Les limites des recommandations et des AMM

327 – Après un rappel des principes de responsabilité médicale, une analyse des différents types de recommandations, puis la mise en relief de certaines situations paradoxales en matière d’AMM, permettront de guider nos décisions face à un patient par définition unique et donc hors cadre !

Obligations du médecin

La lecture du code de déontologie médicale permet de cerner les principes essentiels des obligations des praticiens.

Article 8 : « dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance. Il doit limiter ses prescriptions à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins. Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles ».

Article 32 : « Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le médecin s’engage à assurer …des soins consciencieux …et fondés sur les données acquises de la science… ».

Article 39 : « Les médecins ne peuvent proposer aux malades comme salutaire ou sans danger un remède ou procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé ».

Les recommandations

La difficulté pour les médecins est de faire le tri entre les nombreuses recommandations qu’ils reçoivent, car elles sont de valeur scientifique inégale.

Les recommandations internationales reposent souvent sur le travail en général d’une quinzaine d’experts reconnus dans le domaine. Il s’agit de plus en plus de réactualisations de recommandations anciennes et prenant en considération les résultats des dernières études publiées et l’évolution des pratiques. Il convient d’avoir une bonne connaissance de l’anglais pour éviter les erreurs d’interprétation des textes. Même si elles sont de méthodologies rigoureuses (ACC, AHA), peut-on appliquer des recommandations nord-américaines sur une population française, dont la génétique et le mode de vie sont différents ?

Les recommandations européennes (ESC) sont peut-être plus en adéquation avec notre population.

Idéalement, les recommandations françaises de la Société Française de Cardiologie (SFC) correspondent le mieux à notre population et à notre système de soins, mais force est de constater qu’elles ne répondent pas encore à autant de questions que les précédentes.

A l’intérieur de chaque recommandation, le médecin doit être attentif sur le niveau de preuve scientifique. La recommandation a-t-elle été établie à la suite d’une étude multicentrique, randomisée à large échelle, ou s’agit-il seulement d’un consensus d’expert sans aucune étude sous-jacente ?

A coté de ces recommandations académiques, les cardiologues avaient été particulièrement choqués par la publication au Journal Officiel le 5 janvier 2007 de « recommandations » sous la forme d’« Accord de bon usage des soins relatif des antiagrégants plaquettaires » (AcBUS), dont les motivations essentiellement économiques avaient oublié un certain nombre de situations médicales (patient stenté en dehors des syndromes coronariens aigus, ischémie silencieuse.). Cet AcBUS aurait pu amener certains médecins à prendre des décisions médicalement inappropriées, sous cette pression économique. La SFC et le SNSMCV avaient alors vivement réagi pour éviter que ce genre de « recommandations » sans validation d’une société savante ne se reproduisent.

Devant l’utilisation croissante des recommandations par les plaignants dans les dossiers de responsabilité médicale, les auteurs prennent de plus en plus de précautions dans la rédaction des textes en insistant sur les limites de ces recommandations.

A titre d’exemple, on a pu lire en introduction des guides d’affections longue durée (maladie coronarienne, de mars 2007) établis par l’HAS, pour bien comprendre les limites générales des recommandations : « Ce guide ne revendique pas l’exhaustivité des conduites de prise en charge possibles ni ne se substitue à la responsabilité individuelle du médecin vis-à-vis de son patient ».

Parfois, il existe un délai de latence entre la publication d’une étude majeure validant l’effi cacité d’une thérapeutique et son inscription dans une recommandation par une société savante, ce qui rend son utilisation dans l’intervalle malaisée pour un praticien isolé.

Quand il s’agit d’une maladie ou d’une problématique rare, il n’existe alors aucune recommandation. Le médecin doit alors se forger une opinion sur ses connaissances personnelles, ou les données de la littérature. En cas d’incertitude sur le sujet, il doit soit s’entourer de l’avis de confrères, soit adresser le patient à une équipe hospitalo-universitaire. Car s’il prend une décision lourde en solitaire, il a toutes les chances de voir sa position critiquée en cas d’événements indésirables.

