Interview de Jean-François Thébaut (nouveau président du Syndicat)

295 – Le CardiologueOn vous a accusé d’être un apparatchik du syndicalisme, coupable de « complicité » dans la fabrique d’une « usine à gaz conventionnelle » qui porte la marque de la CSMF… ?

Jean-François THÉBAUT – Pour moi la notion de « médecine libérale et sociale » n’est pas seulement un slogan mais une conviction éthique. La CSMF porte ces valeurs et j’ai, pour elle, un attachement sentimental et historique. _ J’ai effectivement une bonne expérience des appareils, mais au-delà des circuits décisionnels. Même ses ennemis reconnaissent à la CSMF une capacité de lobbying sans égal. J’ajoute que c’est la seule organisation qui fasse, au grand jour, un travail de fond qu’on ne trouve pas ailleurs. L’exemple de la CSC est typique de cette capacité : c’était une grande idée, encore fallait-il trouver un interlocuteur capable de la porter dans le cadre de son projet. Ce fut le cas avec la CSMF. _ Pour autant la CSMF n’a pas toujours raison et en postulant à ce mandat de président je n’ai pas d’état d’âme quant aux priorités de mes engagements en faveur de la cardiologie libérale ! La réforme en est un exemple : elle a connu des heurts et sans doute les pièges ont-ils été sous-estimés (la CCAM a été une horreur bureaucratique, le parcours de soins une horreur médiatique). Conséquence : la cardiologie libérale se retrouve au nombre des spécialités « perdantes » quand la réforme aurait dû tourner à son avantage…

Le C.…Peut-être pas à ce point quand même…

J.-F. T. – La grande majorité de la spécialité avait une pratique s’inscrivant déjà dans le cadre du parcours de soins. Et la revalorisation du rôle de consultant aurait – mécaniquement – dû provoquer une augmentation des revenus. On a d’ailleurs des témoignages en ce sens. Mais le message des tutelles a été brutalement radical avec un calendrier précipité. Sous l’effet de la désinformation des caisses, même les patients les plus fidèles – nous ont rapporté des cardiologues – ont eu peur « de ne plus être remboursés s’ils venaient les voir sans lettre du médecin traitant »

Le C.Pourtant le syndicat a rempli son rôle en informant ses mandants, aussi bien sur la CCAM que sur le parcours… ?

J.-F. T. – C’est moins la complexité du dispositif que reprochent les cardiologues que ses bugs incompréhensibles. Une absurdité parmi d’autres : interdiction de coter C2 pour un malade vu en urgence et à la demande de son médecin traitant, en arythmie complète, au motif que vous êtes appelé à le revoir dans les six mois. Le message que nous font passer les confrères est partout le même : la réforme ? OK mais avec bon sens. Or, dans le cas du C2, les tutelles ne nous font pas confiance, c’est une évidence, par crainte d’une explosion du nombre de C2. Elles multiplient les obstacles pour « verrouiller » le dispositif. Conséquence : il est sous-exploité et le rendement promis n’est pas au rendez-vous. Vincent GUILLOT nous expliquait récemment comment utiliser le C2 au mieux. Et nous faisons une action auprès des caisses pour obtenir un élargissement de son champ d’application, puisque l’explosion redoutée n’a pas eu lieu.

Le C.N’est-on pas également confronté dans cette affaire à la démonstration que la pratique de la cardiologie est déjà duale, selon que le cardiologue exerce en coeur de ville aisée ou en zone plus défavorisée… Prenons le cas du DA…

J.-F. T. – L’utilisation du DA est malheureusement anecdotique, alors que c’était, rappelez-vous, ce qui avait fait échouer les négociations de janvier 2003. J’ai moimême dû en pratiquer moins d’une dizaine en un an, alors que les complémentaires en redoutaient aussi la généralisation. Rappelez-vous les craintes de certains redoutant que le DA soit l’occasion d’une médecine à deux vitesses ! L’explication est d’ailleurs assez simple : le praticien de secteur 1, et en particulier le cardiologue, veut exercer son métier sans devoir « bidouiller la nomenclature ». Il n’est pas habitué, comme les chirurgiens par exemple, à demander systématiquement à son patient le montant du dépassement pris en charge par sa mutuelle pour y adapter son dépassement.

