Le déclin de la mortalité cardiovasculaire est-il soluble dans le tarissement de l’innovation pharmaceutique ?

Les faits sont aujourd’hui avérés, encore mis en exergue par la dernière livraison du Livre Blanc : la mortalité par affection cardiovasculaire a tellement régressé depuis 30 ans qu’elle est, du moins pour les hommes, passée derrière la mortalité par cancer.

La discussion abordée par le Pr Castaigne (Disponible en téléchargement sur le site de l’organisme : www.leem.org ), portait sur les rôles respectifs, pour expliquer cette performance, des méthodes préventives avant le premier accident coronaire et de ce qui revient au traitement de la phase aiguë des accidents coronaires et/ou cérébraux. Enfin de la place de la prévention secondaire… Question délicate, rendue difficile par l’occurrence quasi simultanée, de nombreux progrès.

à la méthode de « modélisation » de l’effet cumulatif des différentes thérapeutiques – critiquable en ce sens qu’il est difficile d’additionner, dans « la vraie vie », des effets mesurés isolément, l’orateur préfère visiblement la méthode IMPACT aujourd’hui couramment retrouvée dans la littérature.

La première étude (Unal B., Critchley JA and Capewell S. Explaining the decline in coronary heart disease mortality in England and Wales between 1981 and 2000. Circulation 2004 ; 109 ; 1101-7. ) citée par lui car fondée sur cette méthode étudie les causes de réduction de mortalité cardiovasculaire ajustée sur l’âge auprès d’une population d’Anglais et de Gallois : respectivement 62 % chez les hommes et 45 % chez les femmes entre 1981 et 2000. Le modèle IMPACT en attribue 58 % aux thérapeutiques préventives du premier accident. Ã elle seule, la réduction du tabagisme expliquerait 48 % des décès évités, le traitement de l’HTA 10 %, comme celui des dyslipidémies… La somme des trois mesures fait évidemment plus que 58 % mais une part aurait été… perdue en route par l’augmentation simultanée du diabète et de l’excès pondéral. Dans cette même étude, 42 % de la réduction de mortalité sont attribués au traitement des patients confrontés à leur premier accident, 14 % à la prévention secondaire, 13 % à la prise en charge de l’insuffisance cardiaque… Le traitement de la phase aiguë de l’infarctus « pèserait » seulement pour 8 % dans ce modèle.

Une autre étude (Ford ES, Ajani UA, Croft JB et al. Explaining the decrease in US deaths from coronary heart disease, 1980-2000, N. Engl J. of Med. 2007 ; 356 : 2388-98.) aboutit, sur un nombre de 350 000 décès évités aux USA de 1980 à 2000, à des chiffres sensiblement différents : 50 % de la réduction de mortalité y sont attribués à la réduction des facteurs de risque d’athérosclérose et 50 % au traitement des malades ayant eu un premier accident. La grande différence avec la précédente porte justement sur la réduction de mortalité imputable à la prise en charge de la phase aiguë des accidents coronariens. Sous cette hypothèse, la diminution de mortalité imputable au sevrage tabagique tombe à 12 %.

Ces études ne divergent qu’en apparence : aux États-Unis, la lutte contre le tabagisme remonte bien avant 1980, ainsi que la prescription d’antihypertenseurs et de statines largement supérieure à celle que connaissait simultanément la Grande-Bretagne. Le Pr Castaigne en conclut que « plus on avance dans le temps et plus l’impact du traitement des coronariens et insuffisants cardiaques prend une part importante pour expliquer la diminution de la mortalité. Inversement plus un facteur de risque a une prévalence élevée dans un pays et plus le bénéfice en terme de mortalité s’explique par l’action sur ce facteur ».

D’où son inquiétude à propos des nouveaux facteurs de risque. Aux États-Unis, les experts (Olshansky SJ, Passaro DJ, Hershow RC et al. A potential decline in life expectancy in the United States in the 21st century. N. Engl J. of Med. 2005 ; 3521 : 1138-46. ) ont calculé que la prévalence de l’obésité dans leur pays menace même… l’espérance de vie. Les diabétiques, qui ont également bénéficié de la décroissance de la mortalité pour cause coronaire au cours des vingt dernières années, gardent néanmoins une mortalité double de celle des non-diabétiques devant le même risque.

Et la France ? On attend toujours de l’INVS (Institut de Veille Sanitaire) le bilan de l’interdiction de fumer dans les lieux publics depuis le 1er janvier 2008. En Écosse, où elle avait été mise en place en mars 2006, on avait observé une diminution des admissions pour syndrome coronaire aigu de 17 % d’une année sur l’autre quand elle n’était que de 4 % en Angleterre qui n’était pas encore « passée à l’acte ». La thérapeutique a également pris sa part dans les progrès, hors phase aiguë. Le Pr Castaigne considère que « la palette de produits utiles aux insuffisants cardiaques – depuis les IEC jusqu’à la spirololactone – a permis de faire passer la mortalité à 5 ans de 50 à 25 % ».

Cette même palette dont l’enrichissement semble se tarir à la lumière des chiffres de l’innovation médicamenteuse. « Le flux de l’innovation est, par nature, discontinu » a, de son côté, considéré Christian Lajoux, président du LEEM, qui invoque également le temps incompressible de R&D : les inhibiteurs de l’intégrase, une des deux nouvelles classes thérapeutiques introduites en 2008 dans le traitement du SIDA, avaient été découvertes dès les années 90. En revanche le durcissement des conditions d’accès au marché français complique évidemment la stratégie de l’industrie française dont Christian Lajoux ne nie pas qu’elle doit s’imposer « un nouveau modèle » y compris dans son partenariat – le mot est délibérément choisi – avec la puissance publique. Le président du LEEM a, dans cet esprit, appelé à la prochaine convocation, par le gouvernement, d’un prochain Conseil Stratégique des Industries de Santé (CSIS), le « Grenelle » habituel de l’industrie pharmaceutique.(gallery)