Le générique, un médicament comme un autre ? En tout cas un « marché » aux mécanismes opaques

De tous les titres de la presse nationale, c’est Le Figaro qui, sous la signature de Sandrine Cabut, a adopté le parti-pris de se référer à une méta-analyse pour évoquer l’efficacité respective des molécules princeps et de leur copie générique. L’article venait d’être publié dans un récent numéro du JAMA( Clinical Equivalence of Generic and Brand-Name Drugs Used in Cardiovascular Disease. A Systematic Review and Meta-analysis – Aaron S. Kesselheim & al. – JAMA. 2008 ; 300 (21) : 2514-2526) sous la plume de Aaron Kesselheim (Hôpital Universitaire de Harvard, Boston). L’équipe a colligé et analysé 47 études publiées depuis 1984 comparant molécules originales et génériques dans le traitement des affections cardiovasculaires. Pour arriver à cette conclusion assez univoque selon laquelle elles font rigoureusement jeu égal dans la classe des bêtabloqueurs (dans sept essais), avec des résultats moins probants pour les génériques d’inhibiteurs calciques. Résultats favorables en revanche aux génériques de statines (deux études) ou antiagrégants plaquettaires (trois études) ou même dans celle des anticoagulants ou antiarythmiques. Commentaire particulièrement satisfait de Xavier Girerd (La Pitié-Salpétrière) dans le même journal : « C’est un travail intéressant, car, dans ce domaine, les études sont peu nombreuses et peu accessibles. Les résultats sont notamment rassurants pour les antivitamines K. Avec ces médicaments, on est toujours inquiet de la faible marge entre activité et toxicité. Il est aussi encourageant de constater que les génériques de l’antiagrégant Plavix®, pas encore commercialisés en France, font aussi bien que le princeps dans deux études ».

Le problème ensuite posé par l’article du Figaro fait écho au débat récurrent sur la qualité de fabrication et les modalités de délivrance des génériques en France. Avec cette mise en garde du Pr Girerd : « Je prescris volontiers des génériques dans certaines classes thérapeutiques comme les statines, bêtabloquants, diurétiques, mais en étant très vigilant à ce que me racontent mes patients. Je suis plus réticent pour d’autres familles comme les inhibiteurs calciques ». Ou cet autre avertissement du pharmacologue Jean-Paul Giroud, auteur d’un guide de l’automédication à l’intention des patients : « Les génériques sont de bons médicaments (mais) il vaut mieux éviter de changer un générique pour un autre du fait des variations de biodisponibilité entre les produits ».

Débat de fond que celui-là qui expose le prescripteur aux plaintes souvent fondées des patients à qui le même pharmacien ne substitue pas toujours la même marque de génériques en fonction de critères qui échappent à la logique médicale. D’où la confusion des patients âgés soumis à de telles variables galéniques. On sait que la présentation du médicament, la couleur du conditionnement, ont aussi, et notamment pour eux, une forte composante placebo. Mais le problème des excipients est plus aigu encore et, partant, de la forte variabilité de biodisponibilité compte tenu des marges de tolérance industrielle abandonnées aux fabricants. On a aussi évoqué récemment, à la lumière, d’un fait divers fâcheux, le problème de la qualité même des principes actifs, notamment de ceux produits en Chine, mais il semble que les règles de bonne pratique de fabrication et de traçabilité (même imparfaite) mettent la France relativement à l’abri d’un accident majeur comme il peut s’en produire avec des contrefaçons acquises sur internet.

Enfin il est un autre problème, en l’occurrence typiquement français, qui mériterait assurément débat : celui du « marché » du générique – à la fois le régime des prix, mais aussi les modalités de délivrance et de substitution – qui semble échapper à toute logique. Par une politique conventionnelle très « incitative », les pharmaciens d’officine ont obtenu de substituer massivement sur des objectifs chiffrés : 82 % au plan national de ce qui est substituable selon un récent avenant publié au J.O. du 18 novembre dernier.

Ce qui est sûrement honorable… sauf quand le prix du princeps est au niveau de son ou ses génériques. Les médecins, cardiologues entre autres, ont dans cette affaire le sentiment d’être un peu les otages d’un débat qui ne les concerne qu’incidemment. Or la loi de financement de la Sécurité Sociale 2006 a prévu de leur imputer une nouvelle charge : l’obligation de prescrire en DCI dans les classes thérapeutiques pourvues d’un générique… Un dispositif qui aura besoin d’un texte d’application avant d’être rendu opposable. Et qui a sans doute le mérite de renvoyer la totale responsabilité de délivrance chez le pharmacien d’officine. Mais dont le prescripteur devra en revanche assumer la pédagogie auprès du patient…

L’arrivée massive de génériques sur le marché oblige à clarifier les rôles respectifs. Car, d’évidence, le sujet mobilise : le blog du Figaro sur cet article – meilleur indice de lecture et d’intérêt du lecteur – avait reçu ce jour là plus de contributions de lecteurs que tous les autres sujets d’actualité !