9 février 2025

Le secteur de la santé est doublement concerné par le réchauffement climatique. Il doit répondre à la transition climatique en traitant ceux qui sont malades ou blessés à cause du réchauffement et de ses conséquences. Et il doit instaurer une prévention primaire du réchauffement en réduisant ses propres émissions de gaz à effet de serre.

Coordination : Nathalie Zenou – Auteurs : François Diévart

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Nous n’en mourrons pas, du moins pas tous et pas tout de suite. Si catastrophe il doit y avoir, et catastrophe il y aura probablement, c’est au pluriel qu’il faut en parler, et plutôt en utilisant le mot « crises ». Ces crises seront de divers degrés selon les régions et de diverses natures mais assurément économiques, sociales, sanitaires, psychiques et culturelles du fait de la nécessaire adaptation et donc du changement de mode de vie. Mais elles n’aboutiront pas, n’en déplaise aux prophètes de malheur, à la fin du monde…

 

Les certitudes

En matière de réchauffement climatique, il y a plusieurs certitudes. (1)

➊ La première est que la terre a déjà connu des périodes plus chaudes que celle annoncée, mais aussi plus froides. Chaque période conduit, entre autres, à des extinctions de masse de plusieurs espèces animales et végétales et donc à une modification de la biodiversité.

➋ La deuxième est qu’il y a un réchauffement climatique en cours qui se traduit tout à la fois par une hausse progressive de la moyenne des températures et par une augmentation de l’amplitude des variations autour de cette moyenne. Il y a ainsi plus de pics de chaleur et donc plus d’évaporation et donc plus de précipitations pluvieuses, aussi brèves qu’extrêmes, avec leurs lots d’inondations.

➌ Une troisième est qu’une large part de ce réchauffement est induit par l’activité humaine et notamment par la production de gaz à effet de serre à partir de la consommation d’énergies fossiles.

➍ Une quatrième est que, comme lors des précédentes périodes de variations climatiques, ce réchauffement va modifier les conditions de vie à l’échelle planétaire, et c’est pour cela qu’il faut parler de transition écologique, avec une modification de la biodiversité, une érosion et une submersion des côtes avec des conséquences en termes de migrations humaines, de pertes financières, de mouvements sociaux, de salinisation des terres et de pertes de ressources alimentaires… Le terme transition vient de la théorie des systèmes et désigne un processus au cours duquel un système passe d’un régime d’équilibre dynamique à un autre. (2)

 

Face au réchauffement climatique, il y a plusieurs attitudes possibles, tant individuelles que collectives.

Certaines sont à tout le moins « bizarres » : nier l’évidence, méconnaître, crier au complot, vouloir coloniser la planète Mars, se dire qu’à titre personnel voire collectif, puisqu’il semble en être ainsi depuis la nuit des temps, l’on s’en sortira… D’autres souhaitent principalement agir sur les conséquences : capter le carbone, protéger les littoraux par des digues…

 

D’autres enfin, ont comme objectif d’agir sur les causes.

Modifier les comportements pour aller vers la sobriété énergétique, le recyclage, la consommation minimale, la décroissance, la fin du capitalisme… Si plusieurs choix sont individuels, ils peuvent aussi être sociétaux et, donc politiques, allant du déni, jusqu’aux incitations, réglementations (la consommation d’eau fait par exemple partie des paramètres maintenant évalués pour la certification HAS des établissements de soins), taxes, mesures coercitives…

Le cardiologue en tant que médecin, humain et citoyen, doit prendre en compte au moins deux certitudes.

