Le Jugement Dernier de la Chapelle des Scrovegni

340 – Christian Ziccarelli – La représentation du Jugement Dernier n’apparaît guère avant la fin du haut Moyen-Age, vers le IXe. Il est, tout d’abord, situé au revers de la façade occidentale de l’édifice pour frapper les fidèles qui sortent. « S’ils ne modifient pas leur comportement, s’ils ne s’amendent pas, un jugement très dur leur est promis ». Ã l’épanouissement de l’art gothique, au XIIIe siècle, le Jugement Dernier occupe, le plus souvent, le tympan de l’entrée principale. L’iconographie est pratiquement toujours la même. Le Christ « Juge » est au centre dans une mandorle, désignant l’Enfer à sa gauche et le Paradis à sa droite. Les Apôtres et la Vierge sont à ses côtés. La pesée des âmes par Saint- Michel siège en bas de la composition.

Giotto di Bodonne, né vers 1265, est, avec Dante et le Pape Boniface VIII, une figure majeure du Trecento. Selon la légende, Cimabue au cours d’une pérégrination dans la vallée de Mugello, rencontre un petit pâtre de dix ans dessinant un mouton sur une pierre. Stupéfait par la qualité de l’exécution, il lui demande s’il aimerait étudier la peinture. Ainsi Giotto est-il devenu son élève. « Cimabue crut, dans la peinture, être le maître absolu ; et aujourd’hui Giotto a pour lui le cri public, si bien que la renommée du premier est obscurcie » (Dante, Purgatoire, Chant XI). Aussitôt après les fresques d’Assise (vie de Saint-François), il fut appelé dans toute l’Italie. Bien qu’il fût extrêmement laid et mal habillé, nous dit Boccace dans le Décaméron, il ressuscita la peinture de l’état de langueur et de barbarie où l’avaient plongée des peintres sans goût et sans talent. Ã Florence, les Florentins font appel à son talent d’architecte, lui confiant l’édification du Campanile et il peint pour les Bardi, une famille de riches banquiers et commerçants, les fresques de leur chapelle à la basilique Santa Croce.

Enrico Scrovegni, un très haut personnage ayant une grande ambition politique, avait acquis la zone de l’Aréna à Padoue, pour y construire son palais avec une chapelle annexe destinée à un ordre religieux les « Cavalieri Gaudenti ». Les dates de construction et de décoration sont documentées entre 1303 et 1305. Giotto avait à sa disposition les parois d’une église de petite dimension et asymétrique, à cause des six fenêtres qui s’ouvrent sur la paroi de droite.

Le Jugement dernier de Giotto est une fresque magistrale

Le Christ « Juge », trônant sur l’arc en ciel (envoyé par Dieu, après le déluge, comme signe de l’Ancienne Alliance), est inscrit dans une mandorle irisée, garnie à l’extérieur d’une couronne de douze anges. Ceux qui sont placés en haut et en bas sonnent de la trompette. Les symboles des quatre évangélistes semblent soutenir le siège où est assis le Tout Puissant. Comme sur les chaires toscanes, la croix est seule, soutenue à ses extrémités par deux anges. Ã ses pieds, Enrico Scrovegni, au profil fin et sec (un des tout premiers portraits de la peinture occidentale), s’agenouille. Aidé d’un clerc il offre à la Vierge, à Saint-Jean (?) et à un autre personnage inconnu, l’église qu’il a payée de ses deniers. Le Christ fait un geste d’accueil de la main droite paume ouverte, le bras abaissé et tourne sa tête vers les élus et de sa main gauche refermée, il repousse les damnés. Ã ses côtés les douze apôtres, sans livre ni attribut, Pierre est à sa droite, Paul à sa gauche. En dessous des apôtres, les âmes des sauvés, revêtues de chair sortent des méandres de la terre. Suit la grande procession des élus progressant vers la Jérusalem céleste, conduits par des anges avec à leur tête une femme vêtue d’un long manteau blanc drapé sur tunique rouge. On l’identifie comme la Vierge ou l’Ecclésia conduisant à Dieu le cortège des fidèles. La garde angélique est placée en haut de la paroi, tandis qu’au sommet deux anges en armes enroulent le ciel dont la disparition dévoile peu à peu la cité de Jérusalem rutilante d’or et de pierres précieuses.

à gauche du Christ, les quatre fleuves de feu émergent de la mandorle pour inonder l’Enfer, un chef-d’oeuvre d’imagination et de précision. Une bête monstrueuse et nue, assise sur des dragons, Satan mangeur d’hommes domine la scène. De ses mains animalesques, il est en train de torturer quelques âmes. Les damnés, entraînés par les flots, sont l’objet de divers supplices. On peut reconnaître Judas pendu, les entrailles pendantes, un moine sur le point d’être châtré par un démon. Un diable est assis sur une femme dont il barbouille le visage, un autre scie la tête d’un homme en deux ou arrache la peau d’une femme nue avec un crochet. Une image terrifiante, mais sublime de l’Enfer.

Comment ne pas y voir l’influence de Dante présent à la même époque à Padoue ! ■

|| |La Chapelle des Scrovegni de Padoue, totalement anodine de l’extérieur, renferme l’un des trésors les plus inestimables de l’humanité, le cycle de fresques de Giotto. Ce chef-d’oeuvre de la peinture aux couleurs intenses – le fameux bleu de Giotto – a été commandé au début du XIVe siècle par Enrico Scrovegni, banquier et homme d’affaires padouan, qui fit appel aux plus grands artistes de l’époque : Jean de Pise reçut commande de trois statues de marbre et Giotto celle de la décoration picturale des murs. _ La ville de Padoue a acquis la chapelle en 1881 pour éviter la perte des fresques qui étaient, à cette époque, gravement endommagées.|(gallery)