Pascal Guéret, nouveau président de la Société Française de Cardiologie : « Ce que nous voulons faire… »

Élu le 19 janvier dernier à la présidence de la Société Française de Cardiologie, le Pr Pascal Guéret est un homme de communication. Après ses études parisiennes, et une expérience d’installation libérale pendant 1 an, il avait été nommé agrégé à Limoges où il est resté pendant 7 ans. Redevenu parisien en 1992 à Henri Mondor (CHU Créteil), il nous livre ses projets et analyses à l’aube d’un mandat de 2 ans.

Le Cardiologue – La cardiologie libérale a été sensible au discours d’ouverture à son égard que vous avez prononcé lors de votre prise de fonctions. Est-ce à dire que la Société savante ouvre enfin ses portes à sa composante non hospitalo-universitaire ?

Pascal Guéret – La Société Française de Cardiologie a été longtemps perçue comme surtout représentative de la composante universitaire de la spécialité, à la fois dans sa composition et dans ses préoccupations. Des inflexions étaient déjà visibles avant ma présidence mais j’ai clairement indiqué mon souhait de les renforcer encore. Dominique Guedj a siégé au C.A. précédent et restera notre invitée pendant toute la durée de son mandat à la tête du Collège. On trouve encore au Conseil Marie-Christine Malergue, Christian Ziccarelli ou Didier Blanchard. Serge Kownator fait partie du bureau de notre Société. Enfin Jean-François Thébaut sera également un invité permanent du Conseil le temps de son mandat à la tête du syndicat. Nous avons voulu passer du stade de la courtoisie à celui de la synergie car les dossiers sont de plus en plus nombreux à concerner toutes les composantes de la spécialité.

L’EPP ?

P. G. – Pas seulement. La Société Française a ainsi été sollicitée pour avis sur le projet de décret relatif à la cardiologie interventionnelle. On n’imaginait pas rendre un texte qui n’ait pas été discuté avec les confrères qui la pratiquent dans les grands centres privés comme dans des laboratoires publics non universitaires. Ils étaient déjà présents dans nos rangs mais pas à la place institutionnelle que leur vaut leur représentativité respective. Ce faisant nous avons également entendu la suggestion des tutelles – et de la HAS par exemple – d’avoir une seule voix sur les grands sujets du moment.

Vous venez de parler du souhait de la HAS de n’avoir qu’un seul interlocuteur par spécialité sur les sujets touchant à la FMC et à la recertification. La cardiologie est « en ordre de marche » avec le nouveau « Conseil National Professionnel » qui réunit le syndicat et la société savante. Y aura-t-il d’autres « chantiers » après la FMC/EPP ?

P. G. – Il nous a fallu commencer par ce qui n’était pas le plus simple mais le plus urgent. Un exemple à propos de FMC. Vous savez que pour être créditrices de points les actions doivent être réalisées sous l’égide d’un organisme agréé. Il y en a trois en cardiologie : le CNCF, l’UFCV, la Société Française. Il nous fallait donc un cahier des charges commun pour garantir la qualité des actions et l’unité de la profession. C’est chose faite avant même la publication des derniers textes réglementaires. Le Conseil national professionnel aura d’autres tâches ; il permet à Jean-François Thébaut d’être invité à nos réunions mensuelles et au président de la Société savante d’être convié dans les grands moments de la vie syndicale. Dernièrement par exemple à une réunion du Comité de pilotage du Livre Blanc… La vie professionnelle est suffisamment exigeante pour solliciter régulièrement la coopération de nos organisations. Concernant l’EPP, le défi était par exemple de diversifier les méthodes de sorte d’offrir le libre choix aux cardiologues. Chez nous, c’est ce qu’on a appelé le « parcours » avec des sessions fléchées aux Journées européennes et une évaluation à distance, pendant le Printemps de la Cardiologie. Mais on pourrait encore évoquer la participation aux registres…

Tous ne sont pas également intéressants…

P. G. – Parce que tous n’ont ni la même vocation ni la même ancienneté. Mais celui sur le SCA est abondé par environ 70 % des centres en France et est donc parfaitement représentatif ; celui sur la coronarographie compte un fichier de 360 000 examens. Cette activité devient importante à la Société puisqu’elle emploie 3,5 Attachés de Recherche Clinique équivalents temps-plein.

