Interview de Patrick Joly – Le médecin habilité : « Nous sommes des stimulateurs, pas des censeurs »

301 – Le Cardiologue – Qu’est-ce qui conduit à devenir médecin habilité ?

Patrick Joly – La curiosité du système et une certaine dose d’optimisme pour considérer qu’il pourrait aller mieux. La Haute Autorité de Santé m’a proposé de devenir médecin habilité, j’ai rempli les papiers et j’ai tenté l’expérience.

Comment s’est passée la formation ?

P. J. – C’est assez contraignant : trois ou quatre week-ends à Paris. Mais c’est intéressant. C’est bien fait, très formaliste, un peu rigide. Ils nous font passer le message qu’il faut avoir, certes, de la méthodologie mais aussi beaucoup de souplesse et beaucoup d’évolutivité. Les règles sur la HAS se modifient en permanence, elles ont déjà changé trois fois depuis que je suis habilité : il faut savoir s’adapter.

Comment intervient-on lorsque l’on est médecin habilité ?

P. J. – Ã la demande d’un groupe de médecins, par exemple dans une clinique, à la demande de l’URML ou d’une association agréée comme l’UFCV. On nous demande si l’on veut animer une EPP individuelle ou collective. Nous sommes là pour aider les médecins, théoriquement motivés – de manière obligatoire ou volontaire – dans leur démarche. En les conduisant dans une voie, en expliquant où la méthodologie pêche, en les encourageant surtout.

Quelles sont les demandes les plus courantes des médecins évalués ?

P. J. – Assez basiques au départ : satisfaire à leur évaluation obligatoire. Les autres demandes viennent progressivement, quand ils découvrent. Quand ils s’aperçoivent qu’ils faisaient déjà de l’évaluation sans le savoir, sans la bonne méthodologie. Le problème est de faire passer l’idée que cette pratique répond désormais à un besoin d’organisation, dans le cadre d’une évaluation globale et de certification.

Le message est-il si difficile à faire passer ?

P. J. – Oui, parce qu’il existe des médecins qui adhèrent spontanément et ceux qui traînent les pieds. Dans un groupe, je dirais qu’il y a au moins 30 % de perte. Dans le meilleur des cas, ils ne viennent plus, ne font pas ce qu’on leur demande. Sinon, c’est le mauvais esprit, ils crient au flicage… On apprend à gérer.

Avez-vous participé à de nombreuses EPP ?

P. J. – J’ai aidé à une EPP individuelle, trois dans le cadre d’établissements privés et quatre EPP collectives : un groupe de cardio, un de rhumato, un de généralistes, un d’endocrino. Vous savez que l’on n’intervient pas seulement dans sa discipline. Cela renforce l’idée selon laquelle le médecin habilité n’intervient pas en juge et censeur de sa spécialité mais bien pour porter une méthodologie inter-spécialités.

Le C. – Pensez-vous qu’il faut améliorer l’EPP ?

P. J. – Non, l’EPP est un mouvement en cours pour sensibiliser les médecins au fait que rien n’est figé et qu’ils peuvent s’améliorer quel que soit leur âge – fort heureusement une majorité de la population médicale fait de la FMC – mais il n’y a pas que cela. Dans le cabinet médical, dans la gestion des dossiers… on peut aussi s’améliorer. Quand on propose des idées, des trucs, les médecins s’accrochent. Écrire sur écran plutôt qu’à la main pour que le remplaçant ou le successeur lise les dossiers, c’est aussi de l’EPP ! L’évaluation, c’est de la sensibilisation, surtout au moment où les médecins, avec la surcharge de travail et le ras-le-bol actuel, ont davantage envie de loisirs que de travailler deux fois plus que la population générale au risque de se faire reprocher de gagner trop. Il faut donc marcher sur des oeufs, mais le but est qu’à chaque réunion d’EPP chacun ait un élément qui le stimule. Il faut donc des piqûres de rappel régulières.

On fait comment ?

P. J. – Pour les spécialistes qui travaillent en clinique, c’est assez simple : les staffs sont de gros moteurs. Pour les autres, je pense qu’il faut incorporer des séances d’EPP dans la FMC, que l’évaluation devienne une composante comme l’EPU. On va à une réunion d’EPP, comme à une réunion de FMC, sur un sujet particulier où chacun est sensibilisé.

Vous supprimez donc définitivement les frontières entre EPP et FMC ?

P. J. – La première est une stimulation à l’organisation et à la meilleure pratique de tous les jours, souvent par du formalisme. La seconde est une stimulation à une meilleure pratique en connaissant mieux les choses. Même si c’est un peu différent, la base est la même.

Voir aussi l’article complet « L’EPP selon la méthode UFCV : évaluation largement positive par ceux qui l’ont vécue«