Des nouveaux métiers en santé

340 – Le rapport Hénart propose de créer des nouveaux métiers en santé de niveau intermédiaire, à partir des métiers paramédicaux existants, et fondés sur des besoins clairement identifiés mais non satisfaits aujourd’hui par notre système de santé.

Chargé en mai dernier d’une mission sur les nouveaux métiers en santé de niveau intermédiaire, Laurent Hénart, a remis, il y a peu, son rapport à Xavier Bertrand et Valérie Pécresse. Le député UMP de Meuthe-et-Moselle, ainsi qu’Yvon Berland, président de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé et président de l’Université Aix-Marseille II, et Danielle Cadet, coordonnatrice générale des soins à l’AP-HP, avancent des pistes pour la création de nouveaux métiers « intermédiaires » en santé. Il s’agit de répondre aux défis que représentent aujourd’hui le vieillissement de la population, la dépendance et le développement des maladies chroniques. Pour les relever, notre système de santé, tel qu’il fonctionne actuellement, paraît peu adapté, cloisonné qu’il est entre le médical et le paramédical, l’hôpital et la ville, le curatif et le préventif, le sanitaire et le social. A quoi s’ajoute une démographie médicale fragile, particulièrement dans certaines spécialités et certains secteurs géographiques, qui rend nécessaire la reconquête par les médecins de « temps médical » par la délégation à d’autres professionnels d’un certain nombre de tâches. « La question des nouveaux métiers en santé est une réflexion depuis plusieurs années, elle doit maintenant être tranchée », estiment les rapporteurs, pour qui le moment est propice pour aller plus loin, la loi HPST ayant ouvert des perspectives : « En particulier, elle pose les bases de l’éducation thérapeutique du patient (et conduit à s’interroger sur les moyens humains et les organisations nécessaires pour y répondre efficacement), elle vise à faire évoluer les modalités d’exercice et de rémunération et rénove le cadre des coopérations entre les professionnels de santé ».

Conforter les métiers socles

Les auteurs du rapport jugent que « la création de nouveaux métiers en santé de niveau intermédiaire est une des réponses possibles aux inadaptations constatées » dans notre système de santé. Mais sur ce chemin, ils avancent prudemment, et posent notamment en préalable à toute création de nouveaux métiers de « conforter et développer les métiers socles », à travers une réflexion globale et pluridisciplinaire sur les professions de santé actuelles, à la fois pour les stabiliser, mais aussi pour « en faire évoluer les contours et l’envergure et si nécessaire les niveaux de formation, bref, à en tirer tout le potentiel au regard des nouveaux besoins de santé ». Ce n’est qu’à partir de cette réflexion qu’il sera possible de « cerner le champ des nouveaux métiers en santé ». Le premier recours, les maladies chroniques, le cancer, le vieillissement et les personnes âgées constituent pour les auteurs du rapport les domaines dans lesquels ces nouveaux métiers devront être créés prioritairement, sur la base de « quelques principes incontournables » : « Ils sont construits à partir des métiers paramédicaux actuels, ils ne sont pas redondants avec un métier existant, ils correspondront à un mode d’exercice professionnel et des responsabilités identifiées, et ils ont vocation à constituer, à terme, des professions médicales à compétence définie ». En clair, les nouveaux métiers ne doivent pas se substituer aux métiers existants, mais représenter « le chaînon manquant dans la gradation de la prise en charge des patients ». Le rapport Hénart suggère de s’appuyer sur l’article 51 de la loi HPST permettant des initiatives locales de coopérations interprofessionnelles, mais d’amplifier ces expérimentations par « des programmes nationaux » permettant de tester grandeur nature, en quelque sorte, « la pertinence de nouveaux métiers en santé ». Le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, a demandé aux trois auteurs du rapport de faire partie du comité de pilotage qui mettra en œuvre et suivra ces expérimentations.

Bien évidemment, ces nouveaux métiers nécessiteront des nouvelles formations. Le rapport Hénart se prononce en faveur de la mise en place de filières universitaires, « pour bien positionner dans le système LMD les métiers socles et les futurs métiers en santé de niveau intermédiaire et garantir des carrières évolutives, lisibles et autonomes ».  De toute évidence aussi, ces nouveaux métiers devront faire l’objet d’une valorisation financière, mais cet aspect économique ne faisait pas partie de la lettre de mission de Laurent Hénart, et nécessiterait, sans doute, une étude socio-économique approfondie.

