Entretien Nicolas Brun (CISS) : « Il faut mener une démarche de santé communautaire au sein des territoires »

362-363 – Catherine Sanfourche – Président d’Honneur du Collectif Interassociatif Sur la Santé et coordonnateur au pôle Protection sociale – Santé de l’Union Nationale des Associations Familiales (UNAF), Nicolas Brun commente les résultats du Baromètre 2013 du CISS.

 

BrunQuels sont pour vous les éléments les plus marquants du Baromètre 2013 du CIS ?

Nicolas Brun : Tout d’abord, le baromètre met en évidence que les Français ont une très grande confiance en leur médecin, particulièrement en leur médecin traitant, qui est leur interlocuteur direct. Cela a de quoi rassurer le monde de la santé. L’autre élément qui me semble très important est ce qui est signifié à propos d’internet. L’internet est un outil qui donne un complément d’information, qui peut servir à réassurer, à préparer une consultation, mais l’élément principal reste le dialogue avec le médecin, la relation humaine privilégiée et affirmée comme le lien nécessaire entre le patient et celui qui le prend en charge. Mais internet rénove et renforce ce dialogue. Avant, il y avait le médecin qui savait et face à lui, le patient qui ne savait pas. Les gens étant de plus en plus informés, ce modèle devient minoritaire. Le modèle qui tend à devenir dominant actuellement est celui dans lequel les patients veulent savoir et vont chercher l’information sur internet. Le professionnel de santé doit s’appuyer sur cette réalité dans son dialogue avec le patient. Internet ne joue pas contre lui, au contraire, il peut renforcer la confiance du patient dans son médecin qui reste le professionnel qui va l’aider à décrypter l’information collectée sur Internet.

 

Comment interprétez-vous le déficit de connaissance de leurs droits que montre le Baromètre 2013 ?

N. B. : Il y a dix ans, les réponses auraient été encore plus négatives : certains droits n’existaient pas ou étaient éparpillés, illisibles. De ce point de vue, la loi du 4 mars 2002, dite loi Kouchner, a eu une vertu pédagogique évidente : la notion de droit est passée dans la population. Après, on constate, bien sûr, une hétérogénéité des connaissances. Les droits concernant la fin de vie, par exemple, sont les plus mal connus. Comment l’expliquer ? Il y a sans doute plusieurs raisons, la principale étant peut-être que, tant qu’on n’est pas confronté à ce problème, on ne va pas spontanément chercher l’information. En revanche, les gens ont parfaitement assimilé maintenant leur droit d’accéder à leur dossier médical, même si dans le concret, cet accès pose encore des problèmes d’ordre pratique. C’est une évolution positive, d’autant que, dans l’immense majorité des cas, les gens veulent accéder à leur dossier non pour contester l’avis du médecin, mais pour pouvoir dialoguer d’égal à égal en termes d’informations médicales. Contrairement à ce qu’ont craint les médecins, l’accès au dossier médical n’a pas déclenché une judiciarisation, comme en témoigne le nombre de procédures judiciaires qui ne s’est pas envolé.

Plus généralement, je pense que la méconnaissance qu’ont les gens de leurs droits en matière de santé provient d’un déficit d’information. Il y a peu de campagnes d’information sur ces sujets. Et lorsqu’il s’agit de directives européennes – comme celle concernant les soins transfrontaliers – elles sont rédigées en anglais, ce qui est un obstacle de plus dans leur diffusion auprès des Français et donc, dans leur appropriation par la population.

 

Les associations arrivent en tête des acteurs jugés les plus légitimes pour représenter et défendre les intérêts des malades, avec un score en hausse de 12 points par rapport à 2012, mais elles obtiennent un score moins bon en tant que source d’information sur la santé. Comment expliquez-vous cette ambiguïté ? 

N. B. : La hausse n’est sans doute pas étrangère aux récentes affaires sanitaires : il est certain que le public nous reconnaît une indépendance et la capacité à représenter les intérêts des malades en cas de problème. Pourtant, l’image des associations est quelque peu troublée du fait de leur financement par les laboratoires. Il s’agit là d’une juste interrogation démocratique. Mais pour nous, le problème est réel, puisque le financement privé est désormais interdit et que le financement public est en baisse.

La participation des usagers à la démocratie sanitaire est une bonne chose, mais il faut les recruter, les former, etc. On donne aux associations d’usagers de plus en plus de responsabilités, et c’est bien, mais pour cela, elles ont besoin de moyens. Sans moyens, le risque est de voir les associations se recentrer exclusivement sur les pathologies.  Nous sommes au milieu du gué, et la situation est difficile.

Le CISS revendique une représentation des usagers au sein des différentes instances, avec un pouvoir décisionnel, et non pas seulement pour avis. Pensez-vous y parvenir ?

N. B. : La participation des usagers revient à faire bouger les lignes, à introduire un tiers dans des instances où l’on ne sera plus entre experts et à créer des sphères d’influence nouvelles. En 2000, le CISS s’est créé autour du combat pour l’accès au dossier médical et le collectif a emporté le morceau. Depuis, notre réflexion est davantage transversale. Les associations et les blogs influents vont continuer de se développer, porteurs d’une parole reconnue par de nombreuses personnes. Mais parallèlement, il faut mener une démarche de santé communautaire au sein des territoires ; il serait intéressant d’associer les gens d’un quartier à ce que doit être la mission d’un établissement ou d’un ensemble de professionnels de santé. Les choses se construisent doucement, dans la difficulté : on manque de moyens financiers et il faut que le système se décloisonne. Nous sommes dans une période intermédiaire, beaucoup de choses ont déjà été faites, mais beaucoup reste à faire. n