Le C.Pourtant on sait que le DE serait couramment pratiqué, en cardiologie…

J.-F. T. – En fait 99 % des DE sont des petits dépassements, alors qu’il serait beaucoup plus rentable de pratiquer de gros dépassements justifiés – sur peu de patients disposant par contre d’une couverture adhoc… Une majorité de confrères réfute ce système qui incite à l’abus de droit.

Le C.Abordons, les uns après les autres, les sujets d’actualité. Quels espoirs peut aujourd’hui fonder le cardiologue libéral sur la prochaine réforme des consultations encore appelée « CCAM des actes cliniques » ?

J.-F. T. – Le cardiologue risque beaucoup dans cette entreprise ! Notre CSC spécifique – qui faisait légitimement des envieux – nous a fragilisé dans le passé. Isolés, nous resterions vulnérables. Mon angoisse est que sous couvert de « cause collective » on dispose de la CSC au profit d’un acte « collectif », moins rémunérateur pour nous. Le risque est réel dès lors que les masses budgétaires mobilisées par la revalorisation des généralistes vont être gigantesques et leur récent accès au statut de spécialiste rend leurs syndicats très velléitaires. Comme pour la CCAM technique, le pré-requis de base « Aucun acte perdant » doit être absolu.

Le C.C’est assez dire que les arbitrages se négocieront d’abord à l’intérieur de la CSMF…

J.-F. T. – La CSMF n’est dans cette affaire, évidemment, pas seule en cause. Mais elle est comme toujours en première ligne. Je vous renvoie à votre première question : ma conviction est qu’on ne peut infléchir les décisions, donc les événements, que de l’intérieur d’une structure. Et pas de l’extérieur… C’est pourquoi nous avons interpellé récemment le SML et la FMF sur ces sujets. Ce que je veux dire c’est que je prends toujours l’avis de tous ceux qui m’entourent et que c’est un avis partagé que je défends ensuite sur tous les fronts.

Le C.Que faut-il attendre du futur secteur optionnel ? Est-ce la voie pour arriver au « secteur d’excellence » explorée par le Livre Blanc de 1999 ?

J.-F. T. – Il y a deux façons d’aborder ce sujet : – en faire – position de nos interlocuteurs – la réponse financière au seul problème posé l’été dernier par les chirurgiens ; il faut savoir que quelques centaines de confrères seulement sont concernés ; – ou l’envisager, comme le faisait le Livre Blanc des cardiologues il y a plus longtemps, comme une option ouverte sur la base d’un seul cahier des charges, fondé sur la qualité, régulièrement remis en cause et contrôlé mais offrant un authentique « profil de carrière » à tous les médecins. Le chantier est énorme, potentiellement étalé sur 6 à 7 ans. Si nous sommes bien d’accord pour le réserver, transitoirement, à ceux des jeunes praticiens sortant de la FMI avec une « sur-qualification » (clinicat, Ndlr), ce ne doit être qu’une première étape qui doit ensuite être étendue à tous les spécialistes, secteur 2 comme secteur 1.

Le C.Au risque de mettre en péril la pérennité ou l’intégrité du secteur 2…

J.-F. T. – C’est le danger de ce type de discussion… Mais ce qui, à mes yeux, compromet le plus la pérennité du secteur 2 actuel est plutôt le montant des dépassements. Regardez comment l’opinion s’est retournée contre les chirurgiens lorsqu’ils ont menacé de les multiplier. Si les dépassements se retrouvent plafonnés par un amendement parlementaire au PLFSS c’est, paradoxalement, aux chirurgiens qu’on le devra… La discussion du secteur optionnel recèle donc autant de dangers que d’opportunités, d’autant que l’on sait parfaitement que les complémentaires souhaiteraient utiliser cette discussion pour « mettre en perspective la fermeture du secteur 2 » (sic).