➊ La première est que les effets délétères du réchauffement climatique sur la santé sont démontrés avec une augmentation du risque de décès et de plusieurs maladies cardiovasculaires par l’augmentation des températures. (3, 4, 5)
En France entre juin et mi-septembre 2023, il a été estimé par Santé publique France que les quatre épisodes de canicule ont touché 73 % de la population et fait monter la part des décès liés à la chaleur à 10 % de la mortalité, toutes causes observées. Ainsi, 5 000 décès dus à la chaleur et 20 000 recours aux soins d’urgence en lien avec la chaleur ont été observés dans cette période. La survenue de la plupart des maladies cardiovasculaires est influencée par les pics de chaleur (syndromes coronaires aigus, AVC, insuffisance cardiaque, arythmies). (3, 5)

Le cardiologue doit donc promouvoir les attitudes de prévention des effets de la chaleur pour ses patients et ses proches mais aussi inciter à des comportements de prévention des causes du réchauffement. Le cardiologue doit aussi pouvoir anticiper et adapter son mode d’activité pour continuer à accomplir sa mission en cas de fortes chaleurs et entre autres, protéger son personnel et lui-même et pouvoir correctement accueillir un plus grand nombre de patients.

➋ La deuxième est que son activité professionnelle contribue au réchauffement climatique et qu’il peut donc, ou plutôt il doit, modifier plusieurs de ses comportements afin de limiter les effets de cette activité sur le réchauffement climatique.

La première étape de cette modification est de réfléchir afin d’évaluer l’effet de l’activité médicale et l’influence de ses diverses composantes sur le réchauffement climatique.

Plusieurs études ont indiqué que le système de santé dans sa globalité est responsable de 8 % des émissions de carbone à l’échelle française et que les principaux postes d’émissions de gaz à effet de serre sont les médicaments, les dispositifs médicaux et les transports sanitaires notamment.

A l’échelle mondiale, l’empreinte climatique du secteur de la santé équivaut à 4,4 % des émissions nettes de gaz à effet de serre soit l’équivalent de 2 gigatonnes de dioxyde de carbone. L’empreinte climatique du secteur de la santé mondial est équivalente aux émissions de gaz à effet de serre annuelles de 514 centrales à charbon et si le secteur de santé était un pays, il serait le cinquième plus gros émetteur de la planète. (6)

La plus grande part des émissions, 71 %, provient principalement de la chaîne d’approvisionnement du secteur de la santé à travers la production, le transport, et le traitement de biens et de services. (6) La principale leçon est donc que la santé est un service qui consomme beaucoup d’énergies fossiles par les transports qu’elle occasionne.

Les conséquences en sont simples : avoir une prescription de médicaments aussi sobre que pertinente, être sobre dans l’utilisation des dispositifs médicaux et envisager autant que faire se peut leur recyclage, tout faire pour diminuer les transports sanitaires et donc les déplacements des patients, réfléchir à la logistique d’approvisionnement des consommables de l’activité quotidienne afin de la rationnaliser…

La réglementation qui découlera de la prise en compte de l’empreinte climatique de l’activité médicale est encore difficile à envisager dans son ampleur et ses contraintes. Mais ses contours se dessinent progressivement, avec notamment des incitations à un diagnostic énergétique et une meilleure isolation des locaux, une gestion améliorée des déchets…

A titre individuel, il est déjà nécessaire de réfléchir aux comportements peu appropriés, consommateurs de temps, de transports, et de matières premières. Il est donc utile de prendre en compte les postes identifiés dont la consommation de ressources peut être diminuée et donc, sur lesquels il est possible d’agir, ce qui au passage sera aussi source d’économies et donc d’augmentation de la rentabilité. Plusieurs postes sont d’emblée évidents comme de limiter les déplacements, y compris les siens, et limiter les consommables et notamment les fournitures en papier.

