Le conseil scientifique alerte sur la pénurie des matériels de protection et l’importance de la médecine de ville

(APM-NEWS) Le conseil scientifique installé auprès du gouvernement « souhaite alerter » sur la disponibilité des matériels de protection et l’importance de la médecine de ville face à l’épidémie de coronavirus, dans un avis rendu lundi et publié mardi en fin de journée.

Avis du conseil scientifique du 23 mars 2020 (pdf)

Dans la première partie de son avis, le conseil scientifique « considère indispensable » de prolonger et renforcer le confinement, qui « durera vraisemblablement au moins six semaines à compter de sa mise en place [le 17 mars] » (soit jusqu’au 28 avril, ndlr), rappelle-t-on.

Dans la deuxième partie de l’avis, le conseil « fait sienne les nombreuses alertes lancées par les professionnels de santé » à propos de la pénurie « réelle ou ressentie » de matériels de protection sanitaires « indispensables dans le contexte épidémique » .

Il « considère indispensable d’assurer l’approvisionnement en équipement de matériel de protection des personnels des soignants, en priorité des différents secteurs médicaux et médico-sociaux. »

« Les difficultés logistiques pour l’approvisionnement en équipement personnel de protection (EPP), en dispositifs médicaux ou en appareils de ventilation mécanique » sont « sources d’inquiétude et de colère, même si les remontées des établissements hospitaliers ne signalent pas pour le moment de ruptures de stocks ».

Il appelle les pouvoirs publics à « faire preuve d’une entière transparence et de plus de clarté, afin de répondre aux questions que se posent les hôpitaux et les soignants quant aux stocks existants et à la manière dont les services seront approvisionnés ».

Le conseil incite également l’Etat à « faire la preuve de la même transparence et de la même clarté » face aux besoins en protections sanitaires des « activités essentielles à la vie de la nation […] des infrastructures stratégiques et des services essentiels, à l’ordre public, à l’approvisionnement, à la distribution alimentaire ou à certains services essentiels ».

Par ailleurs, « le conseil scientifique considère indispensable que dans le cadre d’état d’urgence sanitaire, soient rapidement prises des mesures sur le pilotage, l’organisation et la coordination des soins, la circulation de l’information, et la mobilisation des moyens logistiques nécessaires » à la prise en charge des patients.

Vers une augmentation très rapide des patients pris en charge en ville

Le conseil estime que « le nombre de patients Covid pris en charge en ville va très rapidement augmenter ».
Il « souhaite réaffirmer le rôle majeur que va jouer dans un temps proche la médecine de ville dans la gestion de cette crise sanitaire » et « insiste pour que tous les moyens soient mis en œuvre pour que les patients, notamment les plus fragiles, continuent à faire l’objet d’une prise en charge adaptée tout en limitant au strict minimum les déplacements ».

« Tout le matériel nécessaire pour leur exercice professionnel et leur protection doit être mis à disposition [des médecins généralistes] ainsi que toutes les mesures facilitatrices pour l’exercice de leur fonction », souligne-t-il.

Un numéro d’urgence dédié aux généralistes « pour avis ou transfert rapide vers l’hôpital » des patients « devra être envisagé ».

Le conseil scientifique énumère plusieurs recommandations pour la détection et la prise en charge des patients atteints de Covid-19.

La prise en charge « doit se faire autant que possible en évitant la venue de ces patients en cabinet de consultation pour limiter le risque de contagion aux autres patients, au personnel administratif de ces cabinets, ou aux médecins traitants ».

« Selon les cas et la gravité clinique », il convient d’utiliser « les appels téléphoniques au cabinet, les applications smartphone et les sites internet de triage référencés par le ministère de la santé, la téléconsultation ».

Les appels aux 15 sont « réservés aux patients les plus graves pour éviter l’engorgement du service ». « Des algorithmes décisionnels ont été développés pour aider les médecins généralistes à la prise en charge des patients atteints de Covid-19 », indique l’avis sans plus de précisions.

« Quand une consultation au cabinet est jugée indispensable par le médecin généraliste, elle se fera à des horaires dédiés pour éviter le contact avec d’autres patients non infectés, sera réalisée avec les matériels de protection nécessaires, et sera suivie des mesures de désinfection appropriées », préconise le conseil.

« Le transport des patients vers le cabinet et leur retour à domicile devra se faire de façon sécurisée », incite-t-il sans plus de détails.

La consultation à domicile « peut être envisagée notamment quand l’état du patient rend difficile son déplacement et que la téléconsultation est inopérante ».

