Exercer dans la bonne société

353 – On peut choisir d’exercer soit à titre individuel, soit en groupe, en regroupant simplement les moyens nécessaires à l’exercice ou en se regroupant en sein d’une société. Il semble que l’exercice en solitaire appartient désormais au passé, et que l’exercice groupé soit l’avenir de la profession médicale. Nombreux sont déjà les cardiologues à exercer en association, au sein d’une société civile de moyens (SCM), d’une société civile professionnelle (SCP) ou d’une société d’exercice libéral (SEL). Mais aujourd’hui, à la fois pour des raisons de démographie médicale et pour répondre aux souhaits des jeunes praticiens comme des usagers de la santé, la tendance est à la création des regroupements pluridisciplinaires. C’est pour favoriser leur développement qu’une nouvelle entité juridique, la Société Interprofessionnelle  de Soins Ambulatoires (SISA) a fait sont entrée dans la législation française. L’occasion pour Le Cardiologue de revenir sur les caractéristiques des différentes formes de société d’exercice (*), et de recueillir le témoignage de praticiens sur les avantages et les inconvénients de chacune. 

 (*) Les contrats types de ces différentes formes de société sont disponibles sur le site de l’Ordre : www.conseil-national.medecin.fr.

 

Société interprofessionnelle de soins ambulatoires (SISA)

Créée par la loi HPST, la Société interprofessionnelle de soins ambulatoires (SISA) est un nouveau cadre juridique destiné à faciliter l’exercice groupé et pluridisciplinaire des professions de santé, ainsi qu’à faciliter de nouveaux modes de rémunération notamment pour des activité de coordination thérapeutique, d’éducation thérapeutique ou de coopération interprofessionnelle. Des SISA peuvent être constituées entre des personnes physiques exerçant une profession de santé pour permettre « la mise en commun de moyens pour faciliter l’exercice de l’activité de chacun des associés » et « l’exercice en commun, par ses associés, de certains activités à finalité thérapeutique relevant de leur profession respective ». Les rémunérations versées en contrepartie de l’activité professionnelle des associés dont le statut prévoit un exercice commun constituent des recettes de la société et sont perçues par celle-ci . Les SISA sont soumis au régime fiscal des sociétés de personnes.

Chacun des associés d’une SISA répond sur l’ensemble de son patrimoine, des actes professionnels qu’il accomplit dans le cadre des activités prévues par les statuts de la société. Un associé peut se retirer de la SISA soit il cède ses parts sociales, soit la société lui rembourse la valeur de ses parts. Dans les maisons de santé constituées en SISA, le projet de santé adopté par les associés doit être annexé aux statuts, lesquels doivent être transmis aux Ordres professionnels un mois avant l’enregistrement de la SISA. Ces statuts ne doivent comporter « aucune disposition tendant à obtenir d’un associé un rendement minimum ou de nature à porter atteinte à l’indépendance professionnelle de chacun d’entre eux et au libre choix du praticien par le malade ».

Les démarches

Les statuts de la SISA doivent être déposés au pôle enregistrement (ex recette des impôts) dont dépend la société dans un délai d’un mois à compter de la date de leur signature. L’avis d’un juriste ou d’un avocat spécialisé sera le bienvenu pour la rédaction de ces statuts. 
Un avis de constitution doit être inséré dans un journal d’annonces légales. La société reçoit ensuite une immatriculation au registre du commerce et des sociétés (RCS) et au greffe du tribunal de commerce. Une fois immatriculée, la SISA fait l’objet d’une publicité au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC).

 

Société d’Exercice Libéral (SEL)

Une SEL peut regrouper des médecins généralistes et/ou des médecins de toutes spécialités pouvant exercer en secteur 1 ou en secteur 2. Un praticien ne peut exercer qu’au sein d’une seule SEL et, sauf en cas d’exercice lié à des équipements ou des techniques le justifiant, il ne peut cumuler cet exercice avec un exercice individuel.
L’activité doit s’effectuer dans un lieu unique. Cependant, si la société utilise des équipements implantés dans des lieux différents et que l’intérêt des malades justifie un éclatement des lieux d’exercice, la SEL peut alors exercer dans 5 lieux différents sur 3 départements limitrophes, ou, le cas échéant, sur l’ensemble de l’Ile-de-France. Cet exercice multisites est conditionné à l’accord de l’Ordre des médecins (voir l’entretien avec Eric Perchicot plus loin).
La SEL est une société commerciale, elle est donc soumise à l’impôt sur les société et nécessite une comptabilité de type commerciale. Elle répartie les bénéfices sous forme de dividendes. Elle est propriétaire de tous les actifs du cabinet, notamment de la clientèle. La SEL encaisse les honoraires, paye les frais et les charges. Comme la SCP, elle facture et encaisse les honoraires. La SEL est responsable solidairement.
Ils existes différentes formes juridiques de SEL : Société d’exercice libéral unipersonnelle (SELU) ; Société d’exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) ; Société d’exercice libéral à forme anonyme (SELAFA) ; Société d’exercice libéral en commandite par actions (SELCA) ; Société en participation d’exercice libéral (SELPEL) ; Société d’exercice libéral par actions simplifiées (SELAS).

