Non à la loi de santé ! [3]

Paris, le 11 décembre 2014.

Chère consœur,

Cher confrère,

Chers amis,

 

Troisième épisode de notre feuilleton : le tiers-payant généralisé où quand le dogmatisme s’associe à la démagogie pour accoucher d’une mesure, facile à vendre sur les plateaux de télévision, mais sans intérêt pour le patient qui en bénéficie déjà quand il en a besoin, les médecins n’ayant pas attendu les injonctions ministérielles pour prendre en compte les dures réalités de notre société  et coûteuses pour la collectivité sans amélioration du service rendu.

Bonne lecture et bon week-end, à la semaine prochaine pour la suite du feuilleton.

Amicalement.

 

Docteur Eric Perchicot, Président.

Docteur Frédéric Fossati, Secrétaire Général.

 

Tiers-payant généralisé

Le projet de loi de santé a réussi l’exploit de réunir contre lui l’hostilité de l’unanimité des médecins, au-delà de leurs clivages habituels, généralistes comme spécialistes, spécialités médicales comme spécialités chirurgicales, libéraux comme hospitaliers, et même l’Académie de Médecine et l’Ordre des Médecins.

Le tiers-payant généralisé est la mesure phare.

 

Le postulat de départ est erroné : l’avance des frais avant le remboursement par la Sécurité Sociale serait un frein à l’accès aux soins.

Or :

  • la télétransmission des actes par la carte vitale permet un remboursement dans les trois jours, c’est-à-dire en général bien avant que les chèques n’aient été déposés et débités. S’il y a un retard, il n’est pas imputable aux médecins mais à la Sécurité Sociale ;
  • les patients les plus démunis bénéficient déjà du tiers-payant par la CMU et bientôt par l’aide à la complémentaire santé ;
  • les soins lourds et coûteux en établissement bénéficient déjà du tiers-payant.

En fait, les véritables freins à l’accès aux soins ont été analysés et sont bien connus. Il s’agit :

  • des délais de rendez-vous dans certaines spécialités,
  • de la mauvaise prise en charge des soins dentaires et de l’optique.

Le tiers-payant généralisé n’apporte pas de réponse à ces deux causes essentielles. Au contraire, associé à d’autres aspects de la loi, il va accentuer le manque d’attractivité de la médecine libérale de proximité et contribuer ainsi à réduire l’accès aux soins.

La gratuité des soins n’est d’ailleurs pas forcément un gage de leur qualité puisqu’une enquête récente a montré que plus de 50 % des malades atteints d’affections chroniques (insuffisance cardiaque, diabète, hypertension artérielle) ne prenaient pas leur traitement, pourtant délivré en tiers-payant intégral par les pharmacies.

Effets néfastes du tiers-payant généralisé

On peut les prévoir à partir des situations où le tiers-payant est déjà actuellement légalement obligatoire :

  • banalisation de l’acte médical qui devient un produit de consommation courante avec toutes ses conséquences (absences non justifiées ou retards aux rendez-vous, exigences particulières…) et dégradation de la sérénité des rapports de confiance réciproque médecin – patient ;
  • augmentation de la demande d’actes médicaux, avec le surcoût qui en résulte (estimé à 1,5 à 2 milliards € par Nicolas BAVEREZ dans «Le Point» du 6 novembre dernier). La Sécurité Sociale peut-elle vraiment se le permettre ? L’Académie de Médecine, tirant la leçon d’expériences passées, prône au contraire la généralisation du ticket modérateur pour faire prendre conscience du coût des soins, les personnes vivant sous le seuil de pauvreté en étant exemptées.

Le gaspillage des médicaments facilité par leur apparente gratuité est régulièrement dénoncé. Veut-on aboutir à la même situation pour les actes médicaux ?

  • gestion administrative chronophage pour le médecin aux dépens du temps médical. Le coût de la gestion du tiers-payant pour un cabinet médical a été estimé, par les centres de santé qui le pratiquent intégralement, à 3,50 € par acte. Ce coût n’a pas été prévu par la loi.

Pour le patient, le tiers-payant généralisé donne une fausse impression de gratuité. Le surcoût sur les dépenses de santé qu’il impliquera se traduira forcément par une majoration des cotisations à sa mutuelle.

La nécessité de cette mesure, qui repose sur un postulat erroné, n’a pas été clairement établie.

Les médecins libéraux acceptent bien sûr le tiers-payant social qu’ils appliquent déjà, mais ils refusent unanimement cette généralisation qu’on veut leur imposer.

Comment peut-on faire appliquer une réforme qui est rejetée par la totalité de ceux qui seraient chargés de la mettre en œuvre ?

Dr Vincent Guillot

11 décembre 2014.