvoyer directement au service médical de l’assureur bancaire.

Il faut noter que l’article 5 du titre II de la convention AERAS mentionne : « Un travail d’harmonisation de la formulation des questions ayant le même objet pour les questionnaires de santé de 1er niveau et pour les questionnaires détaillés par pathologie est conduit par les assureurs, en concertation avec les associations. Ce travail est présenté à la Commission de suivi et de propositions, pour avis, avant sa diffusion. »

Il s’agira de mettre en conformité, l’ensemble des questionnaires spécifiques (pour certaines pathologies) édités par les compagnies d’assurances, car ils sont présentés différemment d’une société à l’autre, et sont contestés, de la même façon, entre compagnies. Ceci évitera que le client, questionne plusieurs fois, son médecin.

La prise en compte du progrès médical

Le titre III de l’avenant prévoit la création d’un groupe de travail, rattaché à la commission des études et des recherches AERAS, chargé d’apprécier les risques en assurance des pathologies représentatives des risques aggravés de santé. Ce groupe procède à l’évaluation du progrès médical et met à jour les probabilités de décès ou de rechute pour chaque maladie. Les assureurs s’engagent à prendre en compte les résultats des travaux du groupe dans leur appréciation du risque, et sont tenus d’actualiser les questionnaires de santé au regard des évolutions de la médecine (titre II).

Les fédérations d’assureurs informent la commission de suivi et de propositions de l’impact des travaux publiés par le groupe de travail sur l’accessibilité à l’assurance emprunteur et ses modalités en termes de prix et de garanties proposés.

L’avenant permet ainsi aux commissions instituées par la Convention AERAS d’avoir un droit de regard sur la justification des tarifs d’assurance proposés aux personnes atteintes d’un risque aggravé de santé [7].

Cependant, le dispositif n’impose pas la prise en compte de l’évolution du risque après la formation du contrat. Dans les assurances de choses et de responsabilité, la tarification évolue en fonction de la réduction ou de l’augmentation du risque, ainsi qu’au regard de sa prévention. Dans les assurances de personnes, l’évolution de la prime est le plus souvent inexistante. Il ne paraît pas excessif que, dans le cadre spécifique de la convention AERAS, les assureurs s’engagent à réduire le montant des primes en fonction de l’évolution des thérapeutiques et/ou du respect par l’assuré des indications thérapeutiques, ce qui favoriserait non seulement les droits des malades, mais également la prévention des risques de santé.

[1] Aussi bien en termes de droits que de devoirs. Voir par exemple l’arrêté du 31 août 2010 modifiant l’arrêté du 21 décembre 2005 fixant la liste des affections médicales incompatibles avec l’obtention ou le maintien du permis de conduire ou pouvant donner lieu à la délivrance de permis de conduire de durée de validité limitée.
[2] C. sant. publ., art. L. 1141-2 et suivants.
[3] En 2009, la FFSA et le GEMA ont relevé que les assureurs ont refusé 24 % des demandes d’assurance comprenant une garantie supérieure (incapacité-invalidité) à la garantie PTIA. Dans les autres cas, les assureurs ont accepté de couvrir la garantie incapacité/invalidité dans 22 % des cas aux conditions standard du contrat, dans 51 % des cas sans surprime, mais avec exclusion ou limitation de garanties, et dans 3 % des cas avec une surprime. FFSA-GEMA, Conjoncture septembre 2009, Demandes d’assurance de prêts (convention AERAS), situation à fin juin 2009, p. 3. Les chiffres n’ont pas significativement évolué depuis 2009.
[4] Sur ces pratiques : Rapport d’activité 2008, Commission de médiation de la Convention AERAS, avril 2009, p. 29 et 30.
[5] En ce sens, Rapport d’activité 2008, ibid.
[6] La Commission de médiation AERAS considère que les prêts relais (in fine) et les prêts pour travaux destinés à la résidence principale (en ce sens, voir l’article L. 312-2 du Code de la consommation) sont éligibles au dispositif d’écrêtement des surprimes. 
[7] De plus, l’Autorité de contrôle prudentiel vérifie, dans le cadre de son contrôle des établissements de crédit et des organismes assureurs, le respect de leurs engagements au regard de la convention AERAS.
 

Faire réviser son contrat

Durant la durée du contrat, au bout de deux ou trois ans, on peut conseiller aux patients, par l’intermédiaire de leur cardiologue, de soumettre à nouveau leur dossier à l’assureur. Dans le meilleur des cas, leur pathologie serait reconsidérée et leur prime revue à la baisse.  Mais en aucun cas, même avec une aggravation constatée, il ne pourrait y avoir de révision de la prime à la hausse. Cette soumission médicale pourrait être faite sur le conseil du cardiologue, lui seul connaissant bien la santé de son patient. Il convient cependant de rester prudent et de ne pas donner de faux espoirs à des patients présentant « un ou plusieurs » facteurs de risques aggravés. 

Philippe Thébault Courtier spécialisé en risque emprunteur

 




Etienne Caniard : « Nous ne renonçons pas aux réseaux de soins »

345 – Le président de la Mutualité Française estime qu’en l’état, le secteur optionnel ne règlera pas durablement le problème des passements d’honoraires et, donc, celui de l’accès aux soins.

Quelles seront les conséquences de l’augmentation de la taxe sur les contrats solidaires et responsables pour les organismes de complémentaire santé ?

Etienne Caniard : Des difficultés importantes pour accéder aux soins pour un nombre plus important encore de nos concitoyens, nous en sommes convaincus. Le Gouvernement sait que cette taxe renchérira les cotisations. Les mutuelles sont des organismes à but non lucratif, des sociétés de personnes. Elles n’ont pas de capital, ne versent pas de dividende à des actionnaires et elles ne peuvent être déficitaires comme la Sécurité Sociale. Toute charge nouvelle pèse sur les cotisations. 38 millions de Français ont une mutuelle. Indirectement, il s’agit d’un nouvel impôt qui ne veut pas dire son nom. Socialement, c’est profondément injuste, car nous le savons, si les cotisations augmentent, les adhérents vont choisir des garanties moins protectrices, voire renoncer à leur mutuelle. Or, la mutuelle est indispensable, notamment pour accéder aux soins courants. Elle en finance presque la moitié ! Les personnes qui n’auront plus de mutuelle risquent de recourir davantage aux urgences hospitalières qui sont très coûteuses pour la collectivité. C’est incohérent ! C’est pourquoi nous venons de lancer sur le site internet de la Mutualité Française et de ses mutuelles adhérentes une pétition pour appeler nos concitoyens à exprimer leur mécontentement et à demander au Gouvernement de renoncer à cette taxe.

