Projet de loi de santé : entretien de Claude Le Pen

Pour l’économiste de la santé, professeur à l’université Paris-Dauphine, le projet de loi de santé est une accumulation de mesures qui pouvaient se prendre par simples décrets et arrêtés. Un texte qu’il juge très en retrait des ambitions de la Stratégie Nationale de Santé.

Le Pen300378 – Quelle est votre analyse du projet de loi de santé ?

A l’heure actuelle, le projet est un peu à la dérive sans que l’on sache vraiment ce qu’il y aura dedans in fine, puisque des négociations sont en cours avec divers partenaires, dont l’issue est assez aléatoire. Ce que l’on peut dire du texte en l’état, c’est qu’il est assez fourre-tout, manquant de cohérence et d’ensemble et s’apparentant davantage à ce qu’on appelait un DMOS (Diverses Mesures d’Ordre Social).

Quelle est votre position à l’égard du tiers-payant généralisé qui fait l’unanimité contre lui chez les médecins ?

C. L P. Ses conséquences économiques et sociales sont exagérées d’un côté comme de l’autre : c’est une mesure qui n’est pas aussi sociale qu’il y paraît, ce n’est pas la médecine gratuite. Mais c’est une mesure hautement politique – pour  ne pas dire démagogique – et qui ne coûte rien : on fait du social à bon compte ! Il faut beaucoup relativiser son effet inflationniste qui n’a jamais été absolument démontré. Il n’existe aucun tiers-payant aux Etats-Unis où les dépenses de santé sont pourtant bien plus importantes que dans certains pays où la généralisation du tiers-payant est la règle.

En revanche, il est vrai qu’il va être très compliqué à mettre en place, chronophage pour les médecins qui vont devoir vérifier les remboursements et avec des délais de remboursement variables selon les diverses mutuelles et assurances. Son bon fonctionnement nécessite une importante logistique qui n’existe pas ; il va falloir la mettre en place et qu’elle marche ! Enfin, le Gouvernement a largement sous-estimé la portée symbolique de la disparition du paiement direct de l’acte par le patient au médecin et, le moins que l’on puisse dire, c’est que cette décision aurait pu être mieux gérée, de façon plus participative. La réaction négative des médecins est d’autant plus forte que le projet de loi contient d’autres dispositions, notamment celles concernant l’encadrement du pouvoir conventionnel par les ARS, qui annoncent un changement de système.

Les conditions de participation des cliniques privées au Service Public Hospitalier (SPH) sont un autre point de contestation. Qu’en pensez-vous ?

C. L P. On revient sur la définition de la loi HPST, on revient à une conception très juridique du Service Public Hospitalier : c’est le statut qui fait le service public plus que les missions. C’est une vision conception rétrograde et l’on pourrait avoir une vision un peu plus moderne du service public. Mais le projet de loi fait montre d’une vision très idéologique de l’hôpital public. Forcer les hôpitaux à se regrouper entre eux, par exemple, ne me semble pas très pertinent ; ils ont parfois plus de difficultés à se regrouper entre eux qu’avec des établissements privés. C’est une vision très régalienne.

Au total, vous êtes très critique vis-à-vis de ce projet de loi ?

C. L P. Effectivement. Par rapport à ce qu’annonçait la Stratégie Nationale de Santé, on est loin du compte. Où est la « révolution des soins primaires » ? La médecine de proximité est très absente du projet. Concernant les données de santé, on n’a pas l’impression de s’acheminer vers un dispositif à la hauteur des enjeux, avec notamment une crainte excessive de la possible ré-identification des patients. C’est la même chose concernant la partie sur la prévention : les mesures annoncées ne nécessitaient pas une grande loi. Il s’agit de mesures qui pouvaient se suffire de décrets ou d’arrêtés. Sans anticiper sur ce que sera le contenu du projet qui sera débattu en avril, il semble quand même que toute cette effervescence actuelle va accoucher d’une loi compliquée, une « loi patchwork » contenant une kyrielle de mesures déconnectées les unes des autres, après quelques concessions accordées aux uns et aux autres, mais qui ne satisferont personne. Encore une fois, une loi en rupture totale avec les ambitions affichées dans la Stratégie Nationale de Santé. Et c’est sans parler du curieux processus d’élaboration de ce projet, sans concertation ni négociation préalable.

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