L’activité en CCAM des actes techniques des cardiologues

329 – Pourquoi la CNAM a mis dans son collimateur l’échographie transthoracique

Connaissez-vous Erasme ? Non pas le théologien de la Renaissance, fils illégitime d’un prêtre et d’une fille de médecin devenu « Prince des humanistes », ou le désormais fameux programme européen d’échange étudiant. Mais plutôt la base de données issues de l’exploitation du codage des actes en CCAM ?
ERASME est ici l’acronyme de la formule « Extraction, Recherche et Analyse pour un Suivi Médico-Économique ». Cette base de données collige donc l’ensemble de la facturation libérale en CCAM réalisée par les médecins en cabinet ou en établissement, y compris en secteur privé hospitalier. La distinction ville/établissement est rendue possible par le support de facturation : feuille de soins pour la pratique de ville et bordereau S3404 pour les actes réalisés à l’occasion d’un séjour en établissement. C’est dire qu’aucune activité n’échappe à l’analyse – nature, fréquence, évolution – de l’Assurance Maladie qui, c’est une bonne idée, en assure depuis 2006 une large diffusion dans sa revue « Points de repère » accessible par internet*. 

 

Seul reproche : cette publication ne vaut que pour les seuls actes remboursés par le régime des salariés, donc ignorant les actes pratiqués sur des patients relevant des régimes indépendant et agricole, et ceux identifiés comme « hors sections locales mutualistes », c’est-à-dire relevant des mutuelles de fonctionnaires (dont les mutuelles gèrent le régime de base). Mais cette ignorance relative a une contrepartie positive : la rapidité de l’exploitation ! La CNAM voudrait-elle y détailler une exploitation par région qu’elle comblerait d’aise les observateurs naturellement portés à la curiosité.

La CCAM disséquée sur trois exercices 

Trois publications consécutives – 2006, 2007, 2008** – sont désormais accessibles (la CCAM datant de 2005) autorisant une analyse raisonnée des volumes et de leur évolution. S’agissant d’actes techniques, cette analyse est évidemment impactée par l’entrée d’actes nouveaux. Heureusement (ou malheureusement selon la position qu’on adopte) l’introduction d’actes nouveaux est assez rare : signalons l’ostéodensitométrie en 2006, ou la capsule vidéo-endoscopique plus récemment. En revanche l’analyse est rendue beaucoup plus difficile par l’évolution des tarifs qui sont, eux, assez souvent modifiés, à la hausse ou à la baisse. A la hausse dans le contexte de la « convergence » promise aux actes réputés « gagnants » de la réforme de 2005. Ou à la baisse dans le cadre des plans de maîtrise itératifs au fil des ans, touchant notamment toute l’activité d’imagerie.
Il arrive d’ailleurs que l’obsession comptable de la Caisse ou de la tutelle ne soit pas seule en cause : les radiologues, et par la même occasion les cardiologues interventionnels, viennent de perdre le bénéfice d’un acte technique d’archivage (de l’imagerie numérisée) qui leur avait été octroyé par l’avenant conventionnel n°24. Son bénéfice vient d’être purement et simplement annulé à la suite d’un recours, gagné (!) en Conseil d’État par le syndicat des radiologues hospitaliers mécontent que le secteur public en soit tenu à l’écart !
Un autre avenant conventionnel aurait pu en assurer la pérennité, négocié mais non paraphé en décembre dernier, ce qui aboutit rien moins qu’à compromettre évidemment le progrès médical, l’archivage étant souvent la clé de la télé-imagerie et donc de la télémédecine en cancérologie notamment, mais également un support-clé en matière de permanence de soins dès lors qu’il autorise l’expertise à distance.

