L’IGAS, procureur et pourvoyeur d’idées pour ministre en manque d’inspiration

Ainsi en quelques mois l’IGAS vient-elle de signer quelques documents qui ont alimenté la chronique. Il y a moins d’un an, ses limiers ont instruit le procès des réseaux de santé pour convertir quelques mois plus tard leurs lecteurs au vertus du Disease Management, ce qui est à peu près la même chose à cette nuance près que les médecins sont moins légitimes dans le DM. Ils ont aussi diligenté une enquête sur les dépassements du secteur 2 et la propension de ses adhérents à éconduire de leur carnet de rendez-vous les patients en CMU. Une autre encore sur les errances du Conseil de l’Ordre parisien… On a le sentiment que chaque fois qu’un ministre de la Santé est interpellé, lui-même sollicite une enquête.

Pour parfois…, ne pas la rendre publique. Ainsi en est-il aujourd’hui du rapport, remis paraît-il, à son commanditaire ministériel en août dernier, sur la capacité qu’auront ou non les industriels du médicament à accompagner le bon usage du médicament jusqu’au patient. Il s’agit, au départ, de la transposition d’une directive européenne, pour lequel l’État français n’a pas vraiment d’alternative, sauf à s’exposer à de coûteuses amendes, et pour laquelle la seule question est celle des modalités. L’opinion publique attendra donc qu’intervienne le législateur pour en savoir plus. Malheureux législateur au passage, largement dépossédé de sa capacité d’initiative puisque le Sénat avait, l’an dernier, justement mandaté l’un de ses experts, le Dr Nicolas About, sur le même sujet.

Deux nouveaux rapports, très médiatisés, viennent d’être opportunément publiés

Dépenses de promotion du médicament : ou « les médecins vendus à l’industrie » !

• Celui, d’abord, sur les dépenses de promotion de ladite industrie pharmaceutique auprès de ses prescripteurs. Sur la base d’une enquête diligentée par Eurostaff et rapportée par l’IGAS, les dépenses de promotion, tous supports confondus (Visite Médicale, Congrès…) atteindraient 14 % du chiffre d’affaires du médicament remboursé. Soit le même niveau que les États-Unis, patrie de la démesure économique. Il est particulièrement concentré sur les généralistes qui ouvriraient leur porte en moyenne 330 fois l’an à un(e) VM !

Le constat se double, comme il se doit, d’un catalogue de propositions plus original, envisageant de « doubler » la communication des laboratoires par un réseau institutionnel, sous l’égide de la HAS, et les auteurs citent le réseau de DAM (Délégués de l’Assurance Maladie) de la CNAM qui pourrait être sollicité (en toute objectivité…, bien sûr ; et à quel coût ?).

Formellement l’hypothèse n’est pas nouvelle : en 1981, déjà, le ministre communiste Jack Ralite avait émis l’idée d’un service public de l’information médicale avant d’y renoncer au profit de l’appui marqué… et fatal à une revue, pourtant originale et qui se voulait indépendante de toute publicité.

Depuis, l’hypothèse d’un réseau de VM chargé de porter la parole officielle aux médecins ressort épisodiquement, sans avoir jamais vu le jour. La réforme Juppé avait même accouché d’un organisme – le FOPIM (FOnds Pour l’Information Médicale), animé par le Dr Bouton, ancien président de MG-France – dont on avait cru comprendre que c’était la mission. Absolument stérile, cet organisme fut dissous par la loi de 2004 et ses fonds inutilisés reversés à la HAS, alors portée sur les fonds baptismaux de la réforme.

Mais cette Haute Autorité avait également pour mission de travailler à la certification des réseaux de VM sur la base d’un référentiel. Une autre charte, élaborée sous son égide, encadre le « bon usage » des relations médecins/ industrie. L’arsenal législatif, et réglementaire ne manque donc pas de leviers pour enrayer tout dévoiement d’une information dont les médecins soulignent au passage la nécessité…, juste après l’information délivrée par les agences officielles.