 

Modifier son comportement

 

Le changement culturel consiste à intégrer comme paramètre important de l’activité médicale son empreinte carbone, ce qui peut conduire à modifier la valeur d’autres paramètres jusqu’alors prégnants, dans la prise de décision et l’activité médicales.
Et la modification d’un comportement peut aussi être source d’économie d’argent et de temps. Un exemple extra-médical illustratif de changement culturel individuel peut être, pour certaines personnes, de boire l’eau du robinet en place de l’eau en bouteille. Pour cela il faut vaincre l’idée inculquée par les distributeurs d’un bien commun, l’eau, selon laquelle l’eau du robinet serait néfaste pour la santé. En fait l’eau en bouteille est potentiellement plus néfaste, du fait de sa pollution par les microparticules de plastique qu’elle contient. Surtout, elle a un coût écologique majeur par l’utilisation du plastique et par le transport et le stockage puis par l’élimination des bouteilles vides. Et la vertu écologique est ainsi source d’économie de temps et d’argent en évitant l’achat, le transport, le stockage et l’élimination des bouteilles.
Chacun peut réfléchir aux moyens de limiter ses propres transports et d’en diminuer l’empreinte carbone. Surtout, le grand pourvoyeur de gaz à effet de serre étant les transports sanitaires, il existe de nombreuses solutions pour diminuer les transports des patients et donc les effets climatiques de ceux-ci : la télésurveillance, la téléconsultation chaque fois que possible, le déplacement si possible unique du patient en envisageant un examen complémentaire dans le même temps que la consultation.
Tout indique que la nécessaire décarbonation de la santé contribuera à faire évoluer la nomenclature, notamment en matière de prise en charge des transports sanitaires mais aussi potentiellement en matière de cumul d’actes.
A titre de trucs et astuces, faire en sorte que le patient puisse repartir d’emblée avec son compte-rendu en main, sans avoir à l’envoyer par la poste, ou pire, comme cela se pratique dans certains cabinets ou établissements pour diminuer les frais de timbrage, en faisant revenir le patient pour prendre son courrier…

 

Moins de consommables, moins de rejets

 

La logistique d’approvisionnement des consommables de l’activité quotidienne peut être grandement rationnalisée par une série de trucs et astuces simples qui, par ailleurs, permettent tout à la fois des économies et donc une augmentation des marges et une amélioration de la productivité.

 

Ainsi, il faut proscrire tout ce qui ne s’imprime pas sur du papier A4 et notamment proscrire le papier thermosensible. Pourquoi ? Parce qu’alors, il n’y a plus qu’un seul objet de commande, le papier A4, un seul fournisseur, un seul poste de commande, un seul transport pour peu que l’on commande en quantité, moins de variétés de stockages et moins de documents devenus illisibles en quelques années comme c’est le propre du papier thermosensible…

 

En complément, il faut restreindre les documents imprimés au strict minimum. Réfléchir, c’est se demander quelle est l’utilité d’imprimer (notamment en plusieurs exemplaires) les images d’échocardiographie, les tracés d’épreuve d’effort, les tracés de Holter etc. Il est plus pertinent de se dire que si un élément est important, on l’imprime, mais uniquement cet élément, alors que si tout est normal, on n’imprime pas et surtout pas cinquante pages de Holter et vingt pages de tracés d’épreuve d’effort.
Lorsqu’on fournit un document, inutile de l’insérer dans une pochette cartonnée spécifique, la feuille A4 suffit.

 

Il faut aussi faire le tri des correspondants à qui adresser un courrier : il nous est tous arrivé de faire un jour un unique bilan préopératoire à un patient jamais revu, puis de recevoir pendant plusieurs années tous les courriers de divers établissements le concernant parce que l’on a été inscrit parmi les correspondants du patient. Ne reproduisons pas ce comportement et faisons nous-même le tri en amont vis-à-vis des courriers que l’on envoie. Evitons qu’un courrier ne commence par une première page sur laquelle il est écrit « vous trouverez ci-joint le courrier de M. ou Mme X. » Moins de consommables, moins de documents qui seront jetés, moins de transports pour s’approvisionner en consommable.

 

Autant que possible, adresser le courrier aux correspondants par voie numérique, et dans ce cas, ne pas l’envoyer en parallèle par voie postale. Mais ne pas oublier de stocker, et uniquement sous forme numérique, tous les documents et donc les images échocardiographiques, les tracés Holter, les tracés d’épreuve d’effort…qui n’ont pas été imprimés ou envoyés, et ce, pour alors les fournir en cas de besoin. En faisant un envoi numérique, limitons le nombre et le volume des pièces jointes : à titre indicatif le coût écologique d’une pièce jointe lors d’un envoi est de 35 g de CO2e, soit près de dix fois plus que le simple e-mail sans pièce jointe, et plus la pièce jointe est volumineuse, plus le coût écologique est grand.

