La biographie d’Elon Musk écrite par Walter Isaacson est un livre exceptionnel par deux aspects : sa qualité et la personnalité qu’elle décrit, celle d’un homme qui à maints égards pourrait être qualifié d’extraterrestre.
UN LIVRE FACILE ET TRÈS DOCUMENTÉ
Walter Isaacson est un journaliste de premier plan aux Etats-Unis. Il a déjà écrit plusieurs biographies, notamment celles d’Henry Kissinger, de Benjamin Franklin, d’Albert Einstein, de Steve Jobs et de Léonard de Vinci. Il est d’ailleurs intéressant d’étudier la façon dont il procède : par chapitres assez courts, chacun décrivant un aspect ou une période plus ou moins longue de la vie de son personnage, avec parfois une analyse plus générale.
Ainsi, par exemple, dans la biographie de Steve Jobs, le chapitre consacré au design est passionnant quand il aborde la conception qu’en a Steve Jobs et son designer-chef, Jonathan Ive : ils ont inversé la règle qui voulait qu’un ingénieur prévoie les modalités techniques d’un produit puis que le designer se débrouille pour les faire entrer dans un objet plaisant.
Pour Apple, c’est le design d’abord, et les ingénieurs doivent ensuite faire entrer les procédés techniques dans l’objet. Dans celle de Léonard de Vinci, celui sur l’étude du vol des oiseaux est tout aussi passionnant, Vinci faisant des découvertes par son sens l’observation et de la déduction qui sont conformes aux principes sur lesquels repose le vol des avions.
La biographie consacrée à Elon Musk, comme l’étaient celles de Steve Jobs et de Léonard de Vinci, est un « pavé » : plus de 600 pages assez denses avec 95 chapitres et chacun raconte une facette de l’histoire et du personnage qu’est Elon Musk.
Comme pour la biographie de Steve Jobs, l’auteur a deux avantages majeurs, son sujet et son entourage sont vivants et ils ont accepté de répondre aux questions de l’auteur. Plus encore, Elon Musk semble avoir noué des liens avec son biographe qui a pu l’accompagner dans plusieurs réunions professionnelles ou privées. L’auteur a ainsi eu des renseignements de première main lui permettant d’écrire un ouvrage unique, très différent des quelques biographies déjà disponibles sur Elon Musk.
Cet avantage a cependant son revers, l’auteur a clairement manqué du regard et de l’analyse critiques nécessaires pour rendre compte des comportements à tout le moins surprenants d’Elon Musk. Mais l’histoire est tellement prenante qu’il est difficile de lâcher le livre une fois commencé.
UNE VOLONTÉ HORS NORME AU SERVICE D’UNE VISION HORS NORME
Elon Musk a plusieurs caractéristiques qui en font une personne hors normes.
Il dit lui-même être affecté de la maladie d’Asperger, une forme particulière d’autisme lui conférant des capacités intellectuelles supérieures et qu’il a particulièrement développées dans le domaine de la résistance des matériaux et du codage informatique, lui conférant un avantage net pour la gestion des entreprises qu’il dirige. Mais cette maladie est source de problèmes relationnels : un contact oculaire peu fréquent avec ses interlocuteurs, des variations importantes du ton de la voix, une difficulté à faire face à ses émotions, tant pour les reconnaître et les analyser que pour les maîtriser. Ainsi, Elon Musk compare régulièrement son cerveau à des algorithmes neuronaux qui peuvent comprendre certaines choses et pas d’autres.
Sa deuxième caractéristique majeure est sa vision de l’évolution de l’humanité : pour lui, la vie humaine sur terre pourrait périr et il lui paraît important de coloniser la planète Mars afin de sauver l’humanité. De ce fait, son grand dessein est de créer une flotte de fusées pouvant aller sur Mars afin d’y habiter. C’est ainsi qu’il a créé SpaceX, une entreprise pour fabriquer et envoyer des fusées dans l’espace. Dans cette attente, il a créé le modèle économique permettant à cette entreprise d’être rentable : fusées réutilisables, fabricables le plus rapidement possible et a passé des contrats avec l’armée et les industries civiles pour mettre en orbite des satellites, mais aussi avec la NASA afin d’envoyer des cosmonautes dans la station spatiale orbitale.