L’UNOCAM a récemment décidé de reprendre les négociations sur le secteur optionnel. Quelles conditions mettez-vous à la reprise de ces négociations ?

E. C. : La Mutualité Française condamne vivement, et depuis plusieurs années, l’explosion croissante du nombre et du volume des dépassements d’honoraires, car ils remettent en cause l’accès aux soins pour nombre de nos concitoyens. Leur banalisation a entraîné progressivement la modifi cation de la nature même de notre système de protection sociale. Et nous vivons aujourd’hui dans la fi ction d’un taux de remboursement du régime obligatoire qui ne correspond plus du tout à la réalité des tarifs. Il est urgent de mettre fi n à cette situation, car c’est inacceptable pour les patients ! La création d’un secteur optionnel ne doit avoir qu’un seul objectif, améliorer l’accès aux soins. Aujourd’hui, le secteur optionnel ressemble davantage à une simple « solvabilisation » de rattrapage pour les professionnels de santé sans mettre fi n à l’anarchie tarifaire, qu’à un véritable outil de maîtrise des dépassements, notamment les plus élevés.

Selon vous, ce secteur optionnel – dans les modalités actuelles inscrites dans la convention médicale récemment signée – est-il la réponse appropriée au problème des dépassements d’honoraires et des inégalités d’accès aux soins engendrées par le secteur 2 ?

E. C. : Le secteur optionnel a été conçu à partir de moyennes qui cachent de fortes disparités, qu’elles soient géographiques ou à l’intérieur même des professions. Pour les 4 000 chirurgiens libéraux en secteur 2 par exemple, si les dépassements d’honoraires sont en moyenne de 56 %, ils ne sont que de 10 % pour les 400 pratiquant les tarifs les plus bas, alors qu’à l’autre extrême, la même proportion facture en moyenne 240 % de dépassement à leurs patients. Comment imaginer que les seconds vont réduire leurs dépassements en choisissant le secteur optionnel ? C’est pourtant sur ces excès qu’il faut agir si l’on veut améliorer l’accès aux soins. Tant que l’on raisonnera à partir de moyennes, on créera un effet d’aubaine pour les praticiens facturant de faibles dépassements sans réguler les excès. Cela n’est pas satisfaisant.

D’abord amendé dans un sens restrictif à l’Assemblée, l’article de la loi Fourcade sur les réseaux de soins mutualistes a finalement été censuré par le Conseil constitutionnel cet été. Quel est l’avenir de ces réseaux et de la possibilité de mieux rembourser les assurés faisant appel à eux ?

E. C. : Nous avons pris acte de la décision du Conseil constitutionnel. Et nous ne renoncerons pas aux réseaux de soins qui permettent aux adhérents de bénéficier de soins de qualité avec un reste à charge limité. Professionnels de santé et financeurs doivent retrouver une totale liberté de contractualiser. C’est une des conditions de l’amélioration du système de soins. Il est paradoxal de demander aux mutuelles de participer à la régulation des dépenses de santé et de ne pas leur donner les moyens juridiques de le faire. ■




Des nouveaux métiers en santé

340 – Le rapport Hénart propose de créer des nouveaux métiers en santé de niveau intermédiaire, à partir des métiers paramédicaux existants, et fondés sur des besoins clairement identifiés mais non satisfaits aujourd’hui par notre système de santé.

Chargé en mai dernier d’une mission sur les nouveaux métiers en santé de niveau intermédiaire, Laurent Hénart, a remis, il y a peu, son rapport à Xavier Bertrand et Valérie Pécresse. Le député UMP de Meuthe-et-Moselle, ainsi qu’Yvon Berland, président de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé et président de l’Université Aix-Marseille II, et Danielle Cadet, coordonnatrice générale des soins à l’AP-HP, avancent des pistes pour la création de nouveaux métiers « intermédiaires » en santé. Il s’agit de répondre aux défis que représentent aujourd’hui le vieillissement de la population, la dépendance et le développement des maladies chroniques. Pour les relever, notre système de santé, tel qu’il fonctionne actuellement, paraît peu adapté, cloisonné qu’il est entre le médical et le paramédical, l’hôpital et la ville, le curatif et le préventif, le sanitaire et le social. A quoi s’ajoute une démographie médicale fragile, particulièrement dans certaines spécialités et certains secteurs géographiques, qui rend nécessaire la reconquête par les médecins de « temps médical » par la délégation à d’autres professionnels d’un certain nombre de tâches. « La question des nouveaux métiers en santé est une réflexion depuis plusieurs années, elle doit maintenant être tranchée », estiment les rapporteurs, pour qui le moment est propice pour aller plus loin, la loi HPST ayant ouvert des perspectives : « En particulier, elle pose les bases de l’éducation thérapeutique du patient (et conduit à s’interroger sur les moyens humains et les organisations nécessaires pour y répondre efficacement), elle vise à faire évoluer les modalités d’exercice et de rémunération et rénove le cadre des coopérations entre les professionnels de santé ».

Conforter les métiers socles

Les auteurs du rapport jugent que « la création de nouveaux métiers en santé de niveau intermédiaire est une des réponses possibles aux inadaptations constatées » dans notre système de santé. Mais sur ce chemin, ils avancent prudemment, et posent notamment en préalable à toute création de nouveaux métiers de « conforter et développer les métiers socles », à travers une réflexion globale et pluridisciplinaire sur les professions de santé actuelles, à la fois pour les stabiliser, mais aussi pour « en faire évoluer les contours et l’envergure et si nécessaire les niveaux de formation, bref, à en tirer tout le potentiel au regard des nouveaux besoins de santé ». Ce n’est qu’à partir de cette réflexion qu’il sera possible de « cerner le champ des nouveaux métiers en santé ». Le premier recours, les maladies chroniques, le cancer, le vieillissement et les personnes âgées constituent pour les auteurs du rapport les domaines dans lesquels ces nouveaux métiers devront être créés prioritairement, sur la base de « quelques principes incontournables » : « Ils sont construits à partir des métiers paramédicaux actuels, ils ne sont pas redondants avec un métier existant, ils correspondront à un mode d’exercice professionnel et des responsabilités identifiées, et ils ont vocation à constituer, à terme, des professions médicales à compétence définie ». En clair, les nouveaux métiers ne doivent pas se substituer aux métiers existants, mais représenter « le chaînon manquant dans la gradation de la prise en charge des patients ». Le rapport Hénart suggère de s’appuyer sur l’article 51 de la loi HPST permettant des initiatives locales de coopérations interprofessionnelles, mais d’amplifier ces expérimentations par « des programmes nationaux » permettant de tester grandeur nature, en quelque sorte, « la pertinence de nouveaux métiers en santé ». Le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, a demandé aux trois auteurs du rapport de faire partie du comité de pilotage qui mettra en œuvre et suivra ces expérimentations.

