Chatus Terre de Châtaignier 2011

Le Chatus ou l’histoire d’un cépage qui, après avoir officiellement disparu, a pu renaître grâce au courage et à l’opiniâtreté de vignerons coopérateurs.

Typiquement cévenol, ancré dans le patrimoine viticole ardéchois, ce cépage, cité par l’agronome Olivier de Serres en 1599 comme un des principaux cépages rouges français, couvrira, pendant 3 siècles, la majorité du vignoble du Bas-Vivarais. Le phylloxera détruisit, fin XIXe siècle, la quasi-totalité des plantations. La reconstruction privilégia des variétés mieux adaptées à la production des vins de table. Seuls quelques anciens, dont la famille Allamel, gardèrent quelques rangées de ceps en les greffant sur des plants américains. Mais, lorsque le nouveau répertoire français des cépages fut établi en 1950, le Chatus ne fut pas déclaré : pour l’administration, cépage et vin avaient donc disparu… Heureusement, le petit-fils Allamel, gérant de la cave de Rosières, décida de retrouver le vin de ses ancêtres. Le rassemblement des coopératives en un groupement, les Caves des Vignerons Ardéchois, permet d’entreprendre, depuis 25 ans, un programme de sauvegarde, puis de réimplantation du cépage sous l’égide du « Syndicat de défense des producteurs de Chatus », mais il faudra beaucoup de luttes et démarches, pour que l’administration le reconnaisse à nouveau sous le label IGP.

L’aire de production est délimitée sur une bande de 30 km au sud-est de l’Ardèche, où commencent les Cévennes sur des terrasses exposées plein sud, à l’abri du vent, reposant sur des faïsses du Trias à fort pourcentage de grès rouge, là où poussent fougères, pins, genêts, bruyères : la zone des châtaignes. Sur une surface de 50 ha, il est produit environ 1 000 hl/an de Chatus. La bonne identification des terroirs (plantation uniquement sur du grès limitant le caractère trop puissant des tanins), l’amélioration des équipements (cuves en inox, pressoirs pneumatiques, contrôle des t°) et des processus de vinification, grâce au groupement coopérateur, ont grandement contribué à hausser la qualité du vin.

Mais ce cépage est loin d’être « complaisant » : les ceps doivent être taillés en longs bois courbés en arc de cercle sur fil de fer, d’où un gros travail de main d’œuvre. Son mûrissement est très tardif dans la 1ère quinzaine d’octobre, donc très soumis aux aléas climatiques et aux infections cryptogamiques. Certains plants, datant du grand-père Allamel, atteignent 120 ans, mais la plupart sont jeunes, 10 à 20 ans, grâce aux replantations des coopérateurs. La culture est traditionnelle, nécessitant si besoin des traitements chimiques compte-tenu de la fragilité du Chatus. Les vendanges sont manuelles avec un rendement moyen de 40 hl/ha. Les raisins sont éraflés, foulés pour une vinification classique longue en cuve inox thermorégulée. L’élevage en fûts de chênes français s’étend sur 12 mois avec bâtonnage pendant les 3 premiers.

Paré d’une brillante et cristalline robe grenat-pourpre évoluant vers le rouge sombre, ce Chatus Terre de Châtaignier 2011 exhale d’agréables parfums de fruits noirs et de griottes à l’eau-de-vie, vite rejoints par des arômes particuliers de pâte de coing, figue, pruneau, et d’épices douces : cannelle, poivre blanc, réglisse. En bouche, ce vin exprime une complexité et une richesse en tanins, mais ceux-ci ont perdu cette astringence que j’ai notée dans des millésimes plus jeunes et apparaissent fins, souples donnant cependant opulence et puissance à ce flacon doté d’une solide acidité, d’une typicité racée avec des notes de châtaignes (suggestibilité ?). La belle finale persistante retrouve des arômes de fruits confits et quelques touches de café, probablement liées à l’élevage sous bois. La typicité de ce cépage Chatus résulte de l’alliance de fruits mûrs, confits et secs avec des tanins bien présents.

En harmonie avec le chocolat noir

Sur ce vin puissant à forte personnalité, les accords culinaires semblent compliqués. Je n’adhère pas à la proposition de certains, probablement pour des raisons géographiques, de tenter des mariages avec la cuisine provençale. La situation montagneuse, le terroir, en particulier cette Terre de Châtaignier du vignoble, m’inclineraient vers une cuisine robuste comme celle de la proche Auvergne : choux farci, potée auvergnate ou tripoux. Des viandes en sauce, un civet ou une selle de sanglier « grand veneur » l’escorteront gaillardement. Mais « à cuisine régionale, vin de la même provenance », pourquoi ne pas se tourner vers la, certes lourde et calorique, gastronomie ardéchoise : porc à la cévenole, caillette (pâté mélangeant viande de porc et vert de blette), bombine (pommes de terre, carottes, morceaux de viande, lard), maôche (panse de porc farcie de chair à saucisses, de choux, de pommes de terre) et, bien-sûr, cousina (soupe de châtaignes). Au moment du fromage, il faut privilégier les chèvres locaux : le picodon, le rogeret des Cévennes ou les brebis : le pérail, l’ossau-iraty basque qui épousent bien les vins rouges. Bonne surprise au dessert : ce Chatus est en harmonie avec le chocolat noir : fondant, tarte coulante aux noix, brownies et, pour rester dans la légèreté ( !), truffe ardéchoise : crème de marron, cacao, beurre, biscuit à la châtaigne…

Quelques remarques complémentaires doivent être formulées : ce Chatus offre un rapport qualité/prix aux alentours de 7 Ä remarquable. Cependant, la dégustation d’autres vins de Chatus, plus jeunes, moins bien vinifiés m’a beaucoup moins convaincu. On ne peut que conseiller de ne pas le boire avant 5 ans, ce vin appelant un vieillissement de 5 à 10 ans, et surtout de l’aérer très soigneusement en ouvrant et carafant la bouteille plusieurs heures, voire une ½ journée avant le service.

Ces précautions prises, n’hésitez pas à soutenir ces courageux vignerons-coopérateurs en les aidant à ressusciter ce vin qui le mérite indéniablement.