Le C.Que penser de la présence des mutuelles et autres assureurs complémentaires à la table des discussions ?

J.-F. T. – Elle est légitime dès lors qu’ils se montrent disposés, contre une qualité certifiée, à solvabiliser des compléments d’honoraires remboursés – on ne parle plus de « dépassements » dans cette affaire. Il existe donc une vraie « fenêtre » pour ouvrir la discussion avec les assureurs complémentaires.

Le C.En est-on si sûr ?

J.-F. T. – Leur réflexion est en cours mais leur volonté de ne plus rester des interlocuteurs passifs est avérée : le SNMSCV mène déjà des discussions sur le remboursement, au premier franc par les assureurs privés, d’une consultation de prévention dont il nous reste à définir le contenu.

Le C.Venons-en aux autres chantiers du calendrier proche : la deuxième étape de la CCAM des actes techniques et la négociation de la CCAM des actes cliniques. Que peut attendre la cardiologie libérale de ce double rendez-vous ?

J.-F. T. – Concernant les actes techniques, la deuxième étape est intéressante pour quelques actes : l’ECG, l’échocardiographie, qui doivent encore en tirer bénéfice. La négociation du coût de la pratique avait antérieurement achoppé pour la cardiologie interventionnelle et la situation a été « gelée ». Réciproquement le processus « gèle » le sort des disciplines qui auraient du être gagnantes, je pense à la rythmologie pour laquelle toutes nos requêtes se sont heurtées à une fin de non recevoir. Mais la mise en place de l’Observatoire de la CHAP devra prendre en considération nos requêtes légitimes. Nous nous saisirons de cette occasion pour faire réévaluer le coût de la pratique des actes de rythmologie interventionnelle. J’attends d’autres progrès sur ces « actes frontières », ceux qui nécessitent un environnement hospitalier : le cas de l’épreuve d’effort est particulièrement caricatural puisque cet environnement sécuritaire est réglementairement imposé mais non pris en compte, ni par une facturation de l’établissement, ni par un coût de sa pratique spécifique. Ce sera notre stratégie. La cardiologie a des alliés dans cette affaire qui concerne aussi d’autres spécialités : l’obstétrique, la pneumologie, la gastro-entérologie, la dermatologie… Ce qui donne du poids à la négociation globale de la fin de l’année. _ Concernant la CCAM des actes cliniques, mon analyse est beaucoup plus prudente : les cardiologues disposent déjà avec la CSC d’un acte « hiérarchisé » dont il ne faudrait pas compromettre la valeur. Je le réaffirme bien fort : pas d’actes perdants.

Le C.Pour aborder le reste de l’actualité, il convient aussi de s’arrêter un instant sur la double obligation, pas nouvelle mais aujourd’hui opérationnelle, de FMC et d’EPP…

J.-F. T. – L’obligation de FMC n’est pas nouvelle et les cardiologues sont déjà implicitement pour la plupart « en règle » avec l’obligation. L’engagement dans l’EPP mérite plus d’explications. L’UFCV, organisme agréé de la spécialité, aura d’ici la fin de l’année, 300 cardiologues engagés et vraisemblablement 500 de plus en 2007.

Le C.Dans une EPP ponctuelle ou pérenne ?