 

Diminuer au strict minimum le volume de ce qui sera imprimé. C’est par exemple, savoir être concis dans un courrier pour restreindre le temps d’écriture et le volume du consommable : il est tout à fait possible dans de nombreux cas, d’écrire tout le courrier sur une face d’une feuille A4 et d’imprimer l’électrocardiogramme au dos (tout tient alors en une seule feuille) voire de l’insérer, de même qu’une image échocardiographique utile, en copier-coller pdf dans le courrier A4. Ecrire un courrier sur une seule face, c’est par exemple remplacer du bla-bla que personne ne lit du type « L’échocardiographie a permis de mettre en évidence » suivi de quatre lignes de description d’éléments normaux par « A l’échocardiographie, il n’y a pas d’anomalie (FEVG : 65 %) » : c’est concis puisque cela reprend la conclusion et informatif puisque cela cite un des principaux éléments décisionnels.

 

En imprimant des courriers ou compte-rendus, diminuer la consommation d’encre d’imprimante.Pour cela, il y a divers trucs et astuces, là encore.

  1. Une première astuce est de n’utiliser que le noir et blanc : quelle utilité d’avoir des logos d’établissement ou des noms en couleur, si ce n’est pour compliquer la logistique d’approvisionnement et de stockage, augmenter le coût et diminuer la productivité ? Il faut donc proscrire les imprimantes-couleur.
  2. Une deuxième est d’éviter les éléments inutiles dans un compte-rendu ou un courrier. Quelle est l’utilité d’avoir le nom de tous les médecins du cabinet ou du service avec leurs fonctions, leurs titres, avoir celui des surveillants, des directeurs : cela prend de la place, donc du papier et de l’encre. Se concentrer sur l’essentiel. Pour l’administratif : qui écrit le courrier, quand consulte-t-il et comment est-il joignable (adresse, téléphone.) ? Pour la partie relative au patient : de la concision et pas de grande littérature. Ne nous prenons pas pour l’écrivaine Colette qui mettait quatre pages pour décrire comment l’on va de la porte du jardin à la porte de la maison, laissons son style où il doit être, dans un beau livre sur l’étagère, mais certainement pas dans la pratique médicale.
  3. Une troisième est d’utiliser des polices d’écriture économes en encre : les plus simples (c’est-à-dire notamment sans jambages, sans pleins et déliés.), sans souligner, et dans la taille la plus petite possible dès lors qu’elle est lisible. En matière de polices d’écriture économes, les évaluations faites indiquent qu’il s’agit des polices suivantes, que ce soit pour une imprimante laser ou jet d’encre : Garamond, une police mise en vedette en 2014, lorsqu’un américain de 14 ans a conseillé à l’état américain d’utiliser cette police pour économiser de l’encre et préserver l’environnement, Ryman Eco, une police d’écriture spécifiquement créée en utilisant des pleins et des vides pour économiser 33 % d’encre et Ecofont, une police à trous, elle aussi spécialement créée pour économiser l’encre.

 

LA PRODUCTION DE DOCUMENTS

COMMENT DIMINUER L’EMPREINTE ÉCOLOGIQUE DE LA PRODUCTION DE DOCUMENTS ÉCRITS (CONSOMMABLES, PAPIER, ENCRE…) ET PAR LÀ-MÊME FAIRE DES ÉCONOMIES ET AUGMENTER SA PRODUCTIVITÉ

– Ne pas utiliser de support thermosensible, uniquement du papier A4

– Privilégier le papier recyclé

– N’imprimer que ce qui est vraiment nécessaire

– Diminuer le volume à imprimer en écrivant de la façon la plus concise possible et que ce qui est nécessaire, sans répétition

