Pour une refonte radicale de l’Assurance Maladie

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Le taux de couverture du patient n’a aucune influence sur la consommation de soins hospitaliers, mais il est particulièrement sensible à la couverture des soins ambulatoires. © Remzi

« Financé par une Assurance Maladie universelle offrant des remboursements partiels complétés par des assurances complémentaires, le système français est à la fois source d’inégalités et d’inefficacité. La politique menée actuellement vise à améliorer la couverture des citoyens par une extension de la couverture complémentaire, sans remettre en cause les acteurs de l’Assurance Maladie, ni leur périmètre d’intervention. Le design de l’Assurance Maladie est pensé indépendamment de la question du pilotage de l’offre de soins. » En gros, c’est le constat que dressent les trois économistes.

Des coûts de gestion élevés

De la mixité de notre système d’Assurance Maladie – Sécurité Sociale et complémentaires – découlent tous les maux.

En premier lieu, elle entraîne des coûts de gestions élevés : 7,2 milliards d’euros de frais de gestion pour les organismes relevant de la Sécurité Sociale, 6,2 milliards pour les organismes complémentaires « pour traiter deux fois les feuilles de soins ».

En second lieu, « les complémentaires couvrent les tickets modérateurs et beaucoup d’entre elles couvrent les dépassements d’honoraires, ce qui contribuent à alimenter l’augmentation de la dépense et des prix des soins ».

En outre, s’ajoute à cela « une dépense fiscale en faveur des contrats collectifs qui mutualisent les risques au niveau de l’entreprise ou de la branche, au détriment des jeunes, des chômeurs et des personnes âgées qui doivent payer une prime plus élevée pour accéder à une assurance complémentaire individuelle ».

Bref, bien que large, la couverture ne protège pas les individus contre le risque de restes à charge très élevés qui ne sont pas proportionnés à leurs moyens financiers.

Pour sortir des ravaudages inutiles du système, les trois économistes avancent donc quatre propositions. La première consiste à couvrir à 100 % les soins hospitaliers, à l’exception d’un forfait journalier ramené des 18 euros actuels à 8 euros. Les auteurs justifient cette mesure par le fait que les expériences américaines ont montré que le taux de couverture du patient n’a aucune influence sur la consommation de soins hospitaliers, « de ce fait, la maîtrise des dépenses de soins hospitaliers ne peut être obtenue par une participation des patients ». En revanche, « la dépense de soins ambulatoire est sensible à la couverture », et les économistes proposent donc de remplacer les tickets modérateurs et les participations par une franchise annuelle et un copaiement qui peuvent être fonction du revenu des patients, qui ne doivent pas être couverts par des assurances mais plafonnées.

La suppression du ticket modérateur à l’hôpital doit cependant s’accompagner de « mécanismes pour limiter la demande induite à l’hôpital : le dispositif doit être maîtrisé du côté de l’offre ». De même, en ambulatoire, « les offreurs doivent être responsabilisés sur le niveau de soins consommés et les dépassements d’honoraires ». Les auteurs recommandent donc que les financeurs de soins (ARS décentralisées ou assurances) puissent contractualiser avec les offreurs de soins. Du côté des assurances complémentaires, qui sont l’objet de la troisième proposition, les auteurs préconisent de « créer les conditions d’une véritable concurrence en définissant un contrat homogène que tout assureur devra offrir et en supprimant les distorsions liées aux exonérations sociales ». Et pour rompre avec la situation actuelle, dans laquelle les complémentaires « se voient présenter a posteriori une facture sur laquelle elles manquent d’information », il est proposé de les associer à la contractualisation en leur donnant accès aux informations nécessaires.

Mais à plus long terme, pour les trois économistes il faudrait « en finir avec un système mixte d’Assurance Maladie, en organisant un financement des soins unifié sur un mode public décentralisé ou sous la forme d’une concurrence régulée entre Caisses d’assurance ». « Sortir de la mixité de la couverture maladie est un objectif difficile à atteindre car il bouscule le paysage actuel où sont présents des acteurs publics et privés à l’assise historique importante. Cependant, le coût du statu quo nous semble suffisamment élevé pur inviter le décideur public à s’engager dans cette direction », concluent les économistes.

(*) Brigitte Dormont, université Paris Dauphine, membre du CAE ; Pierre-Yves Geoffard, Ecole d’économie de Paris, CNRS, EHESS ; Jean Tirole, Toulouse School of Economics, membre du CAE. Placé auprès du Premier ministre, le Conseil d’Analyse Economique a pour mission « d’éclairer par la confrontation des points de vue et des analyses, le choix du Gouvernement en matière économique ».
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