Lettre ouverte à mon directeur de CPAM

324 – Monsieur le Directeur

Mes associés et moi-même, comme, je pense, l’ensemble des cardiologues, ont reçu votre courrier à propos des bénéficiaires de la CMU. Vous écrivez que le taux de refus de prise en charge par les spécialistes serait de 41 %. C’est la troisième fois que l’on nous assène ce chiffre fantaisiste : une première fois lors de la publication du rapport Chadelat en 2006, une seconde à l’occasion de la circulaire du 30 juin 2008 de la Caisse Nationale, et une troisième fois dans votre lettre. Croyez-vous sincèrement que 41 % des spécialistes relevant de votre caisse refusent de soigner les bénéficiaires de la CMU ?

J’ai appris que ce type de courrier serait envoyé aux médecins qui, d’après les statistiques des caisses, ne feraient pas suffisamment d’actes pour les bénéficiaires de la CMU. Pourtant, si j’en crois les TSAP établis par vos services, mon cabinet est régulièrement dans la moyenne régionale, et même souvent un peu au-dessus. Nos chiffres seraient d’ailleurs un peu plus élevés si tous les rendez-vous que nous donnons étaient honorés par les intéressés. En fait, les bénéficiaires de la CMU sont en général plutôt jeunes, et les clients des cardiologues plutôt âgés. C’est ainsi et nous n’y pouvons rien.

Je dois dire que, comme bon nombre de mes confrères, je commence à être lassé par ces assertions moralisatrices et bien-pensantes et par ce discours culpabilisant vis-à-vis des médecins. Ces accusations, qui font le bonheur des journaux, sont basées sur des « études » à la méthodologie douteuse et qui ne reflètent pas la réalité quotidienne.

Un exemple : une enquête parue en mai 2009 a fait grand bruit. En ce qui concerne notre région, les cardiologues sont très vertueux : 100 % de prise en charge. Cela représente bien, à mon avis la réalité, mais la méthode employée pour obtenir ce résultat fait sourire : si l’on regarde en détail le dossier de presse, ce taux de 100 % repose sur un coup de téléphone adressé à seulement deux cardiologues lillois. Par contre, honte aux Normands : 100 % de refus de prise en charge. Sur quoi est basé ce 100 % ? sur un coup de téléphone adressé à un seul cardiologue de Rouen, choisi et interrogé on ne sait d’ailleurs pas comment. Plus récemment, à partir de quelques coups de téléphones adressés à des cabinets des beaux quartiers parisiens, on titre qu’il y a 25 % de refus de soins. Sans doute y a-t-il quelques médecins qui refusent de suivre les bénéficiaires de la CMU et je condamne cette attitude. Personnellement, je n’en connais pas, mais je veux bien croire qu’il en existe. Pourquoi ne pas leur appliquer les sanctions prévues par la loi ? Pourquoi préfère-t-on jeter l’ostracisme sur l’ensemble de la profession ? Pourquoi vouloir faire croire, comme vous l’écrivez, que presque la moitié des spécialistes manquerait à ses devoirs ? _ On peut comprendre, sans l’admettre, les motivations d’une certaine presse qui pense surtout à ses ventes. Je suis étonné que l’Assurance Maladie se mêle à ce concert.

La véritable question est en fait la suivante : y aurait-il un problème de santé publique lié à une prise en charge médicale insuffisante des bénéficiaires de la CMU ? _ Un très beau travail (Prise en charge de l’infarctus du myocarde- 28 avril 2009) réalisé par le service médical de l’Assurance Maladie apporte une réponse. L’étude porte sur les conditions de prise en charge médicale de l’ensemble des assurés sociaux du régime général hospitalisés pour infarctus du myocarde pendant tout le premier semestre 2006, soit 14 000 dossiers, et se prolonge sur les six mois qui suivent le séjour hospitalier. Elle a un volet médical, mais aussi un volet social, avec une évaluation du suivi médical des bénéficiaires de la CMU.

Je vous en cite quelques conclusions :

– Selon les données de l’Assurance Maladie, la prise en charge médicale des patients CMU-C est similaire à celle des autres patients,

– Les patients bénéficiaires de la CMUC sont accueillis dans les mêmes proportions que les autres patients dans les différents types d’établissements de santé, y compris les cliniques privées.