La spécialité bruit des rumeurs d’une année d’internat supplémentaire…

P. G. – Ce n’est pas une rumeur ; la SFC l’a officiellement demandée aux Conseillers des deux ministres de la Santé et de l’Enseignement Supérieur pour compléter notre proposition d’un DESC (Diplôme d’Études Spécialisées Complémentaires), accessible en deux ans, soit à cheval sur la fin d’internat et le postinternat, clinicat ou assistanat, soit pendant le postinternat. Ce DESC est devenu nécessaire compte tenu de la technicisation croissante de la spécialité et nous l’envisageons avec deux valences : cardiologie interventionnelle coronaire et valvulaire de l’adulte d’une part et rythmologie d’autre part. Dans l’idéal, ce DESC permettrait une certaine harmonisation des durées d’études au niveau européen. Il est à noter que les spécialités chirurgicales ou, plus récemment la radiologie, sont déjà à 5 ans.

Mais 4 ans constituent déjà une durée considérable. Alors que la cardiologie aura aussi besoin de bras et pas seulement en pratique interventionnelle…

P. G. – En effet, c’est déjà cinq ans dans certains pays européens selon des maquettes qui, il est vrai, ne sont pas superposables à la nôtre car elles intègrent souvent un long tronc commun de médecine interne. Mais pensez que 4 ans, c’est 8 semestres dont 1 en médecine vasculaire et 2 hors cardiologie. Soit 5 pour se former au métier de cardiologue et à toutes ses techniques, ce n’est pas trop. Certes, il y a les DIU – en écho, en rythmologie, en cardiologie interventionnelle -, mais leur accès n’est régulé par rien d’autre que le nombre de postes formateurs. Notre ambition avec le DESC est également de mieux réguler les flux, en concertation avec le ministère. De pouvoir considérer qu’en fonction des besoins, qui sont eux-mêmes fonctions des progrès validés, la nécessité est de former tant de rythmologues capables de pratiquer des gestes aussi complexes que l’ablation de FA si les indications retenues dans l’avenir nécessitent de diffuser ce traitement à grande échelle.

Mais la délégation de tâche, la robotisation sont aussi là pour pourvoir aux besoins.

P. G. – Probablement l’une et l’autre sontelles autant de promesses, mais encore au stade des expériences préliminaires ; il est encore beaucoup trop tôt pour savoir quelle est la bonne approche. Les expériences de transfert de tâches pilotées par le ministère ont, notamment, pris du retard.

En profiterez-vous pour proposer dans le cursus de formation un stage en milieu libéral ?

P. G. – Je sais que c’est une des propositions en discussion du Livre Blanc, séduisante dans son principe mais complexe dans son application, qui suppose beaucoup de disponibilité de la part du maître de stage. Or qu’apprendrait-il dans le privé de plus que dans le public ? Une chose très importante, en fait : une modalité d’exercice auquel ne le prépare pas le moule hospitalo-universitaire. Mais s’il s’agit de mieux connaître les grands groupes privés, un semestre serait sans doute un peu long !

Notre dernière question portera sur l’avenir de la spécialité et la place qu’y prendra l’imagerie. Quel est votre pronostic personnel, concernant notamment l’issue de la compétition en cours entre scanner et IRM.

