DOSSIER : AcBUS sur les antiagrégants plaquettaires

« L’AcBUS antiagrégants plaquettaires sera révisé »

à peine publié, aussitôt contesté et… rapidement amendé : l’AcBUS « relatif à l’utilisation des antiagrégants plaquettaires », plus familièrement appelé «AcBUSPlavix® » du nom du médicament ainsi placé dans le collimateur est donc appelé à connaître un sérieux « lifting » immédiatement après avoir été expliqué aux médecins. Ce sérieux couac dans la vie de la maîtrise médicalisée pose rétrospectivement la question des recommandations scientifiques conçues sous des contraintes de nature purement économique pour ne pas dire comptables.

L’histoire des AcBUS remonte au tout-début des années 2000 ; à une époque où le dialogue conventionnel était d’ailleurs réduit à sa plus simple expression, proche de l’électro-encéphalogramme plat. Ã l’époque, le législateur qui avait accouché de cet acronyme au détour de la discussion de la LFSS (Loi de Financement de la Sécurité Sociale) parlait carrément d’ « ABUS » comme Accord de Bon Usage. Courteline pas mort ! La prudence tactique des négociateurs de la Convention a finalement fait évoluer la sémantique en accrochant un petit « c » à la première syllabe.

Plusieurs AcBUS régionaux et deux AcBUS nationaux virent successivement le jour. Les premiers étaient voués à soutenir l’expérience des médecins référents là où cette formule avait la faveur locale et simultanée des deux interlocuteurs conventionnels de l’époque… Ces accords ont fini par sombrer avec la déroute du statut de « gate-keeper » à la française. Au niveau national, on en connaît deux plus récents dont on a la certitude qu’ils ont été conçus, négociés, en un mot « portés » par le syndicat de la spécialité : il y a d’abord l’AcBUS « mammographie » qui contraint tous les radiologues à transmettre leurs données diagnostiques à un Observatoire de la sénologie, organisme agréé dont les données recueillies sont partagées par la profession pour son usage interne, et par la tutelle dans un objectif de santé publique. Le second AcBUS a, de même, été négocié avec le syndicat des gastro-entérologues dans l’objectif de mieux baliser le recours à la coloscopie de contrôle. Dans tous les cas, et sous la jurisprudence de la maîtrise médicalisée qui dicte l’élaboration d’un tel accord, un consensus tacite a toujours réuni dans le processus d’écriture les caisses et les syndicats signataires sous l’autorité morale de la communauté scientifique dont la société savante est la dépositaire naturelle.

La loi de réforme de l’Assurance Maladie avait ajouté en 2005 un rouage supplémentaire à la mécanique d’élaboration des AcBUS en imposant un passage – par la HAS (Haute Autorité de Santé) – préalable à une publication au J.O. Cette nouvelle exigence méthodologique apparaissait comme une garantie supplémentaire que la décision prise ne pouvait l’être qu’en parfaite conformité avec les derniers consensus nationaux et internationaux. Très vite, en 2004-2005, il apparut que le sujet des antiagrégants plaquettaires allait constituer le baptême du feu de cette nouvelle procédure. Il y a trois ans, le Pr Jean-François Mattéi avait eu, quand il était ministre, une appréciation publique assez péjorative pour le Plavix®… épisode que son entourage s’était efforcé de faire vite oublier. Or, si la tutelle avait ainsi placé les prescriptions de Plavix® dans son collimateur, c’est semble-t-il, au seul motif que cette molécule était devenue n° 1 au palmarès des médicaments les plus coûteux pour l’Assurance Maladie !

De cette époque – et plus précisément encore depuis octobre 2005 jusqu’à janvier 2007 – on ne compte plus les versions liminaires successives… et clandestines de l’AcBUS avec une seule constante : ni la Société savante, ni le syndicat, ni le laboratoire commercialisant le médicament n’avaient été officiellement saisis, ne serait-ce que « pour avis ». Du moins sait-on, par des voies officieuses, que la HAS a été mobilisée sur au moins deux versions du même dispositif. Mais l’histoire ne dit pas les avis qu’elle a rendus, non plus que leurs modalités d’élaboration… Seule l’issue est aujourd’hui avérée avec un texte publié au J.O. du 5 janvier dernier qui, avait pour caractéristique d’annoncer sobrement la couleur : « (…) privilégier dans la classe des antiagrégants plaquettaires la prescription de l’aspirine dans un but d’efficience du système de soins ».

Sur la forme, on observera que la notion d’ « efficience » est assez nouvelle concernant un médicament dans la mesure où le vocabulaire officiel fait plutôt référence à d’autres concepts comme la « balance bénéfice/risque » ou « l’amélioration du service médical rendu » mais le rapport « efficacité/prix » relève, lui, d’un autre processus contractuel de négociation entre l’industriel inventeur et le Comité économique du médicament… où l’Assurance Maladie dispose d’un siège.