Les démarches

Les statuts doivent être soumis à l’avis du Conseil départemental de l’Ordre des médecins. La SEL doit être constituée et immatriculée au registre du commerce et des sociétés (RCS) et au greffe du tribunal de commerce dont elle dépend. Ses statuts doivent être enregistrés au pôle enregistrement (ex recette des impôts). 

 

Société Civile de Moyens (SCM)

L’objet de la SCM est de fournir à ses membres des moyens et/ou des prestations de services sans affecter l’exercice de l’activité de ses membres. Les associés peuvent être soit des praticiens libéraux exerçant titre individuel soit des praticiens exerçant dans le cadre de société d’exercice (SCP ou SEL). Dans le cadre d’une SCM, il est possible de s’associer entre médecins généralistes et spécialistes ou entre professionnels paramédicaux et médicaux.
La SCM constitue une personnalité morale à part entière distincte de celle des associés. Elle peut réaliser des investissements (matériel, biens immobiliers…) et contracter en son nom (baux, contrats de travail).
Les associés doivent être au moins deux. Ils peuvent indifféremment être des personnes physiques ou morales (associations professionnelles, SCP, SEL) et sont responsables indéfiniment et conjointement à l’égard des tiers.
Aucun capital social minimal n’est exigé. Chaque associé verse une redevance à la société, l’ensemble des redevances servant à payer les charges. Des parts sociales sont attribuées à chacun des associés en contrepartie de ses apports. Chaque associé est responsable au prorata des parts qu’il détient.
N’étant pas une société commerciale, la SCM n’est pas soumise à l’impôt sur les sociétés.

Les démarches

Avant toute démarche, les statuts doivent être soumis à l’avis du Conseil départemental de l’Ordre des médecins. La SCM doit être constituée et immatriculée au registre du commerce et des sociétés (RCS) et au greffe du tribunal de commerce dont elle dépend. Ses statuts doivent être enregistrés au pôle enregistrement (ex recette des impôts).

 

La Société Civile Professionnelle (SCP)

La SCP a pour objet l’exercice de la profession par l’intermédiaire de ses membres. Il s’agit d’une société de personnes dotée d’une personnalité morale autonome. Par conséquent, le praticien n’est pas propriétaire en propre de sa clientèle. Son patrimoine professionnel est constitué des parts qu’il détient dans la société . Les actes sont facturés par la SCP, qui encaisse les honoraires. Les associés d’une SCP sont solidairement responsables des dettes de la société sur leur patrimoine personnel, de même qu’ils sont responsables des autres associés en cas d’indemnités dues envers un patient. Sauf pour un exercice salarié ou du bénévolat, ils ne peuvent pas travailler en dehors de SCP et le cumul avec une autre activité libérale est interdit.
La SCP doit avoir au moins deux associés. Le nombre maximum d’associés est de 10 en cas de disciplines différentes ou de 8 pour la même discipline.
Fiscalement et socialement les associés conservent le statut de travailleurs indépendants. Le montant du capital est librement fixé par les statuts.
Sauf exception acceptée par l’Ordre des médecins, la SCP exerce dans un lieu unique.

Les démarches

Avant toute démarche, les statuts doivent être soumis à l’avis du Conseil départemental de l’Ordre des médecins. La SCP doit être constituée et immatriculée au registre du commerce et des sociétés (RCS) et au greffe du tribunal de commerce dont elle dépend. Ses statuts doivent être enregistrés au pôle enregistrement (ex recette des impôts).

 

Entretien Eric Perchicot

« L’avenir est à la SISA »

Exerçant en SEL, le secrétaire général du SNSMCV estime pourtant que l’avenir est aux groupes pluridisciplinaires et donc aux SISA qui ont été créées pour favoriser le développement de ces groupes.

Avec vos associés, vous êtes constitués en SEL. Pourquoi ce choix ?

Eric Perchicot : Avant de choisir un type de société, il y a d’abord eu, il y a douze ans, la volonté des huit cardiologues du Sud-Vaucluse, c’est-à-dire Cavaillon, Apt et Isle-sur-la-Sorgue, de travailler ensemble. Nous avons fait le choix de la SEL, parce qu’à l’époque, c’était la seule structure qui permettait à des médecins de travailler sur plusieurs sites, raison pour laquelle l’Ordre y était d’ailleurs très réticent. C’est la première motivation de notre choix qui n’a pas été fait pour des motifs financiers. L’expérience a montré par la suite que les avantages financiers que nous aurions pu espérés avoir en choisissant la SEL se sont avérés vains. La décision de la CARMF et de l’URSSAF de soumettre toute rémunération aux cotisations a fait disparaître l’espoir de voir diminuer les cotisations sociales, tout comme a disparu l’espoir de payer moins d’impôts en se distribuant des dividendes. La SEL présente aussi un avantage pour les investissements, car la première partie des sommes investies est taxée faiblement. Mais il s’agit d’un intérêt fiscal modéré, dont il n’est pas sûr qu’il soit d’un grand intérêt aujourd’hui. Les avantages sociaux et fiscaux n’ont donc pas été au rendez-vous.

