Thomas Borel : Le plan d’action du Leem contre les pénuries de médicaments

Interview de Thomas Borel, directeur des affaires scientifiques du Leem. La pénurie de certains médicaments et vaccins est revenue à intervalles réguliers dans l’actualité de l’année 2017, année au cours de laquelle, selon l’ANSM, les signalements de ruptures de stocks et de tensions d’approvisionnement ont crû de 33 %. Par ailleurs, selon un sondage réalisé par BVA pour France Assos Santé, 56 % des personnes interrogées citent les industriels comme principaux responsables de cet état de fait. 

Que pouvez-vous répondre à cette mise en cause et où se situent, selon vous, les points de dysfonctionnement ?

Thomas Borel. Lorsque l’on parle de ce sujet – qui n’est pas nouveau – il faut bien comprendre que les ruptures d’approvisionnement ont des causes multifactorielles et concernent tous les acteurs de la chaîne du médicament, de la production à la distribution.
La production des principes actifs est souvent réalisée par des tiers et est en cause pour  20 à 30 % des pénuries. Soit pour des problèmes de volume, en particulier pour les principes actifs biologiques, soit pour un problème de qualité survenant sur la chaîne de production du principe actif.
Mais la majorité des causes de ces ruptures est liée à une demande mondiale croissante et une difficulté d’adapter la chaine de production en conséquence.
Enfin, des pénuries peuvent survenir en raison de contraintes économiques et de contraintes réglementaires sur le médicament lui-même, mais aussi sur le packaging. Il n’est pas évident d’adapter une chaîne de production aux changements de réglementation. Par exemple, il existe en Europe 23 calendriers de vaccinations différents et à chaque changement dans l’un de ces calendriers, il faut réajuster la chaîne de production.
L’obligation en France d’apposer un pictogramme sur des boîtes de médicaments pour alerter les femmes enceintes – ce qui concernait 70 % de la pharmacopée disponible – a contraint les industriels a réajuster tout le packaging disponible. Une anticipation et une uniformisation des réglementations éviteraient ce genre de problèmes.
Enfin, des baisses de prix créent des zones de fragilité économique pour certains produits. C’est le cas de certains médicaments anciens, mais indispensables pour lesquels les couts de production ont augmenté et les prix ont baissé au fil des années.
Par ailleurs, ces situations de ruptures peuvent être aggravées par la chaine de distribution. Ainsi, parmi les grossistes-répartiteurs, certains acteurs achètent des médicaments dans un pays pour les revendre dans d’autres territoires.
En France, où le prix des médicaments est particulièrement bas, des opérateurs achètent des médicaments pour les revendre en Allemagne où les prix sont plus élevés. L’industrie pharmaceutique est extrêmement soucieuse de résoudre ces problèmes pour mettre à la disposition du public les médicaments qu’elle produit.

Justement, le Leem a élaboré un plan d’action contre les ruptures d’approvisionnement de médicaments. Pouvez-vous en exposer les principaux axes ? 

T. B. Effectivement, le Leem a travaillé plusieurs mois pour élaborer ce plan qui s’articule autour de six grands axes. Dans un premier temps, il faut déterminer quels sont les médicaments à sécuriser :

  • Parmi les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur – soit 40 % de la pharmacopée française – il faut définir une liste précise de ceux qu’il faut impérativement sécuriser. Il conviendrait aussi d’évaluer le niveau de dépendance des pays européens par rapport aux pays de production et mettre en place des mesures pour assurer une certaine sécurité, constituer des stocks au niveau européen. 
  • En second lieu, il conviendrait de revoir les mécanismes d’achat hospitaliers et les conditions économiques d’exploitation des médicaments, en particulier quand la chaîne économique se dégrade du fait, par exemple d’une hausse du principe actif, jusqu’à la disparition de la marge. Des mesures de revalorisation sont à prendre pour les produits les plus essentiels. 
  • Le troisième axe de notre plan concerne la localisation des sites de production de matière première. Il conviendrait de favoriser le maintien en Europe de sites de production par les incitations financières. 
  • Quatrièmement, concernant la distribution, il faudrait mieux l’encadrer en cas de tension dans l’approvisionnement, tout particulièrement pour les produits définis comme essentiels. 
  • Le cinquième axe du plan concerne l’information des professionnels de santé et des patients. Aujourd’hui, cette information n’intervient ni en amont ni sur la durée. Les professionnels de santé sont informés par le pharmacien ou par leurs patients ! Il faut absolument améliorer cette information, notamment en définissant des traitements de substitution, des alternatives en cas de rupture d’approvisionnement. 
  • Enfin, et c’est le sixième axe du plan du Leem, tout cela nécessite un pilotage de la puissance publique, un pilotage coordonné et interministériel, puisque plusieurs ministères sont concernés. Il importe également que certaines mesures soient portées par la France au niveau européen. 

Tout cela étant dit, il faut savoir qu’il n’y a pas de solution magique à ce problème de rupture d’approvisionnement. Les industriels sont très engagés sur ce sujet, nous ne sommes jamais à l’abri d’une rupture, en cas de problème de qualité notamment.

C’est ce qui s’est récemment passé avec plusieurs médicaments à base de valsartan qui ont été retirés du marché après la détection d’une impureté potentiellement cancérigène dans le principe actif fabriqué en Chine ou en Inde. Où en est-on aujourd’hui et cela risque-t-il d’entraîner une pénurie de ces produits ?

T. B. Une formulation du valsartan est actuellement sans stock sur le territoire, mais d’autres sont encore disponibles. L’ANSM a décidé d’étendre ses investigations et je ne peux pas vous dire aujourd’hui comment cela va évoluer. 

Le Leem a alerté sur les problèmes que poserait un Brexit sans accord. Toutes les inquiétudes sont-elles levées à cet égard ?

T. B. L’hypothèse d’un Brexit sans accord poserait en effet de graves problèmes en termes d’approvisionnement en médicaments, d’échanges commerciaux et de recherche.
Outre qu’il faudrait éviter que des camions de médicaments se retrouvent bloqués aux douanes, il faudrait, par exemple, qu’un laboratoire puisse continuer d’exploiter une AMM dont le titulaire est au Royaume-Uni.
L’ANSM conduit actuellement des analyses pour identifier les médicaments dont une partie de la production se situe outre-Manche et nous demandons que soient favorisés des accords de reconnaissance mutuelle qui permettraient de limiter les risques de ruptures d’approvisionnement.
La mobilisation des pouvoirs publics et des industriels est forte face à l’hypothèse d’un Brexit dur et nous sommes aujourd’hui confiants, même si toute possibilité de rupture n’est pas exclue.

© Ivan Traimak

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