Maurice Druon et la nomenclature

322 – Maurice Druon est décédé en avril dernier. À cette occasion, tous les médias ont rappelé notamment Les Rois Maudits et le Chant des Partisans qu’il avait co-écrit avec Joseph Kessel. Le Cardiologue sera sans doute le seul organe de presse à évoquer son rôle positif à deux reprises dans deux longs conflits qui nous ont opposé aux caisses de Sécurité Sociale.

Le premier litige portait sur l’interprétation de l’article 8 des dispositions générales de la nomenclature, et le second sur celle de l’article 11-B. Dans les deux cas, il y avait un différend sur le sens d’un mot de la langue française. Il s’agissait de la définition du mot « soin » pour l’article 8, et celle du terme « séance » pour l’article 11-B. L’avis de celui qui était alors Secrétaire Perpétuel de l’Académie Française avait été sollicité par le Syndicat des Cardiologues et ses réponses très claires nous avaient fortement aidés à gagner nos procès contre les caisses.

Au-delà de l’anecdote, ce rappel est intéressant pour montrer que l’action syndicale doit parfois être imaginative et sortir des sentiers battus. C’est aussi l’occasion de montrer que le sens des mots a une importance dans les textes réglementaires et que nous ne devons pas nous laisser imposer l’interprétation erronée que peuvent parfois en donner les caisses. Enfin, le recadrage que nous avions pu obtenir par les arrêts favorables de la Cour de Cassation a pu, plus récemment, être retranscrit dans les dispositions générales de la C.C.A.M., et nous en bénéficions encore. Litiges à propos de l’acte global

L’argument des caisses, qui s’appuyaient sur une conception erronée de l’article 8 des dispositions générales de la nomenclature, en vigueur à l’époque, était de prétendre que les ECG, ou les surveillances monitorisées, pratiquées au décours d’une implantation de pace-maker, d’une angioplastie coronaire, voire de n’importe quelle intervention chirurgicale, étaient des soins post-opératoires, inclus dans la cotation de l’acte principal, considéré comme acte global, et ne pouvant faire l’objet d’aucune rémunération. Notre position était que les ECG et les surveillances monitorisées ne sont pas des « soins », la notion de « soin » impliquant une considération thérapeutique, ce qui n’est pas le cas d’actes de diagnostic.

Cette interprétation du sens du mot nous a été confirmée par une lettre du 29 avril 1988 de Maurice Druon que nous avions sollicité, et qui nous écrivait : « Le dictionnaire de l’Académie suggère que l’usage du mot « soin » répond essentiellement à des actes thérapeutiques et non diagnostiques : soin se dit particulièrement du traitement que l’on fait à un malade, des remèdes qu’on lui donne, des attentions que l’on a pour le soulager. Ainsi, c’est par une extension discutable que les examens pratiqués pour établir un diagnostic, y compris l’examen physique, l’auscultation, la palpation, etc. sont parfois qualifiés de soins. La distinction entre le simple examen du malade et les diverses techniques destinées à compléter cet examen fait donc appel à des considérations étrangères à la définition stricte du mot « soin » ».

Forts de cette définition, nous avons pu obtenir 44 jugements favorables, dont 14 en Cassation. Cet historique a un intérêt concret actuel. La rédaction des dispositions générales de la C.C.A.M. en a tenu compte, avec une meilleure définition du concept d’acte global.

En effet, l’article I-6 des D.G. de la C.C.A.M., outre une définition plus précise, ajoute : « Pour un acte chirurgical sanglant non répétitif réalisé en équipe sur un plateau technique lourd ou un acte   interventionnel, dont la réalisation en établissement de santé est nécessaire à la sécurité des soins, le tarif recouvre, pour le médecin qui le réalise :

• pendant la période pré-interventionnelle, les actes habituels en lien direct avec l’intervention en dehors de la consultation au cours de laquelle est posée l’indication ;

• la période per-interventionnelle ;

• la période postinterventionnelle et, ce, pendant une période de quinze jours après la réalisation de l’acte, pour un suivi hors complications et en ce qui concerne les conséquences directes liées à cet acte, que le patient soit hospitalisé ou non ». Deux différences importantes par rapport à l’ancien texte :

• le concept d’acte global concerne uniquement le médecin qui a réalisé cet acte ;

• il s’agit uniquement des conséquences directes liées à cet acte.

