Prise en charge pluridisciplinaire : chaque médecin doit assurer le suivi de ses prescriptions

365 – (A propos d’un arrêt de la Cour de Cassation)

(©dedMazay-Pascal Wolff)
(©dedMazay-Pascal Wolff)

Article 64 du code de déontologie (Article R. 4127-64 du code de la santé publique)

Lorsque plusieurs médecins collaborent à l’examen ou au traitement d’un malade, ils doivent se tenir mutuellement informés ; chacun des praticiens assume ses responsabilités personnelles et veille à l’information du malade.
Chacun des médecins peut librement refuser de prêter son concours, ou le retirer, à condition de ne pas nuire au malade et d’en avertir ses confrères.
Les cardiologues, notamment en établissement, sont régulièrement confrontés à la prise en charge pluridisciplinaire de patients.
Cette pratique nécessite un certain nombre de précautions, rappelées par un arrêt récent de la Cour de Cassation, et concernant un obstétricien et un anesthésiste.

Les faits à l’origine de l’arrêt de la Cour de Cassation

Une patiente avait présenté dans les suites de son accouchement une phlébite cérébrale.
Elle avait été suivie à la fois par son obstétricien et par l’anesthésiste réanimateur, qui avait pratiqué l’anesthésie péridurale.
Ce dernier, constatant le lendemain d’importantes céphalées, lui, prescrit une injection de TIAPRIDE pour la soulager.
La phlébite cérébrale sera diagnostiquée tardivement, et responsable d’une hémiplégie séquellaire.

Parcours judiciaire

Après expertise collégiale, l’obstétricien est condamné à réparer le préjudice de sa patiente pour retard fautif de diagnostic.
Un premier renvoi en garantie contre l’anesthésiste devant une Cour d’appel confirme que le retard fautif de diagnostic est le fait du seul obstétricien et dégage la responsabilité de l’anesthésiste. Les juges ont suivi l’avis des experts qui avaient estimé que la phlébite cérébrale, qui s’était manifestée par des céphalées initiales, était une complication classique du post-partum, dont le diagnostic relevait de la compétence de l’obstétricien, sans que l’on puisse admettre que ce diagnostic devait être posé par l’anesthésiste, sous prétexte qu’on lui avait signalé ces céphalées qu’il avait soulagées par l’administration de TIAPRIDE.

Cet arrêt est cassé par la Cour de Cassation.
L’affaire est renvoyée vers une deuxième Cour d’appel et celle-ci, de nouveau, conclut que seul l’obstétricien est fautif.
Dans un deuxième arrêt, la Cour de cassation vient de nouveau de casser ce jugement.

Arrêt du 16 mai 2013 de la Cour de Cassation

En se référant à l’article 64 du code de déontologie, la Cour conclut que l’on ne peut pas exclure la responsabilité conjointe de l’anesthésiste : « Qu’en statuant ainsi, quand elle avait constaté que M. Z. (NDLR : l’anesthésiste ) avait été appelé au chevet de Mme Y. en raison de la survenance de céphalées et lui avait prescrit un neuroleptique pour les soulager, de sorte qu’il lui incombait de s’informer de l’effet de ce traitement, notamment aux fins de déterminer, en collaboration avec le gynécologue obstétricien, si ces troubles étaient en lien avec l’anesthésie ou avec l’accouchement, ce qui aurait pu permettre un diagnostic plus précoce, la Cour d’appel n’a pas tiré les conséquences de ses constatations au regard des textes susvisés.»

Arguments de la défense de l’obstétricien, qui avait engagé cette action en garantie contre son confrère : 

« … que la C our d’appel ne pouvait écarter la responsabilité du docteur Z. qui avait pris en charge le traitement des céphalées en prescrivant lui-même un traitement au lendemain de l’accouchement…
… que l’anesthésiste qui prescrit un traitement à la suite d’un accouchement pour céphalées, doit assurer le suivi de ce traitement et notamment s’assurer de ce que la réaction du patient confirme le diagnostic qui l’a conduit à prescrire ce traitement. »

 

Commentaires

Attaquer un de ses confrères, pour essayer de restreindre sa responsabilité, comme dans cette affaire, n’est pas du meilleur effet. Il vaut mieux, dans l’intérêt à la fois des malades et des médecins,  prévenir ce type de situation, qui résulte souvent d’un manque de communication entre les différents intervenants. C’est simple à dire, mais pas toujours facile à mettre en pratique pour différentes raisons, notamment de disponibilité et il est d’autant plus important d’en être conscient.
Les cardiologues exerçant en établissement interviennent régulièrement en dehors du service de cardiologie, en particulier en chirurgie, à la demande de confrères d’autres spécialités. Même s’il s’agit de demandes d’avis considérées comme ponctuelles, les suites, comme on le voit dans cet exemple peuvent engager leur responsabilité.
C’et une contrainte qui, sur le plan pratique, n’est pas toujours aisée  à assumer, notamment lorsque l’on est de garde en USIC et que l’on est appelé dans un autre service. En effet, les gardes se font habituellement par roulement au sein d’une équipe, par périodes de 24H, et le cardiologue n’est pas forcément présent à la clinique les jours suivants, quand il consulte à son cabinet. D’où l’importance de l’inscription des consignes dans le dossier de soins et de leur  transmission lors de la « relève », même après une nuit blanche, voire deux s’il s’agissait d’une garde de week-end.

Le commentaire de l’Ordre des médecins, sur son site internet, résume bien les précautions à prendre en cas de prise en charge pluridisciplinaire : « Chaque intervention correspond aux compétences particulières de chaque médecin qui en informera au fur et à mesure le patient mais gagnera souvent à échanger son point de vue avec celui de ses confrères. Les relations bilatérales n’excluent pas des rencontres à plusieurs dans un cas compliqué. Il reste souhaitable que la conclusion de ces échanges soit enregistrée par écrit dans le dossier du patient. »

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