La Présentation de Jésus au Temple – Une histoire de famille. 1ère partie

Il est permis de se demander pourquoi deux jeunes peintres de grand talent éprouvèrent le besoin de faire, à quelques années d’intervalle, deux peintures très ressemblantes sur le même thème : La Présentation de Jésus au Temple en considérant que ces deux peintres étaient très proches l’un de l’autre, non seulement par l’âge mais aussi par alliance puisqu’il s’agit de Giovanni Bellini (v.1433-1516) et de son beau-frère Andrea Mantegna (v.1431-1506) témoignant ainsi d’une relation étroite tant d’un point de vue familial qu’artistique.

 

Giovanni Bellini (v.1433 -1516) et Andrea Mantegna (v.1431-1506)

Giovanni Bellini est le fils cadet du peintre vénitien Jacopo Bellini (1400-1470) et est présumé adultérin dès lors qu’il ne figure pas sur le testament de la veuve de Jacopo, Anna Rinversi († 1471), en faveur de son fils aîné Gentile Bellini (1429-1507) dont le prénom rend hommage au maître de Jacopo, le peintre toscan Gentile de Fabriano (v.1370-1427) [1]. 

Elle lègue à son fils aîné deux remarquables recueils de dessins de son défunt mari, qui seront gardés comme modèles par ses fils, et permettent de comprendre que Jacopo Bellini puisse être considéré comme le père de la peinture vénitienne même si le peintre et historien d’art Giorgio Vasari (1511-1574) considère que « ses œuvres, en comparaison de celles de ses fils, ne sont pas extraordinaires » [2] et malgré le peu d’œuvres qui nous sont parvenues. 

Andrea Mantegna. La Présentation de Jésus au Temple. Vers 1453-54. Huile sur toile. 69×86.3 cm. Staatliche Museum, Berlin.

Jacopo exerçait au sein d’un atelier très actif et apprécié où se formeront des peintres de grand talent dont ses deux fils. De ces deux recueils, l’un (au Louvre) sera offert (v.1479) au sultan Mehmed II de Constantinople par Gentile, fin portraitiste très honoré en son temps et qui fut un spécialiste des peintures d’histoire de vastes proportions (teleri) destinées aux institutions laïques charitables de Venise que sont les Scuole. L’autre recueil (au British Museum) entrera tardivement en possession de Giovanni alors âgé de 75 ans…, par legs testamentaire de son frère « payant ainsi très cher sa condition de fils naturel » [3]. 

Autoportrait présumé d’Andrea Mantegna. La Présentation de Jésus au Temple (détail).

Andrea Mantegna est né dans une famille paysanne des plus simples [2] à Isola di Carturo devenue depuis 1963, en son honneur, Isola Mantegna dans la province de Padoue. Il est encore un enfant lorsqu’il entre dans l’atelier débordant d’activités du peintre Francesco Squarcione (v.1397-1468) qui finira par l’adopter et qui, ayant voyagé en Grèce, lui donnera le goût de l’antique, ce qui a fait dire à Vasari que le style de Mantegna est « un peu cassant, évoquant parfois la pierre plus que la chair vivante » [2] et cette « rigidité du trait padouan » sera retrouvée chez le peintre vénitien Bartolomeo Vivarini (1440-1499) au sein de cette famille concurrente des Bellini [4,5]. 

C’est après avoir quitté son maître, à l’âge de dix huit ans, qu’Andrea est associé, à Padoue, à la prestigieuse commande de la chapelle Ovetari de l’église des Erémitiques (Eremitani) qu’il finira de décorer quasiment seul. 

C’est lors d’un séjour à Venise avec son maître Squarcione qu’il fréquente Jacopo Bellini dont il épouse, en 1453, la fille Nicolosia née en 1429. Cet évènement atteste des liens étroits entre la famille Bellini et Mantegna alors qu’il n’avait qu’une vingtaine d’années et qui, par ailleurs, a pu être influencé par la perspective linéaire du grand sculpteur Florentin Donatello (1386-1466) lorsque ce dernier séjourna à Padoue de 1444 à 1453.

C’est ainsi que Mantegna développera l’art du trompe l’œil, avec des raccourcis en vue du dessous vers le haut (di sott’in sù) comme la remarquable Lamentation du Christ mort (Pinacothèque de Brera, Milan) peinte vers 1480. Giovanni sera influencé par le trait puissant et le sens du relief d’Andrea qui entre au service du marquis de Mantoue en 1458 pour rester définitivement à la cour des Gonzague à l’exception de quelques intermèdes en Toscane et à Rome. 

