Les bêtabloquants exposeraient les femmes souffrant d’un SCA de novo à un sur-risque d’insuffisance cardiaque

Le traitement de l’hypertension artérielle par bêtabloquants doit-il être remis en question chez les femmes ? C’est ce que pensent le Dr Rafaele Bugiardini (Université de Bologne Italie) et coll. Les bêtabloquants exposeraient les femmes à des complications plus sévères quand survient un syndrome coronarien aigu (SCA), suggère leur analyse de registres.

Plus précisément, dans cette analyse portant sur 13 000 patients atteints d’un SCA, sans antécédent vasculaire, les femmes qui prenaient des bêtabloquants, avaient un risque de survenue d’insuffisance cardiaque (IC) au cours d’un SCA de novo majoré de 33%, selon un article paru le 13 juillet dans Hypertension[1].

Cette différence femmes/hommes était plus patente chez les patients ayant un SCA avec sus-décalage de ST (STEMI) comparé aux patient(e)s ayant un SCA avec sous décalage de ST (NSTEMI).

Cette association sexe féminin, risque de survenue d’IC au cours d’un SCA, n’a pas été observée dans la cohorte majoritaire [81%] des patients qui n’étaient pas traités par bêtabloquant avant le SCA.

Par ailleurs, la mortalité à 30 jours était beaucoup plus importante chez les patients souffrant d’un SCA compliqué d’IC, comparés à ceux sans défaillance cardiaque à l’arrivé : 7 fois plus de décès chez les femmes et 9 fois plus de décès chez les hommes.

Sexe féminin et traitement bêtabloquant : une association à risque

« Notre étude met en évidence une forte interaction entre le sexe et le traitement bêtabloquant et suggère un risque plus important d’IC chez les femmes qui souffriraient d’un infarctus du myocarde ultérieurement », précise le Dr Bugiardini pour theheart.org/Medscape Cardiology.

« Nos résultats posent la question du rôle et de l’intérêt des bêtabloquants au cours du traitement de l’HTA chez les femmes n’ayant pas d’antécédent vasculaire. Les bêtabloquants pourraient être responsables de l’IC chez les femmes ayant un SCA, comme première manifestation de leur affection coronaire », suggèrent Bugiardini et coll.

« En pratique clinique, c’est une importante donnée: cesser les bêtabloquants chez une patiente hypertendue, par ailleurs en bonne santé et n’ayant pas d’antécédent vasculaire. Cette décision n’est pas risquée et peut même s’avérer être prudente » répète le chercheur lors d’une interview « Le maintien de la pression artérielle chez la femme peut être obtenu d’une façon plus sûre, en utilisant d’autres médicaments et bien évidemment par le régime et l’activité physique ».

« Le risque, les causes et le pronostic de l’IC ne sont pas les mêmes chez les femmes et les hommes », constatent les auteurs. Or les recommandations actuelles « ne différencient pas la prescription des bêtabloquants chez la femme et chez l’homme »

 Aussi, ils remarquent « parce que les précédentes études et méta analyses incluaient environ 5 hommes pour 1 femme, cette disparité des effets des bêtabloquants chez la femme a été masquée par les résultats observés chez l’homme ».

Données recueillies au sein de 3 registres tenus dans 12 pays européens

Cette étude a colligé les données, entre octobre 2010 et juillet 2018, des registres de 12 nations européennes, ISACS ARCHIVES, ISACS-TC et EMMACE-X3, incluant 13 764 hypertendus qui ont souffert d’un SCA confirmé.

En combinant les données de ces registres les auteurs ont répertorié 2 590 patients (19%) qui recevaient un traitement bêtabloquant avant la survenue du SCA. Ces patients n’étaient pas significativement différents de ceux qui n’avaient pas de traitement bêtabloquant selon une analyse ajustée pour les données initiales et les autres médications.

Risque majoré d’un tiers 

Dans le groupe « bêtabloquants », 21,3% des femmes et 16,7% des hommes avaient une IC avec un stade Killip >=2, soit une différence absolue de 4,6% témoignant d’un rapport de Risque Relatif (RR) de 1,35 (Intervalle de confiance de 95% [IC 95%] : 1,10-1,65).

Parmi les patients qui ne prenait pas de bêtabloquant les pourcentages femmes et hommes souffrant d’une IC étaient respectivement de 17,2% et 16,1% soit une différence absolue de seulement 1,1% et un rapport de RR de 1,09% (IC 95% : 0,97-1,21).

