Les recommandations des sociétés savantes : un outil pour défendre ou pour condamner les médecins mis en cause ?

Les années 2000 ont indiscutablement consacré la « médecine basée sur les preuves (evidence based medecine) ». Nous sommes passés d’une médecine empirique, reposant essentiellement sur la confrontation d’expériences de leaders, vers une médecine encadrée par une multitude de recommandations nationales, européennes ou américaines, établies sur l’analyse d’études randomisées, multicentriques.

L’affaire du Mediator, qui a révélé des difficultés dans le renouvellement des AMM et dans le système de pharmacovigilance, puis la décision récente du Conseil d’Etat d’annuler des recommandations du diabète de type 2 de l’HAS en raison d’une insuffisance sur la gestion des conflits d’intérêts des auteurs, ont permis d’ouvrir les yeux sur ce que l’on peut attendre des institutions régulatrices et sur les recommandations dans leur utilisation au quotidien, comme de leur opposabilité en cas de mise en cause d’un médecin.

Les recommandations constituent-elles toujours « la référence » ? _ La réponse est évidemment non. Avec le recul du temps, nous avons pu observer une franche évolution dans le niveau de rigueur méthodologique appliqué dans l’écriture des recommandations. Avant les années 2000, les premières recommandations étaient écrites, en général, par des personnalités reconnues se réunissant deux à trois fois, partageant leurs expériences et leurs avis sur les études plus ou moins importantes, et aboutissaient sur des conseils de ce qu’il fallait ou ne fallait pas faire, mais sans toujours préciser le niveau de preuve. C’était déjà un progrès, à l’époque, sur une médecine de tradition orale où la pensée dominante reposait sur le charisme de quelques patrons qui « faisaient école ».

Aujourd’hui, qu’elles soient américaines ou européennes, les recommandations sont rédigées par des panels assez larges de personnalités reconnues, qui vont débattre, certes de leur expérience, mais qui surtout vont tenter de faire la synthèse des données publiées dans la littérature et chercher un consensus global.

Chaque option diagnostique ou thérapeutique est exprimée avec plus ou moins de force (classe I (bénéfique) à III (nuisible)), mais surtout elle quantifie le niveau de preuve de A à C (larges études randomisées, nombre limité d’études plus ou moins randomisées ou juste consensus d’experts).

Logiquement, ce sont les maladies les plus fréquentes qui font l’objet du maximum d’études et de recommandations, dont il peut être intéressant de confronter les positions européennes à celles américaines. Cela devient parfois un parcours du combattant pour se forger une opinion !

Habitués à une codification extrême de la pratique, les médecins se retrouvent parfois un peu démunis lorsqu’ils ont à traiter une maladie peu répandue ou orpheline. C’est alors que le bon sens doit primer et qu’il faut se tourner vers des référents pour orienter ses choix. Jusqu’à récemment, les médecins avaient le sentiment d’exercer dans un monde sécurisé, rassurés par la notoriété et le rayonnement de tel ou tel laboratoire. L’affaire du Mediator, même si la molécule a très peu été prescrite par les cardiologues, a montré, selon le rapport de l’IGAS, que le renouvellement des AMM par les agences régulatrices du médicament n’a peut-être pas été assez rigoureux.

Au-delà de ce problème, il a également été mis en évidence des lacunes dans le système de pharmacovigilance.

De nombreux médecins ont prescrit parce qu’ils avaient confi ance en leurs institutions. Plus récemment, probablement par une défiance accrue dans les institutions, une association de formation médicale indépendante a demandé le retrait d’une recommandation de la HAS concernant le traitement du diabète de type 2, soulignant que les conflits d’intérêts des auteurs n’avaient pas été évalués. Au terme de presque deux ans de procédure, l’association a obtenu du Conseil d’Etat, l’annulation de la décision de l’HAS en avril 2011.

Une aire nouvelle vient de s’ouvrir, celle d’une exigence de qualité des recommandations des Sociétés Savantes et des autres missions gouvernementales. Aujourd’hui, il ne suffit plus d’être un référent sur un sujet, mais on doit faire toute la lumière sur ses éventuels conflits d’intérêts propres, afin que les recommandations soient écrites en toute transparence pour ceux qui vont les lire et les appliquer.

Quelle place pour les recommandations en cas de procédure contentieuse contre un médecin ? _ Même si la question de l’opposabilité des recommandations fait l’actualité, c’est rarement l’indication ou la technicité d’un acte qui font débat dans les conflits entre patients et médecins. Il est vrai qu’internet a augmenté l’accessibilité des patients à la connaissance médicale, et qu’on voit de plus en plus fréquemment des plaintes s’appuyant sur des documents drainés sur la toile. Mais avant cela, les plaintes sont surtout la conséquence d’une déception, d’une désillusion ou d’une colère d’un patient contre son médecin. Cela a pu débuter simplement par une écoute insuffisante ou une information parcellaire sur un acte proposé. C’est lors de la réalisation d’un risque non expliqué que s’exprime la colère de la victime, alors qu’elle aurait pu être moindre si elle s’y était plus ou moins préparée. A ce sujet, il a été obtenu le principe du « préjudice d’impréparation » en cas de défaut d’information même lorsque l’acte était inévitable.