– Utiliser l’impression recto-verso et utiliser le mode d’impression multipages

– Insérer les documents (ECG, image essentielle de l’échocardiographie) dans le courrier sur une seule feuille A4 lorsque cela est possible

– Ne pas insérer le document dans une pochette cartonnée

– N’imprimer qu’en noir et blanc et proscrire les imprimantes couleurs

– Utiliser des polices d’écriture évaluées ou créées pour diminuer la consommation d’encre

– Réduire la taille de l’écriture tout en restant lisible (par exemple, la police Calibri souvent utilisée en 12 reste très lisible en 10)

– Utiliser de nouveaux types d’encres tel que l’encre de soja

– Eteindre ou débrancher les imprimantes lorsque l’on quitte le bureau

Dans son rapport Charges et produits 2024, concernant les propositions pour 2025, l’Assurance-maladie consacre une quinzaine de pages aux enjeux écologiques dans un chapitre intitulé « Contribuer à la décarbonation du système de santé et approfondir la prise en compte des enjeux de santé environnementale ».

 

Ainsi, comme elle l’indique, « … l’institution s’est attachée ces derniers mois à mettre en place une gouvernance nationale dédiée qui a vocation à être déclinée au niveau local, et à engager des actions transverses de formation, dans le but d’intégrer la protection de l’environnement dans toutes les missions. »
Pour le moment il s’agit surtout d’un discours d’intention qui souligne qu’un schéma directeur de la transition écologique pluriannuel est en cours d’élaboration et, dans l’attente, qu’une feuille de route 2024 a été établie. Elle fixe notamment pour priorités la décarbonation des médicaments et la promotion de la santé environnementale.

 

Décarboner les médicaments : du CarboneScore à l’écosoin


Constatant que la production et la distribution des médicaments représentent une part importante de l’empreinte écologique de la santé ( 50 % du total des émissions de gaz à effet de serre du secteur dont 29 % pour le seul médicament), les auteurs souhaitent pouvoir déterminer l’empreinte carbone de la consommation française de médicaments et des dispositifs médicaux. Ils proposent une démarche en trois étapes comprenant l’élaboration d’une cartographie des flux de produits et de matières sur toute la chaîne de valeur du médicament, puis sa conversion en flux énergie-carbone et permettant de chiffrer le potentiel de décarbonation des leviers pour estimer au plus juste ce qui relèvera de la réduction des volumes et de la prévention, de la promotion de la santé et du juste soin.

Pour les praticiens, cela se traduirait par le souhait d’indiquer l’empreinte carbone des divers médicaments grâce à un CarboneScore, dans une démarche proche de celle du Nutriscore dans l’alimentation, afin d’informer les acteurs de la santé de l’ampleur de cette empreinte par produit de santé. Cela suppose donc une évaluation carbone des médicaments produit par produit.

L’objectif est d’inciter les professionnels à utiliser prioritairement les médicaments ayant la plus faible empreinte carbone quand le choix est possible, mais aussi d’inciter l’industrie à la décarbonation de ses modes de production et de distribution notamment en ce qui concerne la provenance des principes actifs, les conditionnements, le transport…

L’Assurance-maladie précise en outre que « décarboner les médicaments signifie décarboner l’appareil de production, mais aussi réduire les volumes consommés via la mise en œuvre d’actions en faveur de la pertinence des soins, la lutte contre le gaspillage et le renforcement de la politique de prévention ».

Ainsi, « l’intégration dans les bases de données médicaments, utilisées par les logiciels d’aide à la prescription et d’aide à la dispensation notamment, apparaît alors souhaitable. Cette information doit être disponible, accessible simplement dans les outils quotidiens des professionnels de santé, comme une caractéristique essentielle du produit ».