Sa troisième caractéristique est une énergie inhabituelle et il semble dormir très peu. Lorsqu’il a décidé de faire quelque chose, tout est sacrifié à cet objectif. Il peut ainsi rester des heures dans ses usines à analyser chaque poste, dormir quelques heures sur un canapé et continuer jusqu’à ce que les problèmes qu’il a pris en charge soient résolus. A chaque poste inspecté, il vérifie que la solution utilisée est la plus simple, la plus rapide et la plus économique. S’il semble y avoir problème, il vaut mieux savoir lui répondre sur ses causes potentielles et sur les solutions adoptables. Sinon, il remonte la hiérarchie jusqu’à trouver celui qui est à l’origine d’une procédure de fabrication, l’utilisation d’un matériau, le nombre de boulons sur une pièce afin de lui demander le pourquoi de la chose. Si la réponse ne lui convient pas, le responsable et parfois l’équipe qui l’accompagne est instantanément licenciée pour laisser place à une équipe qui va adopter sa vision : moins de matériaux, moins de boulons, et parfois même moins de machines si l’assemblage de pièces est fait plus rapidement par l’homme que par le robot. Il a par ailleurs défini ce qu’il appelle un coefficient d’idiotie : si un kilo d’un matériau donné coûte par exemple 100 dollars à l’achat, quel est le coût affecté à ce matériau lorsqu’il est incorporé dans une voiture ou une fusée. Si le ratio entre les deux coûts est trop important, c’est qu’il y a des idiots qui n’ont pas compris qu’il devait y avoir des solutions plus simples pour diminuer le coût d’utilisation du matériau. Et en général, soit il a l’idée qui va permettre de diminuer ce coût, soit l’équipe doit trouver la solution dans un laps de temps réduit.
Et donc, la quatrième caractéristique qui est aussi un des symptômes de la maladie d’Asperger est qu’Elon Musk se focalise à la fois sur ce qui est concret et sur les détails. Il ne délègue que très peu en matière d’ingénierie et veut à la fois comprendre et diriger son équipe sur tous les éléments qui lui paraissent essentiels pour fabriquer vite et à coût réduit des fusées et des voitures électriques.
Pour autant, contrairement à ce qui caractérise aussi la maladie d’Asperger, il arrive à avoir une vision globale, intuitive de ses projets et réalisations. Souvent, en cas de problème, il se tait, semble sortir du monde relationnel et après un certain délai, il fournit des explications ou des solutions assez fulgurantes, et ce alors qu’il dirige plusieurs des entreprises majeures de notre époque.
Pour Space X, si les fusées doivent permettre à terme de rejoindre Mars, elles doivent comme vu plus avant, être viables économiquement. Plus encore, elles permettent de lancer une flotte de satellites Starlink, permettant des connexions à Internet de tous les endroits de la terre.
Pour Tesla, il a s’agit d’emblée d’envisager une voiture 100 % électrique, sans passer par les stades intermédiaires, notamment par l’hybride. Et il a fallu que cette entreprise soit rentable en produisant un nombre important de véhicules. Petite anecdote, lors d’une rencontre avec Bill Gates, ce dernier a voulu convaincre Elon Musk de devenir philanthrope et d’investir dans de nouvelles sources d’énergie. Réponse de Musk : j’ai probablement plus fait avec la voiture électrique contre le réchauffement de la planète que n’importe quel investissement philanthropique.
Pour Neuralink, entreprise destinée à créer des implants cérébraux permettant de se connecter à des ordinateurs, l’idée est venue, un jour où, pianotant sur son téléphone, Musk trouvait cela peu rapide, voire stupide. Ne pouvait-on pas concevoir un système connectant le cerveau à la machine pour lui commander directement sans passer par les mains ? Et Neuralink fut créé dans cet objectif, mais avec comme modèle économique d’aider les personnes en situation de handicap (moteur, visuel, auditif…).
Pour Twitter, son idée initiale est qu’il faut maintenir une certaine liberté d’expression qui semble selon lui paralysée de nos jours par ce qu’il appelle la pensée woke, stade ultime du politiquement correct.
UN SYSTÈME
Si Musk a pu développer des entreprises majeures, c’est pour plusieurs raisons. Notamment, s’il a pu rapidement devenir riche, il a réinvesti à chaque fois tout ou partie de sa fortune dans la création d’entreprises poursuivant ses idées. Le système américain permet par ailleurs, lorsqu’une innovation paraît prometteuse de rapidement lever les sommes nécessaires en sus. Ensuite, il y a une gestion des employés très personnelle que permet ce même système américain : Musk embauche et licencie en permanence afin d’avoir l’équipe nécessaire sur le moment à la réalisation d’un projet donné.
Et c’est peut-être à ce sujet que le biographe a manqué de recul, potentiellement car il participe à cette culture ou parce qu’il a été « subjugué » par son objet d’étude. Disons-le, si Musk réussit c’est qu’il a probablement une gestion tyrannique de ses entreprises, même si elle est au service d’un dessein qu’il estime supérieur. Et encore, ce dernier est-il réellement supérieur, dès lors qu’il ne peut être contesté voire discuté ? La solution technophile des problèmes de l’humanité est-elle la bonne et est-elle justifiée comme la seule viable au péril supposé prochain de la vie sur Terre ? La fin justifie-t-elle les moyens, même si le développement de Tesla a montré que le développement de voitures électriques est économiquement viable et potentiellement utile pour limiter l’émission de gaz à effet de serre ?
EN SAVOIR PLUS…
• Auteur : Walter Isaacson
• Editeur : Fayard
• Parution : septembre 2023
• Pagination : 672 pages
• Prix broché : 28,00 €
• Prix numérique : 18,99 €