 

Les patients sont pour !

Président de l’association Alliance du Cœur (ex FNAMOC), Jean-Claude Boulmer est tout à fait favorable à la création des métiers intermédiaires en santé, qui existent déjà à l’hôpital, d’ailleurs. « Lorsque j’ai été greffé, il y a dix sept ans, j’ai été soigné par des infirmières qui avaient reçu une formation spéciale, différente de la formation de base, qui étaient très au fait des pathologies cardiaques, et qui m’apportaient, notamment, des informations complémentaires que mon cardiologue n’avait pas le temps de me donner. Je suis donc tout à fait d’accord pour la création de nouveaux métiers en santé, qui pourraient intervenir dans la télémédecine et dans l’Education thérapeutique du patient, entre autre. A condition que cela ne soit pas fait dans le désordre et la précipitation, mais correctement, avec des formations adéquates et des règles strictes. Ma seule méfiance concerne l’aspect financier : ces nouveaux métiers devront être rémunérés à leur juste valeur, et il n’est pas question que ces nouveaux métiers soient préjudiciables aux médecins , et qu’on “déshabille Pierre pour habiller Paul”. Il faut se montrer d’autant plus vigilant que dans l’état actuel des finances, c’est une tendance qui se généralise… A ces réserves près, je suis tout à fait favorable à ces nouveaux métiers intermédiaires en santé, mais il faut prendre en compte la dimension financière dans le processus de leur création. »

 

Entretien Yvon Berland

« Les premiers “nouveaux métiers” d’ici trois ans »

Pour le président de l’Observatoire National de la Démographie des Professions de Santé (ONDPS)(1), et l’un des membres de la mission Hénart, l’émergence des nouveaux métiers intermédiaires en santé doit se faire de façon participative et graduée et prendra du temps.  

 

Qu’entendez-vous par « conforter les métiers socles », et de quels métiers s’agit-il ?

Yvon Berland. Il s’agit uniquement des métiers paramédicaux. Il est important, avant d’envisager de nouveaux métiers, de bien définir et stabiliser les professions existantes, notamment par un processus d’universitarisation et, probablement, par une formation mieux adaptée aux compétences requises pour des missions clairement définies. Il n’est pas impossible que la révision des métiers paramédicaux ait un impact sur celui de médecin, ce dernier étant amené à exercer son métier différemment, recentré sur l’activité strictement médicale.

Qu’entendez-vous exactement par « métier intermédiaire » ?

Y. B. : Entre les métiers socles paramédicaux redéfinis, notamment concernant leur niveau de formation, et professions médicales, on peut imaginer des métiers intermédiaires, dont certains existent déjà d’ailleurs, telles les IAD (2), par exemple.

Mais s’agira-t-il de métiers totalement nouveaux ?

Y. B. : Dans les domaines de la rythmologie et de l’ECG, par exemple, rien n’empêche, à partir des métiers existants, l’émergence d’un nouveau métier, de niveau Bac+5. C’est une évolution vers une qualification supérieure, ce qui signifie donc des perspectives de carrières.

Comment envisagez-vous les rémunérations de ces nouveaux métiers intermédiaires ?

Y. B. : Ces nouveaux métiers appellent, bien évidemment, une adaptation des rémunérations. Mais cet aspect de la question ne figurait pas dans notre lettre. Une étude socio-économique serait nécessaire. Cela dit, il n’est pas impossible qu’une meilleure organisation du système de soins n’aille pas de pair avec une meilleure efficience.

Pour évaluer les nouveaux métiers, la mission préconise des « programmes nationaux ». En quoi consisteraient-ils exactement ?

Y. B. : L’article 51 de la loi HPST rend possible la mise en œuvre de protocoles entre différentes professions soumis à la décision des ARS. Il s’agirait donc, en passant par le vecteur de la loi, d’expérimenter ces coopérations « grandeur nature », en quelque sorte, et dans quelques thématiques de santé publique bien connues – personnes âgées, diabète, maladies cardiovasculaires, etc. – ce qui permettrait d’asseoir ces nouveaux métiers. Cette expérience des programmes nationaux servirait de base à la législation future. Xavier Bertrand a demandé aux membres de notre mission de participer au pilotage de leur mise en œuvre, et de repérer ce qui sera nécessaire en termes de formation, notamment ce qu’il sera utile de faire passer en VAE. Si ces programmes démarrent maintenant, je pense que d’ici deux ou trois ans, ces nouveaux métiers intermédiaires pourraient exister dans quelques champs de la santé.

