La médecine libérale survivra-t-elle à la loi de santé ?

383 – Répondre à cette interrogation nécessite que l’on s’entende sur le terme « médecine libérale ». Si c’est celle décrite par Jules Romains dans Docteur Knock en 1923 très certainement pas. Les jeunes générations de médecins ne se reconnaissent pas dans ce mode d’organisation et de fonctionnement. C’est un phénomène générationnel qui n’est pas simplement lié à la féminisation du métier. Le paiement à l’acte « avec tact et mesure » n’est pas pour les jeunes médecins un dogme tel qu’il l’était au premier quart du vingtième siècle et l’activité isolée les rebute.

Le vieillissement de la population et la part prépondérante des maladies chroniques dans l’activité médicale ont progressivement montré les limites du paiement à l’acte qui pâtit de la même faiblesse que son pendant hospitalier, la tarification à l’activité, il est inflationniste et peu efficient pour la prise en charge de la population.

Si on y réfléchit un tant soit peu lucidement, il y a incompatibilité entre le contrôle de la masse des honoraires médicaux et l’affirmation qu’il y a pénurie de médecins. Comment accroître la densité médicale sans augmentation des honoraires ? Nous devons choisir entre Charybde et Scylla : soit une lente paupérisation de la profession, soit une réflexion courageuse sur un mécanisme de régulation à l’installation, qui réglerait le problème, et d’un numerus clausus, devenu totalement obsolète, et des contraintes de la réglementation européenne. Comment justifier que la densité en cardiologues libéraux soit plus de 4 fois plus importante dans les Bouches-du-Rhône qu’en Mayenne ?

Plus de 180 milliards d’euros sont consacrés tous les ans à la santé, il est évident qu’une amélioration réelle de l’efficience permettrait que toute la population, quel que soit son lieu de résidence, ait accès à une offre médicale de qualité, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.

Toutes ces données, non contestables, doivent nous aider à dessiner le futur paysage du monde de la santé où la coordination et la collaboration interprofessionnelles auront une place centrale.

« Il faut que tout change pour que rien ne change », déclare cyniquement Tancrède dans Le Guépard, le célèbre roman de Lampédusa. Pour le paraphraser je dirais : il va falloir que toute l’organisation médicale change pour que l’activité libérale perdure.

Eric Perchicot

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