Gewurztraminer Qvevri 2011 – Vin Orange

Le drapeau tricolore des vins : rouge, blanc, rosé, viendrait-il à se déchirer ? Car voilà qu’apparaît une 4e couleur : l’orange.

L’histoire des vins oranges remonte à plusieurs millénaires en Géorgie, mais ils n’ont été « redécouverts » que depuis une vingtaine d’années par les producteurs occidentaux révélant, de ce fait, non seulement une nouvelle couleur, mais surtout un nouveau goût dans le vin.

Le vin orange est tout simplement un vin blanc vinifié comme un vin rouge. Classiquement, les raisins blancs, après vendange, sont, de suite, pressés et le jus immédiatement mis en fermentation. Pour les vins oranges, la fermentation s’opère sur des raisins entiers, égrappés ou non, le jus restant en contact, plus ou moins longtemps avec les peaux et autres éléments solides qui contiennent des tanins, polyphénols pour certains colorants. Ceux-ci confèrent cette couleur orangée et une certaine tannicité au vin.

Cette opération nécessite qualité et maturité optimales des raisins, car les longues macérations permettent une forte extraction de substances aromatiques. Plus les raisins sont mûrs et sains, plus le bouquet aromatique sera noble, plus les températures seront stables et fraîches, plus subtils seront les arômes. En outre, les structures solides doivent être toujours immergées, pour éviter le contact avec l’air et l’apparition de bactéries acétiques. C’est là qu’intervient l’amphore, dont les dimensions et la forme garantissent une température fraîche, constante et uniforme dans tout le liquide et une mineure surface de son exposition à l’air. Mais 2 difficultés apparaissent : les jarres traditionnelles de Géorgie nécessitent un tapissage interne, pour rester étanches au liquide et poreuses à l’air, habituellement par de la cire d’abeille qui apporte des arômes particuliers très différents du boisé classique. De plus, leurs contenances, au minimum 500 litres, obligent, pour garder une t ° constante basse et éviter l’éclatement, d’être enterrées, d’où les puissantes notes terreuses et racinaires qui peuvent souvent rebuter.

Quoiqu’il en soit, cette vinification par macération des vins blancs, qu’elle s’opère ou non en amphores enterrées, connaît un succès grandissant, illustré par Radikon, Gravner (Frioul), Movia (Slovénie), Mathier (Valois), Gauby (Roussillon), Tissot (Jura), Bannwarth (Alsace).

L’aventure, pour Laurent Bannwarth, débute en 2001, lorsqu’il accueille un étudiant géorgien qui l’amène à s’intéresser au mode original de vinification dans son pays. Viticulteur déjà réputé pour son choix d’agriculture biologique et biodynamique, la qualité de ses vins, il décide d’adopter les techniques géorgiennes pour une petite partie de sa production et importe, avec difficultés, les jarres traditionnelles en terre cuite, les qvevris, qui donnent leur nom à ses cuvées.

A l’issue du pressurage, le jus est mis à fermenter et à macérer avec les parties solides enfermées dans des sacs de jute, comme de géants sachets de tisane, immergés dans les jarres enterrées. La quantité de marc, la durée de l’infusion permettent de nuancer la couleur, l’extraction des tanins, et arômes. Au bout de 6 mois en moyenne, le vin est soutiré et relogé dans d’autres qvevris pour un élevage sur lies fines pendant 4 mois. La présence d’air et l’absence de voile levurien permettent une oxydation modérée et contrôlée. Il n’y aucun levurage, sulfitage pendant la vinification, ni collage ou filtration pour la mise en bouteille, ce qui aboutit à un vin le plus naturel possible.

Parmi les quatre cuvées oranges obtenues par macération dégustées au domaine, le Gewurztraminer 2011 nous est apparu le plus convaincant. La robe soutenue d’un bel orange saumoné aux reflets acajous d’un vieux cognac est légèrement trouble (absence de filtration). Le nez est envahi par des fragrances prégnantes de rose fanée, de fruit de la passion, d’orange sanguine typiquement Gewurztraminer, puis se révèlent progressivement de riches arômes d’épices, poivre blanc, fruits secs et des notes de cire d’abeille, d’encens, de fumée. En bouche, s’exhalent beaucoup de prestance, une saveur prenante, des tanins suaves liés à un peu de sucre résiduel. La longue finale fait ressortir les flaveurs typiques de vin orange : notes racinaires d’humus, de mousseron.

En résumé, ce Gewurztraminer « Qvevri » développe une tonicité, une fraîcheur de tanins et une puissance des expressions aromatiques jusqu’ici inconnues qui réellement « décoiffent ».

Les vins oranges arrivent sur nos tables à l’improviste, leurs arômes, textures, saveurs particuliers, leur structure tanique créent une nouvelle dimension et une grande richesse en matière de mariages culinaires, mais tout reste à découvrir ! D’emblée, je proposerai des accords autour de la terre, du fumé, des épices. J’ai essayé, avec une réussite certaine, de goûter ce Gewurztraminer Qvevri en apéritif sur poissons fumés, œufs de lump, tarama. Il s’accordera probablement avec des plats orientaux épicés, des tajines… mais je le positionnerai préférentiellement, pendant l’automne, pour escorter viandes fumées, poêlées de champignons, châtaignes rôties. Il se confrontera, sans difficulté, à des fromages forts, époisses, vieux lille et surtout munster.

Petits conseils de dégustation : ces vins ne doivent pas être servis frais, mais chambrés comme un vin rouge, le carafage est préconisé après ouverture, il faut les boire rapidement ( !) après le débouchage, car ce sont des vins « vivants » qui évoluent vite.

Laurent Bannwarth 68420 Obermorschwihr