La décrue de la démographie médicale a commencé

315 – Cette fois, l’inversion de la courbe de Gauss de la démographie médicale est entamée. Au-delà des chiffres un peu trompeurs avec un taux de croissance nominale de + 0,5 %, c’est désormais de décrue de la démographie cardiologique qu’il convient de parler. Au moins et clairement dans le tiers des départements français. Mais le paysage reste contrasté. Parfois avec bonheur, quand les installations se font là où le besoin – et le sous-effectif – étaient chroniques, mais pas systématiquement. Dans sa dernière publication, et sur la foi de chiffres arrêtés au 31 décembre 2007, le Conseil National de l’Ordre se livre à une intéressante revue d’effectifs. Et même passionnante lorsqu’elle s’intéresse aux phénomènes émergents comme le statut de « retraité actif », encouragé par le futur Livre Blanc de la cardiologie ou, plus inquiétant, le volant de jeunes diplômés qui s’installent dans le statut de salarié, voire de remplaçant… professionnel. La peur de l’installation n’épargne pas la cardiologie !

Un mot de préambule sur les chiffres dans leur brutalité. Ã la fin de l’exercice 2007, le CNO comptabilisait un effectif de 6 010 cardiologues, qui ne sera sans doute jamais plus dépassé ; pour ce faire, il a enregistré 108 départs à la retraite et 165 nouvelles inscriptions à l’Ordre. Un différentiel largement positif et qui pourrait porter à l’optimisme mais qu’il convient néanmoins de relativiser. D’une part il « manque » à l’Ordre un effectif théorique cumulé de 6 243 médecins rapidement qualifiés de « temporairement sans activité » par l’Institution qui ne sait trop les imputer, entre la raison impérative de la maladie et le « choix personnel » individuel : période sabbatique, éducation des enfants, projet de reconversion… Cette évaporation naturelle des effectifs a tendance à s’accélérer dans deux périodes de la vie professionnelles (moins de 40 ans, et plus de 60 ans). Combien de cardiologues dans le lot ? On ne le sait pas précisément, mais sans doute quelques dizaines.

Phénomène auquel il convient d’ajouter celui de la… précarité choisie, en l’occurrence le statut de remplaçant. Quand, par le passé, il s’agissait d’une activité partielle et transitoire (un sorte d’emploi « par défaut »), la tendance est à la professionnalisation de ce statut qui en vient à faire l’objet d’un choix positif, assumé comme tel. 257 cardiologues l’ont fait, et en tout cas revendiqué auprès de l’Ordre.

Le statut émergent de « retraité actif »

Un troisième phénomène affecte la balance entrées/départs dans la spécialité : la prolongation d’activité, au-delà des 65 ans légaux, à titre de « retraité actif ». Le prochain Livre Blanc a identifié le phénomène, rendu possible par un embryon de cumul possible de revenu d’activité avec la pension de retraite. La prochaine loi de financement de la Sécurité Sociale devrait encore libéraliser cette formule qui mérite assurément d’être encouragée. Ne serait-ce que pour pallier son défaut majeur du moment : le mouvement se concentre d’abord dans les régions de forte densité. Et pour cause, explique le Dr Irène Kahn-Bensaude, présidente de la Section Santé Publique de l’Ordre : « Les 8,6 % de médecins retraités qui ont gardé une activité sont concentrés autour de la Méditerranée et dans la région Ile de France. Ce n’est pas à la retraite qu’un médecin va aller s’installer ou remplacer à Brinon sur Beuvron. Ils ne font de remplacements qu’en zones urbaines ».

Mais l’information la plus originale de la dernière production ordinale réside assurément dans la confirmation d’un phénomène déjà souligné ici, à savoir la tendance, confirmée en 2007, à s’installer là où les besoins sont les plus avérés dans les départements et régions en déficit relatif. La région du Nord-Pas-de-Calais par exemple affiche une bonne santé démographique avec une tendance légèrement haussière, quand la décrue est entamée dans Paris intra-muros. Le Centre, tous départements confondus, voit également ses effectifs croître légèrement.

La peur de l’installation libérale

Cette règle n’est, hélas, pas universelle. En Basse-Normandie, elle connaît une exception notable avec le département de l’Orne, déjà notablement déficitaire et toujours aussi peu attractif. En région parisienne, on regrettera également la faible attirance des départements de banlieue éloignée (Val-d’Oise, Seine-et-Marne). Par ailleurs l’héliotropisme reste une valeur cotée sur le pourtour méditerranéen.

Dernier motif d’inquiétude enfin et pas des moindres : la croissance, exponentielle, du salariat désigné comme mode d’activité principale.

Les deux courbes d’évolution (libéral versus salariat) se sont croisées en 1999 mais le salariat a littéralement « explosé » depuis ces toutes dernières années. Ce phénomène s’explique évidemment par la titularisation de praticiens étrangers, antérieurement sous statut précaire à l’hôpital public (voir (n° 313 de la revue, juin 2008)). Mais surtout, il interpelle chacun d’entre nous : le statut libéral n’attire plus du tout les jeunes cardiologues. Et c’est évidemment la question du renouvellement d’une génération de libéraux qui est ici posée.