Cependant, au début des années 1460, l’attraction mutuelle et l’influence réciproque initialement très fortes entre Giovanni et Andrea commencent à s’atténuer et la rencontre de Giovanni avec Antonello de Messine (v.1430-1479) qui séjourne à Venise de 1474 à 1476, a pu finir de convertir Giovanni à la peinture à l’huile d’inspiration flamande même si Giovanni était alors un peintre accompli de plus de quarante ans [1]. 

Giovanni Bellini restera à Venise où il développera des variations sur le thème de la Vierge à l’Enfant, en particulier dans le cadre de la dévotion privée, témoignant ainsi de sa profonde religiosité à l’inverse de son peu d’intérêt pour les aspects terrestres de la vie du Christ qu’il laissera à ses élèves [1]. 

C’est vers 1470 qu’il peint La Présentation de Jésus au Temple. Entre 1470 et 1475 Giovanni Bellini se rend à Rimini pour peindre le retable de San Francesco qui marque un tournant dans sa carrière. Vers 1480 et pour une période de 10 ans, il peint pour des églises vénitiennes deux de ses grands retables [6]. 

C’est à partir de cette période qu’il supplantera définitivement son beau-frère qui était jusqu’alors la manifestation la plus originale de la peinture en Italie du Nord. En 1501, Giovanni peindra le célèbre portrait du Doge Leonardo Loredan (National Gallery Londres) où il excelle dans l’expressivité du visage et la représentation du brocart et des broderies en or puis fin 1505 « le meilleur, le grand, le vieux Giovanni Bellini », alors âgé de 72 ans, accueillera avec bienveillance Albrecht Dürer (1471-1528), alors âgé de 34 ans et qui se déclara son ami. 

C’est avec beaucoup d’humilité que Giovanni Bellini, pourtant bien plus âgé et considéré par Dürer comme « le meilleur des peintres », demanda à ce dernier un de ses pinceaux servant à peindre l’extraordinaire finesse de la chevelure des personnages, reconnaissant ainsi, implicitement, l’immense talent de l’artiste allemand à la fois peintre, sculpteur et graveur.

Giovanni Bellini (à gauche et Andrea Mantegna (à droite) [détail].

La Présentation de Jésus au Temple

L’évangile de Luc relate que Marie va devoir se purifier rituellement au Temple quarante jours après la naissance de Jésus puisque, dans le judaïsme, l’accouchement était considéré comme une souillure et la Présentation de Jésus au Temple par ses parents, Joseph et Marie, est en outre conforme à la loi juive disant que : « Tout mâle premier-né sera consacré au Seigneur ». Il est habituel que les parents apportent un couple de tourterelles ou de jeunes pigeons destinés au sacrifice et ils sont alors accueillis en l’occurrence par Siméon, un vieil homme juste et pieux qui est revêtu des ornements sacerdotaux avec une tiare ou une mitre et une riche tunique ou éphod pouvant comporter un pectoral orné de pierres précieuses. 

Il nous faut commencer par l’œuvre de Mantegna [3,7] dès lors qu’il ne semble plus faire de doute que celle-ci a précédé celle de Bellini, compte tenu des dates probables des compositions et du fait de la constatation, aux rayons X, de repentirs (pentimenti) absents chez Bellini. Là encore, le jeune
Mantegna a pu être influencé par les effets de profondeur dans le relief (stiacciato) de Donatello [5] qui est l’auteur de la statue équestre du Gattamelata sur la Piazza del Santo de Padoue mais aussi, dans la basilique de Saint Antoine, d’un bas relief en bronze montrant la Vierge tenant étroitement enlacé l’Enfant Jésus (1446-1450), thématique reprise clairement par nos deux peintres. C’est même pour rapprocher l’Enfant de sa mère que Mantegna corrigera sa version initiale.

Bibliographie

  1. Gentili A. Le Cadre historique de la peinture vénitienne de 1450 à 1515. Profils (diversement) perdus : Andrea Mantegna et Jacopo Bellini. pp 224-279 in L’Art de Venise. Ed. Place des Victoires 2007
  2. Vasari G. Les vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes. Commentaires d’André Chastel. Thesaurus Actes Sud 2005
  3. Mantegna et Bellini. National Gallery Exhibition Catalogue 2018
  4. Steer J. La peinture vénitienne. Thames & Hudson 1990
  5. Rauch A. La peinture de la Renaissance à Venise et en Italie du nord in Renaissance italienne ; Architecture, sculpture, peinture, dessin. Ed de La Martinière 1995
  6. Tempestini A. Giovanni Bellini. Gallimard 2000
  7. Galansino A et al. Mantegna l’album de l’exposition au Louvre. Hazan 2008
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