Le Sanjusangen-do à Kyoto de l’époque Heian (Partie 1)

Considéré comme la plus grande construction en bois du monde, le Rengo-in, appelé familièrement le Sanjusangen-do, fut fondé en 1164 à la demande de Go-Shirakawa (1127-1192). Sanjusangen-do signifie « temple aux trente trois travées », le nombre d’intervalles entre les piliers soutenant son architecture de bois. Le chiffre 33 renvoie au nombre de formes possibles de la déesse Kannon.

Le Rengo-in, temple Shingon

Initialement, 1001 statues de la déesse Kannon du sculpteur Kojyo (un disciple de la quatrième génération de Jocho) occupaient toute la surface du bâtiment. Il fut détruit par un incendie qui ravagea Kyotoen en 1249, l’empereur Gosaga le fit reconstruire à l’identique, dés 1251. Il compléta, en 1266, les 1001 statues de la déesse Kannon de trente sculptures supplémentaires. La grande porte d’accès date de 1590. Le temple hall, très long et très étroit, de 118,2 m. de long, possède trente cinq travées sur le côté est et cinq sur la face nord. Le toit de tuiles progressivement incurvé est propre aux temples japonais. Poutres, chevrons, constituent la charpente élaborée selon la construction traditionnelle Keshou-Yaneura, usitée depuis la période de Nara (710-714), nulle part plus exquisément représentée qu’au Sanjusangen-do.

1. Le Sanjusangen-do.

Les divinités

Au centre, trône l’image principale de la déesse Kannon aux onze petits visages (sur sa tête couronnée) et mille bras symbolisés ici par vingt paires de bras qui représentent 50 vies à sauver dans l’univers bouddhiste. Assise sur une feuille de lotus, aux yeux de cristal, elle fut élaborée par Tankei (1173-1256), originaire de Nara, le fils et l’élève du maître sculpteur Unkei (4).

2. Kannon aux onze petits visages et mille bras. Bois laqué, doré, H. 3,33 m, vers 1256.

La formation de cette sculpture répond à la technique appelée Yosegi-zukuri. Plusieurs planches de bois assemblées composent le corps qui est ensuite sculpté.

Enfin la statue est peinte, laquée et recouverte d’une couche d’or. De chaque côté de la déesse, debout en position frontale sur une fleur de lotus, les 1 000 statues de Bodhisattva Kannon (cent vingt à cent cinquante d’entre elles furent sauvées de l’incendie) sont installées sur 10 rangées d’estrade, selon un ordre parfait.

3. Tankei, Bodhisattva Kannon aux mille bras. Bois laqué doré, entre 1251 et 1256.

Possédant 21 paires de bras, au premier regard, elles semblent identiques, en fait, elles sont toutes différentes les unes des autres. Ces effigies en bois de grandeur nature, en apparence plus simple que l’effigie centrale, sont conçues par les plus grands sculpteurs de l’époque sous la direction de Tankei, selon la même technique que la déesse Kannon.

La réalisation de cet ensemble prit une quinzaine d’années. Toutes portent les mêmes attributs que l’image principale et notamment un œil (5) dans la paume de la main d’un de leur bras. Certaines gardent la signature de leur concepteur.

Devant cet ensemble trente autres sculptures en bois impressionnent les visiteurs. Elles représentent Raijin, Fujin et les vingt huit déités, serviteurs (Nijūhachi Bushū) de Kannon. Ces dernières évoquent les vingt huit constellations du bouddhisme ésotérique (le Shingon), dont les deux gardiens traditionnels des temples repoussant les forces du mal : Missha-Kongo (Vajra-Pani) et Naraen-Kengo (Narayanja).

Ces derniers se trouvent normalement à la porte d’entrée des sanctuaires nommée Niomon (porte des Ni-oh). Missha Kongo, la bouche ouverte, symbolise la première syllabe du sanskrit qui se prononce « a ». Naraen Kongo, la bouche fermée, symbolise la syllabe « hum » (toutes deux se référant à la naissance et la mort de toutes choses ; la contraction des deux sons [Aum] évoque « l’absolu » en sanskrit). Ils représentent « toute la création ». Misshaku Kongo, également appelé Agyo (en référence à la syllabe « a »), est un symbole de la violence manifeste : arborant un air menaçant, il brandit un vajra (arme rituelle, symbolisant la foudre ou le soleil). Naraen Kongo, également appelé Ungyo (en référence à la syllabe « hum »), est représenté mains nues (ou parfois armé d’une épée), symbolisant la force latente, gardant la bouche fermée. Les autres représentations sont des dieux ou des esprits de beauté, de bienséance, de sagesse, de charité, de solidarité… Ils servent Kannon et protègent les croyants de tous les dangers.

