Le torpillage de l’Athos par Sandy-Hook (1879-1960) – hommage au bisaïeul – 1ère partie

Le 17 février 1917 à 12h27, le paquebot français Athos de la Compagnie des Messageries Maritimes (a) [1,2] est frappé sur bâbord arrière par une torpille tirée par un sous-marin allemand alors qu’il se situe entre Crête et Malte sur le retour de son quatrième voyage en Extrême-Orient.
Le torpillage de l’Athos des Messageries Maritime, le 17 février 1917.

C’est ainsi que ce navire de construction récente et chargé au maximum avec 1 850 passagers et 328 hommes d’équipage [2], sombre en moins d’un quart d’heure laissant 754 morts ou disparus parmi lesquels mon arrière grand-père Gabriel Valton (1861-1917) (b) qui y exerçait l’activité de mécanicien de marine, « chauffeur » (c) impliqué dans le fonctionnement des 9 chaudières à charbon développant 9 000 cv pour propulser jusqu’à une vitesse de 17,5 nœuds (environ 32 km/h) ce navire de plus de 161 mètres de long, doté de 2 hélices quadripales, d’une double cheminée et qui fut lancé à Dunkerque le 25 juillet 1914 puis terminé à Saint-Nazaire où il est mis en service en novembre 1915. 

Dans cette malheureuse affaire s’imposent donc deux protagonistes : un navire ayant une activité commerciale et postale et un sous-marin de la catégorie des Unterseeboote (U-Boot). Il s’agit du U-65 ou plutôt UC-65 (d) car issu de la classe des UC II fabriqués à partir de 1916, 64 sous-marins de ce type ayant été construits, faisant partie de la Kaiserliche Marine (1903-1919) et nous sommes en période de guerre « totale ».

En effet, dans le cadre plus général de la Première guerre mondiale (1914-1918) et de la Première bataille de l’Atlantique, la marine allemande avait décrété la guerre sous-marine « totale » permettant de s’en prendre aux navires marchands sans avertissement. Mais le torpillage du Lusitania (7 mai 1915) où périrent 1 200 passagers dont 124 américains, avait déclenché une telle hostilité de l’opinion publique, en particulier américaine, que l’Allemagne, craignant que ceci représente un casus belli pour les Etats-Unis, avait suspendu cette façon de procéder d’autant qu’en Allemagne même, certains diplomates répugnaient à « placer le sort du Reich dans les mains d’un commandant de U-Boot ».

Cependant, au début de 1917 en représailles au blocus allié, l’empereur Guillaume II (1859-1941) initialement réticent, finit par se résoudre à « répondre au blocus par le blocus » [3] en ordonnant de reprendre la guerre sous-marine tous azimuts, c’est à dire contre tout navire commercial bien que cette décision signifiât presque certainement la guerre avec les États-Unis, ce qui survient en avril 1917 après deux ans et demi d’efforts déployés par le président Woodrow Wilson (1856-1924) pour rester neutre. 

Gabriel Valton (1861-1917) – Mécanicien de marine-chauffeur sur le paquebot Athos

Aucun répit pour les navires marchands

Dès lors, aucun navire marchand, même en convoi, n’était à l’abri d’une attaque allemande, non seulement dans l’Atlantique mais aussi en Méditerranée où avait été déterminée une zone interdite à l’est d’une ligne allant de Marseille à la côte algérienne. [3] 

Ainsi, à partir du 1er février 1917 les bâtiments de commerce adverses pouvaient y être attaqués d’emblée. [3] Le torpillage de l’Athos par l’U-65 n’est donc pas considéré comme un crime de guerre, malgré l’absence de sommation, car il s’inscrit dans « la décision du gouvernement allemand de s’attaquer à tout trafic commercial dans la méditerranée orientale ». [3] 