Des pistes d’incitation au choix des produits les moins carbonées sont envisagées pour la dispensation des médicaments par les pharmaciens et l’Assurance-maladie souhaite prendre en compte l’impact carbone des produits dans ses politiques tarifaires. Toutefois, il s’agit d’une déclaration de principe car « Ce chantier ambitieux, non ouvert à ce jour, doit être réalisé en concertation avec les acteurs de la chaîne du médicament et intégrer, pour une efficacité optimale, l’ensemble des médicaments, remboursés ou non ». Vaste programme !

Piste complémentaire, la bonne utilisation des médicaments fait l’objet de propositions avec deux concepts clefs : la pertinence des soins et le fait qu’un produit dispensé doit être un produit utilisé. Il est donc prévu des actions contre le gaspillage par la réduction des volumes prescrits, distribués, conditionnés et donc aussi jetés en promouvant les concepts de déprescription, prescription de thérapeutiques non médicamenteuses, ordonnance de non-prescription… et ce, notamment en utilisant le levier conventionnel.

Parmi les actions envisagées pour lutter contre le gaspillage, l’Assurance-maladie souhaite limiter la délivrance de pansements et produits nécessaires au traitement des plaies à sept jours de traitement, en sortie d’hospitalisation ou non. Il est aussi envisagé d’expérimenter une intervention à domicile pluriprofessionnelle de détection et d’ajustement des soins et une campagne du type « Montrez-moi vos médicaments, s’il vous plaît » devrait voir le jour.

Les auteurs du rapport rappellent que la convention médicale (signée le 4/06/24) crée pour la première fois un indicateur sur la sobriété des prescriptions médicamenteuses incitant les professionnels à adopter des pratiques sobres en termes de prescriptions à travers une comparaison de la pratique du professionnel au regard de la pratique de l’ensemble de ses pairs.

Enfin, l’Assurance-maladie souhaite s’appuyer sur des référentiels et des outils simples, faciles à utiliser, synthétiques et opérationnels, adaptés au contexte professionnel de chacun. Elle souhaite mettre à disposition des guides résumant l’impact environnemental de l’action ciblée, ses conditions de réalisation, les données évaluatives disponibles, et les éventuelles « fausses bonnes idées » connexes.


Promouvoir la santé environnementale

L’autre grande piste proposée par l’Assurance-maladie est encore plus ambitieuse puisqu’elle envisage de promouvoir la santé environnementale. Cela passe par une politique environnementale incitative faisant la promotion à divers titres de la préservation de l’environnement avec par exemple, l’incitation aux « mobilités douces », la lutte contre l’inactivité et la promotion de l’alimentation biologique pour préserver la qualité des sols et limiter l’exposition humaine aux produits phytosanitaires.

L’objectif affiché est de faire de la santé environnementale un moteur du virage préventif. Cela passera par des appels à projet, des expérimentations, une sensibilisation des acteurs, l’accompagnement des professionnels de santé.

 

Une approche pratique qui peut servir de référentiel pour le praticien


Le rapport cite le cas du groupe Ugecam (opérateur de santé de l’Assurance-maladie pour les personnes fragilisées par la maladie ou le handicap) qui s’est fixé plusieurs priorités en matière de transition écologique. Ce groupe a établi une feuille de route qui peut servir de modèle pour les praticiens dans leur approche du problème, et cette feuille de route est ici adaptée dans ce sens en guise de conclusion :

  • définir la gouvernance et le pilotage d’une politique environnementale du ou des cabinets médicaux ;
  • intégrer dans la politique immobilière la performance énergétique ;
  • développer l’intégration de clauses d’achats responsables, chaque fois que le segment d’achats le permet, y compris via l’utilisation des marchés des centrales d’achats ;
  • verdir la flotte automobile, ce qui comprend aussi le développement d’infrastructures de recharge de véhicules électriques ;
  • réduire les consommations d’énergies liées aux déplacements (transports) ;
  • optimiser la gestion des déchets ;
  • développer une démarche d’écosoins ;
  • optimiser la consommation du système d’information ;
  • sensibiliser, former les salariés et valoriser actions et résultats.