En somme tous les éléments d’une pédagogie dénuée de mercantilisme sont objectivement réunis, dont le premier d’entre eux qui est le levier contractuel dont dispose le Comité économique du médicament lorsqu’il discute avec les PDG du contrat individuel régissant la vie économique du laboratoire.

Conclusion : au niveau du constat, ce rapport de l’IGAS n’apporte pas de vraie nouveauté sinon une mesure actualisée des investissements promotionnels sur lesquels l’État a déjà partiellement « la main ». On ne connaît pas (encore) le sort qui sera réservé à la suggestion de l’IGAS de mobiliser les DAM des Caisses pour délivrer un message contre-promotionnel. Du moins peut-on suggérer aux auteurs d’insister sur la formation des dits délégués qui a, manifestement, beaucoup à envier à celle des VM !

DMP : ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain

• Le second rapport de l’IGAS est voué au diagnostic sur le DMP. Celui-là a le mérite de la limpidité. Il est sans pitié pour les promoteurs politiques et les architectes du chantier. Et il se conclut, sans nuance, sur une mise en sommeil de la procédure en cours de sélection de l’hébergeur de référence dont on aurait dû connaître le nom ces jours-ci. Le Gouvernement a décidé de se donner le temps d’une réflexion approfondie sur le sujet et, à l’inverse de ses prédécesseurs, n’évoque plus de calendrier de déploiement.

De se donner le temps, aussi, de savoir ce qu’il conserve du bilan de ces trois ans qui n’est finalement pas si nul.

– Contrairement à ce qui est considéré par les rédacteurs du rapport, un consensus existe sur le contenu du DMP, élaboré dans le secret des travaux du COR (Comité d’Orientation). Sans doute abusivement malmené par les fonctionnaires du GIP qui ont peut-être consenti trop d’entorses à cette belle architecture : le Dossier Pharmaceutique, abandonné à la maîtrise d’ouvrage du seul Conseil de l’Ordre des Pharmaciens et qui reste un dossier « propriétaire », inaccessible aux médecins ; le web-médecin des Caisses qui constitue également un apport intéressant mais, en l’état, assez peu ergonomique et mal articulé avec le DMP d’une part, le DP d’autre part ; et enfin les différents dossiers thématiques (cancer, réseaux, …) qui frappent à la porte.

– Le GIP ne saurait être chargé de tous les maux. D’autres institutions ont mis du leur à complexifier le dispositif, notamment la CNIL en interdisant l’exploitation du numéro de Sécu comme identifiant du DMP. Cette position psychorigide est à l’origine du bug qui a inutilement terni le bilan des expérimentations de terrain.

– Enfin, il n’est pour rien – même s’il a pu donner le sentiment contraire – dans deux erreurs majeures qui condamnaient plus sûrement le DMP que toutes les fautes de conduite des pilotes du dossier.

1 – L’hérésie du droit consenti au malade au « masquage masqué » de données le concernant. Quel crédit le médecin pouvait- il conférer à un document dont l’intégrité ne lui était pas garantie ?

2 – La lâcheté des acteurs – et, pour le coup, tous les acteurs – à convenir que l’essentiel du parc logiciel médical actuel était, peu ou prou, voué à la poubelle de l’histoire, car non inter-opérables entre eux, et non compatibles avec les normes (internationales) exigées par le DMP… Il faudra bien trouver une solution, au moins fiscale, à l’investissement dans du soft compatible.

Ces deux sujets figurent, dans une version plus policée, dans l’inventaire des problèmes recensés par l’IGAS. Avec une surprenante célérité, le Sénat en a tiré les conséquences avec l’intention prêtée au rapporteur du PLFSS de mettre fin au « masquage masqué » par voie d’amendement. Ce sont cette fois les lobbies de patients qui vont hurler au parjure et à la fin de leurs avantages acquis…

Le Gouvernement devra donc raccommoder les accrocs. Mais le train de l’histoire – car le DMP est aussi inéluctable que le besoin de coordination des soins – peut aussi repartir sur des rails plus fiables. •

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