Bien évidemment, ces nouveaux métiers nécessiteront des nouvelles formations. Le rapport Hénart se prononce en faveur de la mise en place de filières universitaires, « pour bien positionner dans le système LMD les métiers socles et les futurs métiers en santé de niveau intermédiaire et garantir des carrières évolutives, lisibles et autonomes ».  De toute évidence aussi, ces nouveaux métiers devront faire l’objet d’une valorisation financière, mais cet aspect économique ne faisait pas partie de la lettre de mission de Laurent Hénart, et nécessiterait, sans doute, une étude socio-économique approfondie.

 

Les patients sont pour !

Président de l’association Alliance du Cœur (ex FNAMOC), Jean-Claude Boulmer est tout à fait favorable à la création des métiers intermédiaires en santé, qui existent déjà à l’hôpital, d’ailleurs. « Lorsque j’ai été greffé, il y a dix sept ans, j’ai été soigné par des infirmières qui avaient reçu une formation spéciale, différente de la formation de base, qui étaient très au fait des pathologies cardiaques, et qui m’apportaient, notamment, des informations complémentaires que mon cardiologue n’avait pas le temps de me donner. Je suis donc tout à fait d’accord pour la création de nouveaux métiers en santé, qui pourraient intervenir dans la télémédecine et dans l’Education thérapeutique du patient, entre autre. A condition que cela ne soit pas fait dans le désordre et la précipitation, mais correctement, avec des formations adéquates et des règles strictes. Ma seule méfiance concerne l’aspect financier : ces nouveaux métiers devront être rémunérés à leur juste valeur, et il n’est pas question que ces nouveaux métiers soient préjudiciables aux médecins , et qu’on “déshabille Pierre pour habiller Paul”. Il faut se montrer d’autant plus vigilant que dans l’état actuel des finances, c’est une tendance qui se généralise… A ces réserves près, je suis tout à fait favorable à ces nouveaux métiers intermédiaires en santé, mais il faut prendre en compte la dimension financière dans le processus de leur création. »

 

Entretien Yvon Berland

« Les premiers “nouveaux métiers” d’ici trois ans »

Pour le président de l’Observatoire National de la Démographie des Professions de Santé (ONDPS)(1), et l’un des membres de la mission Hénart, l’émergence des nouveaux métiers intermédiaires en santé doit se faire de façon participative et graduée et prendra du temps.  

 

Qu’entendez-vous par « conforter les métiers socles », et de quels métiers s’agit-il ?

Yvon Berland. Il s’agit uniquement des métiers paramédicaux. Il est important, avant d’envisager de nouveaux métiers, de bien définir et stabiliser les professions existantes, notamment par un processus d’universitarisation et, probablement, par une formation mieux adaptée aux compétences requises pour des missions clairement définies. Il n’est pas impossible que la révision des métiers paramédicaux ait un impact sur celui de médecin, ce dernier étant amené à exercer son métier différemment, recentré sur l’activité strictement médicale.

Qu’entendez-vous exactement par « métier intermédiaire » ?

Y. B. : Entre les métiers socles paramédicaux redéfinis, notamment concernant leur niveau de formation, et professions médicales, on peut imaginer des métiers intermédiaires, dont certains existent déjà d’ailleurs, telles les IAD (2), par exemple.

Mais s’agira-t-il de métiers totalement nouveaux ?

Y. B. : Dans les domaines de la rythmologie et de l’ECG, par exemple, rien n’empêche, à partir des métiers existants, l’émergence d’un nouveau métier, de niveau Bac+5. C’est une évolution vers une qualification supérieure, ce qui signifie donc des perspectives de carrières.

Comment envisagez-vous les rémunérations de ces nouveaux métiers intermédiaires ?

Y. B. : Ces nouveaux métiers appellent, bien évidemment, une adaptation des rémunérations. Mais cet aspect de la question ne figurait pas dans notre lettre. Une étude socio-économique serait nécessaire. Cela dit, il n’est pas impossible qu’une meilleure organisation du système de soins n’aille pas de pair avec une meilleure efficience.

Pour évaluer les nouveaux métiers, la mission préconise des « programmes nationaux ». En quoi consisteraient-ils exactement ?

Y. B. : L’article 51 de la loi HPST rend possible la mise en œuvre de protocoles entre différentes professions soumis à la décision des ARS. Il s’agirait donc, en passant par le vecteur de la loi, d’expérimenter ces coopérations « grandeur nature », en quelque sorte, et dans quelques thématiques de santé publique bien connues – personnes âgées, diabète, maladies cardiovasculaires, etc. – ce qui permettrait d’asseoir ces nouveaux métiers. Cette expérience des programmes nationaux servirait de base à la législation future. Xavier Bertrand a demandé aux membres de notre mission de participer au pilotage de leur mise en œuvre, et de repérer ce qui sera nécessaire en termes de formation, notamment ce qu’il sera utile de faire passer en VAE. Si ces programmes démarrent maintenant, je pense que d’ici deux ou trois ans, ces nouveaux métiers intermédiaires pourraient exister dans quelques champs de la santé.

Selon vous, combien de temps faudra-t-il pour cette mutation des métiers de la santé ?

Y. B. : Je crains que cela ne s’installe pas dans les esprits dans les cinq ans qui viennent. Cela prendra plus de temps. Il faut que tous les acteurs du système s’approprient et s’habituent à ces changements. Il faudra du temps pour faire accepter cette nouvelle organisation des soins aux équipes, pour qu’une infirmière s’approprie son évolution vers la fonction d’infirmière clinicienne, et du temps pour que les autres infirmières intègrent cette évolution. Tout cela n’est pas dans notre culture. Et il importe, pour réussir, que cette évolution se fasse de manière participative et graduée.

La télémédecine ne constitue-t-elle pas un domaine privilégié pour l’émergence de ces nouveaux métiers ?

Y. B. : Sans doute, mais selon moi, ce champ d’activité doit être traité à part. Au-delà du concept, c’est un domaine dont il convient encore d’affiner les frontières, les activités, les rôles et les responsabilités des uns et des autres.

