Loi de santé : les médecins ne lâchent pas prise

« Historique ». C’est ainsi que la profession a qualifié la grande manifestation du 15 mars dernier à Paris qui a vu défiler environ 40 000 (19 000 selon la préfecture de police !) médecins libéraux, internes et étudiants en médecine sous la bannière « Tous unis pour la santé de demain, non au projet de loi de santé ». FullSizeRender 300Mais l’ampleur de cette manifestation n’a guère fait bouger les lignes et Marisol Touraine est restée inflexible sur un certains nombres de mesures contenues dans le projet de loi de santé, qui sont précisément les plus inacceptables pour les médecins. L’entrevue des principaux syndicats médicaux avec le Premier ministre quelques jours après la manifestation n’a pas été de nature à faire changer les médecins d’avis quant à « l’autisme » gouvernemental. Manuel Valls leur a bien assuré que « les médecins peuvent, doivent avoir confiance dans le Gouvernement », juste avant de leur confirmer que le tiers-payant généralisé est « évidemment maintenu » mais de promettre « un système simple ». Et d’annoncer d’une conférence nationale sur la santé qui se tiendrait à l’automne prochain ou en 2016 sur « l’avenir du métier médical et paramédical » et « l’exercice du métier ». On croit rêver : une fois que la messe est dite, on réfléchit aux intentions ! Les syndicats médicaux n’ont pas apprécié. A l’issue de la rencontre, la CSMF a annoncé une nouvelle journée de grève le 31 mars et réclame désormais « l’abandon total » du projet de loi. Et l’unité syndicale ne faiblit pas. Pour la FMF, « cette journée doit être une nouvelle journée de protestation unitaire pour nous, les médecins libéraux », et appelle « à Paris à un rassemblement de protestation devant l’Assemblée Nationale de 13 h à 16 h les 31 mars et 1er avril » et « à la réalisation d’actions de protestation dans toutes les régions de France ». Quant au SML, il participera à toutes les actions menées ce jour-là, au sein du Mouvement pour la Santé Tous, qui regroupe 45 syndicats de professionnels des santé et organisations étudiantes.

La commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale a adopté le 19 mars dernier le projet de loi de santé -rebaptisé projet de loi « de modernisation de notre système de santé »- à l’issue d’un marathon durant lequel les députés ont adopté 358 amendements (sur les 1 688 déposés sur le texte), dont 57 étaient des amendements gouvernementaux. Le texte est donc passé de 57 à 132 articles, les députés ayant voté 77 articles additionnels et en ayant supprimé deux, dont celui relatif à la vaccination par les pharmaciens. Certains articles adoptés par la commission avaient été profondément remaniés par le Gouvernement à la suite de la concertation engagée avec les représentants des médecins à la mi-janvier. Ils portent sur des mesures clés, fortement contestées par les professionnels : le tiers-payant généralisé, le service territorial de santé au public, le service public hospitalier (SPH) et les pratiques avancées.

 

Tiers-payant généralisé

L’article 18 relatif à la généralisation du tiers-payant dans sa nouvelle mouture, détaille le calendrier de sa mise en œuvre progressive. Il prévoit la rédaction d’un rapport commun par l’Assurance Maladie et les complémentaires santé « au plus tard le 31 octobre 2015 », qui devra présenter les solutions techniques pour la mise ne place du dispositif. « Il détermine les solutions techniques permettant d’assurer aux professionnels de santé la simplicité de l’utilisation, la lisibilité des droits et la garantie du paiement ». Le rapport devra mentionner les « calendriers et modalités de test des solutions envisagées au cours de l’année 2016, en vue de parvenir à ouvrir à tous le bénéfice effectif du tiers-payant à compter du 1er janvier 2017 ». Pour ce qui est du calendrier, il est le suivant : à partir du 1er juillet 2016, les professionnels libéraux pourront pratiquer le tiers-payant pour l’ensemble des assurés pris en charge à 100 % par l’Assurance Maladie, en plus des bénéficiaires de la CMU et de l’ACS. Ils auront l’obligation de le faire à compter du 31 décembre 2016. Dès le 1er janvier 2017, ils pourront proposer le tiers-payant à l’ensemble de leurs patients et seront obligés de le faire à partir du 30 novembre 2017, quand cela deviendra un droit pour le patient. Si l’article 18 dans sa nouvelle rédaction ne prévoit aucune sanction à l’égard des professionnels récalcitrants –comme s’y était engagée Marisol Touraine- en revanche, il rend impérative pour le médecin l’application du tiers-payant généralisé alors que la version initiale renvoyait les modalités de sa mise en œuvre à la négociation conventionnelle.