J.-F. T. – Cette distinction n’est plus de mise, l’ensemble du processus devant être intégré soit dans la pratique soit dans les habitudes de formation. _ En pratique l’UFCV propose une démarche initiale « inductive » présentielle, consistant en une auto-évaluation de leurs courriers aux médecins traitants – pour continuer par une ou plusieurs démarches continues : – soit en s’incrivant en ligne sur le site de l’UFCV au programme EPP Card ; – soit en participant au programme du Collège des réseaux en cardiologie, pour ceux qui sont impliqués dans ce type de pratique ; – soit en participant à un Observatoire de pratiques qui suppose l’utilisation d’un logiciel de dossier structuré comme Cardiolite ou DocWare Cardio par exemple. Il permet d’agréger, au plan régional, des indicateurs de pratiques jusqu’à maintenant éparses ou inexploitées : le pourcentage de patients diabétiques ou coronariens sous statines, prescription de bêtabloquants en cas d’insuffisance cardiaque, etc. – soit en participant aux registres de pratique clinique qui seront développés en partenariat entre le CNCF et la SFC et l’UFCV.

Le C.Et pour ceux des cardiologues qui exercent en clinique ?

J.-F. T. – Ils ont le choix entre la réalisation des références 44/45/46 de la V2 de la certification des établissements et la procédure particulière de l’accréditation des équipes à risques ; pour les autres l’UFCV proposera la structuration de staffs qui répondront au cahier des charges de l’HAS.

Le C.Quel est enfin votre calendrier au delà de l’actualité de 2006 ?

J.-F. T. – Nous allons nous focaliser début 2007 sur l’avenir de la spécialité comme ce fut le cas au moment de la rédaction du dernier Livre Blanc. Trois bases de réflexion m’apparaissent fondamentales : – d’une part avec les problèmes démographiques, mis en évidence par le précédent ouvrage. Depuis cette époque, nos interlocuteurs ont validé notre constat, multiplié les commissions mais guère formulé de réponses, hors la délégation de compétence que nous avions suggérée. Il nous appartient donc de les inventer et de les explorer avec les jeunes générations de cardiologues ; – d’autre part, les clauses de contractualisation avec les assureurs complémentaires ; je vous ai dit déjà que nous négocions avec la FFSA les termes d’un acte de prévention spécifique. Nous entendons ne pas en rester là et, toujours par anticipation, analyser le champ de la négociation sur la valeur ajoutée de la cardiologie (les technocrates parlent désormais de SMR comme « Service Médical Rendu » ; – l’ensemble devant concourir à proposer de nouveaux types d’exercice, avec une mise en perspective d’amélioration de profil de carrière afin de pouvoir répondre au challenge contradictoire issu d’une diminution de l’offre de soins simultanément à une augmentation des besoins tout en maintenant une qualité de vie pour les cardiologues et un service cardiologique rendu aux patients optimal.

Le C.Le taux de syndicalisation de la spécialité vous satisfait-il ?

J.-F. T. – Il n’est pas mauvais (plus de 50 % des cardiologues), mais insuffisant au regard des enjeux à venir ! Pour mobiliser, nous nous devrons d’innover. Il me semble qu’un syndicat doit offrir à ses adhérents des services concrets, directement liés à l’adhésion. Pour moi, le rôle de l’UFCV s’inscrit dans cette ligne. Au même titre qu’une AGA par exemple – dont le bénéfice est lié à la cotisation syndicale – l’UFCV doit proposer un package clé en main, FMC et EPP, avec notre partenaire naturel qu’est le CNCF.

Le C.Est-ce à dire que vous souhaitez renforcer les liens organiques de l’UFCV avec le syndicat ? Alors même que la Haute Autorité insiste sur l’indépendance des structures pourvoyeuses d’EPP et de FMC ?

J.-F. T. – Tout à fait ! Mais l’indépendance scientifique de l’UFCV n’est pas en cause. Ses liens avec la Société Française de Cardiologie doivent se renforcer. L’UFCV va d’ailleurs se doter sous peu d’un Conseil pédagogique ; ce qui n’a rien à voir avec la direction opérationnelle des actions qui, elle, doit demeurer au service de la profession.

Propos recueillis par Jean-Pol Durand

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