(1) L’Observatoire National de la Démographie des Professions de Santé (ONDPS) est une instance de promotion, de synthèse et de diffusion des connaissances relatives à la démographie et à la formation des professions de santé. Il fournit un appui méthodologique à la réalisation d’études régionales et locales. L’ONDPS développe, en relation avec les professionnels de santé, l’analyse des conditions d’exercice et de l’évolution des métiers.
(2) IAD : Infirmière Anesthésiste Diplômée.

 

 

La télécardiologie appelle de nouveaux métiers

Arnaud Lazarus est cardiologue, spécialisé en rythmologie interventionnelle, à la clinique Bizet, à Paris. Pour lui, les nouveaux métiers en santé ne sont pas source d’étonnement : il y a déjà beau temps qu’il a le sentiment d’exercer, si ce n’est un nouveau métier, du moins d’exercer le sien de façon nouvelle, dans le domaine de la télémédecine. 

« La télécardiologie dans le suivi des porteurs de stimulateurs cardiaques ou de défibrillateurs a maintenant dix ans d’existence. Son déploiement est encore limité en France, même si la loi autorise désormais le partage des honoraires et la pratique d’un acte hors de la présence du patient. Il doit y avoir actuellement environ 18 000 porteurs de stimulateurs et défibrillateurs surveillés à distance dans notre pays, et leur nombre doit se compter en centaines de milliers de par le monde. » Contrôler à distance n’est pas le plus compliqué : le recueil de données se fait par informatique et en moins de 24 heures, le médecin peut être informé d’une anomalie enregistrée chez son patient. « Le plus souvent, explique Arnaud Lazarus, il s’agit d’un problème de rythme cardiaque, qui nous est signalé par SMS, par mail ou par fax. C’est le formidable apport de la télémédecine : des événements sont révélés, alors même que le patient n’a rien perçu, et l’on peut ainsi prévenir l’incident. Il faut être apte à traiter dans les délais appropriés. Le système requiert une forme d’astreinte permanente : le système transmet l’information, il faut être là pour la recevoir, et pouvoir la traiter aux horaires de travail habituels. C’est sans doute dans l’organisation de cette permanence qu’on pourrait envisager des nouveaux métiers, en s’entourant de techniciens formés aux nouveaux outils informatiques de la télémédecine, formés à les manipuler, à les interpréter et à les transmettre aux médecins, qui apporte, lui, la valeur ajoutée de l’expertise médicale. » Dans l’équipe de rythmologie de la clinique Bizet, une attachée de recherche clinique est en partie dédiée à cette activité, qui reçoit les données et les éventuelles alertes parallèlement au Dr Lazarus. « Toute la mise en œuvre technique du système, l’information du patient, le recueil de son consentement, la vérification du bon fonctionnement du dispositif , tout ce travail pourrait être effectué par des professionnels  formés de façon appropriée. Il reviendrait au médecin de recruter de tels collaborateurs, qui assureraient également l’analyse régulière des données. »




Un bouclier sanitaire de secours

339 – Un consensus de plus en plus grand se fait autour du « bouclier sanitaire » qui viendrait se substituer aux divers dispositifs d’exonération du ticket modérateur, à commencer par celui des ALD, dont le caractère inflationniste et inéquitable n’est plus à démontrer. Panorama des avantages et inconvénients d’un système dont la mise en œuvre sera délicate et politiquement risquée.

 

Le débat sur le coût et la pertinence du système de prise en charge des affections de longue durée n’est pas neuf, et la solution à ses débordements est aussi complexe à trouver que sa construction qui s’est faite au fil du temps, au gré d’aménagements successifs, et dont résulte aujourd’hui le régime des ALD, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il ne brille pas par sa cohérence. Les ordonnances de 1945 prévoyaient une exonération du ticket modérateur pour « traitements réguliers ou particulièrement onéreux ». Mais dès 1955, un décret établissant une liste d’affections de longue durée (ALD) – alors limitées à quatre pathologies – tentait déjà d’en restreindre l’accès par crainte de son caractère inflationniste… La tentative échoua.

En 1967, une nouvelle tentative de liste limitative contenue dans une des ordonnances Jeanneney fut jugée trop restrictive par les parlementaires qui, aux 25 maladies ouvrant droit à exonération du ticket modérateur, rajoutèrent la fameuse « 26e maladie » destinée à exonérer du ticket modérateur les assurés atteints d’une affection ne figurant pas sur la liste, mais « comportant un traitement prolongé et particulièrement coûteux ». En 1974, année de l’adoption du texte d’application de cette loi, le seuil d’exonération du ticket modérateur pour cette « 26e maladie » fut fixé 74 francs mensuels (ou 456 francs sur une période de six mois).

Réactualisé seulement à deux reprises, ce seuil a occasionné une dérive des dépenses telle qu’en 1986, le ministre en charge de la Sécurité Sociale, Philippe Seguin, décida la suppression de la 26e maladie et l’extension de la liste des ALD à 30 maladies ou facteurs de risques. En outre, le « plan Seguin » a également restreint l’exonération du TM aux seuls soins relatifs à l’affection exonérante et instauré l’ordonnancier bizone. C’est ce dispositif qui s’applique aujourd’hui encore, à ceci près que, depuis la réforme Douste-Blazy de 2004, tout patient en ALD fait l’objet d’un protocole de soins établi par son médecin traitant, approuvé par l’Assurance Maladie et signé par le patient.

 

Un dispositif coûteux, imparfait, et non équitable

« Cette histoire des dispositifs de réduction des dépenses catastrophes montre que les pouvoirs publics ont en permanence été partagés entre le souci de couvrir les dépenses catastrophes et la volonté de réduire les charges liées à cette couverture », commentaient Pierre-Louis Bras, Etienne Grass et Olivier Obrecht en 2007, dans leur rapport « Guérir des ALD : propositions pour une réforme ». Les décideurs politiques d’aujourd’hui sont devant le même dilemme. Sauf qu’au fil du temps, le caractère inflationniste du dispositif des ALD s’est accentué de façon inquiétante, alors même qu’on s’apercevait qu’il laisse à ses bénéficiaires des restes à charge importants et qu’il est inéquitable.

En 2006, on comptait quelque 9 millions de patients dans le dispositif des ALD, qui concentraient environ 60 % des remboursements de l’Assurance Maladie. La dernière décennie a vu augmenter rapidement les dépenses liées au ALD, du fait de la croissance des patients admis dans ce système (5 % par an en moyenne) et du fait de l’allongement de la durée de prise en charge. Selon la CNAMTS, la poursuite de cette tendance pourrait aboutir à ce que les ALD représentent 70 % des dépenses de l’Assurance Maladie en 2015.