L’U-65 était basé à Cattaro (en Italien) c’est-à-dire les Bouches de Kotor sur la côte occidentale du Monténégro, débouchant sur la mer Adriatique avec plusieurs baies reliées entre elles par des détroits et surplombées par de hautes montagnes, c’est à dire offrant un mouillage particulièrement protégé pour les navires de surface qui n’étaient guère enclins à en sortir, et réputé infranchissable encore que quelques sous-marins français aient pu tenter de s’en approcher voire d’y pénétrer à leurs risques et périls. [4] 

Il s’agit successivement, en s’éloignant du littoral, des baies d’Herceg Novi, de Tivat, de Risan et de Kotor qui constituait alors une des principales bases navales militaires de la marine austro-hongroise, alliée de la marine allemande. Le mouillage principal de la flotte se trouvait devant la ville même de Kotor et l’arsenal était à Tivat tandis que les sous-marins et les forces légères, pour sortir plus rapidement, stationnaient près de la sortie, en particulier près d’Herceg Novi. 

La flottille de Pola (U-Flottille Pola), du nom d’une ville située sur le littoral croate à environ 800 km par la route au nord de Kotor, était alors destinée à poursuivre la campagne des U-Boote contre la navigation alliée en Méditerranée. 

Au 1er février 1917, 105 U-Boote étaient déployés dont 23 au sein de la flottille de Pola qui, malgré sa dénomination, opérait principalement à partir de Cattaro. La flottille était composée de sous-marins expédiés depuis les ports allemands, via le détroit de Gibraltar, et de sous-marins côtiers transportés par voie ferrée vers Pola et assemblés à l’arsenal de la marine austro-hongroise. 

Cette flottille de Pola (juin 1915-octobre 1918) eut un effectif maximal de 33 sous-marins avec des conditions opérationnelles plus favorables en Méditerranée que dans l’Atlantique ou en Mer Baltique. Le canal d’Otrante, séparant le talon de la botte italienne de l’Albanie, avec ses soixante douze kilomètres de large et ses 900 mètres de profondeurs, ne constituait pas vraiment un obstacle [3] malgré le Barrage d’Otrante qui incluait des champs de mines et une centaine de harenguiers anglais transformés en chasseurs de sous-marins en traînant des filets d’acier équipés de bouées lumineuses et de grenades, et communiquant par TSF avec les navires de guerre de la flotte alliée basée à Brindisi, devenu accessible aux alliés à compter du 23 mai 1915 [4], sous le haut commandement italien. 

Pendant l’année 1917 ont été comptabilisées 367 entrées et sorties de sous-marins allemands et autrichiens. [5] En 1917, l’unité fut rebaptisée U-Flottille Mittelmeer et divisée en deux flottilles distinctes basées à Pola et à Cattaro sous le commandement unique du « Führer der Unterseeboote im Mittelmeer » (chef des sous-marins en Méditerranée).

L’U-65, un sous-marin à propulsion diesel-électrique

Dans le cas présent, l’U-65, construit à Kiel en 1916, est à propulsion diesel-électrique ce qui l’oblige régulièrement à faire surface, en règle générale la nuit pour ne pas être vu avec les ballasts quasi pleins pour plonger au plus vite en cas d’alerte. Il s’agit de recharger les accumulateurs électriques en faisant fonctionner les moteurs diesel car le schnorchel (orthographe allemande) également dénommé snorkel ou tube d’air hissable en immersion périscopique n’équipera les U-Boote qu’à la fin 1943, ce système permettant d’alimenter les moteurs Diesel en air tout en éliminant les gaz d’échappement sans avoir à faire surface. 

L’U-65, équipé d’un canon et de 8 torpilles avec 32 marins et 4 officiers est sous le commandement du Kapitänleutnant (KL) Hermann von Fischel (1887-1950) qui fera plus tard carrière en étant promu amiral durant la seconde guerre mondiale mais, fait prisonnier par les Russes en 1945, il mourra cinq ans plus tard comme prisonnier près de Moscou. 

