« La grande démission » en santé

Par Marc Villacèque.
Président du Syndicat national des cardiologues

La crise de notre système de santé s’est accélérée depuis la pandémie de Covid. Elle s’étend aujourd’hui massivement aux professionnels de santé. Entre 2019 et 2021, et malgré l’augmentation de 3 % des effectifs non médicaux des établissements de santé, la proportion de postes vacants chez les infirmiers et les aides-soignants n’a cessé d’augmenter. Ces professionnels désertent le secteur de la santé aggravant la fatigue des équipes restantes, entraînant une hausse des heures supplémentaires, une augmentation du recours à l’intérim, et in fine des fermetures de lits. 

La FHF (Fédération hospitalière française) annonce que 57 % des centres hospitaliers et 85 % des CHU ont recours à des fermetures temporaires de lits en raison de postes vacants, notamment ceux de nuit et de week-end. D’après l’association des médecins urgentistes de France, 120 services d’urgence ont dû fermer par manque de personnel. Les établissements privés ne sont pas épargnés.

Cette désaffection touche également de plus en plus de médecins qui diminuent ou arrêtent leurs activités. Une étude sur l’attractivité de la médecine hospitalière montre que les critères les plus importants sont la qualité de l’exercice professionnel, l’accès à l’innovation et la rémunération. On retrouve ce critère de qualité de travail en libéral dans une étude de la DREES sur les médecins généralistes, étude qui révèle que les médecins souhaitent travailler moins d’heures par semaine, prendre plus de vacances et avoir du temps pour d’autres activités et ainsi avoir un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Cette étude est à relativiser puisque le nombre d’heures passe de 55 heures à 53 heures voir 50 heures par semaine pour à peu près une semaine de vacances en plus par an.

Ce besoin de « qualité de vie au travail » se retrouve dans de nombreuses professions, dans de nombreux pays et rejoint le courant de la « grande démission » (great resignation) qui a commencé en juillet 2020 aux États-Unis avec des millions d’Américains insatisfaits de leurs conditions de travail ou de leurs salaires, qui quittent leurs emplois malgré un taux de chômage élevé. 

Il est très difficile de savoir quelles en sont les raisons, mais la conséquence est que les chefs d’entreprise et les managers commencent maintenant à s’adapter aux salariés et non plus l’inverse. Notre système de santé qui doit se moderniser et se restructurer, doit lui aussi s’adapter à ces changements sociaux qui commence à concerner toutes les générations.

Aujourd’hui, les patients et les décideurs souhaitent une continuité de soins voire une permanence de soins dans tous les territoires, cependant les médecins ne sont pas multipliables à l’infini et malgré une intensification de leur exercice médical ont aujourd’hui une présence au travail moindre. Pour répondre aux exigences des usagers tout en respectant les aspirations des soignants, nous devrons en outre inventer des systèmes de délégation gagnant-gagnant pour tout le monde. Mais ceci ne sera possible qu’en rémunérant les acteurs à leurs justes prix, pour ainsi éviter l’épidémie démissionnaire.

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