Les points marquants de cette élection présidentielle

Interview de Elisa Chelle (1) 

Quelle est la place de la médecine libérale dans la campagne présidentielle ?

La médecine libérale fait l’objet de plusieurs propositions, à côté de la médecine hospitalière ou de la médecine préventive. Il est d’abord question des futurs médecins. Si le numerus clausus a été supprimé, l’augmentation de la capacité d’accueil des facultés de médecine est en discussion. Une année d’internat ou de fin d’études passée à exercer dans un désert médical est envisagée, sans préciser toutefois quel pourrait être l’encadrement de ces juniors là où il n’y a justement pas ou plus de médecins. Des primes à l’installation ou à l’exercice en zone sous-dotée ne sont pas écartées. La coopération entre ville et hôpital est encouragée sous différentes formes (coordination, exercice à temps partagé…). Cependant, ce sont surtout les généralistes qui sont évoqués. La médecine de spécialité est relativement absente du débat de cette campagne.

Que doit-on en déduire ?

Il est difficile d’être exhaustif et pédagogique dans une campagne électorale. La santé reste un domaine assez technique. C’est aussi l’effet d’une démographie médicale. En 2020, on compte 103 000 généralistes pour 128 000 spécialistes en France. Nous avons également davantage de spécialistes formés à l’étranger ou dans l’UE, alors que la quasi-totalité des généralistes exerçant en France a été formée en France. Or, les généralistes sont le point d’entrée des Français pour entrer dans un parcours de soins. Les enjeux de la médecine de spécialité sont tout aussi importants, mais ils sont plus ciblés, donc moins visibles du grand public.

Les attentes des Français ont-elles évolué par rapport à l’élection présidentielle de 2017 ?

La pandémie de Covid-19 est passée par là. L’accès aux soins, tant d’un point de vue géographique qu’économique, est une thématique plus sensible. Les conditions de travail des personnels soignants ont aussi fait l’objet d’une attention particulière. Il faut se souvenir des Français applaudissant à leur fenêtre pendant le confinement… La thématique de réduction des coûts qui a prévalu ces dernières années n’est plus audible, en tout cas pour ces élections présidentielles de 2022.

La stratégie actuelle diffère-t-elle des stratégies précédentes ou bien accélère-t-elle certaines tendances ?

Quel que soit le gouvernement, il est difficile de faire « disruptif » en matière de politique de santé, tant le système est complexe et les acteurs nombreux. Le plan « Ma Santé 2022 » accentue certaines tendances : l’accroissement des métiers « paramédicaux », la décentralisation de la définition de l’offre de soins avec une plus grande prise en compte des besoins de santé par territoire, ou encore le renforcement de la santé publique avec le développement de mesures de prévention en milieu scolaire et en médecine du travail.

Globalement, quel regard peut-on porter sur notre système de santé aujourd’hui, dans l’absolu et en le replaçant dans un contexte plus international ?

La France est un pays que l’on pourrait presque qualifier de communiste en matière de santé. Les coûts de santé sont largement socialisés. L’hôpital public occupe une place prépondérante dans le système de soins. Qu’il s’agisse des actes, des consultations ou des médicaments, les tarifs sont fortement régulés par l’État. Corrélés à une Assurance-maladie universelle, les restes à charge sont relativement faibles. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas d’inégalités face à la santé, mais celles-ci sont largement atténuées par le système de protection sociale, et ce malgré les injonctions du « nouveau management public » de ces vingt dernières années.

(1) Professeure des universités en science politique – Université Paris Nanterre ; chercheuse affiliée au laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques de Sciences Po. Auteure de « La santé, sujet contrarié de la campagne présidentielle ? », Les Tribunes de la santé, n° 71, 2022