Sur le fond, deux autres caractéristiques méritent encore d’être relevées à la lecture du J.O. : – d’une part l’architecture assez baroque de l’objectif économique assigné à la communauté médicale dans son ensemble : cinq points d’augmentation du… pourcentage de patients « sous aspirine seule ou associée » rapporté à l’ensemble des patients sous AAP. Il s’agit bien, précisons-le dans le cadre juridique d’un AcBUS, d’un objectif collectif sans vocation à être rendu individuellement opposable à chaque médecin, cardiologue ou médecin traitant ; – d’autre part la préconisation thérapeutique sous forme d’une annexe intitulée « Recommandation pour une prescription efficiente ». C’est celle-la qui fit aussitôt scandale dès lors qu’elle ne rejoignait pas – doux euphémisme – les recommandations de la communauté scientifique dans la maladie coronaire et, surtout, qu’elle ignorait le sort des patients ayant bénéficié de la pose d’un stent.

La première réaction, assez spectaculaire de rapidité, est venue du Pr Nicolas Danchin s’exprimant en tant que rédacteur en chef de la revue Consensus Cardio. Sous le titre « L’AcBUS a dérapé », l’auteur – sans oublier le titre de président de la SFC – écrivait notamment : « Ces recommandations posent un problème à deux niveaux. Limiter la maladie coronaire à trois situations [syndrome coronaire aigu, post-pontage et angor stable, Ndlr] est exagérément réducteur : de nombreux patients sont des coronariens sans angor (de nombreux diabétiques par exemple) (…) ces malades doivent-ils échapper au traitement par l’aspirine ? Mais le plus grave est ailleurs. Les recommandations envisagent les suites de pontage (environ 25.000 patients par an) mais ne discutent pas les suites d’angioplastie coronaire (120.000 patients par an en France). Or la situation est en pleine mouvance, avec une véritable interrogation sur le risque de thrombose, en particulier après implantation de stents actifs. (…) Aucune mention n’est faite de l’utilisation combinée de l’aspirine et du clopidrogel (…) pendant trois mois pour les stents au sirolimus ou six mois pour ceux au paclitaxel, et les données cliniques les plus récentes donnent à penser que le traitement doit être poursuivi beaucoup plus longtemps, au moins un an et peut-être davantage ».

L’éditorial se concluait sur un propos d’une sévérité assez inédite sous la plume d’une personnalité connue pour sa pondération : « Avec l’accord actuel, on imagine aisément les représentants des caisses passer chez les médecins, pas forcément au fait des derniers développements dans ce créneau médical très « pointu », et se servir du texte de l’AcBUS pour les inciter à arrêter prématurément la double anti-agrégation, au risque de voir les patients faire des accidents thrombotiques aigus dont un sur deux est mortel ».

De ce qu’il nous a rapporté (lire son entretien En fin d’article), le Pr Danchin livrait, par lettre officielle, la même mise en garde aux diverses autorités. Le syndicat lui emboîtait rapidement le pas, considérant dans un communiqué (non rendu public) : « Sur le terrain, notre inquiétude est corroborée par la vague d’entretiens confraternels suscités par les médecins conseils auprès des cardiologues. Le risque d’une interruption prématurée d’une bithérapie chez un patient porteur d’un stent actif expose au risque de thrombose aiguë mortelle dans 40 % des cas ! Ce risque nous paraît d’autant plus important que nos confrères généralistes seront soumis à la pression d’une analyse individuelle des objectifs de maîtrise ».

En l’état de nos informations et au moment de mettre ce numéro sous presse, la double mise en garde a finalement produit ses effets. La Haute Autorité a provoqué le 30 mars une réunion « de réécriture de la recommandation » ayant abouti à une version parfaitement consensuelle, livrant même un référentiel scientifique bienvenu en une période où la synthèse des connaissances s’avère délicate, même aux lecteurs les plus assidus des dépêches de l’American Heart.

à l’heure de mettre le numéro 301 sous presse, ces conclusions étaient connues mais les modalités de leur publication restaient mystérieuses : y faudrait-il « reprendre la procédure à zéro » : nouvelle-saisine de la HAS, nouvelle signature des négociateurs, nouvelle publication au J.O. ou, comme le laissait penser un addendum à l’avenant numéro 23 récemment publié, pourrait-on se contenter d’une simple « mise à jour » du référentiel au Journal Officiel ? _ L’ « EBM à la française » suit décidément des voies bien singulières ! On a peine, dans ces conditions, à imaginer un terme à cette affaire avant quelques mois dans la meilleure hypothèse.

