Crise des urgences : comment en est-on arrivé là ?

Le monde est complexe. Toute décision a des implications nombreuses et variées selon l’échelle de temps considérée et les boucles de rétroaction mises en mouvement. Et c’est ainsi que, par le biais de diverses décisions politiques, la crise endémique des urgences s’annonce devenir aiguë cet été, justifiant quelques rappels sur l’histoire des 40 dernières années.

Trop de médecins

Un médecin qui exerce, c’est un médecin qui prescrit, et un médecin qui prescrit, c’est un médecin qui coûte : il faut donc moins de médecins. Alors promouvons les départs à la retraite et ne modifions pas le numerus clausus ! Bien que plusieurs indicateurs en montraient les risques, c’est ainsi que fût promu le MICA à partir de 1988, mécanisme incitatif de départ à la retraite dès 57 ans, avec à partir de 1997 une prime en sus s’ils exerçaient sans prescrire. La mesure fût efficace et les médecins plus rapidement… moins nombreux : 10 500 médecins ont ainsi arrêté prématurément leur activité entre 1988 et 2003.

Pas assez d’urgentistes

Parmi les indicateurs évoqués, il y en avait un qui montrait que les hôpitaux publics allaient manquer d’urgentistes. Regroupons-donc les urgences, mais uniquement dans certains centres hospitaliers publics ! Et c’est ainsi que furent créés les SATU (sic), les UPATOU et les « RIEN du TOUT ». Dès le lendemain, les centres privés qui assuraient les urgences, parfois depuis plus de 100 ans, n’eurent plus le droit de les accueillir. Résultat : moins de centres privés pour accueillir les urgences = plus d’urgences dans les centres publics.

Trop de chômeurs

Pour diminuer le chômage, il faut diminuer la durée hebdomadaire du travail. Passons-donc aux 35 heures, mais payées 39 ! On ne sait toujours pas si cela a été efficace économiquement, mais cela a contribué à désorganiser l’hôpital. Surtout, il semble que cela a eu un fort effet psychologique en valorisant le temps libre et les loisirs : 4 heures de moins à travailler par semaine, en gagnant autant. Mieux que le confinement… Résultat : pourquoi les médecins libéraux devraient-ils continuer à travailler plus de 50 heures par semaine, notamment les plus jeunes qui ont connu les 35 heures à l’hôpital ? Pourquoi assurer des astreintes et des gardes en ville, sans supplément de revenus, sans récupération payée le lendemain ?

Et au final…

On aura compris que parmi les nombreuses causes de la « crise des urgences » figurent plusieurs des décisions politiques des 40 dernières années. Les patients veulent être pris en charge dans les temps qu’ils estiment raisonnables, le médecin n’a pas à considérer que parce qu’il s’agit finalement d’une urgence ressentie et non vitale, le patient aurait dû attendre des jours meilleurs, les médecins libéraux sont surchargés et même si certains travaillent moins qu’avant, ils estiment dorénavant que cela est suffisant. La « valeur temps » n’est plus ce qu’elle était.

François Diévart

© Pixavril

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