Face aux nouveaux enjeux écologiques, le médecin, et notamment le cardiologue, a une place et un rôle importants. Il doit prendre en compte les conséquences du réchauffement climatique sur la santé, mais aussi ses causes.

Au-delà, pour les conséquences, il peut être un lanceur d’alerte, pour les causes, il peut être un exemple.

Le cardiologue doit intégrer l’empreinte carbone de son activité dans ses prises de décision et ses activités médicales et donc dans sa pratique.

Nul doute que la réglementation va évoluer pour prendre en compte l’enjeu écologique de la pratique médicale et que ce qui sera parfois vécu comme de nouvelles contraintes apparaitront.

Si certaines actions nécessaires seront initialement source de débours (isolation énergétique du cabinet, équipement pour la téléconsultation, la télésurveillance, la téléexpertise, modifications de certaines habitudes en proscrivant l’impression couleur, l’impression sur papier thermosensible, ce qui suppose de changer le matériel…), elles seront des sources certaines d’économie à moyen terme et donc d’augmentation de la marge bénéficiaire et de la productivité.

Ainsi, contrairement à un préjugé, les enjeux économiques sont parfaitement compatibles avec les enjeux écologiques.

LES SOURCES DE L’EMPREINTE CLIMATIQUE DU SECTEUR DE LA SANTÉ (d'après 6)

L’ÉCHELLE EST TRÈS VARIABLE D’UN PAYS À L’AUTRE, CHAQUE SECTEUR NATIONAL DE SANTÉ ÉMET DIRECTEMENT ET INDIRECTEMENT DES GAZ À EFFET DE SERRE LORS DE LA PRESTATION DE SOINS ET DE L’ACHAT DE PRODUITS, DE SERVICES ET DE TECHNOLOGIES ISSUS DE CHAÎNES D’APPROVISIONNEMENT HAUTEMENT CARBONÉES.

 

  • Le secteur de la santé contribue à l’émission de gaz à effet de serre via la consommation d’énergie, le transport, la fabrication de produits, leur utilisation et leur traitement.
  • Les émissions qui proviennent directement des établissements et des véhicules sanitaires constituent 17 % de l’empreinte mondiale du secteur.
  • Les émissions indirectes, qui proviennent de l’achat de sources d’énergie telles que l’électricité, la vapeur, la climatisation et le chauffage, représentent 12 % supplémentaires.
  • La plus grande part des émissions (71 %) provient principalement de la chaîne d’approvisionnement du secteur de la santé à travers la production, le transport, et le traitement de biens et de services, tels que les médicaments et autres composés chimiques, les produits agroalimentaires et agricoles, les équipements médicaux, les équipements hospitaliers, et les instruments.
  • Trois quarts des émissions de tout le secteur de la santé, chaîne d’approvisionnement incluse, sont générées localement. Ce qui signifie qu’à peine un quart des émissions du secteur de la santé sont générées en dehors du pays où le produit sanitaire est finalement consommé.
  • La consommation d’énergie fossile est au cœur des émissions du secteur de la santé. Les énergies, et principalement la combustion de carburants fossiles, représentent plus de la moitié de l’empreinte climatique du secteur de la santé.

 

Références
[1] Rapport du GIEC 2023 : AR6 Synthesis Report: Climate Change 2023.
[2] Larrère C. Pourquoi parle-t-on de « transition » écologique ? TheConversation 14 février 2021
[3] Bell ML, Gasparrini A, Benjamin GC. Climate Change, Extreme Heat, and Health. N Engl J Med 2024;390:1793-801. doi.org/10.1056/NEJMra2210769
[4] World Health Organization. Climate change fact sheet. who.int/newsroom/fact-sheets/detail/climate-change-and-health 2023
[5] Braunwald E. Cardiovascular effects of climate change European Heart Journal, 12 juillet 2024; ehae401, doi.org/10.1093/eurheartj/ehae401
[6] Comment le secteur de la santé participe à la crise climatique mondiale et les possibilités d’action. Rapport ARUP 2024.

Le Cardiologue n° 459 – septembre-octobre 2024

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