La cardiologie à moins de 10 % de l’activité technique globale 

Intéressons-nous d’abord aux volumes globaux : 86 millions d’actes techniques ont été recensés en cabinets de ville, cliniques privées et secteur privé hospitalier en 2008, sous réserve des remarques méthodologiques exposées plus haut (exclusion des assurés agricoles, indépendants, ou relevant de sections locales mutualistes). A comparer aux 82 millions recensés en 2007, soit une progression de 4,9 %, en léger « tassement » par rapport à l’exercice précédent (+5,4 % en 2007 par rapport à 2006). Compte-tenu des évolutions tarifaires également évoquées plus haut, leur facture finale s’établissait à 5,402 milliards d’euros en augmentation de 3,8 %, légèrement supérieure à l’année précédente (+3,1 %).
Quelle part prend la cardiologie dans cet ensemble ? Pour 2008, la CNAM créditait donc notre spécialité de 7,649 millions d’actes, soit 8,89 % du total des actes techniques en volume, loin derrière l’activité d’imagerie qui en représente 44 % ! Pas seulement imputable d’ailleurs aux radiologues puisqu’un certain nombre de spécialités, cardiologues compris, génère sa propre activité d’imagerie. En termes d’honoraires remboursés, la cardiologie « pèse » 479 504 000 Ä, soit 8,87 % de la facture finale ! Sa contribution à la croissance de l’activité technique médicale est dérisoire en termes d’honoraires (0,3 points des 3,8 % de croissance !).
Ce qui ne veut évidemment pas dire que la cardiologie doive être sous-estimée dans le paysage. ; elle figure même en 3ème position des spécialités classées en termes de poids économique après les radiologues (34 %) et les chirurgiens (9,8 %) mais juste devant les anesthésistes (8,74 %) qui la précédaient il y a deux ans encore. Au total, ces quatre spécialités représentent 62 % des honoraires remboursables ! Viennent ensuite des spécialités surtout caractérisées par leurs effectifs : ophtalmologistes (dont la participation à l’inflation est, du fait du transfert massif de l’activité de consultations en actes techniques, bien plus importante que celle des cardiologues), gynécologues, omnipraticiens…
Où l’on observe que la part de la tarification en CCAM au détriment de la cotation en Cs ou CsC augmente de plus de deux points en deux ans. On y reviendra au chapitre de l’échographie.

La chirurgie en panne

Plus que ces masses, c’est l’évolution respective des actes et activités qui nous mobilisera maintenant.

L’Assurance Maladie distingue en effet quatre « familles » d’actes :

– l’imagerie (réalisée majoritairement par les radiologues et, pour partie, par les spécialités d’organes et/ou d’appareils, dont la cardiologie) ;

– les actes techniques, diagnostiques et thérapeutiques ;

– les accouchements ;

– les actes chirurgicaux.

Quelques mots seulement sur les accouchements (et actes obstétricaux) en stagnation depuis trois ans en secteur privé alors que la même activité progresse légèrement en secteur public. Perte de « parts de marché » imputée, de l’avis unanime des observateurs et acteurs, au penchant inflationniste des dépassements d’honoraires dans une discipline majoritairement installée en secteur 2.
L’activité de chirurgie libérale suit apparemment la même pente avec un taux de croissance dérisoire de +1,7 %. Poste de dépenses dans lequel la chirurgie cardiovasculaire occupe une place elle-même hypermodeste avec 6,5 % de la masse d’honoraires dont le tiers est lui-même représenté par la chirurgie des varices non imputable à la discipline. Son net recul (–7,4 % en nombre d’actes), au profit de la sclérose par injection intraveineuse avec ou sans guidage échographique, est analysée par la CNAM comme « relevant moins d’une modification de pratique que de la modification de la tarification CCAM ». Soit, ce que le langage commun appelle « effet d’aubaine » et qui, apparemment, a surpris la CNAM.
Les actes techniques valent, en revanche, qu’on s’y attarde un peu plus longuement. De manière pertinente, la Caisse distingue les actes diagnostiques des actes thérapeutiques.
Au chapitre des actes « diagnostiques » en cabinet, l’ECG tient évidemment la corde avec 4,5 millions d’examens spécifiquement facturés : 3,286 au cabinet et 1,262 en établissement … Mais ce chiffre ne doit pas occulter une double réalité : il ne comptabilise pas les examens réalisés par le cadre forfaitisé de la CsC ; et il n’est évidemment pas le seul fait des cardiologues, tant en ville qu’à l’hôpital où il est respectivement pratiqué par des généralistes ou des anesthésistes.
Dans les deux secteurs, ambulatoire ou hospitalier, sa contribution à la croissance des honoraires libéraux frise pourtant le zéro absolu. L’ECG occupe toutefois une place majeure au chapitre des actes techniques de diagnostic pour en représenter environ 20 %. L’épreuve d’effort cardiaque – qui n’entre que pour moins de 5 % de ce chapitre – ne figure plus dans le « Top 5 » des actes spécialement surveillés par la CNAM. L’essentiel de ce poste de dépenses est constitué par la facture des endoscopies digestives.

Au chapitre des actes techniques « thérapeutiques », on ne recense guère que le forfait de surveillance en réanimation et soins intensifs dont l’évolution s’affiche franchement en hausse, respectivement à +14,7 % en volume et +18,2 % en coût d’honoraires. Comme l’épreuve d’effort précédemment, le contrôle/réglage transcutané secondaire d’un appareil de stimulation ne figure plus au nombre des actes spécialement surveillés par la Caisse.
En tout état de cause dans la tarification des actes diagnostiques ou thérapeutiques de la CCAM, la cardiologie apparaît peu exposée, moins en tout cas que ceux de la même catégorie, dont les volumes ou la progression – et parfois les deux critères ensemble – sont importants ou affichent des scores de croissance à deux chiffres : explorations fonctionnelles ou de la motricité de l’œil, angiographie de cet organe, sclérose des varices, dialyse rénale, …

