Des amendements sénatoriaux qui fâchent

Les sénateurs ont adopté le projet de loi « Ma santé 2022 » le 11 juin dernier, dans une version à laquelle ils ont ajouté, comme il se doit, un certain nombre de modifications, dont toutes ne devraient cependant pas être conservées dans la version finale du texte de loi.

Du 3 au 7 juin, les sénateurs ont examiné le projet de loi « relatif à l’organisation et la transformation du système de santé ». Au cours de cet examen, ils ont adopté 100 amendements sur les 830 déposés, ajoutant ainsi 13 articles additionnels au texte.
Un seul article, l’article 4 ter, ajouté en commission des Affaires sociales du Sénat a été supprimé ; cet article limitait la durée totale des autorisations de remplacement à trois années.
La CSMF s’était émue de cet ajout : « S’il a une vocation provisoire, le remplacement constitue aussi un choix de vie et permet de découvrir l’exercice libéral. Attention à ne pas détourner les jeunes de l’exercice libéral au profit du salariat avec une telle mesure qui peut apparaître comme une nouvelle entrave à l’exercice libéral ».
De même, la confédération, après s’être félicitée que le Sénat ait « su résister à la tentation de la coercition prônée par quelques sénateurs qui méconnaissent la réalité du terrain pour les médecins » et réclamaient le conventionnement sélectif, s’est indignée d’un amendement transformant la dernière année de troisième cycle de médecine générale – et d’autres spécialités définies par décret – en « une année de pratique ambulatoire en autonomie, en priorité dans les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ».
Quelles spécialités, et sur quels critères, s’interroge la CSMF pour laquelle « cette mesure revient à proposer aux patients des zones dites sous-denses des médecins insuffisamment et incomplètement formés. Cela est totalement injuste pour ces patients, mais aussi pour ces futurs médecins ».

La confédération n’est pas la seule à protester contre cette initiative sénatoriale.
La confédération n’est pas la seule à protester contre cette initiative sénatoriale. Les organisations d’internes (ANEMF, Isnar-IMG et ISNI) ont fait entendre leur colère : « Il est inacceptable de brader la formation des futurs médecins pour répondre aux problématiques d’accès aux soins, engendrées par des erreurs politiques d’il y a 30 ans » et « incompréhensible de proposer à une partie de la population française, en guise de médecins, des étudiants encore en formation », estiment-elles.
Quant à la conférence des doyens des facultés de médecine, elle regrette que les sénateurs ne tiennent pas compte du fait que ces internes « n’auront pas acquis l’ensemble des compétences permettant de garantir la sécurité des soins » et doivent ainsi faire face « sans encadrement à des difficultés auxquelles, sans expérience, ils ne sont pas préparés ». Et ce d’autant plus que « l’exercice médical dans les zones sous-médicalisées est certainement l’une des pratiques les plus complexes et les plus contraignantes ».
Le Sénat a également exclu les zones en surdensité médicale de l’exonération de cotisations sociales sur les revenus d’activité pour les jeunes médecins s’installant en libéral. Autrement dit, toujours tentés par la coercition, les parlementaires voient mal l’intérêt des mesures incitatives. Adoptés contre l’avis du gouvernement, ces amendements ne devraient cependant pas se retrouver dans la version définitive du texte.
En revanche, pourrait rester un amendement pris avec avis favorable du gouvernement qui renforce l’interdiction – déjà existante – pour les praticiens hospitaliers démissionnaires d’exercer en libéral dans un rayon de 10 km et pendant deux ans suivant leur démission et l’étend aux PH à temps partiel.
Selon les syndicats Actions Praticiens Hôpital (APH) et Jeunes Médecins, cette mesure anti-concurrence visant à protéger l’hôpital public « n’incitera en rien des praticiens à postuler dans les établissements hospitaliers en difficulté » et « aura en revanche un effet dissuasif auprès des établissements qui attirent encore aujourd’hui des médecins ». Ils jugent préférable la revalorisation des rémunérations en début de carrière à cette « coercition déguisée » qui, en outre, va à l’encontre de l’objectif gouvernemental de renforcer l’exercice mixte ville-hôpital.
Entre autres modifications, les sénateurs ont adopté plusieurs amendements modifiant le volet numérique du projet de loi. L’un de ces amendements vise à généraliser et à rendre automatique la création du DMP (sauf opposition de la personne concernée), tandis qu’un autre a pour objectif d’inciter les éditeurs , établissements et professionnels de santé à rendre leurs outils numériques conformes aux référentiels d’interopérabilité portés par l’Asip santé.
Ces amendements prévoient de garantir le respect des référentiels par ces acteurs par une attestation de conformité délivrée dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat, d’ajouter aux Conventions d’Objectifs et de Gestion (COG) de l’Assurance-maladie la conformité de ces référentiels, et de donner un délai de trois ans et demi pour la mise en œuvre d’outils incitatifs. Ce calendrier d’opposabilité devant « permettre à l’ensemble des acteurs du secteur du numérique en santé de se mettre en ordre de marche, avec une date butoir fixée au 1er janvier 2023 ».