L’interaction sexe/bêtabloquant est significative dans la survenue d’une IC ((P<0,034). L’analyse excluant les patients ayant un choc cardiogénique aboutit aux mêmes conclusions.

S’intéressant spécifiquement au STEMI [60% des SCA], le rapport RR pour la survenue d’une IC chez les femmes vs les hommes est de 1,44 (IC 95% ; 1,12-1,84) avec un traitement bêtabloquant antérieur. En revanche, chez les femmes n’ayant pas le traitement, le rapport RR (vs hommes) est de 1,11 (IC 95% 0,98-1,26) L’interaction sexe/traitement bêtabloquant est significative en cas de STEMI (P=0,033)

Cette interaction n’a pas été notée dans le sous-groupe NSTEMI (P=0,14).

Risque majoré de mortalité en cas d’IC

L’insuffisance cardiaque au cours de ces SCA s’est avérée être le marqueur principal du risque de mortalité à 30 jours dans les deux sexes dans l’analyse multivariée : les risques relatifs étaient de 7,54 (IC 95%, 5,78-9,83) chez les femmes et 9,62 (IC 95%, 7,67-12,07) chez les hommes.

« Notre étude souligne l’importance qu’il faut accorder au sexe au cours d’une recherche clinique, si l’on veut des actions concrètes », insiste le Dr Bugiardini. « Si l’on n’inclut pas les deux sexes dans les essais thérapeutiques, on manque l’opportunité de découvrir des caractéristiques liées à celui-ci. Les effets néfastes des bêtabloquants dans le traitement de l’hypertension artérielle chez les femmes est une spécificité liée au sexe », dit-il.

Les femmes aussi !

Une partie des conclusions de l’ étude « n’est pas réellement surprenante, nous savons de longue date que les femmes qui souffrent d’un infarctus du myocarde sont plus à même que les hommes de développer une IC et nous savons aussi que l’insuffisance cardiaque au décours d’un infarctus augmente la mortalité » commente pour theheart.org/Medscape Cardiology la Dr Ileana L. Pina (Wayne State University Detroit. USA ).

Mais ce qui m’a surprise, ajoute-t-elle, c’est le fait que les femmes qui prenaient des bêtabloquants ont un risque plus élevé de survenue d’IC. « Cette association mérite d’être prouvée par des études prospectives et confirmée par d’autres recueils de données » précise la Dr Pina, qui n’est pas impliquée dans cette étude.

« Il faut se rappeler que l’IC n’est pas exclusivement une affection masculine, il faut accorder une importance aux symptômes des femmes, sans les reléguer vers une forme d’anxiété ou d’ennuis gastriques : c’est bien là le message le plus important ! » Ajoute-t-elle.

Une étude randomisée spécifiquement féminine sur l’effet des bêtabloquants n’est pas éthique

Autre limite, le Dr Bugiardini note qu’il s’agit d’une étude observationnelle. «Ces résultats peuvent être biaisés et nécessitent une confirmation. Cependant, une étude randomisée contrôlée stratifiée avec le sexe comme prérequis, évaluant les bêtabloquants dans le traitement de l’hypertension artérielle chez les patients sans antécédent coronaire ni IC ne peut pas être entreprise au plan éthique, elle serait conçue pour confirmer un risque… et non pas un bénéfice ».

«  D’autres études observationnelles pourraient apporter une confirmation » ajoute-il « …mais en même temps la Food and Drug Administration se doit d’alerter les professionnels de santé sur les effets délétères des bêtabloquants utilisés dans le traitement de l’hypertension artérielle chez les femmes sans antécédent coronaire ou d’insuffisance cardiaque [car] prescrire un bêtabloquant pour le traitement de l’hypertension peut l’exposer à un risque inutile.»

Traduit de l’américain par le Dr Jean-Pierre Usdin. Prior Beta Blockers Predict Extra Burden of Heart Failure in Women With ACS – Medscape.com – Jul 15, 2020.

[1] Raffaele Bugiardini , Jinsung Yoon , Sasko Kedev et coll.Prior Beta-Blocker Therapy for Hypertension and Sex-Based Differences in Heart Failure Among Patients With Incident Coronary Heart Disease. Hypertension. Published online June 13, 2020. Abstracthttps://doi.org/10.1161/HYPERTENSIONAHA.120.15323

Bugiardini et coll n’ont pas de liens d’intérêt en rapport avec le sujet.

Les bêtabloquants exposeraient les femmes souffrant d’un SCA de novo à un sur-risque d’insuffisance cardiaque – Medscape – 27 juil 2020.

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