Le conseil scientifique rappelle que l’épidémie « ne doit pas affecter la prise en charge et le suivi de patients atteints de pathologies chroniques ». Il « encourage le recours au renouvellement d’ordonnance après contact téléphonique ». Les consultations au cabinet doivent se faire à des horaires dédiés, les contacts entre patients et avec le personnel minimisés.

Restriction des déplacements vers l’outre-mer

Le conseil « rappelle l’importance de restreindre au maximum les déplacements en provenance de la métropole […] vers les départements, régions et collectivités d’outre-mer » et « des pays aux systèmes de santé plus fragiles, notamment sur le continent africain ». « Une réflexion plus approfondie sur cet enjeu aura lieu ultérieurement », indique-t-il.
Mardi, le nombre de cas a fortement progressé à Mayotte, et plusieurs dizaines de cas sont recensés dans tous les territoires d’outre-mer, rappelle-t-on.

Importance de la santé psychique de la population

Le conseil « attire fortement l’attention sur la santé psychique et la nécessité d’accompagner les mesures actuelles de prise en charge spécifique notamment pour les personnes isolées ou précaires ».

Il souligne les « risques spécifiques » liés à « cette situation inédite » : « situation de confinement ou de promiscuité, peur de difficultés d’approvisionnement, forte exposition à des nouvelles anxiogènes, situations potentiellement sidérantes ou traumatiques, deuils ».

« Les personnels soignants, les personnes âgées, vulnérables ou isolées, les personnes en situation de handicap » sont particulièrement exposés.

« L’entretien des liens sociaux à distance et dans le strict respect des mesures de confinement est à privilégier. Parallèlement, un accompagnement psychique pour les personnes qui le souhaitent peut s’avérer extrêmement utile », indique le conseil.

Pour ce faire, il « recommande un appui massif aux initiatives en cours existantes ou en cours de montage ».

Une « attention particulière » doit être portée aux personnels de santé non hospitaliers, « en particulier les médecins généralistes, pharmaciens, personnel d’Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] », et « aux personnes ayant recours aux consultations en psychiatrie et ne pouvant plus y accéder du fait du confinement ».

Face à cette situation, le conseil souligne « le besoin urgent de soutien au développement de la téléconsultation ».

Prise en charge du corps des défunts

Les « précautions particulières nécessaires en matière de prise en charge des corps des défunts Covid-19 » doivent associer « écoute et humanité », indique le conseil scientifique.

« Le récent aménagement du procédé de fermeture des housses des patients décédés permettant, à au moins un membre de la famille, de pouvoir une dernière fois saluer le défunt et de voir son visage est capitale et cohérente avec le souci d’humanité n’excluant pas la prévention du risque », développe-t-il.

« Ce geste pourrait permettre, pour les membres de la famille non admis, de relayer cet échange par l’intermédiaire d’un enregistrement vidéo qui pourrait aller jusqu’à la mise en terre ou l’incinération » et « permettrait un enterrement apaisé et sécurisé pour que la famille puisse commencer le deuil ».

Accompagnement spirituel

Le conseil « attire l’attention sur la nécessité d’accompagner les initiatives actuelles, notamment de création d’une permanence téléphonique nationale d’accompagnement spirituel inter-cultes ».

« Cette permanence prendrait la forme d’accompagnement spirituel et bénéficierait d’écoutants sélectionnés, proposés et pris en charge par chacun des cultes, qui sont disposés à les mettre à disposition dans les plus brefs délais », ajoute-t-il.

« Le “soin pastoral” est essentiel dans toute réponse à une crise épidémique.« 

Rôle des ONG

Le conseil « souligne l’importance majeure d’impliquer le monde associatif dans les semaines qui viennent ».

Les organisations non gouvernementales (ONG) « telles que la Croix-Rouge, Médecins du monde, Médecins sans frontières, Alima », déjà impliquées « dans l’accompagnement des plus fragiles », ont « une compétence reconnue en terme logistique et organisationnelle en situation d’urgence ».

« Elles doivent être consultées et écoutées par les pouvoirs publics », estime le conseil scientifique.

Conséquences du confinement sur la société

Enfin, le conseil souligne l’importance « d’un dispositif réactif d’analyse et de recherche sur la société française face au Covid-19 impliquant l’ensemble des acteurs pertinents ».

Les effets des restrictions, « de toute évidence considérables, doivent être mieux connus et analysés afin que l’ensemble des Français bénéficient des connaissances permettant d’éclairer leur situation. L’attention devra être portée aux aspects non seulement sanitaires mais aussi plus largement sociaux, à toute échelle pertinente. »

Le conseil recommande des travaux « pragmatiques, utiles à court ou à moyen terme », ou « plus approfondis selon les diverses spécificités des disciplines, méthodes et champs de connaissances ».

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