Claude Le Pen : « L’avènement d’une médecine sociale n’est pas à exclure »

348 – Le Cardiologue : Selon vous, la crise économique que nous traversons aura-t-elle des répercussions sur la santé ? _ Claude Le Pen : Sans doute, elles prendront différents aspects. Y a-t-il une pathologie de la crise ? Nous n’avons pas de certitude à ce sujet, seulement des présomptions. On peut légitimement penser que l’incertitude quant à l’avenir, la croissance du chômage, les difficultés matérielles engendrées par la crise, peuvent avoir des conséquences somatiques. Cela est difficile à cerner précisément, mais sans doute réel. Les autres conséquences concernent le financement de la santé.

Le Cardiologue : A quoi peut-on s’attendre à ce sujet ? _ C. L P : Il faut s’attendre à une crise du financement public pendant les deux ou trois ans qui viennent. Après, tout dépend de la durée de la crise. Si nous entrons dans une période de crise économique grave ; les répercussions seront fortes. Dans l’hypothèse d’une croissance économique inférieure à 1 %, même avec une inflation à 1 % ou 1,5 %, nous aurons du mal à rester dans le cadre actuel des dépenses de santé fixé par l’Ondam. Avec une croissance du PIB à 3 % en valeur, un Ondam à 3 %, c’est jouable à condition de dégager annuellement une économie de 2,5 à 3 milliards d’euros. Le problème est : où les trouver ? Cette année, plus de la moitié des économies proviennent du médicament, l’on a « grappillé » sur plusieurs autres postes. Mais ce sont des sources de financement qui ne sont pas renouvelables tous les ans.

Le Cardiologue : Dans ce cas, à quoi doit-on s’attendre ? _ C. L P : Un modèle plus strict n’est pas inenvisageable, dans lequel l’Assurance Maladie se replie, par exemple, sur les pathologies lourdes et les personnes les plus défavorisées. C’est un modèle de médecine sociale que l’on a refusé jusqu’à présent, mais c’est un scénario dans lequel on est déjà entré, doucement, avec le système des ALD, avec des économies à faire là aussi d’ailleurs. C’est un scénario très attentatoire aux valeurs traditionnelles de solidarité sur lequel est fondé le système français.

Le Cardiologue : Quelles conséquences aurait ce scénario pour les médecins ? _ C. L P : Pour les médecins, cela signifierait un système de rémunération par les assurances privées via une politique de réseaux agréés et de contrats, avec un contrôle renforcé de leur activité et un changement notable de leur rapport avec le patient. Un peu sur le modèle américain de protection sociale, redistributif et sélectif. Cela changerait fondamentalement les bases de notre système, qui a déjà amorcé un changement dans ce sens, même si les valeurs de solidarité restent. Si nous allons vers un tel modèle, ce sera un choc, avec l’apparition d’une médecine à deux vitesses clairement instaurée.

Le Cardiologue : Selon vous, la crise économique sera-t-elle longue ? _ C. L P : En 1974, la crise pétrolière a eu pour conséquence la diminution de moitié du taux de croissance économique. Les politiques – à de rares exceptions – disaient : « Ce n’est pas grave ». Mais en fait, nous ne sommes jamais revenus au taux de croissance antérieur à la crise. Si nous vivons un phénomène similaire, il est possible que nous soyons entrés dans une période de ce type. Combien de temps les choses mettront-elles à se restructurer ? Nul ne le sait. Ce qui est certain, c’est qu’on ne voit pas les années 2012 et 2013 meilleures que 2011. Le système de santé va s’ajuster sous la pression de la rareté de l’argent, et il changera par la force des choses, sans que personne ne l’ait véritablement décidé. ■

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