Selon vous, combien de temps faudra-t-il pour cette mutation des métiers de la santé ?

Y. B. : Je crains que cela ne s’installe pas dans les esprits dans les cinq ans qui viennent. Cela prendra plus de temps. Il faut que tous les acteurs du système s’approprient et s’habituent à ces changements. Il faudra du temps pour faire accepter cette nouvelle organisation des soins aux équipes, pour qu’une infirmière s’approprie son évolution vers la fonction d’infirmière clinicienne, et du temps pour que les autres infirmières intègrent cette évolution. Tout cela n’est pas dans notre culture. Et il importe, pour réussir, que cette évolution se fasse de manière participative et graduée.

La télémédecine ne constitue-t-elle pas un domaine privilégié pour l’émergence de ces nouveaux métiers ?

Y. B. : Sans doute, mais selon moi, ce champ d’activité doit être traité à part. Au-delà du concept, c’est un domaine dont il convient encore d’affiner les frontières, les activités, les rôles et les responsabilités des uns et des autres.

(1) L’Observatoire National de la Démographie des Professions de Santé (ONDPS) est une instance de promotion, de synthèse et de diffusion des connaissances relatives à la démographie et à la formation des professions de santé. Il fournit un appui méthodologique à la réalisation d’études régionales et locales. L’ONDPS développe, en relation avec les professionnels de santé, l’analyse des conditions d’exercice et de l’évolution des métiers.
(2) IAD : Infirmière Anesthésiste Diplômée.

 

 

La télécardiologie appelle de nouveaux métiers

Arnaud Lazarus est cardiologue, spécialisé en rythmologie interventionnelle, à la clinique Bizet, à Paris. Pour lui, les nouveaux métiers en santé ne sont pas source d’étonnement : il y a déjà beau temps qu’il a le sentiment d’exercer, si ce n’est un nouveau métier, du moins d’exercer le sien de façon nouvelle, dans le domaine de la télémédecine. 

« La télécardiologie dans le suivi des porteurs de stimulateurs cardiaques ou de défibrillateurs a maintenant dix ans d’existence. Son déploiement est encore limité en France, même si la loi autorise désormais le partage des honoraires et la pratique d’un acte hors de la présence du patient. Il doit y avoir actuellement environ 18 000 porteurs de stimulateurs et défibrillateurs surveillés à distance dans notre pays, et leur nombre doit se compter en centaines de milliers de par le monde. » Contrôler à distance n’est pas le plus compliqué : le recueil de données se fait par informatique et en moins de 24 heures, le médecin peut être informé d’une anomalie enregistrée chez son patient. « Le plus souvent, explique Arnaud Lazarus, il s’agit d’un problème de rythme cardiaque, qui nous est signalé par SMS, par mail ou par fax. C’est le formidable apport de la télémédecine : des événements sont révélés, alors même que le patient n’a rien perçu, et l’on peut ainsi prévenir l’incident. Il faut être apte à traiter dans les délais appropriés. Le système requiert une forme d’astreinte permanente : le système transmet l’information, il faut être là pour la recevoir, et pouvoir la traiter aux horaires de travail habituels. C’est sans doute dans l’organisation de cette permanence qu’on pourrait envisager des nouveaux métiers, en s’entourant de techniciens formés aux nouveaux outils informatiques de la télémédecine, formés à les manipuler, à les interpréter et à les transmettre aux médecins, qui apporte, lui, la valeur ajoutée de l’expertise médicale. » Dans l’équipe de rythmologie de la clinique Bizet, une attachée de recherche clinique est en partie dédiée à cette activité, qui reçoit les données et les éventuelles alertes parallèlement au Dr Lazarus. « Toute la mise en œuvre technique du système, l’information du patient, le recueil de son consentement, la vérification du bon fonctionnement du dispositif , tout ce travail pourrait être effectué par des professionnels  formés de façon appropriée. Il reviendrait au médecin de recruter de tels collaborateurs, qui assureraient également l’analyse régulière des données. »

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