4. Tankei (1173-1256), Bodhisattva Kannon aux mille bras. Bois laqué, doré, entre 1251 et 1256, n° 40.

Nous découvrons curieusement une image de Garuda, le gigantesque oiseau véhicule du dieu indou Vishnu, une illustration caractéristique du syncrétisme de la civilisation japonaise. Ailleurs, le dieu du vent, Fujin tenant sur ses épaules un sac rempli de vent et le dieu du tonnerre, Raijin sont debout sur un piédestal en forme de nuage. Toutes ces statues de bois coloré, marquées par l’héroïsme, aux muscles saillants, au drapé fluide et au visage farouche, d’un naturel exacerbé, expriment la puissance, le dynamisme.

Dans l’année 32 de l’ère Showa (1957) l’ensemble fut restauré et les attributions optimisées. Ainsi seules neuf statues de Bodhisattva Kannon reviennent à Tankei, les autres appartiennent à son école, comme celles dues à Koen (6) et les autres par des artistes des écoles In (Inkei mort en 1179, Insho, Inga) et En (Ryuen, Seien) de Kyoto.

Go-Shirakawa. Le prince Masahito, le quatrième fils de l’empereur Toba, devint le soixante-dix-septième empereur du Japon, sous le nom de Go-Shirakawa en 1155. Il abdiqua en 1158 à la faveur de son fils, l’empereur Nijo, tout en continuant à gouverner par l’intermédiaire de l’insei (gouvernement des empereurs retirés) jusqu’à sa mort. Son nom posthume lui fut donné en mémoire de l’empereur Shirakawa (le préfixe Go signifiant « postérieur », soit « Shirakawa II ».) Adepte du Bodhisattva Kannon, il diffusa la religion bouddhiste à travers tout le pays. Lors de la rébellion de Hogen (2) les guerriers samouraï installés dans les domaines provinciaux s’emparèrent du pouvoir impérial. Sa tombe se trouve à proximité du temple Rengo-in.
La déesse Kannon. Dans le bouddhisme du Mahayana, du Grand Véhicule, le Bodhisattva Kannon est surnommé la déesse de la compassion. Kan signifie : observer, on signifie le son, « celle qui entend les cris du monde. Elle possède tous les mérites et vertus, et regarde tous les êtres sensibles avec un regard compatissant ». Si au Japon elle se nommait Kannon, elle changeait de nom selon les pays où elle était vénérée. En Inde elle s’appelait Avalokitesvara (3), au Tibet, Chenrézi (dont le Dalaï Lama est une émanation), sans doute le bodhisattva le plus vénéré et le plus populaire par les bouddhistes du Grand Véhicule.

(1) L’ère Heian (794-1185) succède à l’époque de Nara (710-794) et d’Asuka (IVe siècle-710) et est suivie par l’époque de Kamakura (1185-1333) puis de Muromachi (1336-1573).
(2) La rébellion de Hōgen, est une courte guerre civile survenue en l’an 1156 qui impliqua les trois plus puissants clans de l’époque, les Minamoto, les Taira et les Fujiwara, dans une lutte pour la domination de la cour impériale de Kyōto.
(3) Avalokitesvara, habituellement de sexe masculin, est en Chine et au Japon considéré comme de sexe féminin, bien qu’aucun texte canonique ne puisse venir à l’appui d’une telle détermination.
(4) Unkei, né aux alentours de 1151 et mort en 1223, était un sculpteur d’images bouddhiques originaire de Nara à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle, appartenant à l’école Kei de l’époque de Kamakura. Il fut honoré du plus haut titre ecclésiastique pour les sculpteurs bouddhiques, obtenant le titre suprême de Hoin, en 1203.
(5) Idée peut-être d’origine tibétaine et symbolisant la vision omniscience d’Avalokitesvara.
(6) Koen : fils de Koun, deuxième fils d’Unkei, travaille avec Tankei et prend la direction de l’atelier à sa mort.

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