Plusieurs facteurs expliquent cette explosion des ALD. D’une part le vieillissement de la population, d’autre part l’amélioration du dépistage de certaines maladies comme le diabète ou l’HTA. Enfin, l’efficacité accrue des traitements de certaines pathologies entraîne leur chronicisation, comme c’est le cas pour le sida ou un certain nombre de cancers.

Si le système des ALD représente donc une proportion importante et croissante des dépenses de l’Assurance Maladie, pour autant il ne met pas ses bénéficiaires à l’abri de restes à charge importants. Ainsi, dans leur rapport de 2007 sur le bouclier sanitaire, Bertrand Fragonard et Raoul Briet montraient que 15 % des personnes en ALD avaient un RAC annuel supérieur à 500 euros, alors que ce taux n’était que de 8,8 % pour les assurés hors ALD. Le RAC annuel atteint 1 500 euros pour les 5 % des patients en ALD ayant les restes à charge les plus élevés, et atteint 2 737 euros par an pour le 1 %  de personnes en ALD ayant les soins les plus coûteux, contre 1 469 euros de RAC annuel pour les malades les « plus coûteux » hors ALD. A l’opposé, le dispositif des ALD prend en charge des personnes dont la pathologie occasionne de faibles dépenses : 8 % des personnes en ALD, soit 650 000 personnes, ont une dépense moyenne remboursable d’un peu plus de 20 euros par mois, beaucoup moins que ce que certains patients doivent débourser pour une pathologie hors ALD.

Le dispositif ALD est donc coûteux, mais imparfait, et pas équitable, puisqu’il reconnaît certaines affections dont le traitement n’entraîne que peu de frais, alors qu’il exclut des pathologies coûteuses ; par ailleurs, il ne tient compte ni de la variabilité des gravités, ni des évolutions et des coûts.

Une liste sous haute surveillance

Dans un rapport de novembre 2009 sur « La prise en charge et la protection sociale des personnes atteintes de maladie chronique », le Haut conseil de santé publique constatait :  « La liste des ALD est hétérogène et dépourvue de cohérence médicale. Il existe des disparités entre les ALD quant aux critères médicaux d’admission ; par exemple, pour le diabète de type 2, l’entrée en ALD est prévue quel qu’en soit le stade alors que pour l’insuffisance respiratoire chronique ou la dépression, l’entrée en ALD n’est prévue qu’à un stade avancé ». Or, modifier la liste des ALD est un exercice hautement périlleux : inclure une nouvelle maladie et pas une autre est délicat, et la récente tentative de faire sortir des ALD l’HTA sévère et les risques de complications qui pouvaient découler d’une telle mesure ont été vivement combattus par les médecins comme par les représentants des patients.

La maîtrise des dépenses ne se fera donc pas par une restriction des conditions d’entrée en ALD. En fait, une réforme ne semble possible « que  si l’on renonce à lier maladie et niveau de prise en charge financière à l’échelle individuelle », estiment Pierre-Louis Bras, Etienne Grass et Olivier Obrecht dans le rapport précédemment cité. C’est sur cette dissociation qu’est fondé le principe du « bouclier sanitaire », qui consiste, non à considérer la maladie et son degré de gravité, mais le reste à charge supporté par les assurés pour se soigner.

Ses modalités de mise en œuvre ont déjà fait l’objet de plusieurs rapports et étude ; il a été adopté par des pays voisins, et, en France, il semble faire de plus en plus consensus. Auteur d’une proposition de loi visant à l’instauration du bouclier sanitaire, le député du Loiret, Jean-Pierre Door (entretien page 16), considère qu’il est la solution qu’on ne doit plus tarder à mettre en place. Mais il n’est pas sans inconvénient, comme le souligne l’économiste de la santé, Brigitte Dormont (entretien ci-dessous).

 

Un principe simple, une application complexe

C’est Martin Hirsch, en 2007, alors qu’il est haut-commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté, qui propose le premier à ses collègues du Gouvernement de supprimer toutes les exonérations de ticket modérateur et d’y substituer le principe du « bouclier sanitaire ». Cela consiste à instaurer un plafond des dépenses non remboursées par l’Assurance Maladie – le reste à charge, RAC – à un montant annuel au-delà duquel interviendrait la prise en charge à 100 % par l’Assurance Maladie. Ce plafond pourrait être modulé selon le revenu, individuel ou appliqué au foyer fiscal. Dans leur rapport, Bertrand Fragonard et Raoul Briet ont étudié précisément quels pourraient être les contours de ce dispositif, selon un certain nombre d’hypothèses. Dans le scénario dit « de référence », où le ticket modérateur serait de 35 % et le plafond annuel de 450 euros, et qui concernerait 20,5 % de la population totale, 71 % des patients actuellement en ALD et 12,4 % des patients actuellement hors ALD, le pourcentage de « gagnants » dans ce système de bouclier sanitaire serait de 21,1 % parmi les personnes en ALD, et de 48,8 % pour les non ALD. Il s’ensuivrait une augmentation moyenne annuelle des dépenses non remboursées de 146 euros pour les personnes en ALD, et une diminution de 24 euros pour les personnes hors ALD. Les effets peuvent donc différer sensiblement selon la combinaison du binôme plafond/ticket modérateur retenue, et selon les modalités de mises en œuvre du plafonnement. 

Si le bouclier sanitaire, en généralisant le RAC, le rend plus juste, il n’en demeure pas moins qu’il fera des « perdants » et des « gagnants », qui ne seront pas les mêmes selon les modalités de mise en œuvre privilégiées. 

L’instauration du bouclier sanitaire est un exercice à haut risque politique…

 

 

Entretien Brigitte Dormont

« Une menace pour les complémentaires »

Pour Brigitte Dormont (1), le bouclier sanitaire peut être demain la nouvelle variable d’ajustement des comptes de l’Assurance Maladie.

 

Que pensez-vous que le bouclier sanitaire pour résoudre les problèmes économiques de l’Assurance Maladie et faire disparaître les inégalités des restes à charge ?

Brigitte Dormont : Etant donné qu’en France il n’existe aucun plafond pour les RAC, le bouclier serait incontestablement un moyen de gommer les inégalités entre les patients face aux RAC, et de faire disparaître le système à deux vitesses qui existent entre les patients ALD et les patients non ALD. Ceci étant posé, le bouclier sanitaire ne règle pas tous les problèmes, en particulier celui des dépassements d’honoraires, et ne va pas sans certaines conséquences politiquement délicates.

 

Le secteur optionnel pourrait-il être, selon vous, la solution ?