Hermann von Fischel est âgé de 30 ans lorsqu’il commande l’U-65 qui quitte Cattaro le 15 février 1917 pour une mission de guerre au commerce dans le Golfe de Gènes et c’est alors qu’il descend au sud pour contourner la Sicile qu’il rencontre l’Athos à 200 miles au sud-est de Malte par 35°22’N et 18°32’E puis, l’ayant torpillé, il continuera ensuite sa mission en s’attaquant à plusieurs autres navires de moindre importance et finira son périple meurtrier après un peu plus de trois semaines de mer en ayant coulé 7 navires.

Louis-François Garnier

Références

a) Les Messageries Nationales (1852) ensuite dénommées Impériales (1853) deviennent définitivement la Compagnie des Messageries Maritimes en 1871. Propriétaire des chantiers de construction navale de La Ciotat, elle connut un essor prodigieux avec l’extension de l’empire colonial français mais la guerre maritime « totale » de la Première guerre mondiale lui fera perdre plus du tiers de sa flotte avec plus de 400 de ses employés. [2] C’est pour rendre hommage aux quatre mousquetaires d’Alexandre Dumas que sont lancés en 1914 deux « sister-ship » dénommés Athos et Porthos qui seront suivis du D’Artagnan en 1924 et de l’Aramis en 1932. 

b) Gabriel Valton est le père de Louis Valton (1884-1958) dont j’ai brièvement parlé en tant que peintre amateur dans l’article consacré à l’Ecole de Crozant. (Le Cardiologue 414 Septembre et 416 Novembre 2018).

c) Les chauffeurs et les soutiers enfournent le charbon pour alimenter les chaudières ; la température peut y atteindre 60° et le bruit est assourdissant. C’est un endroit dangereux propice aux malaises, aux brûlures avec un risque d’explosion. Les Européens sont surtout chargés de surveiller les chauffeurs « arabes » qui sont plutôt des Somalis recrutés à Aden ou à Djibouti et considérés comme les seuls à pouvoir supporter de telles conditions. [1] Parmi les victimes au sein de l’équipage et travaillant dans la chaufferie de l’Athos sont notés le 1er chauffeur Charles Cipriani, les chauffeurs Louis Icard et Gabriel Valton mais aussi 29 chauffeurs chinois et 36 chauffeurs arabes. Il arrivait que le commandant ordonne de ralentir pour diminuer la température des chaudières et épargner les chauffeurs. [2]

d) U-Boot : le premier sous-marin allemand (U-1) fut livré le 14/12/1906 et le premier en Méditerranée apparait en avril 1915. [2] Les U-Boote étaient déjà classés par « type » avec les U qui sont les plus grands jaugeant en moyenne 800 tonnes puis viennent des modèles plus réduits de type UB ou UC pouvant être seulement mouilleurs de mines. [4] A la déclaration de guerre (août 1914), la Kaiserliche Marine dispose de 28 unités et 345 U-Boote finiront par opérer durant la Première Guerre Mondiale. A titre de comparaison, indépendamment des sous-marins anglais, les Français ont disposé de quarante sous-marins durant la guerre 1914-1918, de type Pluviôse à vapeur ou Brumaire à moteur diesel permettant une immersion nettement plus rapide ; quatorze ont été coulés dont six dans l’Adriatique. [4] En 1917 et en l’espace de deux ans, les U-Boote ont bénéficié de progrès techniques fulgurants, filant à près de 30 km/h en surface, la moitié en plongée avec un canon de gros calibre (105 mm) et un rayon d’action considérablement accru causant des dégâts exponentiels. [2]

Bibliographie

[1] Berneron-Gouvenhes M-F. Les Messageries Maritimes. L’essor d’une grande compagnie de navigation française. 1851-1894 PUPS 2007.
[2] Ramona Ph. Paquebots vers l’Orient. Ed. Alan Sutton 2018.
[3] Brezet F-E. La guerre sous-marine allemande 1914-1945 Perrin .
[4] Chack P. « Marins à la bataille » Sur mer… et dessous. Illustré par L. Haffner. Les éditions de France. Paris 1938.
[5] Chack P. « Marins à la bataille » Héros de l’Adriatique. Illustré par L. Haffner. Les éditions de France Paris 1941

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