Depuis, nous n’avons plus observé un seul litige sur ce thème grâce, finalement, à une bonne définition du mot « soin » postopératoire dans la langue française. Litige à propos de la notion de « séance »

Chacun se souvient du motif du conflit : l’article 11B des dispositions générales de la nomenclature imposait lorsque deux actes techniques étaient pratiqués dans la même « séance », une demi-cotation pour l’un des deux, et, s’il y en avait plus de deux, la gratuité pour les suivants.

Cette disposition, qui n’a aucune justification rationnelle est déjà pénalisante. Les caisses l’avaient interprété de façon plus restrictive encore, en prétendant que deux actes différents faits dans la même journée devaient être considérés comme pratiqués « dans la même séance », avec les règles de demi-tarification qui en découlaient. Il s’agissait manifestement d’une dérive sur le sens du mot « séance » et nous avons de nouveau demandé l’avis de l’Académie Française.

Dans sa réponse du 12 janvier 1994, Maurice Druon, Secrétaire Perpétuel, nous informe que la Commission du dictionnaire s’est penchée sur notre question au cours de sa réunion du jeudi 6 janvier :  « L’idée de séance implique celle d’un temps limité et déterminé. C’est ainsi qu’on ouvre une séance et qu’on la ferme.

… il est clair que séance désignera un acte ou une action dont les limites temporelles sont déterminées. La durée d’une séance sera donc, comme vous le pensez vous-même, équivalente à la durée de l’acte médical pratiqué ».

Si deux actes de nature différente étaient réalisés successivement, il s’agissait donc de deux séances différentes et il était abusif de prétendre qu’ils avaient été faits dans la même séance. L’Académicien, manifestement outré de ce mésusage de la langue française ajoutait :  « Au cas où persisterait votre différend avec la Sécurité Sociale, nous vous suggérons d’inviter les responsables de cet organisme à s’adresser directement à nous ». (Au passage, il est remarquable de constater que notre demande avait été faite fin décembre, et que nous avions reçu une réponse dès le début janvier).

Avec cette argumentation, il a été possible d’obtenir en justice de nombreuses décisions favorables, douze au T.A.S.S., deux en Cour d’Appel, et deux en Cour de Cassation.

Là aussi, l’expérience du passé a servi pour la rédaction des D.G. de la C.C.A.M., qui remplacent l’ancienne réglementation, Maurice Druon écrivait en outre : « La Commission du Dictionnaire estime qu’il conviendrait dans le domaine médical, d’éviter le mot séance chaque fois que cela sera possible ».

Cette recommandation a été retranscrite dans le nouveau texte puisque l’on ne parle plus d’actes pratiqués « dans la même séance », mais « dans le même temps » (art.I-11) : Surtout, l’article III-3 prévoit qu’il est désormais possible de tarifer à taux plein deux actes pratiqués dans la même journée, avec le code d’association 5 : « Si pour des raisons médicales ou dans l’intérêt du patient, un médecin réalise des actes à des moments différents et discontinus de la même journée, à l’exclusion de ceux effectués dans une unité de réanimation ou dans une unité de soins intensifs de cardiologie en application des articles D. 712-104 et D. 712-115 du code de la santé publique, sur un même patient et qu’il facture ces actes à taux plein, il doit le justifier dans le dossier médical du patient qui est tenu à la disposition du contrôle médical ».

Si l’on ne craignait pas les raccourcis osés, on pourrait donc écrire que Maurice DRUON a été à l’origine du code d’association 5 des dispositions générales de la C.C.A.M…

Vincent Guillot

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