B. D. : Tout dépend à quelles spécialités on l’étend. L’ouverture du secteur optionnel à toutes les spécialités, c’est l’assurance d’une augmentation considérable des honoraires. Par ailleurs, cela peut laisser la bride sur le cou à des médecins pratiquant jusqu’à présent des dépassements raisonnables. Cela ne permet pas de contenir les dépassements d’honoraires, et je pense qu’on ne pourra pas faire l’économie d’une démarche coercitive vis-à-vis des médecins sur le problème des dépassements d’honoraire.

 

Quelles autres conséquences représenterait le bouclier sanitaire ?

B. D. : Politiquement, c’est un brûlot, car il représente une menace pour les organismes d’assurance complémentaire. En effet, les personnes dont le plafond du RAC sera égal voire inférieur au coût annuel d’une assurance complémentaire, pourront décider de ne pas en contracter. Mais les personnes les moins aisées seront, elles, obligées de prendre une assurance complémentaire, et l’on se retrouvera à nouveau face à des inégalités entre les citoyens. Sans compter que les complémentaires pourraient décider de ne couvrir que les biens médicaux hors panier de soins.

Enfin, les dépenses de santé augmentant plus vite que le PIB, la logique voudrait que le taux de cotisation d’Assurance Maladie augmente. Or, on le verrouille. Mais l’augmentation du plafond du RAC pourrait permettre de régler les déficits de l’Assurance Maladie et d’en faciliter ainsi le pilotage.

(1) Economiste de la santé, professeur à l’université Paris Dauphine et directrice de la Chaire santé de la Fondation du risque.

 

Entretien Jean-Pierre Door

« Il ne faut plus attendre pour instaurer le bouclier sanitaire »

Jean-Pierre Door, député (UMP) du Loiret – et cardiologue –  explique pourquoi le bouclier sanitaire s’impose aujourd’hui, selon lui, comme une solution alternative aux système des ALD 

 

Qu’est-ce qui vous a motivé à déposer maintenant une proposition de loi sur le bouclier sanitaire ?

Jean-Pierre Door : Parce qu’à la suite d’un rapport sur le bouclier sanitaire de la Mission d’Evaluation et de Contrôle des lois de financement de la Sécurité Sociale (MECSS) dont je suis membre, du rapport Briet-Fragonard, de discussions avec Martin Hirsch, j’ai été convaincu du bien-fondé de ce dispositif, comme d’ailleurs beaucoup d’acteurs du secteur de la santé. Et parce que je pense que nous ne pouvons plus reculer aujourd’hui. Les diverses exonérations de ticket modérateur constituent un maquis dans lequel personnes ne se retrouve, et le dispositif des ALD pose problème aussi bien en termes économiques qu’en termes médicaux et qu’au regard de l’équité. Je suis favorable à une simplification du système par l’instauration du bouclier sanitaire, et je propose que ce sujet fasse partie du débat qui aura lieu prochainement sur la réforme du financement de la protection sociale.

 

Vous proposez donc l’instauration d’un plafond du reste à charge déterminé en proportion du revenu annuel global de chaque foyer. Mais toute la difficulté réside dans la détermination de cette « proportion ». Quel devrait-il être selon vous ?

J.-P. D. : D’abord, je tiens à m’inscrire en faux contre ceux qui voit dans le bouclier sanitaire un coup de canif donné dans le pacte de solidarité de 1945. Il n’en est rien, puisque chacun recevra des soins selon ses besoins et participera financièrement en fonction de ses moyens. Selon le revenu, le RAC pourra varier de zéro euro à mille euros par an, par exemple. Quant à la fixation du plafond en fonction du revenu, je pense que cela doit faire l’objet d’une expérimentation dans le temps ou par région.

 

L’instauration du bouclier sanitaire suppose le croisement des données de l’Assurance Maladie et des données fiscales qu’aucuns jugent problématique. Qu’en pensez-vous ?

J.-P. D. : Cela ne me paraît pas une difficulté insurmontable. Beaucoup de déclarations fiscales sont déjà adressées à la CNAV ou à la CNAF. Pourquoi des données fiscales ne pourraient-elles pas être transmises à l’Assurance Maladie, qui connaît déjà bien la réalité des foyers, notamment dans le cadre de la lutte qu’elle mène contre les fraudes.

 

Comment voyez-vous le rôle des organismes complémentaires d’assurance dans le cadre du bouclier sanitaire ?

J.-P. D. : Elles ont tout leur rôle à jouer. Elles pourront prendre en charge les RAC hors bouclier sanitaire, les prestations mal prises en charge par l’Assurance Maladie, comme le dentaire et l’optique – ce qu’elles font déjà – ainsi qu’un certain nombre d’actes et de traitements ne relevant pas des soins absolument nécessaires.

 

L’article 4 de votre proposition de loi fait obligation aux praticiens du secteur 2 de pratiquer « au moins un tiers de leurs actes » en honoraires opposables. Pouvez-vous préciser votre point de vue sur la question des dépassements d’honoraire ?

J.-P. D. : Le bouclier sanitaire ne prend pas en compte les dépassements d’honoraires. Son instauration va donc de pair avec l’instauration du secteur optionnel, qui permettrait de contenir les dépassements et de mieux les connaître.

 

L’un des articles de votre proposition de loi concerne les maladies chroniques. Il y est indiqué que « les organismes d’Assurance Maladie informent régulièrement le médecin traitant de l’évolution de l’état de santé de tout assuré ou ayant droit atteint d’une maladie chronique qu’il a désigné comme son médecine traitant. Au vu de ces informations, le médecin détermine les actions de prévention à mettre en œuvre ». Pouvez-vous expliciter cet article ?

J.-P. D. : Avec la suppression des ALD disparaîtraient également les protocoles de soins établis dans le cadre de ce régime. Cet article propose donc d’y substituer un système de suivi des maladies chroniques reposant sur le médecin traitant. La décision de laisser ou non un patient en maladie chronique serait prise par l’Assurance Maladie, sur la base des informations transmises par le médecin traitant, à qui revient la prescription des actions de prévention adéquates. La prise en charge du patient se fait sur la base d’une information réciproque de l’Assurance Maladie et du médecin traitant.




CAPI à revoir

338 – Le Contrat d’Amélioration des Pratiques Individuelles a fêté son premier anniversaire cet été et plus de 5 000 généralistes ont perçu leur  première rémunération à la performance. Alors que le CAPI devrait être intégré dans la convention et que l’Assurance Maladie souhaite l’étendre à d’autres spécialités, un bilan critique s’impose.

