Les droits du patient dans la relation de soins

325 – Nous assistons aujourd’hui à l’émergence d’une source nouvelle et probablement durable de contentieux. Celui né d’une incompréhension entre le soignant et le soigné, celui né d’un dialogue non abouti entre eux. La loi du 4 mars 2002 qui régit l’essentiel de la responsabilité médicale grave dans son titre, donc « dans le marbre », les droits du malade. Il faut alors croire que le législateur voyait la relation de soins comme insuffisamment protectrice de ces droits. Mais était-ce réellement le cas ? Cela n’est pas si sûr. Toujours est-il que sa volonté a consisté à faire du patient un acteur à part entière dans sa maladie, le partenaire du praticien dans un rapport d’équité.

La force du verbe

La loi du 4 mars 2002 introduit des concepts nouveaux dont il importe d’ores et déjà de mesurer les incidences possibles. Le titre II de ce texte porte comme titre « Démocratie sanitaire ». Le chapitre II du même titre fait état « d’usagers du système de santé et d’expression de leur volonté ».

• La relation de soins est-elle démocratique ?

Dans sa définition, la démocratie induit la souveraineté, celle du peuple en général. Ce noble et beau concept peut-il se décliner à la sphère de soins ? En d’autres termes, la démocratie sanitaire existe-t-elle et la relation de soins est-elle démocratique ? Nous ne le pensons pas. La relation de soins se déploie dans une toute autre dimension faite de confiance et de respect réciproques, d’écoute, de mobilisation par l’ensemble des soignants d’un éventail de compétences ayant pour but de guérir un patient ou atténuer sa douleur physique ou psychique. L’art du médecin est à l’exact carrefour entre humanisme et haute technicité. Et cet art tend à conférer au patient une dimension centrale et non pas une dimension sériée à la seule maladie dont il souffre. Le médecin est le gardien et le garant de ses droits en matière de non-discrimination, de soins de qualité, de respect de sa dignité humaine et des secrets qu’il entend… N’est-ce pas là l’essence même de la relation de soins, indépendamment de toute notion ici un peu étrange de démocratie sanitaire ?

• Un patient est-il un usager du système de santé ?

Il faut croire que certains mots font peur et cela paraît être le cas du mot « patient » auquel on substitue celui « d’usager du système de santé ». Mais la substitution d’un mot à l’autre, du mot « usager » au mot « patient » peut, en droit, s’avérer tout sauf anodine. Un usager est une personne qui utilise un service et a, face à elle, un prestataire. En règle générale, ce prestataire demeure tenu d’une obligation de résultats. Lorsque ce prestataire ne remplit pas sa mission, l’usager dispose de droits. Peut-on raisonnablement mettre sur le même pied tous les usagers face à tous les prestataires ? La prestation de santé n’est pas la prestation de transport ou de fourniture d’électricité. Son manquement peut être dû à des facteurs qui lui sont propres – imprévisibilité des réactions de l’organisme, inconnue scientifique, « fragilité » du médecin – dans un contexte qui touche au corps, à la vie et à la mort. Le patient usager bénéficie-t-il des mêmes droits et moyens d’action que lorsqu’il prend un train ou un avion ? Evidemment non car nous sommes ici dans le domaine de l’obligation de moyens qui n’oblige pas le prestataire à parvenir, à toutes fins, au résultat exigé. Ici le résultat – la guérison du patient – ne peut être qu’espéré. Il n’empêche. Transformer le patient en usager, c’est d’abord le banaliser dans sa relation avec le thérapeute. C’est aussi, chacun l’aura compris, créer une ambiguïté gênante quant à son pouvoir d’agir contre « son prestataire ».

Un droit régalien : celui d’être informé pour consentir ou non aux soins

Informer un patient sur les risques inhérents à la stratégie thérapeutique envisagée est une obligation séculaire pour chaque médecin, obligation consacrée chronologiquement d’abord par la déontologie, ensuite la jurisprudence, enfin la loi. Et l’information de ce patient demeure l’un des aspects fondateurs de l’humanisme médical.

