Projet de loi de santé : les médecins continuent le combat

Malgré un mouvement de grève largement suivi quoi qu’en dise la ministre de la Santé, Marisol Touraine, campe sur ses positions et n’accorde que des promesses verbales au gré de ses rencontres avec les différents représentants des médecins. En l’absence d’engagement ministériel pour une réécriture globale du texte, les médecins ne désarment pas et annoncent même un durcissement de leur mouvement de protestation. 

grève378 – « Circulez, il n’y a rien à voir ! ». C’est à peu près ainsi que l’on pourrait résumer l’attitude de Marisol Touraine confrontée à la grève des médecins libéraux de la fin de l’année 2014. Une grève qui a été largement suivie, avec 50 à 80 % des cabinets fermés voire 100 % de fermetures dans certaines zones. Une grève qui a eu un impact certain sur la régulation des centres 15, qui ont enregistré un afflux d’appels, et suscité des tensions dans plusieurs services d’urgence, comme en ont témoigné certains titres de la presse régionale et le président de Samu-urgences France, le Dr François Braun, qui a confirmé « un nombre d’appels très supérieur ». Qu’importe : pour la ministre de la Santé « aucune affluence anormale dans les services d’urgence n’a été observée ».

Minimiser la portée de la grève

Très habilement, Marisol Touraine s’est ingéniée à minimiser le mouvement des médecins libéraux dans ses déclarations, à interrompre la grève des urgentistes hospitaliers par la signature d’un protocole dont le coût est estimé à 90 millions d’euros par  la Fédération Hospitalière de France (FHF) et à déminer celle, à venir, des cliniques privées en négociant avec la Fédération de l’Hospitalisation Privée (FHP) qui, contre quelques promesses concernant les conditions de leur participation au service public hospitalier, a levé son mot d’ordre de grève illimitée prévu pour le mois de janvier, au grand dam des spécialistes de bloc et des syndicats engagés dans le conflit qui ont été mis devant le fait accompli.

Réécrire intégralement le projet de loi

Cette stratégie ministérielle, qui consiste à éteindre un feu après l’autre, est bien connue et en cache souvent une autre : diviser pour mieux régner. Un piège dans lequel les médecins libéraux sont déterminés à ne pas tomber. Reçus les uns après les autres par la ministre, aucun syndicat n’est sorti satisfait de l’entrevue. Le mouvement de protestation est donc entré dans sa deuxième phase avec la grève administrative : grève de la télétransmission et de l’accès à l’espace pro du site Ameli.

L’Assurance Maladie n’a pas caché qu’elle n’avait plus les effectifs suffisants pour faire face à un flot important de feuilles de soins papier et annoncé jusqu’à un mois de délai pour le remboursement des assurés. Selon les dernières indications de la CNAMTS, la télétransmission serait en baisse de 12 %.

Outre la poursuite de cette « guérilla administrative », d’autres actions sont envisagées. MG France annonce une nouvelle journée de grève pour le 5 février prochain. La CSMF et le SML organisent des actions de protestation la semaine du 26 au 31 janvier et lancent un mot d’ordre de grève de la PDS pour le week-end du 31 janvier au 1er février. Les deux centrales ont également décidé d’appeler à une grande manifestation nationale en mars prochain, avant l’examen du projet de loi de santé au Parlement.

Et la constitution de huit groupes de travail avec les professionnels de santé (encadré ci-dessous) n’est pas de nature à désarmer la profession, la ministre ne cédant rien concernant la généralisation du tiers-payant et renvoyant à la négociation conventionnelle une très hypothétique revalorisation tarifaire. Dans la mesure où l’examen du projet reste fixé au début avril et fera l’objet d’une procédure accéléré, la profession subodore que cette ouverture sur la réécriture de la loi de santé sera « probablement une concertation en trompe d’œil », selon l’expression de la CSMF.

Les libéraux restent donc mobilisés. Les hospitaliers aussi. Inquiets quant à l’évolution possible du projet de loi, ils attendent de Marisol Touraine des garanties écrites, qui ne sont pas les mêmes, on s’en doute, que celles des libéraux. Mais faute de cet engagement écrit, la communauté hospitalière pourrait, elle aussi, donner du fil à retordre à la ministre en demandant le retrait du projet (notre rubrique « Hôpital » 378).

 

Quatre groupes de travail plus deux

Marisol Touraine a annoncé la constitution de quatre groupes de travail destinés à faire évoluer certaines mesures clés du projet de loi. Le premier, piloté par Anne-Marie Brocas, la présidente du Haut Conseil pur l’Avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM), se penchera sur la généralisation du tiers-payant. Le second planchera sur « l’organisation des soins de proximité dans les territoires » sous la houlette de Jean-François Thébaut, membre du Collège de la HAS (et ex-président du SNSMCV) et de Véronique Wallon, directrice générale de l’ARS Rhône-Alpes. Ancien directeur de l’ex-Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé (ANAES, absorbée par la HAS), le Pr Yves Matillon dirigera les travaux du troisième groupe qui concerneront l’évolution de l’article portant sur les fameuses « pratiques avancées ». Le quatrième groupe devra « finaliser » l’article relatif au service public hospitalier « afin de permettre, de façon limitée, à certains établissements privés d’être habilités service public hospitalier », tout en préservant « l’identité » de ce dernier. Il abordera aussi la place des spécialistes libéraux dans ces établissements. Il sera piloté par le président de la conférence des CME de l’hospitalisation privée, Jean-Luc Baron, le directeur de la Sécurité Sociale (DSS), Thomas Fatome, et le directeur général de l’Offre de Soins (DGOS), Jean Debeaupuis.

Deux autres groupes ont été constitués pour une réflexion sur le rôle des médecins libéraux. Pour le premier, piloté par Pierre-Louis Druais, président du Collège de la Médecine Générale, cette réflexion visera à « donner au médecin généraliste et au médecin traitant toute leur place dans notre système de soins et à améliorer le parcours des patients en ville ». Le second groupe, dirigé par Yves Decalf, cadre de la CSMF et ancien président de la Commission de Hiérarchisation des Actes et Prestations (CHAP), mènera sa réflexion sur « le rôle de la médecine spécialisée libérale ».