C’est aussi lorsque le patient, seul dans sa détresse, est face à un médecin au comportement désinvolte pour gérer sa complication, qu’il va développer progressivement une révolte et l’envie de porter plainte contre lui. En ne prenant pas le temps d’expliquer ce qu’il s’est passé au patient, à son entourage ou à son médecin traitant, le médecin à l’origine d’un accident prend le risque que son patient se tourne vers d’autres praticiens ou à la recherche d’information sur internet.

Il est très fréquent de voir des plaintes naître de paroles peu déontologiques de praticiens qui interviennent au décours d’un accident. Ce n’est malheureusement pas la dénonciation des fautes des confrères qui va réduire l’importance du préjudice et des handicaps!

Une fois qu’une procédure contentieuse est lancée, souvent sur la base d’un comportement décevant, il est clair que toute la démarche professionnelle du praticien sera étudiée à la loupe : indication, information, technique, mode de surveillance, gestion de la complication…

Va alors débuter une bataille entre l’expert désigné par les tribunaux, les conseils des patients et les conseils des médecins mis en cause. Tout d’abord, la nature des soins médicaux doit être étudiée à la lumière des données acquises à l’époque des faits. Il n’est donc pas acceptable qu’un médecin puisse être condamné sur une recommandation qui a été rédigée après l’acte litigieux.

Même s’il existait quelques études préliminaires évoquant le bénéfice de tel ou tel traitement, il n’est pas légalement acceptable d’attendre d’un médecin qu’il ait une connaissance aussi fi ne qu’un expert rédigeant une recommandation, ou un expert des tribunaux. En effet, la rédaction d’une recommandation se fait après confrontation de plusieurs experts sur l’analyse de plusieurs publications.

En revanche, un médecin peut avantageusement s’appuyer sur une recommandation publiée après son acte à l’origine d’un sinistre, s’il est en mesure de se justifier sur des études préalables dont il avait une très bonne connaissance à l’époque des faits. Sa défense sera d’autant plus forte qu’il n’existait pas d’alternative thérapeutique. Par ailleurs, il est difficile d’entendre dire que telle ou telle recommandation est plus forte qu’une autre.

L’essentiel du débat juridique sera de prouver que l’acte thérapeutique reposait sur un faisceau d’arguments en faveur de son choix. Si les recommandations offrent un cadre aux médecins, celui-ci n’est pas toujours suffisant, car l’acte médical doit être élaboré en tenant compte du terrain spécifique du patient, de son profil psychologique et de ses contre-indications. A titre d’exemple, est-il raisonnable de mettre une valve mécanique plutôt qu’une valve biologique à un patient certes jeune, mais dont il a été rapporté à plusieurs reprises une observance très médiocre ?

Il peut arriver en expertise médicale que des patients viennent avec leurs recommandations de la Société Française de Cardiologie sous le coude pour argumenter certains choix de chirurgie, avec comme on peut s’y attendre une compréhension parcellaire de la problématique et s’arcboutant sur un critère qu’ils pensent pouvoir appliquer à leur cas.

C’est là où la personnalité et la persuasion de l’expert sont capitales pour réussir à faire comprendre les données du problème. La résolution des conflits ne peut reposer que sur un débat contradictoire entre les parties et arbitré par l’expert, et parfois par une contre-expertise.

Il est bien évident qu’il sera toujours plus facile de se défendre si l’acte proposé était de classe I avec un niveau de preuves A, surtout s’il n’existe pas d’alternative thérapeutique ! La défense en expertise, comme devant le tribunal, devra être acharnée si les critiques ne s’appuient que sur une recommandation isolée et contredite par d’autres recommandations a priori de plus grandes envergures (ESC, ACC, AHA). Lorsqu’on est mis en cause, envisager un recours en dénonciation de conflit d’intérêts d’une recommandation peut, certes, être une voie de défense, mais probablement la moins simple ! Il est désormais certain que l’ensemble des organismes de régulation (HAS, AFSSAPS…) tout comme les Sociétés Savantes vont procéder avec soins dans le choix des membres des comités de travail ainsi qu’à une analyse scrupuleuse des conflits d’intérêt.

En conclusion _ Les recommandations des organismes gouvernementaux, comme celles des Sociétés Savantes ont permis ces dernières années d’apporter une aide au quotidien à l’ensemble des professionnels reposant sur une analyse de la bibliographie et plus de précisions sur le niveau de preuve. Bien entendu, chaque médecin, face à un patient donné, se doit d’orienter ses choix avec discernement, en ayant pris le soin d’informer le patient des objectifs thérapeutiques, mais également des risques potentiels, selon le niveau des connaissances au moment donné. En expertise, c’est sur le pari de l’intelligence et du débat d’idées que pourra être étudiée la responsabilité des médecins. Il sera impératif de s’opposer à toute critique d’expert lorsqu’elle n’est pas étayée par de la littérature opposable à la date de l’accident, surtout lorsque l’on connait la richesse des recommandations en cardiologie !

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