• Quelle information ? _ Le législateur du 4 mars 2002 nous précise que l’information porte « … sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention… leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risque fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent… et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. » Précisons si nécessaire qu’il appartient ensuite au médecin de rapporter la preuve de l’information ainsi donnée. Seule l’urgence ou l’impossibilité d’informer libère le praticien de cette obligation d’information. Une fois la norme juridique fixée, reste ensuite pour chaque médecin à la faire sienne en délivrant une information « claire, loyale et appropriée » à son patient dans le but de recueillir son consentement « libre et éclairé ». Cet aspect de l’art – qui prend aujourd’hui une dimension nouvelle – demeure toujours délicat à appréhender. Il faut être compris du patient. L’information délivrée ne doit pas, en soi, apparaître comme un stress supplémentaire pour le patient, stress pouvant le conduire alors à ne pas consentir aux soins. D’où la difficulté pour le médecin de trouver le mot juste qui permet d’informer sans inquiéter davantage… Car nombre de médecins considèrent être dans une situation d’échec lorsque l’inquiétude du patient l’emporte, le poussant alors à refuser les soins proposés.

• L’impuissance du médecin en cas de refus de consentement

La question du consentement, recueilli ou non, nous ramène au propos initial de l’article : la volonté manifeste du législateur de rehausser le patient « usager » dans la relation de soins. Cette question du consentement ou non relève même de l’emblématique. Après qu’il l’ait clairement informé des conséquences de sa décision, le médecin dont la mission est d’abord de sauver des vies est impuissant devant le refus manifesté par son patient. A preuve l’arrêt rendu le 21 décembre 2006 par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence saisie à la suite du décès par hémorragie d’une patiente, témoin de Jéhovah, survenu lors de son accouchement. Cette patiente avait refusé la transfusion sanguine rendue nécessaire par son état en dépit des alertes répétées formulées par son médecin sur le risque vital lié à ce refus. Poursuivi pour défaut d’information par les parents – qui pourtant avaient soutenu leur fille dans son refus d’être transfusée ! – ce médecin a vu sa responsabilité écartée par la Cour au motif « … qu’il ne saurait être reproché au médecin, qui doit respecter la volonté du malade, d’avoir éventuellement tardé à pratiquer une intervention vitale, alors qu’il ne pouvait pas la réaliser sans procéder, contre la volonté du patient à une transfusion sanguine. »

Vers une nouvelle relation de soins

La médecine est un art par essence évolutif fondé sur la réflexion, le doute, l’intelligence. Cet art qui, pour repousser les frontières de la vie en appelle à une technique de plus en plus pointue, fait aujourd’hui l’objet de normes nombreuses, la plupart pensées avec le souci de la sécurité du patient. Ce souci de sécurité s’accompagne d’une volonté de laisser à ce dernier un vaste espace de liberté au sein même de la relation de soins. Et cette liberté également fait l’objet d’une norme. L’information au patient qui relève du colloque singulier et du secret partagé entre, pour partie, dans cette norme. Parce que l’accès à cette information est, pour lui, un droit absolu et incontestable dont il appartient au médecin de prouver qu’il l’a respecté. Ensuite, c’est au patient lui-même de décider s’il accepte ou non les soins proposés, ceci en toutes connaissances de causes des risques induits soit par son aval, soit par son refus. Les choses vont très loin dans la mesure où, comme nous l’avons vu plus haut, un médecin pourra n’être pas condamné tandis qu’il a sciemment laissé mourir son patient ceci parce ce dernier lui a interdit d’agir. Souhaitons que les nouveaux équilibres qui semblent se dessiner n’en viennent pas à instaurer une sorte de rapport de forces permanent dans la relation de soins au détriment de tous : patient, praticien et société dans son ensemble.