– Les taux de coronarographie (91,8%) et de pose de stents (72,4%) sont également équivalents, témoignant du bon niveau de prise en charge médicale des malades relevant du dispositif de la CMU-C.

– il n’existe pas de différence significative en matière de suivi spécialisé, par un cardiologue libéral notamment, entre les bénéficiaires de la CMU-C et les autres assurés. La qualité scientifique de ce travail est telle qu’il a été publié dans les Archives of cardiovascular diseuses. Il s’agit à ma connaissance de la seule publication sérieuse réalisée sur le sujet. Elle démontre parfaitement que dans « la vraie vie », pour une pathologie donnée, les bénéficiaires de la CMU reçoivent le même haut niveau de soins que le reste de la population.

Pourquoi, dans sa communication, l’Assurance Maladie occulte-t-elle cette très belle étude de son service médical et privilégie-t-elle les chiffres très douteux du rapport Chadelat ?  Il est certain que le suivi des bénéficiaires de la CMU est parfois un peu complexe, mais les critiques ne doivent pas être à sens unique. La circulaire du 30 juin 2008 de la Caisse Nationale, comme d’ailleurs vous le rappelez, énonce un certain nombre de situations où les professionnels de santé ont lieu d’être irrités, et notamment les retards injustifiés aux rendez-vous, les rendez-vous manqués et non annulés, les traitements non suivis ou interrompus, les exigences exorbitantes. C’est la première fois à ma connaissance qu’une circulaire de Sécurité Sociale détaille de façon aussi précise des faits qui relèvent habituellement du dialogue singulier entre le médecin et son patient. Même s’il ne faut pas généraliser, cela montre qu’il existe réellement des problèmes dont le corps médical n’est pas responsable.

Cette même circulaire insiste sur la nécessité pour les caisses de porter une attention particulière et de traiter en priorité les réclamations portées par les professionnels de santé relatives au remboursement des soins pratiqués avec dispense d’avance des frais. Faire cette recommandation, c’est admettre que, là aussi, il existe des difficultés. Il aura d’ailleurs fallu un avenant conventionnel (l’avenant n° 21), pour rappeler que « les professionnels qui assurent la dispense d’avance de frais ont droit à un remboursement rapide des soins assurés », ce qui, normalement, aurait dû aller de soi. La circulaire établit bien que l’on se trouve en présence de trois partenaires : les bénéficiaires de la CMU, l’Assurance Maladie et les médecins, chacun ayant des droits et des devoirs, et qu’il ne faut pas que les droits soient uniquement pour les uns et les devoirs uniquement pour les autres.

Les multiples réactions engendrées actuellement par la CMU sont souvent disproportionnées et excessives. Il n’est pas sûr que le foisonnement de textes législatifs et réglementaires la concernant contribue à la sérénité. Les diverses déclarations, et votre courrier en fait partie, donnent l’impression désagréable que toutes les difficultés ponctuelles sont instrumentalisées pour donner une image négative du corps médical. J’ai bien compris évidemment, Monsieur le Directeur, que vous appliquez des consignes nationales, et ma lettre ne s’adresse pas directement à vous. J’aimerais que la Caisse nationale comprenne que ce type de mise en garde, adressée à des médecins non concernés, risque finalement de se montrer contre-productif et d’entraîner des réactions de rejet.

Ce serait regrettable, car, dans mon expérience en pratique quotidienne, sur le plan médical, les choses se passent plutôt bien. Il y a évidemment de temps à autre des difficultés relationnelles avec des bénéficiaires de la CMU. Il s’agit en général de patients plutôt jeunes, en bonne santé, et dont on se demande ce qu’ils viennent faire dans un cabinet cardiologie. C’est heureusement une minorité. Pour l’immense majorité, et en particulier pour ceux qui nécessitent un suivi cardiologique, il n’est constaté aucun problème particulier, aussi bien pour le malade, pour trouver un cardiologue, que pour celui-ci, pour suivre son patient, ce que confirme le travail du service médical de l’Assurance Maladie évoqué précédemment.

Je vous prie, Monsieur le Directeur…