Serons-nous tous salariés dans 20 ans ?

La médecine libérale est une particularité française, longtemps source d’efficience de notre système de santé. L’explosion des maladies chroniques, associée au vieillissement de la population, ainsi qu’une évolution de la sociologie et du comportement du corps médical, ne permettent plus de répondre efficacement à la demande de soins. L’accès aux soins devient de plus en plus difficile avec des délais de RDV qui s’allongent. Pour répondre à cette problématique, nos décideurs ont fait le choix d’investir massivement dans les hôpitaux publics depuis des années.

Depuis l’épidémie Covid-19, ils ont également décidé d’aider les établissements privés d’hospitalisation en leur garantissant un chiffre d’affaires de 84 % quel que soit leurs activités durant la pandémie (certain n’hésitant pas à diminuer leur activité en dehors de toute logique financière). Ainsi certains groupes comme Ramsay ont eu un résultat net de 65 millions cette année (versus 13,4 millions d’euros un an plus tôt) avec un excédent brut d’exploitation de 17,7% sur 1 an.

A contrario, suite au confinement, les médecins libéraux ont eu accès au DIPA (Dispositif d’Indemnisation de Perte d’Activité) mais ce mécanisme est insuffisant puisque les cardiologues ont vu leur revenu en moyenne baisser de 5 % en 2020. L’augmentation future de l’APC de 50 à 55 euros le 25 mars 2022, ne permettra en aucun cas de nous restructurer sereinement, ni d’aller vers le travail aidé pour répondre aux enjeux sociétaux.

Les médecins libéraux, noyés dans leur exercice, ne voient pas que leur environnement se transforme à leur insu. Pour preuve, depuis des années l’on assiste à l’ouverture de centre de santé avec des médecins salariés, à la multiplication de centres dentaires concurrençant les cabinets de dentiste, ainsi que le rachat par des fonds de pension des laboratoires de biologie et d’anapath. Tout s’accélère maintenant avec la croissance vertigineuse de centres de visions salariant les ophtalmologues avec des orthoptistes aux rôles sans cesse élargis.

Devant cette force croissance dans le secteur des soins de villes, les sociétés internationales possédant les cliniques ont décidé de se lancer dans ce domaine lucratif. Ramsay vient d’acheter la société danoise WeCareHolding, opérateur de soins primaires, et vient de déclarer « nous préparons l’ouverture en France de soins de proximité, financés à la capitation ». Elsan  se lance dans la croissance externe, avec l’achat de cabinets d’imagerie, et s’intéresse à la radiothérapie et l’hospitalisation à domicile. 

L’achat de structure de cardiologie serait-elle la prochaine étape ? 

Tout ceci risque, à terme, de nous orienter vers un système de santé à l’américaine avec d’un côté, une offre publique hospitalière, et de l’autre une privée commerciale appartenant à des grands groupes (sachant que le même soin coûte 34 % de plus dans le système de santé américain que dans le système français, selon le panorama santé 2019 de l’OCDE). Espérons que nos élus et nos énarques aux pouvoirs comprennent enfin que seul un secteur libéral fort, riche de ses différences permettra d’éviter la marchandisation de la santé. 

Alors serons nous tous salariés demain ? Peut-être, mais alors de structures bâties par des professionnels libéraux et non des fonds de pensions ! Le Syndicat se bat pour que le secteur libéral se conjugue au futur et non au passé !

Marc Villacèque. Président du Syndicat National des Cardiologues

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