 

Les pratiques avancées

L’article 30 définit « l’exercice en pratique avancée ». Craignant la remise en cause de leur rôle, les médecins avaient fortement contesté cet article. Un amendement gouvernemental précise donc que les professionnels paramédicaux peuvent exercer en pratique avancée « au sein d’une équipe de soins primaires coordonnée par le médecin traitant ou au sein d’une équipe de soins en établissement coordonnée par un médecin ». De même, le terme de « diagnostic » a été ôté des activités du professionnel en pratique avancée et remplacé par celui de « conclusion clinique ». L’article stipule qu’un futur texte d’application devra détailler « les conditions et les règles de l’exercice en pratique avancée », texte d’application qui devra être élaboré après avis de l’Académie de médecine et « des représentants des professionnels de santé concernés ».

 

Le service public hospitalier

Un amendement à l’article 26 édicte les conditions d’habilitation et d’association au SPH. Elles sont conformes à celles qu’avait indiquées Marisol Touraine fin décembre et qui avaient conduit la Fédération de l’Hospitalisation Privée (FHP) à suspendre son mouvement de grève des cliniques. Les établissements privés sont habilités, sur leur demande, par le directeur général de l’ARS « s’ils s’engagent, après avis favorable conforme de la CME et dans le cadre de leurs négociations contractuelles à exercer l’ensemble de leur activité dans les conditions énoncées ». Peuvent être « associés » au SPH les établissements privés, autres que les ESPIC et les cliniques habilités à assurer le SPH, qui sont autorisés à exercer une activité de soins prenant en charge des patients en situation d’urgence. « L’ensemble des cliniques disposant d’une activité d’urgences » peuvent donc être associées au SPH mais « uniquement pour cette activité spécifique ». L’autorisation et l’association au SPH peuvent être « suspendues ou retirées » en cas de manquement aux obligations du SPH, et une pénalité financière peut être prononcée. En outre, l’amendement précise qu’il n’existe aucun lien entre le SPH et le droit des autorisations, ce qui était une inquiétude des cliniques privées. En revanche, l’article 26 s’en tient à la stricte absence de dépassements d’honoraires pour prétendre au SPH. Il n’est plus question de possibles « dérogations limitées » évoquées en fin d’année 2014 par la ministre lors des négociations avec la FHP.

 

Les « communautés professionnelles de territoire »

L’article 12 du projet qui instaurait un « service territorial de santé au public » avait suscité les plus vives critiques des médecins libéraux qui redoutaient la main mise des ARS sur leur exercice. Un premier amendement gouvernemental le renomme donc un des chapitres du projet « Promouvoir les soins primaires et favoriser la structuration des parcours de santé ». Deux autres amendements gouvernementaux visent à créer les « communautés professionnelles territoriales de santé » et à définir la notion d’ « équipe de soins primaires ». Cette dernière « est un ensemble de professionnels de santé constitué autour de médecins généralistes de premier recours, choisissant d’assurer leurs activités de soins de premier recours sur la base d’un projet de santé qu’ils élaborent. Elle peut prendre la forme d’une structure d’exercice coordonnée ». L’équipe « contribue à la structuration des parcours de santé des usagers » ; son projet de santé a pour objet « par une meilleure coordination des acteurs, l’amélioration et la protection de l’état de santé de la population, ainsi que la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé ». Pour cela, des professionnels de santé « peuvent décider de se constituer en communauté professionnelle territoriale de santé », prévoit l’amendement sur ces communautés qui devient un nouvel article à la suite de l’article 12. A défaut d’initiative des professionnels, c’est l’ARS qui peut prendre « en concertation avec les URPS, les initiatives nécessaires à la constitution » d’une telle communauté.

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