Les lois de la contagion : une actualité virale…

Les lois de la contagion s’appliquent-elles en dehors des maladies infectieuses ? Réponse dans le livre d’Adam Kucharski.

Inattendu. C’est ainsi que l’on pourrait qualifier le livre d’Adam Kucharski intitulé « Les lois de la contagion », car pour un médecin, ce titre annonce un essai sur les maladies transmissibles, les infections. Mais pour Kucharski, ces maladies ne sont qu’un prétexte à exposer quelques-unes des lois de la contagion afin de parcourir divers domaines sociétaux pour évaluer si elles s’y appliquent aussi. Et cela va des maladies supposées non transmissibles comme le tabagisme, l’obésité ou le diabète, en passant par les idées, le langage « Il nous faut étudier la manière dont se forgent les convictions et les comportements, et comment ils peuvent se propager »… les bulles financières, la criminalité et les fausses nouvelles, tout comme certains virus, informatiques ceux-là. Autant dire que les lois de la contagion pourraient constituer une matrice d’analyse des phénomènes sociaux. 

Ce livre en fournit d’ailleurs un exemple involontaire. Sa traductrice, qui porte un patronyme français, semble ainsi contaminée par la mode des anglicismes, car on ne compte plus le nombre de fois où elle a recours aux termes « impacter » et « investiguer », tout en nous gratifiant au détour d’une phrase d’un « pitcher » voire du mot « twist ». 

Des maladies contagieuses…

Adam Kucharski est épidémiologiste à Londres et rédacteur pour le Financial Times et l’Observer, et par là-même, vulgarisateur scientifique. Il commence par rappeler quelques faits marquants de la naissance de l’épidémiologie moderne afin d’en comprendre les déterminants même si « l’épidémiologie est en réalité un sujet mathématique ». Puis il explique simplement le R0 ou taux de reproduction de base d’une épidémie et en quoi ce paramètre est capital pour analyser les épidémies… quelles qu’elles semblent être. Il rappelle une donnée essentielle : « On croit souvent à tort que les épidémies grossissent de façon constante, génération après génération, où chaque cas infecterait le même nombre de personnes » or un modèle prédomine, celui des super-contaminateurs, faisant que 80 % des cas sont contaminés par 20 % des sujets infectés.

… aux faits a priori non contagieux

Une épidémie a 4 phases : début, croissance, pic et déclin, tout comme les bulles financières, tout comme la propagation d’un virus informatique, tout comme la criminalité dans une ville, tout comme… Chaque phase peut donc être analysée pour comprendre ces divers faits et tenter de les prévenir ou d’en prévenir les effets. Etant chercheur, l’auteur sait aussi exposer les limites des diverses méthodes : « … en substance, une modélisation n’est qu’une simplification du monde destinée à nous aider à comprendre ce qui pourrait arriver dans une situation donnée ». Il fait donc la synthèse des données acquises dans plusieurs domaines montrant que les lois de la contagion semblent s’appliquer à certains et moins bien à d’autres. Ainsi, il est difficile de dire, lorsque le tabagisme ou l’obésité touchent plusieurs membres d’un groupe, s’il s’agit d’un effet de contagion sociale (des amis copient un même comportement), d’un effet d’homophilie (qui se ressemble s’assemble) ou d’une exposition du groupe à un même environnement.

Ce livre rapporte aussi divers faits relatifs à l’exploitation des données numériques telles des études d’influence faites par Facebook à l’insu de ses utilisateurs, ou encore que « Dès l’instant où nous cliquons sur un lien internet, nous devenons l’objet d’une guerre de rapidité de surenchères. Il faut environ 0,03 seconde au serveur d’un site pour rassembler toutes les informations dont il dispose sur nous et les envoyer à sa régie publicitaire. Celle-ci présente alors ces informations à un ensemble de traders automatisés qui agissent pour le compte des annonceurs. 0,07 seconde plus tard, les traders proposent des enchères pour nous montrer leur publicité. La régie publicitaire choisit l’enchère gagnante et envoie la publicité à notre navigateur qui la fait apparaître sur notre page internet en cours de chargement ». 

Au chapitre mésinformation, on y rappelle que « les journalistes ne font pas seulement partie de la manipulation des médias, ils en sont le trophée » pouvant devenir des « super-contaminateurs » et que « lorsque le KGB formait ses agents étrangers pendant la guerre froide, il leur apprenait comment semer le doute dans l’opinion publique et saper la confiance dans les vraies informations. Voilà ce qu’est la désinformation. Elle n’est pas là pour nous convaincre qu’une histoire fausse est vraie, mais pour faire douter de la notion même de vérité. L’objectif est de brouiller les faits pour rendre la réalité difficile à cerner ». Et comme le disait un spécialiste « au bon vieux temps du KGB, quand les espions utilisaient cette tactique, le but était qu’un grand média reprenne la désinformation pour en assurer la légitimité et la diffusion ». Les lois éternelles de la contagion… 

François Diévart

  • Auteur : Adam Kucharski
  • Editeur : Dunod
  • Collection : Outils pour la santé publique
  • Date de sortie : février 2021
  • Nombre de pages : 336
  • Prix : 24,90 euros – Liseuse : 16,99 euros