Lancé en mai 2009 par l’Assurance Maladie, le Contrat d’Amélioration des Pratiques Individuelles (CAPI) a soufflé sa première bougie cet été. Un anniversaire que le directeur de l’UNCAM, Frédéric Van Roekeghem a célébré avec le sourire et une certaine fierté. Non sans raison. En effet, mis en œuvre dans l’hostilité générale des syndicats médicaux et de l’Ordre, et malgré les réticences de Roselyne Bachelot, le CAPI a séduit un nombre de médecins généralistes qui a dépassé les espérances de ses promoteurs : alors que l’Assurance Maladie tablait sur 5 000 candidats à la fin 2009, ils étaient presque 15 000 médecins à avoir signé ce contrat en un an, 14 800 exactement.

3 101 euros de prime en moyenne

En juillet dernier, un gros tiers (5 352) des « capistes » avait atteint la date du premier anniversaire. Les deux tiers (66 %) d’entre eux avaient réalisé des objectifs leur permettant de percevoir une « prime au résultat » qui s’est élevé en moyenne à 3 101 euros. Le taux moyen de réalisation des objectifs était de 45 %. Dans le détail, un quart d’entre eux a perçu 1 539 euros, un quart 2 414 euros, un quart a touché 3 281 euros, tandis que le quart de généralistes ayant le taux de réalisation des objectifs le plus élevé (54 %) a reçu 5 168 euros. « L’évolution des indicateurs est globalement positive », note la CNAMTS. Avec des nuances notables cependant. Dans le suivi des pathologies chroniques, « les médecins signataires du CAPI ont réalisé des progrès importants sur cet axe, avec l’ensemble des indicateurs à la hausse », souligne la CNAMTS :  dans la clientèle des praticiens « capistes », 12 000 diabétiques supplémentaires ont bénéficié des trois ou quatre dosages d’hémoglobine glyquée recommandés dans l’année, 5 000 de plus d’un examen du fond d’œil, et 7 000 patients diabétiques à haut risque cardiovasculaire supplémentaires ont bénéficié d’un traitement par statines. En ce qui concerne les objectifs de prévention, les résultats sont moins probants : le taux de dépistage du cancer du sein par mammographie reste inchangé chez les signataires du CAPI, celui de la vaccination antigrippale évolue peu par rapport aux autres médecins (+ 0,7 % contre + 0,3 %), tandis que les risques de iatrogénie médicamenteuse pour les personnes âgées ont régressé sur la période de façon plus significative chez les signataires du CAPI que chez les autres praticiens. A propos de l’optimisation des prescriptions, la CNAMTS juge les résultats des signataires du CAPI « satisfaisants », notamment en ce qui concerne la hiérarchisation des traitements ciblés (aspirine versus AAP, et IEC versus sartans), « conformément aux recommandations de la HAS ».

Recrutés parmi les « bons élèves »

Sans être spectaculaires, les premiers résultats du CAPI montrent incontestablement une évolution des signataires vers les objectifs assignés plus sensible que chez leurs confrères non signataires. Il faut cependant mettre un bémol à ce constat : on sait, et l’ Assurance Maladie ne s’en est d’ailleurs pas caché, que les « pionniers » du CAPI ont été systématiquement recrutés parmi les généralistes « bons élèves » convaincus d’avance du bien-fondé de la démarche et dont le profil d’activité augurait d’une évolution favorable. « Si ces résultats s’inscrivent dans une tendance positive, il reste des marges de progrès collectives pour mieux respecter les référentiels de bonnes pratiques et optimiser des prescriptions médicamenteuses », conclut l’Assurance Maladie, qui compte bien étendre le CAPI au plus grand nombre. Pour cela, elle « souhaite étudier avec ses partenaires conventionnels notamment, les améliorations possibles de ce contrat. Il s’agit d’envisager sa place dans la convention médicale ou encore de l’expérimenter pour d’autres professionnels de santé ».

Les discussions risquent d’être longues car les opposants aux CAPI qui ne sont pas pour autant hostiles à la rémunération à la performance – ne manquent pas d’arguments recevables. Les indicateurs retenus ont été choisis unilatéralement par l’Assurance Maladie selon des critères plus comptables que scientifiques. Contrairement aux pays comme la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis qui se sont lancés dans le « P4P » (Paying For Performance) en s’adressant à des groupes de médecins, la France a opté pour le contrat individuel, qui n’est pas forcément le meilleur garant de réussite. Les domaines cliniques d’intervention du CAPI sont très limités, et l’aspect « organisation du cabinet » (dossier médical, contact et information du patient, formation, qualité, sécurité, etc.) n’est pas considéré. Quant à la satisfaction du patient, prise en compte dans la démarche britannique (voir article plus loin), c’est peu de dire que le CAPI l’ignore : bien des patients français ignorent sans doute que leur médecin traitant a signé ce contrat !

Les futurs négociateurs du paiement à la performance version française reliront avec profit le rapport de l’IGAS de juin 2008 sur « Rémunérer les médecins selon leurs performances : les enseignements des expériences étrangères », rédigé par Pierre-Louis Bras et le Dr Gilles Duhamel (voir plus loin).

 

Les cardiologues partenaires du projet COMPAQH

Pas concernés par le CAPI, les cardiologues se préoccupent pourtant de l’amélioration de la qualité des soins. Ainsi, le Conseil National Professionnel de Cardiologie participe activement à un projet de recherche soutenu par le Ministère de la santé et par la HAS, et mené par la COordination pour la Mesure de la Performance et l’Amélioration de la Qualité Hospitalière (COMPAQH), groupe de recherche au sein de l’INSERM. « Il s’agit de participer à la généralisation des indicateurs de qualité, explique le Dr Etienne Minvielle, responsable scientifique de COMPAQH à l’INSEERM. Avec les cardiologues, nous travaillons, à partir d’un jeu de sept indicateurs de qualité pour le suivi de l’infarctus après sa phase aiguë, à l’élaboration d’un seul indice dit indice composite, comprenant quatre de ces sept indices. Avec deux objectifs : pouvoir donner une information plus simple et plus compréhensible au public, et faciliter le paiement à la performance, plus aisé à partir d’un indicateur que de plusieurs. » La méthode retenue pour mesurer la qualité est celle dite du « all or none » (tout ou rien) : l’indicateur composite regroupe les 4 indicateurs du traitement BASI. « Il faut être “moyen-bon” partout pour dire que l’on est bon. Cela signifie que la coordination, la continuité des soins est assurée, ce qui est la marque de la qualité de la prise en charge », explique Etienne Minvielle, qui souligne « le partenariat très constructif et le caractère innovateurs des cardiologues » dans ce projet.