INTERVIEW DE NICOLAS DANCHIN :
« Pourquoi et comment j’ai réagi »

Président de la Société Française de Cardiologie, le Pr Nicolas Danchin est connu pour sa pondération. La publication de l’AcBUS a pourtant provoqué une virulente réaction de sa part. Explication de textes et commentaires.

Le Cardiologue – Quand et comment avezvous eu connaissance de l’existence de l’AcBUSAAP et de son contenu ? Quand et comment avez-vous réagi ? _ Nicolas Danchin – J’ai eu connaissance de l’existence et du contenu de cet AcBUS lorsqu’on m’a fait lire l’exemplaire du J.O. où il figurait. J’ignorais même qu’il était attendu… J’ai aussitôt réagi en écrivant un courrier aux signataires de l’AcBUS, avec copie au ministre et au président de la Haute Autorité. Il était de mon devoir d’attirer leur attention sur les dangers vitaux que faisait courir une stricte application des recommandations constituant l’annexe du dispositif, notamment pour les patients traités par stent actif. J’étais confiant sur la réaction des cardiologues, parfaitement au fait de la problématique et donc tout-à-fait en mesure de répondre à une éventuelle intervention des caisses… mais celle des généralistes m’inquiétait. Ã la suite de mon courrier et après avoir, je suppose, pris d’autres avis, Laurent Degos, président de la Haute Autorité, a provoqué une réunion destinée à re-préciser les recommandations. Notre seule légitimité scientifique s’exerce sur le terrain que la HAS veut bien nous reconnaître.

Le C. – Clairement, votre exposé des faits révèle que la Haute Autorité peut donc adopter une position scientifique sans solliciter votre avis préalable ? _ N. D. – L’élaboration d’un AcBUS relève, de par la loi, d’un processus où la société savante n’a pas de rôle défini. Notre seule légitimité s’exerce sur le terrain scientifique que la Haute Autorité veut bien nous reconnaître. De ce que j’ai pu rétrospectivement comprendre, les Caisses souhaitaient aboutir rapidement à un texte. La HAS a donc dû réagir dans l’urgence : un certain nombre de textes relatifs à la maladie coronaire, émanant de plusieurs structures internes sur différentes problématiques qui lui avaient été antérieurement soumises, ont été repris… mais il manquait à l’évidence une vision globale et actualisée de la prise en charge de la maladie coronaire. C’est ainsi qu’on s’est retrouvé avec un texte hybride, mélangeant des pathologies (angor stable, syndromes coronaires aigus) et des traitements, comme le pontage mais en ignorant dans le même temps l’angioplastie mentionnée seulement au détour du chapitre sur le syndrome coronaire aigu.

Le C. – Peut-on supposer que cet épisode fera jurisprudence et que la HAS sera désormais en mesure de mieux résister aux pressions de l’UNCAM ? _ N. D. – Je ne sais pas s’il y a eu « pressions » mais je suis certain que la HAS doit éviter trop de précipitation dans des domaines qui restent toujours complexes et évolutifs. Le législateur a voulu une Haute Autorité indépendante, et donc à l’abri des pressions politiques de la part de qui que ce soit, et cela doit impliquer aussi les organismes payeurs. Il est important qu’elle se donne le temps et les moyens nécessaires pour formuler des recommandations indépendantes. Le risque est d’exposer les médecins à un véritable imbroglio médico-légal.

Le C. – N’y a-t-il pas eu, sur le fond, contradiction entre la légitimité « politico-scientifico- économique » de la Haute Autorité et la légitimité « scientifico-administrative » dont l’AFSSAPS est toujours dépositaire ? _ N. D. – Je crois en effet que cet AcBUS constitue un bon exemple de la contradiction possible entre : – les recommandations de type médico-économique à prétention scientifique sur un argumentaire emprunté à la Haute Autorité, comme dans le cas qui nous intéresse ; – les AMM des médicaments – et les éventuelles recommandations des sociétés savantes. _ Si on n’y prend garde, le risque est d’exposer les médecins à un imbroglio médico-légal où personne ne saura plus très bien qui prime sur quoi. D’une manière générale, l’AMM reste opposable, mais dans le cas de stents actifs où est l’AMM ?… La problématique juridique devient d’une rare complexité.

Le C. – Pourquoi n’avoir pas pris simultanément position sur le problème de la prescription des AAP dans l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs ? _ N. D. – Parce qu’à mon sens le risque vital est beaucoup moins engagé que dans la maladie coronaire. L’AcBUS est en relative distorsion sur ce point avec la règle des AMM : elle a été obtenue dans cette indication par le clopidogrel, l’aspirine n’en dispose pas. Mais c’est à mon sens un problème de nature réglementaire, sans véritable caractère d’urgence de santé publique.(gallery)

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