Quel avantage dans ce cas présente la SEL ?

E. P. : Outre la possibilité de travailler sur plusieurs sites, la SEL nous permet d’exercer en société et donc de ne pas être responsables de nos dettes sur nos patrimoines. Concrètement, nous sommes gérants majoritaires, nos honoraires sont mis en commun et redistribués par la SEL. Lorsque nous nous sommes regroupés, nous avons vendu notre clientèle à la SEL, qui a récupéré les intérêts d’emprunt et qui est aujourd’hui, en quelque sorte, propriétaire du droit de présentation à clientèle. Nous avons un expert comptable et une comptabilité très précise. Cette transparence est un atout et vaut toujours mieux que les sociétés de fait.

La SEL est-elle une structure juridique que vous recommanderiez aujourd’hui ?

E. P. : L’avenir, c’est le regroupement des professionnels de santé au sein de structures pluridisciplinaires. C’est dans cette optique que les SISA ont été créées. Cette structure juridique a une grande souplesse et permet de régler les problèmes de cohabitation de tous les professionnels, ainsi que de mutualiser une grande partie de tout ce qui est logistique, acquisitions des murs, etc. Si les syndicats médicaux veulent promouvoir des structures clés en main, c’est ce type de structure qu’il faut développer.

 

Entretien Vincent Guillot

« Un système souple et adaptable »

Exerçant en SCM depuis 1975, le cardiologue apprécie surtout la modulation des frais selon les associés que permet cette forme de société.

Vous exercer la cardiologie à Lens avec trois associés au sein d’une SCM. Pourquoi avoir choisi cette forme juridique ?

Vincent Guillot : Lors de l’installation en 1975, c’est notre comptable qui nous a conseillé la SCM, parce que c’est un système très souple et d’une grande adaptabilité pour les associés dont les apports peuvent être différents. En fait, la SCM est une boîte aux lettres qui reçoit  les apports des associés et paye les frais. Chacun de nous perçoit ses honoraires, qui ne passent pas par la SCM. La valeur de la part est minime, qui correspond à la valeur comptable du matériel amorti très rapidement. Nous avons un appareil d’échographie en leasing, qui ne fait pas partie du capital mobilier de la SCM. Si nous devions acquérir un matériel plus conséquent, la valeur de la part serait plus importante.

Quel est le principal avantage de la SCM selon vous ?

V. G. : L’avantage essentiel réside dans la clé de répartition des frais qui peut se moduler en fonction des associés. Par exemple, l’un des mes associés travaille surtout dans une clinique où il fait de la cardiologie interventionnelle ; en conséquence, il  paye moins de frais que les autres. Si une nouvelle technique est introduite dans un cabinet, la clé de répartition peut faire que les frais seront surtout assumés par les praticiens qui l’utilisent. La clé de répartition est inscrite dans les statuts de la société, ce qui constitue une garantie en cas de désaccord. Mais si l’on souhaite modifier la clé de répartition, c’est facile à faire. Nous avons ainsi pu adapter la répartition au fil du temps. C’est d’une grande souplesse et cela garantit l’intérêt de chacun.

 

Entretien Olivier Fichaux

« Comme des praticiens hospitaliers libéraux ! »

Pour ce cardiologue, la mise en commun des honoraires et le versement d’un salaire identique à tous les associés est l’atout de la SCP.

Vous exercer en clinique privée au sein d’une SCP. Etes-vous satisfait de ce choix ?

Olivier Fichaux : La SCP était constituée depuis 1992 et je l’ai intégrée en 2004. Je n’ai donc pas participé à ce choix. Mais je ne l’ai jamais remis en cause car je suis satisfait de cette forme de société. Nous sommes neuf associés qui exerçons en secteur 1. Les recettes sont mises en commun et nous percevons un salaire mensuel identique qui peut être réajusté en fonction des rentrées ou des déficits, ainsi que des dividendes en fin de mois. En SCP, nous sommes en quelque sorte des « praticiens hospitaliers libéraux ». Je trouve ce système optimal pour ce qui est de la prise en charge du malade : ce ne peut jamais être l’intérêt financier qui prévaut dans les décisions. Quelle que soit mon activité, mon salaire sera identique à celui de mes associés en fin de mois. J’ajoute que lorsque j’ai débuté, j’ai apprécié de savoir d’entrée quel serait le montant de mon salaire ; cela m’a servi de garantie auprès des banques lorsque j’ai sollicité des emprunts.

Pour vous, la SCP ne présente donc que des avantages ?

O. F. : Il est certain qu’au sein d’une SCP, tous les associés doivent tirer dans le même sens. C’est peut-être plus facile dans un petit groupe de trois ou quatre associés que lorsque le groupe s’agrandit et que des dissensions risquent davantage d’intervenir.