 

Des enseignements pour la France…

Au regard des préconisations du rapport de l’IGAS concernant la rémunération à la performance, le CAPI apparaît plus comme un dispositif de « récompense » pour les médecins prescrivant dans les clous, que comme une véritable démarche d’amélioration de la qualité des soins.

Lorsque le rapport de l’IGAS paraît, il y a déjà du paiement à la performance via l’inscription du CAPI dans la LFSS 2008. « En introduisant dès à présent des premiers éléments de paiement à la performance, on peut espérer demain évoluer vers la construction d’un système complet », écrivent ses auteurs dans son chapitre sur « Les enseignements pour la France ». Pour souligner immédiatement qu’« un système bâti rapidement sera nécessairement frustre et limité dans son ambition », comportant nombre de défauts : « construction des indicateurs sans travail préalable, systématique et concerté, d’appréciation de la qualité des pratiques domaine par domaine », absence d’un système d’information pour le recueil et le traitement des données, obligeant à une « concentration sur un nombre limité d’indicateurs » au risque de voir les médecins privilégiés ces indicateurs au détriment d’autres domaines de leur pratique, et une organisation actuelle des cabinets peu favorable au développement du paiement à la performance. « Dans ce contexte, concluent les auteurs du rapport, le dispositif risque de se limiter à un mécanisme de “récompense” attirant l’attention des médecins sur des aspects de leur pratique que les pouvoirs publics souhaitent voir améliorer. » Si ce n’est pas là la description du CAPI, Dieu que ça lui ressemble !

Emporter l’adhésion massive des médecins

A contrario, le rapport de l’IGAS donne la marche à suivre pour se donner le maximum de chance de réussir, ce qui signifie en premier lieu d’emporter l’adhésion massive des médecins. La condition première est que la nécessité d’améliorer la qualité des soins de ville fasse consensus. Il faut aussi « obtenir l’accord des syndicats de médecins pour consacrer à ce mode de rémunération les marges de manœuvres financières aujourd’hui consacrées aux hausses de tarifs ». En outre, le développement du travail en équipe est pour les auteurs du rapport une condition sine qua non du développement d’une rémunération à la performance qui ne soit pas le simple dispositif de « récompense » déjà cité.

Pas de système de paiement à la performance sérieux sans « un exercice de bilan sur la qualité des pratiques en médecine de ville pour déterminer les zones de force et de faiblesse et l’impact de ces forces et faiblesses sur les résultats en termes de santé », bilan qui suppose « de réunir des cliniciens, des experts de santé publique, des praticiens de terrain, des représentants des malades ». Mais bilan qui suppose aussi, tout comme le bon fonctionnement d’un système de « P4P », un recueil de données saisies au cabinet en pratique courante. « Il est donc raisonnable de penser qu’avant même de rémunérer les performances, il faudra rémunérer les médecins pour qu’ils acceptent de s’équiper de logiciels normalisés de gestion de dossiers patients et de saisir les données nécessaires au fonctionnement du système », concluent les auteurs du rapport, pour qui le DMP devrait apporter une solution.

 

Le P4P à l’anglaise

Instauré en 2004, le paiement à la performance dit Quality and Outcomes Framework (QOF) au Royaume-Uni s’appuie sur des indicateurs concernant la qualité clinique mais aussi la satisfaction des patients et l’organisation du cabinet. Selon les résultats obtenus pour chaque indicateur, le cabinet reçoit un certain nombre de points – 1 000 au maximum – qui détermine le montant de la rémunération. A titre indicatif, un cabinet de médecine générale anglais compte en moyenne 21 personnes, dont 5 médecins, 5 paramédicaux (essentiellement à mi-temps), 11 personnes sans compétences cliniques, secrétaires médicales et gestionnaires, et prend en charge 1 000 patients.

Les indicateurs de qualité clinique qui concernent 19 pathologies ont la part la plus importante dans le dispositif (655 points sur 1 000 maximum), suivis par les indicateurs organisation du cabinet (181 points) et ceux permettant d’évaluer la satisfaction des patients (108). Le dépistage du cancer du col de l’utérus, le suivi du développement des enfants, le suivi et les soins anténataux, la contraception orale font l’objet de 8 indicateurs « additionnels » pour lesquels il est possible d’obtenir jusqu’à 36 points. Il sont distingués du fait que tous les cabinets n’ont pas une activité de gynéco-obsétrique.

Le niveau initial de performance ayant été sous-estimé, le dispositif est apparu peu exigeant. Résultat : les trois premières années, les cabinets médicaux anglais ont obtenu en moyenne plus de 90 % des points maximum, et l’investissement prévu par le gouvernement a été largement dépassé ! Le tout pour des résultats modestes en termes d’amélioration des pratiques. Depuis, les exigences se sont accrues : en 2006, les généralistes anglais ont dû réaliser de meilleures performances pour obtenir les mêmes sommes qu’auparavant au titre du P4P. Et des éléments d’efficience, absents les premières années du système, devaient faire leur apparition.

 

Le CAPI au crible de Prescrire

 Soumettant le CAPI à la méthode qu’elle applique aux médicaments, la revue Prescrire lui a consacré un volumineux dossier sur deux numéros. Passant au crible les 16 objectifs du Contrat d’Amélioration des Pratiques Individuelles, la revue donne pour chacun un résumé de son avis. Par exemple pour l’objectif cible à 3 ans : 65 % de patients diabétiques de type 2 ayant eu 3 ou 4 dosages d’HbA1c dans l’année, Prescrire conclut : « Un objectif très cohérent pour la prise en charge de la plupart des adultes diabétiques de type 2 ». Mais pour l’objectif à 3 ans : 50 %  des patients hypertendus traités ayant une pression artérielle supérieure ou égale à 140/90 mmHg, la revue tranche sévèrement « un objectif imprécis, qui ne distingue pas les objectifs du traitement selon la situation clinique des patients, et ne tient pas compte de l’évaluation clinique des antihypertenseurs ». 

Plus généralement, Prescrire estime que « l’Assureur Maladie obligatoire fait son travail quand il cherche à savoir si les assurés reçoivent des soins adéquats, quand il interpelle les professionnels de santé et les autres acteurs de santé sur les disparités qu’il constate dans les soins dispensés, quand il cherche à optimiser l’utilisation des ressources collectives ». Mais « juge et partie, il n’est plus dans son rôle quand il s’engage seul dans la fixation d’indicateurs d’un programme d’amélioration des pratiques de soins, plus basés sur la maîtrise des dépenses que sur l’efficience et la qualité des soins, et sur des contrôles individuels ».