Imagerie : l’échographie transthoracique dans le collimateur

Ce qui semble, en revanche, focaliser l’attention de la Caisse appartient au domaine de l’imagerie, la plus grosse masse (55,1% du total) des actes cotés en CCAM ! Son évolution globale apparaît certes mesurée (+2,2 %) mais aussi
terriblement contrastée. La radiographie conventionnelle, sauf la mammographie, s’affiche globalement à la baisse, sous l’effet de l’abandon de la technologie au profit de l’imagerie en coupe dont les indications ne cessent de s’élargir, y compris en cardiologie.
Si la progression de l’activité d’imagerie en coupe s’explique facilement par l’extension des indications et, surtout, par l’extension du parc d’appareils en service suite à la libéralisation des installations, c’est celle des échographies et, plus précisément, des ETT, qui concentre la vigilance de la CNAM qui y consacre un « focus » documenté (voir encadré) issu d’une étude ad hoc.
Il reste – et ce n’est pas nouveau – que la situation de cet acte d’imagerie diagnostique est un thème obligé de la vigilance syndicale dès qu’il est manifestement « dans le collimateur » des Caisses. La diffusion récente du dernier référentiel de la Haute Autorité de Santé sera évidemment accompagnée par le Syndicat.

Le sort de l’ETT remis entre les mains de l’arbitre Bertrand Fragonard

Mais le problème est désormais « ailleurs » : dès lors que la Convention médicale est en passe d’entrer sous « règlement arbitral », le dialogue direct de la représentation syndicale avec les Caisses est mis entre parenthèses et le dossier entièrement remis entre les mains de l’arbitre désigné en la personne de M. Bertrand Fragonard.
L’homme n’a pas vocation à révolutionner la pratique selon le propos de Mme Bachelot dans les colonnes du Quotidien du Médecin mais on peut aussi bien penser que son passage, il y a quelques années, à la tête de la CNAM lui aura laissé quelques souvenirs. Et comme il n’est, en tant qu’arbitre, soumis à aucune sanction électorale ou politique, l’homme a les mains absolument libres !

* Cette série est accessible sur le site ameli sous l’onglet « Statistiques & Publications »
 ** 2009 sera disponible fin 2010
 

 

Ce que la CNAM dit de la pratique des échographies transthoraciques 

… et nos commentaires

Sous le titre « Étude sur les échographies-doppler transthoraciques du cœur et des vaisseaux intrathoraciques (ETT) », la CNAM consacre donc un plein focus à l’échocardiographie (ETT) dont elle convient incidemment qu’elle a « diligenté » une étude ad hoc, spécialement ciblée sur la pratique de cet acte. En toute objectivité et transparence, nous reproduisons ce texte in extenso avant de le commenter.
La pratique des ETT, examens non invasifs incontournables (dans le texte, Ndlr) pour le diagnostic et le suivi des cardiopathies, a fait l’objet d’une analyse détaillée au regard du nombre d’actes réalisés en secteur libéral en 2008 (2,7 millions d’actes pour l’ensemble des régimes d’Assurance Maladie soit 253 millions d’euros d’honoraires remboursables), de l’évolution des dépenses engendrées (+5,1% en 2008) et des disparités interrégionales de pratique observées.
Une étude portant principalement sur la répétition des ETT a mis en évidence des disparités régionales concernant le nombre annuel moyen d’ETT réalisés : 

– de 1,27 en Haute-Normandie à 1,53 en Provence-Alpes-Côte d’Azur par patient, 

– de 318 en Aquitaine et Midi-Pyrénées à plus de 770 en Alsace-Lorraine par cardiologue.

Ces écarts ne semblent pas s’expliquer par l’âge, le sexe ou la pathologie (identifiée par l’affection de longue durée – ALD) du patient.
Dans tous les cas, la réalisation des ETT doit se conformer aux référentiels de bonne pratique (Société Société Française de Cardiologie, Haute Autorité de Santé) afin d’en garantir la qualité et la justification médicale. Ces référentiels […] seront largement diffusés aux cardiologues.

 

Commentaires 

Si les chiffres apparaissent peu contestables, comme s’avère peu contestable (et d’ailleurs non contesté par le texte de la CNAM) le caractère « incontournable » de l’ETT dans le diagnostic et le suivi des cardiopathies, il convient de compléter cette analyse par une considération comptable aussi peu contestable : la hausse des ETT se traduit, corrélativement, par une baisse des actes de consultations auxquels se substitue évidemment la cotation de l’acte d’imagerie.
Lorsque cet acte est cumulé, ce qui peut évidemment survenir, avec un ECG, ce dernier se retrouve mécaniquement facturé à demi-tarif.
Et c’est à une véritable étude d’impact économique « pondéré », tenant compte de tous les phénomènes de substitution, qu’il conviendrait de soumettre une analyse exhaustive du « vrai coût » de l’ETT.