Hors AMM

Il y a plusieurs exemples de molécules pour lesquelles il n’y pas eu d’AMM, alors que la validation scientifi que a été parfaitement intégrée par la communauté médicale et les sociétés savantes. L’hydrogéno- sulfate de clopidogrel après implantation de stents en est la parfaitement illustration. Sous l’impulsion des cardiologues interventionnels, des registres puis des études ont été diligentés pour faire rapidement de l’hydrogéno-sulfate de clopidogrel la molécule incontournable, en association à l’aspirine, pour prévenir la thrombose de stents. Bien que n’ayant pas l’AMM dans cette indication, en dehors des syndromes coronariens aigus, personne n’oserait aujourd’hui contester son efficacité et sa légitimité.

Les héparines de bas poids moléculaire (HBPM), par une biodisponibilité optimalisée et une facilité d’utilisation, sont aujourd’hui utilisées, hors AMM en remplacement de l’héparine traditionnelle dans de nombreuses situations cardiologiques aussi bien en médecine libérale que dans les CHU et sont intégrées dans de nombreuses recommandations de sociétés savantes.

Ainsi, les dernières recommandations de l’HAS et du GEHT d’avril 2008 (prise en charge des surdosages et des situations à risque hémorragique et accidents hémorragiques chez les patients sous AVK) suggèrent, en cas de chirurgie programmée, un relais des AVK indifféremment par des HNF ou des HBPM (2 injections en doses curatives) aussi bien chez les patients porteurs de valves mécaniques que les patients en ACFA. Cependant, ils précisent que les HBPM n’ont pas l’AMM ! Il n’est donc pas simple d’exercer dans ce contexte parfois contradictoire. On peut néanmoins se réjouir de disposer enfin de recommandations des sociétés savantes dans ces indications complexes.

Dans le cadre des recommandations de l’HAS (guide d’artériopathie oblitérante des membres inférieurs, mars 2007), il est recommandé de prescrire un antiagrégant plaquettaire : aspirine faible dose ou clopidogrel, alors que les différentes formes d’aspirine commercialisées n’ont pas l’AMM pour cette indication !

La prescription hors AMM ne se limite pas à la seule prescription pour une indication non reconnue, mais concerne aussi une utilisation en dehors des doses préconisées ou sur un terrain non inclus par le laboratoire (grossesse, âge, comorbidité..).

Lorsque le médecin a décidé de prescrire hors AMM, après estimation du rapport bénéfice/risque, il doit en avertir son patient, d’autant plus que dans certaines situations, le patient pourrait ne pas être remboursé par la Sécurité Sociale. En cas de prescription hors AMM, le pharmacien qui délivre l’ordonnance ou l’infi rmière qui remet le traitement peuvent dans certains cas voir leur responsabilité engagée, car ils ont un rôle de contrôle établi par la loi.

Conclusion

Si la loi impose au médecin de délivrer des soins conformes aux données acquises de la science, elle lui consacre néanmoins une liberté dans ses prescriptions. Face à un patient donné, avec ses antécédents et ses comorbidités, le praticien reste toujours le seul responsable dans ses choix. Il tentera de suivre les recommandations, à conditions qu’elles soient pertinentes scientifiquement et pourvues d’un niveau de preuve suffisant et se conformera aux AMM. Dans les cas où il n’existe pas de recommandation, ou qu’elle ne peut pas s’appliquer au patient donné, ou bien qu’une prescription hors AMM soit nécessaire, il devra informer le patient de cette particularité et rassembler les arguments qui justifient sa stratégie s’il doit faire un jour l’objet d’une plainte.

S’il doute du bienfondé de sa réflexion, il sera alors préférable qu’il adresse son patient à un spécialiste ou à une équipe hospitalo- universitaire.

Sites utiles

_ SFC : www.sfcardio.fr/recommandations/sfc _ ESC : www.escardio.org/guidelines-surveys/esc-guidelines/Pages/GuidelinesList.aspx. _ AHA : www.americanheart.org/presenter.jhtml?identifier=9181 _ ACC : www.acc.org/qualityandscience/clinical/statements.htm _ HAS : www.has-sante.fr