P. G. – Sur ce sujet particulier, je me garderai bien de tout pronostic. Les deux techniques progressent extrêmement rapidement et ce qui apparaît la vérité d’aujourd’hui – la supériorité du scanner dans l’exploration des coronaires et de l’IRM dans l’étude de la perfusion myocardique – n’est pas forcément la vérité de demain. J’observe que les 4 à 5 industriels qui dominent le secteur, maîtrisent peu ou prou toutes les modalités d’acquisition : radiologie conventionnelle, ultrasons, scintigraphie, scanner, IRM… Les évolutions à venir sont donc autant fonction des découvertes de leurs ingénieurs que des opportunités du marché mondial. La tomographie à émission de positons s’est initialement développée dans le secteur cardiovasculaire pour céder aujourd’hui du terrain à l’oncologie mais il suffirait de mettre au point de nouveaux marqueurs pour relancer les spéculations technologiques. Ce qui caractérise surtout notre époque c’est la vitesse du progrès. Pensez que les premières publications d’imagerie par coroscanner remontent à 2001 ; qu’elles étaient issues de travaux sur des appareils à 4 barrettes, que les centres qui procèdent aujourd’hui à des acquisitions ou des renouvellements vont disposer de 64 barrettes et que des prototypes à 320 barrettes sont déjà disponibles ! Souvent, le temps de mettre en place une étude de validation d’une nouvelle technologie n’est pas épuisé que la génération suivante frappe déjà à la porte. C’est peut-être cette vitesse qui rend la cardiologie si attractive aux yeux des jeunes générations.

Aucun de ceux que nous avons questionné ne regrette son choix et la cardiologie reste une des disciplines les plus prisées au concours de l’internat…

P. G. – Mais sans doute parce que les jeunes savent bien qu’avec ses deux composantes, clinique et technique, cette spécialité constitue un compromis professionnellement intéressant. Que les progrès thérapeutiques qui se traduisent par une baisse de la mortalité n’ont pas, au contraire, tari la population qu’il faudra prendre en charge et qu’enfin elle repousse sans cesse ses limites d’hier : qui aurait sincèrement pu penser, il y a 10 ans, qu’on serait en mesure de traiter la FA comme on va peut-être le faire demain ?

Vous évoquez le recul de la pathologie cardiovasculaires dans les causes de décès, et la place avantageuse de la France d’ailleurs confirmée dans une publication européenne. Mais que faut-il penser de cette autre annonce du recul de l’infarctus depuis l’interdiction de fumer dans les lieux publics ? N’est-elle pas prématurée ?

P. G. – Elle est fondée, si j’ai bien compris, sur les statistiques d’urgences hospitalières. Certes le recul fait défaut, certes les chiffres sont à manipuler avec précaution, mais enfin ils sont là même s’il faudra les confirmer. Ils sont proches de ceux qui ont pu être observés dans d’autres pays européens dans la même situation. Et l’argument est trop beau pour soutenir la détermination des pouvoirs publics à ne rien céder aux pressions corporatistes.

Un dernier mot des pouvoirs publics : le soutien apporté à la lutte contre les maladies cardiovasculaires est-il à la hauteur de l’enjeu, comparé notamment au « Plan-Alzheimer » ?

P. G. – Il n’est pas illégitime en regard de ces pathologies – comment ne pas penser au SNC – où la connaissance physiopathologique progresse mais pas la prise en charge thérapeutique. En face, en cardiologie, nous avons tant : des méthodes diagnostiques de plus en plus précises, de moins en moins invasives, des prises en charge de plus en plus efficaces, des résultats de plus en plus lisibles… Les arbitrages du Gouvernement sont largement fondés quand tout reste à faire comme dans l’Alzheimer, véritable drame familial et social.

Membre associé d’abord

Le Cardiologue – Comment devient-on membre de la Société Française de Cardiologie ?

Pascal Guéret – Très simplement en présentant une demande pour devenir membre associé. Par le passé, il y fallait le double parrainage de deux titulaires et au moins une publication dans les Archives des Maladies du Coeur et des Vaisseaux. Aujourd’hui, il n’y a plus d’obstacle à un libéral pour faire acte de candidature : de membre associé, il pourra ensuite devenir membre titulaire, participer aux travaux et devenir électeur pour désigner le Conseil d’administration et participer à l’A.G. annuelle qui se tient traditionnellement pendant les Journées Européennes. Celui qui souhaite être plus actif encore peut faire acte de candidature au C.A. où il sera sollicité pour plus d’engagement dans les commissions, groupes de travail, comités scientifiques. Il pourra venir enfin travailler au bureau si la charge l’intéresse. C’est rigoureusement le chemin suivi par Serge Kownator. Son engagement ancien dans le Collège des Cardiologues nous est précieux ainsi que son implantation dans les échelons européens.|